Évolutions et perspectives du commerce de certificats lié à des projets de réduction d’émissions
Le marché mondial des certificats de gaz à effet de serre (GES) est actuellement en forte croissance. D’après un récent rapport de la Banque mondiale Banque mondiale, State and Trends of the Carbon Market 2008, mai 2008., le volume de certificats délivrés a augmenté de 58% en 2007 par rapport à 2006 pour atteindre 1,7 milliard de tonnes d’équivalents CO2, soit environ 33 fois le volume de GES émis par la Suisse. La valeur des transactions, environ 64 milliards d’USD, a quant à elle plus que doublé en une année (voir tableau 1).
L’UE: le principal marché d’émissions
Les marchés des certificats se développent partout où le législateur et la communauté internationale imposent des restrictions d’émission de GES aux acteurs économiques. Le système européen d’échange de quotas d’émission (EU-ETS) est de loin le plus grand et le plus important marché d’émissions au monde: en 2007, la valeur totale des transactions enregistrées se chiffrait à 50 milliards d’USD. Les certificats achetés au sein de l’EU-ETS proviennent d’acteurs qui réduisent leurs émissions et sont ainsi en mesure de vendre une partie de leurs quotas. L’expérience faite au cours de la première phase de l’EU-ETS (2005-2007) montre que le marché ne remplit ses fonctions que lorsque ces quotas sont limités. Durant cette première phase, ceux-ci ont été accordés très généreusement par les autorités nationales aux exploitants d’installations; la demande sur le marché s’est alors effondrée, entraînant une forte dépréciation des certificats. La limitation des quotas d’émission dans la deuxième phase (2008-2012) de l’EU-ETS pour les installations telles que les centrales thermiques à énergie fossile ou les fabricants de ciment et de papier, explique la forte demande de certificats, en particulier de la part des fournisseurs d’électricité qui cherchent ainsi à compenser leurs émissions excédentaires.
L’importance du MDP
L’EU-ETS autorise, dans certaines limites, l’achat de certificats provenant de projets de réduction des GES dans les pays en développement et émergents (voir
encadré 1
Outre les objectifs de réduction imposés aux États industrialisés, le Protocole de Kyoto (1997) définit deux mécanismes dits de flexibilité (mécanisme de Kyoto) liés à des projets et destinés à réduire les coûts de réalisation desdits objectifs. Les règles des mécanismes de flexibilité ont été concrétisées lors de la conférence de Marrakech (2001).Le principe de fonctionnement des instruments liés à des projets – Mécanisme de développement propre (MDP) et mise en oeuvre conjointe (MOC) – est le suivant: un investisseur – privé ou public – soutient des projets dans un pays hôte, comme par exemple le renouvellement des installations de chauffage à distance d’une ville ou la construction d’un parc d’éoliennes; la réduction d’émissions ainsi réalisée lui vaut des certificats, qu’il peut alors faire valoir dans son propre pays afin de remplir ses obligations de réduction.Les projets MOC sont réalisés dans les pays industrialisés ou émergents qui ont pris eux-mêmes des engagements à Kyoto, tandis que les projets MDP concernent les pays en développement qui ne l’ont pas fait et qui doivent par conséquent répondre à des critères plus sévères, par exemple en matière d’additionnalité. Les projets MDP doivent non seulement contribuer à réduire les émissions de GES, mais aussi favoriser le développement durable du pays hôte.L’usage des mécanismes de flexibilité est limité par le principe de subsidiarité du Protocole de Kyoto. Cekui-ci exige que les mécanismes de flexibilité ne soient utilisés qu’à titre supplémentaire par rapport aux efforts de réduction entrepris dans le pays d’origine. La majeure partie de la réduction des émissions doit donc s’effectuer dans le pays d’origine.). Le MDP est de loin le plus important commerce de certificats lié à des projets de réduction d’émissions. La valeur des transactions a suivi, pour l’essentiel, la hausse de la demande en certificats au sein de l’EU-ETS, atteignant plus de 12 milliards d’USD en 2007. Le jeune marché MDP arrive donc progressivement à maturité. Alors qu’il attirait à ses débuts principalement des chargés de projets et des acheteurs soucieux de remplir les critères de conformité, ces derniers sont rejoints depuis deux ans par de nombreux grands prestataires de services financiers. Le marché primaire de certificats directement liés à des projets a été complété par les contrats de certificats MDP, également cotés sur le marché secondaire, produits dérivés compris.
La technologie au service du MDP
Les certificats sont créés à partir de projets visant à réduire les émissions de GES en se basant sur un scénario de référence sans MDP. Ces dernières années, les projets destinés à diminuer les gaz susceptibles d’aggraver considérablement l’effet de serre – comme le trifluorométhane (HFC) ou l’oxyde nitreux (N2O) – dans les installations de production de réfrigérants ou d’engrais ont joué un rôle prépondérant dans le MDP. Un kilo de ces gaz est aussi nocif que des centaines, voire des dizaines de milliers, de kilos de CO2. Un tel impact sur le climat permet d’émettre un nombre important de certificats. Or, les investissements nécessaires à la réduction de ces gaz étant relativement faibles, ces technologies s’avèrent particulièrement rentables dans l’optique de projets MDP. Le potentiel que représentent ces «fruits à portée de main» semble, néanmoins, s’épuiser dans la mesure où la plupart des installations en service dans les pays en développement relèvent du MDP, alors que les nouvelles installations ne bénéficient pas encore d’une telle autorisation. Ces projets perdent en importance par rapport à l’ensemble des transactions du marché primaire. En revanche, les projets liés à l’efficience énergétique et au changement de combustible (par exemple du charbon au gaz) – en particulier dans les centrales électriques et l’industrie lourde – ont fortement augmenté et ce, essentiellement grâce à l’homologation et à la disponibilité des méthodologies MDP (voir graphique 1). D’autres projets, tels que ceux visant à réduire les émissions de méthane dans le traitement des déchets et l’industrie minière, contribuent largement au développement du système de certificats.
Une contribution au développement durable
Outre la réduction des GES par des mesures économiques, le deuxième objectif du MDP, créé dans le cadre du Protocole de Kyoto de 1997, consiste à promouvoir le développement durable dans les pays en développement. Les projets MDP ont ainsi pour mission d’améliorer les conditions environnementales locales telles que la qualité des sols, de l’air et de l’eau, mais aussi de soutenir le développement social des populations locales. Les projets prometteurs pour le développement durable local (par exemple construction de petites centrales hydrauliques pour les village isolés, réchauds solaires, efficience énergétique des PME ou projets de compostage) sont, en général, de taille beaucoup plus modestes que ceux menés dans de grandes centrales ou dans l’industrie. Il est, en outre, souvent plus complexe de réaliser de nombreux petits projets MDP décentralisés que de se concentrer sur des installations importantes comme une centrale électrique au charbon. Ce facteur augmente le coût des transactions des petits projets pourtant basés sur des technologies particulièrement durables, d’où leur faible importance sur le marché MDP global. Certains acheteurs sont, néanmoins, prêts à payer un peu plus pour des projets très porteurs en matière de développement durable. Cette tendance est soutenue par des labels attribués aux certificats MDP particulièrement durables, à l’exemple du label de la fondation «Gold Standard» créée par le WWF et basée en Suisse. Pour avoir davantage de poids dans le cadre du MDP, les projets utilisant des technologies particulièrement durables devraient bénéficier d’une demande nettement plus élevée.
Procédures d’autorisation et additionnalité
Le MDP a été instauré par la communauté internationale en tant qu’instrument lié à des projets. Ceci signifie que chaque projet MDP doit être validé et contrôlé par des sociétés tierces indépendantes ainsi qu’approuvé et enregistré par la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Cet important processus d’homologation par la CCNUCC doit, entre autres, garantir que chaque projet soit réalisé seulement s’il relève du MDP et représente, à ce titre, une réduction d’émissions supplémentaire qui n’aurait pas pu être réalisée sans le MDP (additionnalité). Les certificats émis pour des projets sans homologation MDP entraînent une augmentation nette des émissions de GES dans le monde puisqu’ils donnent droit à davantage d’émissions dans un pays industrialisé. L’attestation d’additionnalité constitue donc un des piliers du MDP. La quantité des procédures de contrôle représente cependant un obstacle de taille pour de nombreux chargés de projets MDP. Elle entraîne une augmentation du coût des transactions et, dans certains cas, des retards dans l’exécution des projets. Notons qu’il est extrêmement difficile dans la pratique de prouver l’additionnalité d’un projet sur la base de critères objectifs. Ceci a pour effet, d’une part l’abandon de certains projets MDP dans les pays en développement et en transition en raison du coût élevé des transactions; d’autre part, le risque que les projets génèrent des certificats non additionnels conduisant à une augmentation nette des émissions dans le monde. Précisons néanmoins que le MDP représente la première réglementation internationale en la matière. Les procédures d’homologation de la CCNUCC ont été élaborées et améliorées progressivement ces dernières années avec l’expérience.
Évolution du marché primaire
Malgré la forte croissance du commerce d’émissions, l’évolution du volume sur le marché MDP primaire a connu un ralentissement. En effet, le taux de progression des certificats perçus directement par le chargé de projet entre 2006 et 2007 ne représentait plus que quelques pour cent d’après la Banque mondiale. Une des raisons pourrait être l’incertitude du marché concernant l’issue des négociations internationales en vue d’un accord mondial sur le climat après 2012 (fin de la première phase du Protocole de Kyoto). Une chose est sûre: jusqu’à ce qu’un résultat positif se dégage de ces négociations, de nombreux chargés de projets et investisseurs potentiels hésiteront encore à s’engager dans de nouveaux projets. L’issue des négociations internationales revêt donc un rôle clé pour l’avenir du marché MDP. Une autre explication à ce ralentissement pourrait être à rechercher dans le renforcement du contrôle que les Nations Unies imposent aux projets et qui se traduit par un taux de refus croissant depuis le printemps 2007.
De nouveaux défis après Kyoto
En décembre 2007, la communauté internationale s’est mise d’accord sur l’adoption d’une feuille de route pour les négociations. Celle-ci prévoit la conclusion, d’ici la Conférence de Copenhague en 2009, d’un accord permettant de réduire les émissions de GES dans le monde à un niveau requis par la communauté scientifique. L’intégration des États-Unis et des pays émergents à forte croissance (Chine, Inde et Brésil) constitue l’une des clés de la réalisation de cet objectif. Notons que la Chine est actuellement le pays qui dispose du plus grand nombre de certificats MDP Quotes-parts des certificats MDP primaires délivrés en 2007: Chine 73%, Inde 6%, Brésil 6%; total 85% (source: Banque mondiale1).. Pour exploiter un tant soit peu le potentiel de réduction des émissions dans ces pays, il faudra savoir remplacer les approches liées à des projets par des systèmes de plafonnement des émissions sectoriels voire nationaux, car le mode de contrôle et d’administration des différents projets tel qu’il est actuellement pratiqué dans le système MDP ne semble pas adapté aux transformations de cette ampleur.
Approches sectorielles et simplification
L’approche sectorielle consisterait à définir une valeur de référence donnée pour l’ensemble d’un secteur, par exemple l’électricité ou le ciment. Celle-ci serait déterminée en fonction des statistiques d’émission ou des indices de référence. Dans le cas d’une installation dont l’émission de GES est inférieure à cette valeur, la différence d’émissions pourrait être vendue sur le marché international des certificats. Les projets de réduction d’émissions seraient ainsi indemnisés financièrement sans qu’un contrôle complexe de chaque projet, tel qu’il est réalisé dans le MDP actuel, soit nécessaire. La disponibilité de données fiables sur l’émission de GES permettant de définir une référence de base par secteur constitue l’un des aspects fondamentaux de l’approche sectorielle. Bien souvent, de telles données ne sont disponibles que dans les pays ou les secteurs industriels très développés. Pour les pays les moins avancés (PMA), les règles pourraient être simplifiées. Certains types de projets, par exemple dans le domaine de l’utilisation décentralisée de l’énergie solaire, hydraulique et du biogaz, pourraient y être autorisés par le MDP sans contrôle approfondi. De telles mesures permettraient à ces pays de profiter également du commerce d’émissions.
La gestion des incertitudes et des risques favorise les investissements
Les projets MDP dans les pays en développement sont confrontés à une multitude d’écueils: risques inhérents au projet, à l’autorisation délivrée par la CCNUCC, incertitudes réglementaires et institutionnelles et risques liés au pays hôte. Il est donc difficile pour les chargés de projets de trouver les participations et les prêts nécessaires à de telles entreprises. La gestion de ces risques et incertitudes est donc capitale pour le bon déroulement des projets MDP et le développement du marché des certificats. Ces dernières années, des produits d’assurance ont été développés: outre les risques classiques, ils couvrent ceux liés au cycle de projet MDP. Il est ainsi possible d’assurer la production d’une certaine quantité de certificats MDP ou de se prémunir contre d’éventuelles fluctuations de prix sur le marché des certificats avant que le projet ne développe son processus. Son responsable pourra alors faire valoir cette garantie auprès de la banque pour l’obtention d’un prêt. Le transfert du risque à un tiers par le biais d’un produit d’assurance permet ainsi d’investir dans des projets qui, sans cela, ne verraient jamais le jour.
Les conditions d’un marché MDP prospère
L’adoption d’un traité solide après Kyoto est l’une des conditions de la réussite du commerce d’émissions lié à des projets. Pour parvenir à une réglementation globale de la répartition des efforts à fournir, l’idéal serait d’intégrer la totalité des grands émetteurs de GES – donc aussi les États-Unis – et les grands pays impliqués dans le MDP que sont la Chine, l’Inde et le Brésil. Le marché MDP actuel montre, toutefois, qu’en plus d’une demande suffisante, quatre autres facteurs clés sont essentiels pour garantir l’avenir du MDP (voir graphique 2). En effet, la réussite des projets dépend de la mise en place de technologies «propres» et adaptées, un domaine auquel l’industrie suisse peut apporter une énorme contribution. Il est également fondamental de s’assurer de la solidité des conditions réglementaires et institutionnelles dans les pays qui accueillent les projets. Afin que ceux-ci jouent leur rôle et contribuent à réduire les émissions au lieu d’en produire, les Nations Unies doivent renforcer les contrôles, en particulier ceux concernant l’additionnalité. De nouvelles approches, telles que le MDP sectoriel, peuvent permettre de diminuer le coût des transactions au niveau des projets et inciter des secteurs tout entiers à se transformer. Enfin, grâce au développement de solutions globales de transfert de risques, il faut que le secteur de la finance et de l’assurance crée les bases nécessaires à la réalisation de nombreux projets MDP.
Graphique 1 «Types de projets et de technologies MDP: part de certificats négociés, 2007»
Graphique 2 «Aspects clés d’un MDP réussi»
Tableau 1 «Le marché des certificats de gaz à effet de serre, 2006-2007»
Encadré 1: Les mécanismes de flexibilité liés à des projets du Protocole de Kyoto
Outre les objectifs de réduction imposés aux États industrialisés, le Protocole de Kyoto (1997) définit deux mécanismes dits de flexibilité (mécanisme de Kyoto) liés à des projets et destinés à réduire les coûts de réalisation desdits objectifs. Les règles des mécanismes de flexibilité ont été concrétisées lors de la conférence de Marrakech (2001).Le principe de fonctionnement des instruments liés à des projets – Mécanisme de développement propre (MDP) et mise en oeuvre conjointe (MOC) – est le suivant: un investisseur – privé ou public – soutient des projets dans un pays hôte, comme par exemple le renouvellement des installations de chauffage à distance d’une ville ou la construction d’un parc d’éoliennes; la réduction d’émissions ainsi réalisée lui vaut des certificats, qu’il peut alors faire valoir dans son propre pays afin de remplir ses obligations de réduction.Les projets MOC sont réalisés dans les pays industrialisés ou émergents qui ont pris eux-mêmes des engagements à Kyoto, tandis que les projets MDP concernent les pays en développement qui ne l’ont pas fait et qui doivent par conséquent répondre à des critères plus sévères, par exemple en matière d’additionnalité. Les projets MDP doivent non seulement contribuer à réduire les émissions de GES, mais aussi favoriser le développement durable du pays hôte.L’usage des mécanismes de flexibilité est limité par le principe de subsidiarité du Protocole de Kyoto. Cekui-ci exige que les mécanismes de flexibilité ne soient utilisés qu’à titre supplémentaire par rapport aux efforts de réduction entrepris dans le pays d’origine. La majeure partie de la réduction des émissions doit donc s’effectuer dans le pays d’origine.
Proposition de citation: Fuessler, Juerg (2008). Évolutions et perspectives du commerce de certificats lié à des projets de réduction d’émissions. La Vie économique, 01. juillet.