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Commerce et environnement: le potentiel des biocarburants

La demande de biocarburants est très élevée dans le monde. Actuellement, moins de 1% de tous les carburants sont biogènes, mais la production est en forte augmentation. Les objectifs de nombreux pays en matière d'adjonction de biocarburants dans les réservoirs (p. ex. 5,75% dans l'UE d'ici à 2010 ou 7,76%, depuis récemment, aux États-Unis) sont un stimulant important. Les prévisions de Syngenta, de même que celles de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), annoncent un doublement de la production au cours des deux prochaines années. Cette évolution spectaculaire exige de gros investissements dans la recherche, afin d'optimiser les espèces végétales cultivées et les technologies de transformation. Le revers de la médaille réside dans les diverses atteintes à l'environnement qui apparaissent toujours plus nettement.

Commerce et environnement: le potentiel des biocarburants

 

Dernièrement, les médias se sont faits l’écho du vol inaugural d’un jumbo-jet alimenté par des biocarburants. Certes, seul un réacteur fonctionnait avec une adjonction de 20% de biokérosène et il n’y avait pas de passager sur ce vol de Londres à Amsterdam, mais l’industrie aéronautique a maintenant la possibilité, qu’elle n’a jamais eue auparavant, de diminuer les émissions de gaz à effet de serre Voir Atkins W., Virgin flies first commercial plane with biofuel, 2008. Internet: www.itwire.com/content/view/16826/1066 .. Les chances sont les mêmes pour l’industrie automobile: il n’y a plus de salons de l’auto sans véhicules alimentés par des biocarburants, qui se distinguent des véhicules traditionnels par quelques modifications techniques mineures. Un des avantages des biocarburants par rapport aux autres formes de production d’énergie réside dans leur disponibilité immédiate: de nouvelles technologies ne sont pas nécessaires. Étant donné le prix élevé du pétrole en ce moment, la production de biocarburants est très proche de la marge bénéficiaire; pour des pays comme le Brésil, l’exportation de bioéthanol est déjà un domaine d’activité important. Grâce à la bioénergie, l’accès aux carburants liquides se diversifie et la dépendance par rapport aux pays producteurs de pétrole diminue. En même temps, le secteur agricole trouve de nouveaux débouchés, ce qui offre une chance de développement aux régions rurales d’Afrique et d’Amérique du Sud.

De nombreuses atteintes à l’environnement


La première motivation pour recourir aux biocarburants en Suisse a beau être la réduction des gaz à effet de serre, le bilan est très différent selon les cas Voir Zah R., Hischier R., Gauch M., Lehmann M., Böni H. et Wäger P., Écobilan d’agents énergétiques: Évaluation écologique de biocarburants, Berne, Ofen, Ofev, Ofag; 2007, p. 206.. Il faut, en outre, faire la distinction entre les émissions de gaz à effet de serre et la dégradation générale de l’environnement.

Émissions de gaz à effet de serre


La partie gauche du graphique 1 montre que des économies allant jusqu’à 80% sont aujourd’hui possibles – en fonction du biocarburant et de la filière de production – par rapport aux carburants fossiles. La majorité des gaz à effet de serre est émise par l’agriculture: utilisation de machines, de fertilisants et de pesticides, mais aussi émissions directes (protoxyde d’azote p. ex.). La proportion de ces émissions agricoles varie fortement en fonction de différents facteurs. Les principaux sont les rendements par surface (élevés pour la betterave sucrière suisse et la canne à sucre du Brésil, faibles pour la pomme de terre suisse et le seigle de l’Union européenne), les rejets de protoxyde d’azote (30% pour le maïs américain) et le défrichage par brûlis des forêts humides (sont concernées l’huile de palme de Malaisie et l’huile de soja du Brésil). Les différences régionales en ce qui concerne l’intensité de la déforestation de la forêt humide peuvent influer sur le bilan global. Le facteur essentiel demeure, toutefois, le mode de culture des plantes destinées à des fins énergétiques. La remarque vaut non seulement pour les gaz à effet de serre, mais aussi pour la plupart des effets des biocarburants sur l’environnement. À la différence des denrées agricoles, les déchets et les résidus ne consomment aucune énergie pour être produits, ce qui a un effet très positif sur le bilan global. Ainsi, les émissions de gaz à effet de serre les plus faibles sont celles produites par la consommation de biodiesel fabriqué avec des huiles comestibles usagées ou du méthane provenant de la fermentation. La production de carburants induit en moyenne des émissions de gaz à effet de serre nettement inférieures à celles occasionnées par la production agricole. Ces émissions sont particulièrement faibles pour l’extraction d’huile et l’estérification nécessaires à la fabrication de biodiesel. Elles sont très variables lors de la fermentation de bioéthanol, selon que les agents énergétiques utilisés sont d’origine fossile (bioéthanol issu du maïs américain) ou qu’ils proviennent de sous-produits agricoles (bagasse issue de la canne à sucre du Brésil). Elles sont à leur maximum dans le processus de production du méthane biogène. Cela provient du méthane et du protoxyde d’azote générés par la fermentation secondaire des résidus fermentés et de la perte de méthane que comporte la fabrication de biogaz composé à 96% de ce type d’hydrocarbure. Il est, toutefois, possible de diminuer fortement ces émissions par des actions ciblées, par exemple en couvrant les contenants dans lesquels la fermentation secondaire se produit. La méthode est techniquement au point. Remarquons qu’au plan commercial, le transport de carburant du pays producteur jusqu’aux stations-service suisses équivaut le plus souvent à bien moins que 10% du total des émissions. Son incidence écologique n’est donc guère significative. Si on compare les carburants, la consommation de biocarburants dans le trafic routier est neutre en termes de CO2. En effet, le gaz libéré par la croissance des plantes a été absorbé sur une brève période.

Impact global sur l’environnement


La partie droite du graphique 1 présente la charge totale qui pèse sur l’environnement Calculée selon la méthode fondée sur la saturation écologique (MSE 06). Voir Frischknecht R., Steiner R., Braunschweig A., Egli N. et Hildesheimer G., Swiss Ecological Scarcity Method: The New Version, 2006, p. 4.. Certes, un véhicule qui fonctionne avec un carburant fossile a des effets bien plus importants que s’il utilisait un biocarburant. Toutefois, les charges parfois très lourdes que la production agricole fait peser sur l’environnement peuvent largement compenser la différence. Ainsi, l’agriculture suisse et européenne sont touchées par l’acidification des sols et la surfertilisation, tandis que l’agriculture tropicale doit supporter une diminution de la biodiversité, la pollution atmosphérique due au défrichage par brûlis et la toxicité des pesticides, dont certains sont interdits en Suisse. La très lourde incidence environnementale de l’utilisation de pommes de terre suisses s’explique par la forte pondération de la perte de substances nutritives, celle du seigle européen par le faible rendement moyen de cette céréale sur le continent.

Oppositions sur les objectifs du bilan écologique global


Si on compare les résultats concernant les émissions de gaz à effet de serre et l’ensemble des atteintes à l’environnement, on voit que la plupart des biocarburants se trouvent en opposition avec deux objectifs différents: la minimisation des émissions de gaz à effet de serre, d’une part, et un bilan écologique global positif, d’autre part. En effet, si de nombreux biocarburants permettent de réduire les émissions de plus de 30%, la majorité de leurs filières de production présentent pour plusieurs autres indicateurs environnementaux une charge plus élevée que l’essence. Le transport, y compris l’expédition de biocarburants en Suisse, joue un rôle mineur à cet égard, au contraire du mode de production, dont l’impact est bien plus fort. Dans cette évaluation, certaines incidences sur l’environnement, comme la gestion de l’eau, ne sont pas envisagées. Dans les zones climatiques méditerranéennes, l’utilisation de la nappe phréatique peut avoir des conséquences irréversibles à long terme sur son niveau, sur la végétation et sur la fertilité des sols.

Effets indirects


La culture de la biomasse nécessite des terres en général déjà cultivées. Pour satisfaire à cette demande supplémentaire, il faut transformer, quelque part dans le monde, un champ non cultivé jusqu’ici en terre arable. Si on cultive des plantes destinées à des fins énergétiques dans les zones de forêts humides, on aboutira à une perte irremplaçable de la biodiversité et à une quantité importante d’émissions de CO2. Si on utilise des surfaces cultivées sur un mode extensif – comme les pâturages – pour produire de la biomasse, il faut s’assurer que le bétail déplacé n’entraîne pas le défrichage de nouvelles forêts humides. Par exemple, la production d’éthanol à partir du maïs américain permet de réduire de 20% les gaz à effet de serre; ceux-ci doublent, cependant, par rapport aux carburants fossi-les, si on tient compte du déplacement de la production de soja dans des pays comme le Brésil Voir Searchinger T. et al., «Use of U.S. Croplands for Biofuels Increases Greenhouse Gases Through Emissions from Land Use Change», Science, 318, 2008, p. 1238.. À l’inverse, si, en Suisse, on cultive du colza destiné à la production d’énergie dans les prairies, le total des émissions de gaz à effet de serre diminue puisque le surplus de tourteau de colza se substitue au fourrage protéiné du soja (voir graphique 2). Ces deux exemples montrent le lien étroit entre la production bioénergétique et celle de denrées alimentaires et de fourrage, ce qui a des incidences incalculables sur le bilan écologique et les gaz à effet de serre. Au niveau international, on conçoit de plus en plus que la production des biocarburants soit découplée de celle des denrées alimentaires et qu’il soit préférable de produire des biocarburants à partir de déchets. On se demande même s’il existe un réel potentiel pour les biocarburants à long terme.

Y a-t-il un potentiel pour les biocarburants?


La principale motivation de la Suisse et des pays de l’OCDE pour promouvoir les biocarburants est de diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Cela doit se faire dans un esprit de développement durable et donc ne pas avoir de conséquences négatives sur les facteurs sociaux ou environnementaux. De ce fait, le potentiel des biocarburants est limité aux domaines suivants: 1. Les déchets biogènes tels que le lisier, les boues d’épuration, le lactosérum, les déchets issus de la production des denrées alimentaires et de l’agriculture: souvent, la production de biocarburants offre des synergies pour prévenir des émissions atmosphériques incontrôlées (p. ex. la formation de méthane lors d’un compostage incontrôlé). Le potentiel qu’offrent les déchets est donc limité et on voit déjà apparaître une concurrence autour des fractions de déchets particulièrement recherchés. 2. Le bois: en Suisse, l’exploitation durable du bois – que celui-ci soit issu de la forêt, de la récupération ou des déchets – présente le potentiel le plus intéressant pour la bioénergie. Toutefois, la concurrence est particulièrement importante entre la valorisation thermique et la production de méthane pour servir de carburant. Le bois prendra encore davantage d’importance dans ce second cas lorsque la technologie «Biomass to Liquid» (BTL) sera prête à être lancée sur le marché. 3. La culture de bioénergie qui n’entre pas en concurrence avec les denrées alimentaires et répond à des critères de développement durable: on trouve des zones agricoles sous-exploitées dans certaines régions d’Afrique et d’Amérique du Sud en particulier. Cela peut être dû à la faible densité de la population, au manque de débouchés commerciaux ou aux conflits tribaux pour la possession des terres. Dans ces régions, la culture de biocarburants peut donner un nouvel élan au développement rural. Il faut pour cela mener une évaluation approfondie, selon des critères de développement durable, de la pression exercée sur l’utilisation du sol, comme le prévoit la Table ronde sur les biocarburants durables (voir encadré 1 La Table ronde sur les biocarburants durables («Roundtable on Sustainable Biofuels», RSB) est une initiative qui, à travers un dialogue participatif international, vise à mettre en place des normes pour produire des biocarburants compatibles avec le développement durable. Elle cherche à élaborer et à adopter des principes et des critères permettant de développer la culture et le commerce des biocarburants en tenant compte des facteurs écologiques et sociaux. L’essor que connaît actuellement la production de biocarburants, déclenché par l’évolution récente de la politique énergétique globale, sert de toile de fond. Le processus RSB a été lancé par l’Energy Center de l’EPFL en collaboration avec des partenaires issus de l’économie (notamment Toyota, BP, Petrobras) et de la société civile (WWF), ainsi qu’avec un groupe de producteurs. Cette initiative consiste à élaborer des normes, c’est-à-dire une liste de critères et d’indicateurs, qui se fondent sur des principes fondamentaux stratégiques. Un contrôle indépendant vérifie que les normes sont respectées. La RSB est soutenue par l’Office fédéral de l’énergie (Ofen) et le Secrétariat d’État à l’économie (Seco) dans le cadre de la coopération économique au développement; elle analyse le potentiel des pays en développement pour promouvoir une production de biocarburants compatible avec le développement durable et améliorer l’accès au marché de ces produits. Elle a pour ambition d’élaborer une première norme internationale dans le courant de l’année.Internet: www.bioenergywiki.net/index.php/Roundtable_on_Sustainable_Biofuels .).  Le potentiel bioénergétique est différent dans les pays émergents et en développement. L’objectif prioritaire consiste le plus souvent à augmenter la sécurité de l’approvisionnement en réduisant les importations de pétrole. Ce principe s’applique surtout aux régions rurales sous-développées, où il existe, d’une part, une biomasse abondante et, d’autre part, peu d’argent pour importer du diesel. La production locale de biocarburants augmente l’autonomie de l’approvisionnement, sert de stimulant à la petite industrie locale et diversifie la production agricole. De plus, les biocarburants et l’électricité peuvent être produits à partir de la biomasse au moyen d’installations rudimentaires (pressoir à huile, générateurs diesel modifiés).

Mesures de régulation envisageables


Dans de nombreux pays, les effets négatifs des biocarburants sont dus à la combinaison de diverses mesures de régulation, comme les obligations d’adjonction, les subventions agricoles, les crédits avantageux accordés aux raffineries de biocarburants ainsi que les rabais octroyés à ceux qui les utilisent. Ces mesures poursuivent des buts spécifiques: soutien à l’agriculture, développement rural, autonomie énergétique, réhabilitation des zones naturelles et réduction des gaz à effet de serre. La plupart du temps, ces objectifs ne font pas partie d’une stratégie commune, mais émanent de divers ministères. Une approche intégrée, développée en commun par tous les partenaires, visant à atteindre les objectifs et à réduire, en parallèle, les risques des biocarburants, serait prometteuse. Les pays industrialisés ne devraient promouvoir les biocarburants que s’il est prouvé que les gaz à effet de serre peuvent être réduits tout au long du cycle de vie, sans que des compromis soient faits sur d’autres facteurs environnementaux. Les pays émergents et en développement ne devraient encourager la bioénergie que si les communautés locales peuvent plus facilement accéder à l’électricité et aux carburants sans menacer leurs denrées alimentaires. Certains pays d’Afrique et d’Amérique du Sud, qui possèdent de grandes réserves de terres, présentent un potentiel réel pour développer des cultures destinées aux biocarburants à partir d’une production compatible avec le développement durable; ils pourraient alors diversifier la palette de leurs exportations et générer de nouveaux revenus. Ainsi, les mesures de régulation doivent être contrôlées et adaptées régulièrement en fonction des dernières connaissances scientifiques. La recherche bioénergétique interdisciplinaire est très dynamique actuellement: d’autres connaissances et de nouvelles pistes concernant les biocarburants ne devraient pas tarder à se profiler.

Graphique 1 «Les émissions de gaz à effet de serre (à gauche) et l’ensemble de la charge environnementale des biocarburants (à droite) comparés avec les carburants fossiles»

Graphique 2 «Effets indirects du remplacement de la culture des céréales fourragères par la production de colza énergétique»

Encadré 1: La Table ronde sur les biocarburants durables La Table ronde sur les biocarburants durables («Roundtable on Sustainable Biofuels», RSB) est une initiative qui, à travers un dialogue participatif international, vise à mettre en place des normes pour produire des biocarburants compatibles avec le développement durable. Elle cherche à élaborer et à adopter des principes et des critères permettant de développer la culture et le commerce des biocarburants en tenant compte des facteurs écologiques et sociaux. L’essor que connaît actuellement la production de biocarburants, déclenché par l’évolution récente de la politique énergétique globale, sert de toile de fond. Le processus RSB a été lancé par l’Energy Center de l’EPFL en collaboration avec des partenaires issus de l’économie (notamment Toyota, BP, Petrobras) et de la société civile (WWF), ainsi qu’avec un groupe de producteurs. Cette initiative consiste à élaborer des normes, c’est-à-dire une liste de critères et d’indicateurs, qui se fondent sur des principes fondamentaux stratégiques. Un contrôle indépendant vérifie que les normes sont respectées. La RSB est soutenue par l’Office fédéral de l’énergie (Ofen) et le Secrétariat d’État à l’économie (Seco) dans le cadre de la coopération économique au développement; elle analyse le potentiel des pays en développement pour promouvoir une production de biocarburants compatible avec le développement durable et améliorer l’accès au marché de ces produits. Elle a pour ambition d’élaborer une première norme internationale dans le courant de l’année.Internet: www.bioenergywiki.net/index.php/Roundtable on Sustainable Biofuels .

Proposition de citation: Rainer Zah (2008). Commerce et environnement: le potentiel des biocarburants. La Vie économique, 01 avril.