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La cyberadministration, pour affronter l’avenir

La cyberadministration, pour affronter l'avenir

Les administrations suisses font aujourd’hui – et sans doute depuis toujours – du bon travail. Pourquoi donc agiter la question de la cyberadministration (administration électronique ou e-gouvernement) si, a priori, elles n’exigent pas de grandes améliorations? La réponse est simple: la cyberadministration est plus qu’une communication Internet entre les administrés et leurs autorités; c’est le meilleur moyen de faire face aux défis du futur. La charge de travail supplémentaire que l’on observe dans le secteur public comme dans l’économie privée peut être maîtrisée de deux manières: soit au prix d’une baisse de qualité des prestations, soit à la faveur d’une réorganisation s’appuyant sur une utilisation optimale des technologies d’aujourd’hui. Cette dernière approche est celle de l’administration électronique.

La cyberadministration ne nous permet pas seulement d’accomplir davantage de tâches au même coût qu’aujourd’hui. Elle s’imposera également en termes de ressources humaines. Tout employé ayant quelque expérience des éminents services fournis aujourd’hui par les technologies de l’information et de la communication (TIC) dans l’économie privée sera de moins en moins disposé, en effet, à travailler pour des services d’État aux structures relativement compliquées et basées encore très largement sur le papier. Tout retard technologique par rapport à l’économie privée rendra donc encore plus difficile, ces prochaines années, le recrutement par l’administration publique des cadres dont elle a besoin.

Le problème est sérieux, mais un effort collectif peut encore le régler


Si, en Suisse, l’administration publique conventionnelle fonctionne plutôt bien d’une manière générale, on ne peut pas en dire autant de la cyberadministration. Il faut donc profiter des avantages que nous offre le système traditionnel pour gagner du temps et procéder à un rattrapage réfléchi de notre retard cyberadministratif, sans en faire un but en soi. Nous devrions notamment mettre ce temps à profit pour: – étudier les expériences pratiques faites à l’étranger et tirer les enseignements des erreurs qui ont pu y être commises; – continuer à perfectionner technologiquement les bonnes pratiques existantes des autorités de notre pays et de l’étranger (et reprendre ou adapter des concepts novateurs développés par l’économie); – dégager une vision claire de l’administration publique du futur; – former des experts à la planification, à la construction et à l’exploitation d’architectures cyberadministratives et de processus, ainsi qu’à la maîtrise du changement parmi les autorités; – créer une base légale qui embrasse le plus clairement possible tous les textes de loi utiles; – créer des infrastructures techniques et organisationnelles ainsi qu’une large base de connaissances au niveau des autorités.  Tout cela suppose la pleine reconnaissance par le monde politique des impératifs du futur et la collaboration des véritables moteurs de l’innovation dans le pays. Il ne s’agit pas de réaliser des projets aussi vite que possible, mais d’agir en profondeur et durablement. Ce qu’il nous faut, c’est une vision à long terme et l’action stratégique conjointe des politiques, de l’économie et des experts concernés. Il existe en Suisse à cet égard des modèles de référence convaincants; on trouvera des exemples de travaux exploratoires innovants sur le site www.ech-ch ainsi qu’auprès de l’Unité de stratégie informatique de la Confédération (Usic). Reste qu’à ce jour, le grand défi – reconnu d’un bout à l’autre de la planète – de l’informatisation des administrations publiques au-delà de leurs propres murs est moins bien maîtrisé en Suisse qu’ailleurs en Europe et dans certains États comme le Canada, Singapour et Hong Kong. Pour obtenir de réels succès en matière d’intégration numérique, le comité de pilotage prévu par la «stratégie suisse de cyberadministration» est certes nécessaire, mais reste insuffisant. Il est illusoire de penser que les autorités politiques seront capables de prendre à elles seules toutes les mesures nécessaires pour relever ce grand défi. Bien qu’elle ne soit pas qu’une tâche technique, la mise en oeuvre d’une cyberadministration en est tout de même une. Une gestion technique efficace requiert une certaine vision, une réflexion fondée sur l’approche intégrale, ainsi que du flair pour repérer les défauts qui se cachent dans les détails. Voilà pourquoi il faut des équipes pourvues de compétences techniques différentes. De même, il est (quasi) indispensable de chercher des avis extérieurs. Sur ce dernier point, les connaissances transdisciplinaires et l’appel à l’économie peuvent être d’une grande utilité.

Une vision à moyen terme


La mise en place réussie d’une cyberadministration exige une vision à moyen terme très claire. Dans l’état actuel des connaissances technologiques, cela comporte plusieurs implications. Il faut d’abord une administration électronique qui s’adresse directement aux particuliers et aux entreprises: chaque administré ou entreprise reçoit son propre portail, qui consiste en trois domaines liés entre eux. En premier lieu, un regroupement transparent des canaux d’interaction avec toutes les autorités, qui serve de support à des structurations et paradigmes d’intégration différents – allant de situations de vie génériques ou de structures d’autorités traditionnelles à des contextes de vie individualisés et concrets – et qui puisse, selon les besoins, être aménagé individuellement ou utilisé en préconfiguration et complété par des conseillers en logiciels. Il faut, deuxièmement, que les administrés possèdent un compte pour la totalité du trafic de paiements réciproque avec les autorités, complété par des outils de planification. Il doivent, enfin, disposer d’un coffre à documentation virtuel comportant des fonctions supplémentaires pour l’acquisition, le transfert et au besoin la recherche automatique et rapide de nouveaux documents, et qui laisse à son détenteur la possibilité soit de mettre à disposition des autorités l’information intégrée automatiquement, soit de contrôler lui-même les informations qu’il fournit. Il convient d’établir une solution intégrale et universelle pour la gestion électronique de l’identité. Celle-ci doit également permettre l’authentification et la signature numérique, la délivrance de procurations et l’expression de toute volonté pour n’importe quelle fonction à l’égard de n’importe quel partenaire, ainsi que l’anonymisation sous diverses formes. Des centres d’infrastructures TIC virtuels doivent être mis à disposition des autorités pour une utilisation décentralisée, afin de matérialiser le principe de la réutilisation sur les plans de l’information et de l’application et de réduire ainsi les coûts liés aux TIC. Ils doivent surtout permettre aux petites unités administratives et jusqu’aux plus petites communes d’exploiter tout le potentiel des TIC sans avoir elles-mêmes à mettre sur pied ou à exploiter des structures TIC complexes. L’intégration de toutes les données, applications, procédures et possibilités d’accès doit se faire au niveau des autorités administratives, afin de minimiser les coûts d’acquisition et de traitement de l’information pour les pouvoirs publics, d’optimiser les processus de travail, de favoriser le partage des connaissances et de permettre l’utilisation à des fins décisionnelles des informations générées implicitement. La mise en réseau «inter-autorités» des processus doit avoir lieu dans un espace d’échanges d’informations à l’échelle suisse, européenne ou même mondiale. Celui-ci doit au moins garantir, à l’aide de standards sémantiques, l’interopérabilité organisationnelle, technique et si possible opérationnelle, en offrant au surplus des instruments qui permettent de tourner les obstacles de l’hétérogénéité juridique et culturelle.

Quelle est l’utilité d’une cyberadministration efficace


Le premier objectif est d’ordre économique, ce qui signifie: – des interactions incontournables moins fréquentes et plus rapides avec les autorités ainsi que des possibilités d’accès 24 heures sur 24 et sept jours sur sept à l’échelle planétaire, qui se traduisent par une diminution des dépenses et des gains de flexibilité pour les administrés, qu’il s’agisse de personnes physiques ou juridiques; – plus de transparence pour les citoyens et les entreprises – ce qui renforce du même coup leur contrôle sur le travail des autorités et favorise, entre autres, l’émulation intercommunale et intercantonale; – des coûts d’acquisition de l’information moins élevés et une information de meilleure qualité, donc plus de possibilités pour les autorités de prendre de bonnes décisions; en d’autres termes: une administration moins coûteuse et de meilleure qualité;  – une diminution des coûts liés aux TIC grâce à l’utilisation commune des infrastructures et une baisse corrélative des coûts administratifs; – un meilleur approvisionnement en informations stratégiques, donc de meilleures bases matérielles d’appréciation pour les décideurs politiques.  Le grand avantage d’une cyberadministration efficace est la possibilité qu’elle offre d’accomplir plus rapidement de nouvelles tâches complexes.

Le méta-objectif est l’intégration


On peut aussi résumer les divers objectifs présentés ci-dessus de cette façon: intégration de l’information avec protection des données garantie! Fournir l’information nécessaire aux structures de traitement, ou processus, est primordial. Il s’agit d’anticiper les besoins en alimentant les processus en informations: Celles-ci doivent être traitées correctement dans les délais préétablis, et le suivi dûment documenté. Un support numérique intégral pour les dossiers à gérer électroniquement constituerait un premier pas dans cette direction.

Un concept d’architecture visionnaire: les «grilles cyberadministratives»


À moyen terme, il s’agit d’organiser le travail des autorités en garantissant le principe de subsidiarité d’une manière optimale en termes d’efficacité/qualité et d’efficience. Il faut dans un premier temps, grâce aux portails, séparer l’exploitation/diffusion de l’exécution et des contrôles. Dans une seconde étape, l’exécution et le contrôle doivent aussi être séparés l’un de l’autre. Cela permet de regrouper l’exécution dans des centres de services partagés sans qu’il soit pour autant nécessaire de centraliser le contrôle. On évoque des grilles de services pour désigner la mise en réseau de ces centres de services partagés. À long terme, la séparation claire de l’exploitation/distribution ainsi que de l’exécution et du contrôle aboutira probablement à une redistribution des tâches: certaines d’entre elles seront transférées à la périphérie, d’autres seront centralisées, d’autres encore seront externalisées. La collaboration qui existe déjà aujourd’hui avec d’autres pays à l’échelon des consulats montre que les centres de services partagés peuvent aussi fonctionner à l’échelle internationale.

Le risque majeur est la non-coordination


La «stratégie suisse de cyberadministration» offre un bon point de départ pour les premières mesures destinées à concrétiser les idées esquissées ci-dessus. L’opération comporte, toutefois, trois types de risques majeurs dont il convient d’emblée d’être conscient: – imposer aux nouveaux systèmes TIC un lien de dépendance complexe à l’égard de l’ancienne application, souvent instable, mise en place par l’autorité: il s’agit là d’un phénomène connu qui accompagne la réutilisation des logiciels; – créer de nouvelles structures TIC qui ne soient pas entièrement interopérables entre elles; – instaurer une dépendance à l’égard de standards qui en peu d’années seront remplacés par d’autres.  Par conséquent, une coordination bien réfléchie des projets prioritaires et une gestion avisée des risques spécifiques sont déterminantes pour le succès de la stratégie. Faute de quoi, le recours accru aux TIC risque même de compliquer plutôt que de faciliter le travail des autorités.

Encadré 1: La revue eGov Präsenz La revue de cyberadministration suisse eGov Präsenz paraît deux fois par an en allemand. Sa partie thématique traite à chaque fois un sujet sélectionné selon des critères de recherche et de pratique nationales et internationales. Sa partie magazine présente des entretiens, des rubriques d’experts et des comptes rendus de manifestations. L’auteur est l’éditeur de cette revue.Le prochain numéro de eGov Präsenz paraîtra en mars 2008 et son thème central portera sur les «processus d’affaires et l’architecture orientée services dans l’administration publique». Le volet magazine présentera entre autres des interviews de Viviane Reding, commissaire européenne, d’Arthur Winter, chef de section du ministère autrichien des Finances, de Stefan Arn, président de ICTswitzerland et enfin d’Elmar Lederberger, président de la ville de Zurich. On peut s’abonner gratuitement à la revue sous www.egov-praesenz.ch.

Encadré 2: Le centre de compétences Public Management & E-Government Le centre de compétences Public Management & E-Government de la Haute école spécialisée bernoise (www.e-government.bfh.ch) se consacre à la recherche dans les domaines de l’informatique administrative et de la gestion du changement. Il collabore à cette fin avec des partenaires de l’administration, de la pratique et des universités, en Suisse comme à l’étranger, en se focalisant sur les thèmes du leadership, des architectures d’entreprises et de la gestion des processus d’affaires.

Proposition de citation: Reinhard Riedl (2007). La cyberadministration, pour affronter l’avenir. La Vie économique, 01 décembre.