Rechercher

Après Kyoto, l’heure des mécanismes de flexibilité

Stabiliser les émissions de gaz à effet de serre est l’un des principaux défis que l’humanité doit relever. La communauté internationale a jeté les bases nécessaires à cette entreprise de longue haleine. Toutefois, l’industrialisation, aussi rapide qu’inattendue, des pays en développement (PED) appelle des ajustements au niveau de la mise en oeuvre. Il faudra, au moins durant les dix années à venir, assurer un transfert de technologie important vers les PED par le biais des mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto. C’est la raison pour laquelle il faudrait lever ou tout au moins assouplir les restrictions dont ceux-ci font l’objet. Pour la Suisse, fixer la priorité sur la réduction des gaz à effet de serre à l’étranger serait une solution adaptée.

À la recherche d’un régime global de protection climatique


Les causes et les conséquences des variations climatiques sont de portée globale, ce qui signifie que chaque pays est à la fois responsable et victime, à des degrés différents. De ce constat est né un processus de négociations auquel devaient participer tous les pays de la planète. Des négociations d’une telle portée géographique constituaient un réel défi pour la communauté internationale. Un mécanisme de négociations progressif sur le plan de la procédure et la prise en compte scrupuleuse des besoins, variables selon que les pays sont développés L’appartenance d’un pays à l’OCDE détermine s’il s’agit d’un pays industrialisé ou en développement., en transition ou en développement, étaient autant de facteurs censés aider à relever ce défi. Cette procédure s’est révélée efficace et a permis l’adoption de la Convention climatique Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, adoptée lors du sommet mondial de Rio en 1992. en 1992. Celle-ci est entrée en vigueur en 1994 et 189 pays sur un total de 198 l’ont ratifiée jusqu’à présent.

Objectifs de la Convention climatique


La Convention climatique a pour but de stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique. Elle consacre notamment les principes de responsabilité et de précaution, ce dernier étant particulièrement remarquable dans la mesure où la convention prévoit explicitement que l’absence de certitude scientifique absolue de risque de perturbations graves ou irréversibles ne doit pas servir de prétexte pour différer l’adoption de mesures visant à les prévenir ou à les atténuer Art. 3, al. 3, Convention climatique.. Au chapitre des engagements, la convention, conformément au concept global de négociation, fait la distinction entre les pays développés, ceux en transition et les PED. Les pays développés doivent tracer le chemin et faire le premier pas en termes de réduction des gaz à effet de serre. Alors seulement les PED pourront être tenus de prendre des engagements concrets, bénéficiant du soutien des pays développés, notamment grâce au transfert de technologie Art. 4, al. 3, Convention climatique.. La convention prévoit par ailleurs que les PED pourront augmenter leurs émissions de gaz à effet de serre dans le cadre de leur industrialisation Préambule de la Convention climatique, dernier paragraphe..

Concrétiser les engagements contenusdans le Protocole de Kyoto


De grandes inquiétudes ont été soulevées par la prise de conscience que le gaz à effet de serre le plus important en termes de quantité, le CO2, procède de la production d’énergie à partir des agents fossiles et que la stabilité climatique appelle une réduction massive des émissions de ce gaz, notamment par le biais d’une réorientation des politiques énergétiques. Cela est d’autant plus vrai que le lien entre industrialisation, prospérité et consommation énergétique a aussi été clairement établi. Il n’a pas été possible de fixer des objectifs de réduction concrets dans la convention. Les États-Unis se sont montrés particulièrement récalcitrants. En temps normal, lorsque des acteurs importants et politiquement puissants se distancient, l’accord est voué à l’échec. En l’espèce, grâce à la détermination de l’UE, dont la position se renforçait au sein de la convention, le reste de la communauté internationale a décidé de poursuivre le processus malgré le risque de s’exposer à une concurrence déloyale sur la scène internationale. Cette décision a permis d’adopter le Protocole de Kyoto en 1997, un accord additionnel fixant les engagements concrets des pays développés. Ces derniers doivent réduire les émissions des six principaux gaz à effet de serre CO2, CH4, N2O, HFC, CFC, SF6. au cours de la période d’engagement allant de 2008 à 2012 (par rapport au niveau de 1990) par le biais de mesures concrètes (voir encadré 1 Pour stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau non dangereux, il faut, selon les analyses actuelles, réduire de 50 à 80% le niveau global d’émissions d’ici à 2050 (année de référence 1990, scénario standard).Selon les engagements pris au titre du Protocole de Kyoto, les émissions globales de gaz à effet de serre seront réduites de 5,2% d’ici 2012 (année de référence 1990).Les émissions globales de CO2 augmenteront d’environ 55% d’ici 2030 en raison de l’accroissement de la consommation d’énergie, et elles continueront d’augmenter après cette date. 70% de cette augmentation sera due à l’industrialisation des PED.Les combustibles fossiles demeurent la source d’énergie dominante; les PED misent principalement sur le charbon. Pour couvrir la demande mondiale d’énergie, il faudra investir quelque 20000 milliards de dollars d’ici 2030.).

Les mécanismes de flexibilité


Les engagements en matière de réduction du CO2 ont suscité une vive inquiétude au sein des milieux économiques et de la population. Il a fallu attendre 2001 et les Accords de Marrakech, dont les mécanismes de flexibilité constituent la pièce maîtresse, pour leur trouver une forme acceptable. Les mécanismes de flexibilité regroupent le commerce des droits d’émission – dans le cadre duquel les États parties au protocole échangent leurs droits d’émission excédentaires -, la Mise en oeuvre conjointe (MOC) et le Mécanisme de développement propre (MDP) Le mécanisme MOC est appliqué à des projets dans les pays ayant pris des engagements au titre du protocole et le MDP à des projets dans les PED.. Ces derniers permettent, en outre, aux pays développés de réaliser des projets de réduction dans des pays tiers, qui peuvent être comptabilisées dans le calcul des réductions d’un État. Les mécanismes de flexibilité reposent sur un fait établi: l’endroit où la réduction a lieu n’a pas d’incidence sur l’objectif, qui est de stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Comme les PED disposent d’un grand potentiel de réduction à bon marché, les mécanismes de flexibilité rendent les efforts des pays développés nettement plus efficaces (voir graphique 1). Pour que le processus soit dynamique, il est important que les projets soient réalisés par les entreprises, et non par les gouvernements. Par souci d’efficacité, on les regroupe dans des fonds et ce sont des acteurs spécialisés qui les concrétisent. Les entreprises peuvent investir dans ces fonds et ne doivent pas réaliser elles-mêmes les projets à l’étranger. Les réductions sont délivrées sous forme de certificats et peuvent ainsi être négociées en Bourse.

Supervision par le Comité exécutif


Dans une deuxième étape, la communauté internationale a dû régler l’organisation, la supervision et la certification des droits d’émission et des réductions. La supervision est particulièrement importante dans le cas des projets MDP, puisqu’il s’agit d’investir dans les PED, qui n’ont pas de limites d’émission fixes. La communauté internationale a donc institué un Comité exécutif, chargé de contrôler le respect de toutes les conditions permettant de garantir la qualité des réductions. La flexibilité de ces modalités de mise en oeuvre a permis au protocole d’entrer en vigueur en 2005. Au total, 175 pays l’ont ratifié, soit tous les pays développés sauf les États-Unis et l’Australie, et presque tous les PED.

Des PED importants adhèrent au Protocole de Kyoto


Les PED ont dû constater que les transferts de technologie inscrits dans la convention ne fonctionnaient pas comme ils l’avaient espéré: les pays développés n’y voyaient guère d’intérêt. Les PED intéressés par le transfert de technologie ont donc perçu le MDP comme une opportunité, ce qui les a décidés à adhérer au Protocole de Kyoto en prenant des engagements généraux. Ils exigèrent, toutefois, que les projets MDP ne soient pas financés par des fonds destinés à l’aide au développement, qu’il ne s’agisse pas de projets qui seraient financés de toute façon (additionnalité) et que les pays développés continuent à réaliser la majorité de leurs réductions sur leur propre territoire (supplémentarité). Aucune limite quantitative n’a été fixée; actuellement, de nombreux États choisissent l’interprétation selon laquelle ils sont tenus de réaliser 50% de leurs réductions à domicile. L’adhésion de PED (parmi lesquels les principaux pays émergents comme la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud) est une étape importante dans l’optique d’un régime climatique global et contraignant, qui a été rendu possible par le mécanisme MDP.

Les programmes de réduction nationaux


Parallèlement au processus de négociations, la recherche climatique s’est intensifiée au sein du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), instauré par la convention. Les résultats de ses travaux ont été examinés, confirmés et affinés par les spécialistes de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et des scientifiques de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Les résultats et les conclusions ont eu un écho dans tous les débats politiques, favorisant la prise de conscience du grand public. Cette évolution a donné le jour aux programmes de réduction nationaux tels que la loi sur le CO2 en Suisse ou l’échange des droits d’émission au sein de l’UE.

De nouvelles priorités après 2012


La réalisation des objectifs fixés par la Convention climatique suppose davantage de réductions, auxquelles il faudrait idéalement associer tous les pays. Il n’est, toutefois, pas certain qu’un nouvel accord fixant les engagements pour la période qui débute en 2012 pourra se fonder sur les mêmes bases. Alors que les travaux scientifiques viennent étayer les conclusions du Giec, deux nouveaux facteurs sont apparus entre-temps: – la crainte d’une pénurie énergétique du fait de l’augmentation de la consommation d’énergie et de la finitude des ressources fossiles; – l’industrialisation particulièrement rapide de pays émergents et fortement peuplés (voir encadré 2 Si la communauté internationale savait que le système climatique ne résisterait pas à l’industrialisation des pays qui n’ont pour l’heure pas pris d’engagements concrets et qui utilisent des technologies désuètes, personne ne s’attendait à ce que ce processus se produise si rapidement ni à ce qu’il prenne une telle ampleur. Avec une augmentation de la consommation d’énergie et des émissions de CO2 de plus de 50% au cours des 20 prochaines années et d’un volume d’investissements supérieur à 20000 milliards de dollars, il ne fait aucun doute que le transfert de technologie – en premier lieu vers les pays émergents – est une priorité absolue. Une fois construites, les infrastructures néfastes pour le climat restent en place une bonne trentaine d’années. Les mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto offrent une opportunité sans égale d’éviter, à moindre coût, le rejet d’émissions en installant de nouvelles infrastructures dans les PED, et de contribuer par la même occasion au développement durable de ces pays. Étant donné l’importance de plus en plus grande que prennent les PED dans l’ensemble des émissions, il est aujourd’hui impossible de parvenir à stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre en réduisant les émissions dans les seuls pays développés.).  L’augmentation de la demande énergétique réaffirme la nécessité de réorienter la consommation vers des sources non fossiles; elle justifie également la mise en oeuvre prévue par la convention et le protocole. Le deuxième facteur appelle, par contre, des ordres de priorité différents, du moins au niveau du calendrier. Lors du prochain cycle d’engagements, l’accent devra donc être mis davantage sur la coopération internationale ainsi que sur le transfert de capitaux et de technologie vers les PED. Les mécanismes du Protocole de Kyoto, en particulier le MDP, se prêtent bien aux mouvements de transfert de grande ampleur. L’intérêt que présentent la possibilité de comptabiliser les réductions, pour les pays développés, et le transfert de technologie, pour les PED, prêche en faveur d’une dynamique des échanges. Il est, toutefois, essentiel que les systèmes de contrôle soient efficaces afin d’instaurer la confiance nécessaire et de supprimer les obstacles aux transferts. La communauté internationale devrait, par conséquent, veiller à renforcer le Comité exécutif lors des prochaines négociations et à supprimer, ou du moins à relativiser, la règle de la «supplémentarité».

La portée des mécanismes de flexibilité pour la Suisse


Du fait de la délocalisation des processus de production à l’étranger et de son approvisionnement électrique quasiment exempt de CO2, la Suisse est l’un des pays dont l’intensité d’émission de gaz à effet de serre compte parmi les plus faibles du monde Émissions de CO2 par rapport à la valeur ajouté (PIB).. Son potentiel de réduction est donc relativement limité par rapport à d’autres pays et le coût de telles mesures est particulièrement élevé. Selon les estimations, la réduction d’un volume donné de gaz à effet de serre coûte actuellement 7 à 10 fois plus cher en Suisse que dans l’UE ou les PED. D’un autre côté, nous importons des produits à forte intensité énergétique, dont la production entraîne beaucoup d’émissions à l’étranger. Les projets MDP incluent le transfert de technologies respectueuses de l’environnement, ce qui contribue indirectement à réduire ces «émissions grises» Les émissions grises résultent de l’importation de produits et de services. Aux émissions directes de CO2, évaluées à 7,1 tonnes annuelles par habitant, il faut ajouter, selon des études récentes, 5,3 tonnes d’émissions grises.. L’État doit faire en sorte de créer les conditions et les incitations nécessaires à la réalisation des mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto. C’est dans cet esprit que la Suisse a mis en place la taxe sur le CO2 appliquée aux combustibles et le centime climatique prélevé sur les carburants. La Fondation centime climatique compense d’ores et déjà des émissions de CO2 par le biais de projets MDP Entre autres par le biais du Carbon Fund de la Banque mondiale, qui réalise un grand nombre de projets.. Dans le domaine des combustibles, les certificats peuvent servir à être exempté de taxe sur le CO2. La Suisse réalise, en outre, dans le cadre de la coopération au développement, des projets qui aident les pays hôtes à se préparer pour l’application concrète des mécanismes de Kyoto Les mesures de ce type sont le renforcement des capacités, la préparation organisationnelle et l’information.. Elle possède donc tous les éléments pour fixer des priorité dans les mécanismes de flexibilité.

Graphique 1 «Potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre par région, au prix maximum de 40 euros/t.»

Encadré 1: Conclusions des rapports actuels du Giec et de l’AIE Pour stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau non dangereux, il faut, selon les analyses actuelles, réduire de 50 à 80% le niveau global d’émissions d’ici à 2050 (année de référence 1990, scénario standard).Selon les engagements pris au titre du Protocole de Kyoto, les émissions globales de gaz à effet de serre seront réduites de 5,2% d’ici 2012 (année de référence 1990).Les émissions globales de CO2 augmenteront d’environ 55% d’ici 2030 en raison de l’accroissement de la consommation d’énergie, et elles continueront d’augmenter après cette date. 70% de cette augmentation sera due à l’industrialisation des PED. Les combustibles fossiles demeurent la source d’énergie dominante; les PED misent principalement sur le charbon. Pour couvrir la demande mondiale d’énergie, il faudra investir quelque 20000 milliards de dollars d’ici 2030.

Encadré 2: Les pays émergents connaissent un rythme de croissance fulgurant Si la communauté internationale savait que le système climatique ne résisterait pas à l’industrialisation des pays qui n’ont pour l’heure pas pris d’engagements concrets et qui utilisent des technologies désuètes, personne ne s’attendait à ce que ce processus se produise si rapidement ni à ce qu’il prenne une telle ampleur. Avec une augmentation de la consommation d’énergie et des émissions de CO2 de plus de 50% au cours des 20 prochaines années et d’un volume d’investissements supérieur à 20000 milliards de dollars, il ne fait aucun doute que le transfert de technologie – en premier lieu vers les pays émergents – est une priorité absolue. Une fois construites, les infrastructures néfastes pour le climat restent en place une bonne trentaine d’années. Les mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto offrent une opportunité sans égale d’éviter, à moindre coût, le rejet d’émissions en installant de nouvelles infrastructures dans les PED, et de contribuer par la même occasion au développement durable de ces pays. Étant donné l’importance de plus en plus grande que prennent les PED dans l’ensemble des émissions, il est aujourd’hui impossible de parvenir à stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre en réduisant les émissions dans les seuls pays développés.

Proposition de citation: Marie-Therese Niggli (2007). Après Kyoto, l’heure des mécanismes de flexibilité. La Vie économique, 01 septembre.