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Cybersanté et télémédecine: avec ou sans la Suisse?

L'Espace économique européen s'élargit au domaine de la santé. La Suisse - pays pauvre en matières premières mais possédant un système de santé de qualité, une compétence technologique et une culture des services qui a fait ses preuves - doit rapidement mettre sur pied une télémédecine transfrontalière et la considérer comme un atout pour ses exportations. Un engagement actif à l'étranger est d'autant plus important qu'il fera profiter la Suisse d'échanges d'expériences en matière de cybersanté. De plus, cette industrie de services, qui va en se développant, peut influencer positivement notre système de santé interne et générer simultanément une plus-value pour l'économie nationale.
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Au printemps 2008, plusieurs projets partiels ont été adoptés pour mettre en oeuvre la stratégie suisse de cybersanté Internet: www.ofsp.admin.ch , rubriques «Thèmes», «Assurance-maladie», «eHealth».. Les questions soulevées dans notre pays correspondent à celles que l’on se pose à l’étranger. Pour trouver des solutions qui nous sont favorables, il peut valoir la peine de jeter un coup d’oeil par-dessus la frontière.

Évolution démographique et santé publique


Tous les pays occidentaux industrialisés – y compris la Suisse – sont confrontés à des défis financiers et logistiques considérables du fait de l’évolution démographique. Le vieillissement de la population, l’augmentation des maladies chroniques qui en découle et les besoins croissants en services décentralisés et en soins de longue durée sont des problèmes difficiles à résoudre. Pour éviter un rationnement de la santé, les mesures de coordination et de rationalisation doivent pouvoir s’appuyer sur des outils de travail modernes et valorisants. En intégrant les technologies de l’information et de la communication (TIC), on veut garantir une prise en charge des patients d’un haut niveau de qualité, mal-gré la pénurie croissante de médecins et de personnel soignant; on vise aussi une meilleure utilisation des ressources. Cette évolution fait intervenir un marché de petites et moyennes entreprises (PME) en croissance, ce qui crée une plus-value économique déterminante, peu importe que celle-ci soit recherchée délibérément ou qu’elle soit un «effet secondaire positif». La cybersanté et la télémédecine sont des facteurs stimulants pour l’innovation et la conjoncture.

Définitions


La stratégie suisse de cybersanté définit cette dernière notion comme «l’utilisation des technologies de l’information et de la communication pour l’organisation, le soutien et la mise en réseau de tous les processus et partenaires impliqués dans le système de santé». Entre-temps, la cybersanté est devenue une priorité politique stratégique, qui doit être liée à la création simultanée d’une infrastructure organisationnelle, normative et technique. Ce type d’infrastructure au niveau national constitue la base permettant de mettre en place des innovations en matière de santé, parmi lesquelles on compte la télémédecine. La télémédecine a acquis une nouvelle dimension ces dernières années. Alors que jusqu’à présent, elle se distinguait principalement par le succès des diagnostics médicaux spécialisés sur de longues distances (téléradiologie, télépathologie, télédermatologie), ce terme se rapporte de nos jours à des services qui ne dépendent ni du lieu ni du temps, mais bien de l’électronique, et qui sont proches du citoyen et de ses besoins. Ainsi, le contrôle médical à distance (ou «télémonitorage») offre un gain d’autonomie et de mobilité, tandis que la prescription à distance permet l’administration rapide et sûre des médicaments adéquats. Les termes de télémédecine et de télésanté sont équivalents dans leur utilisation. Par télésanté, on met l’accent sur la préservation et la promotion de la santé individuelle et de celle de la population (santé publique), qui vont au-delà des prestations de santé centrées sur la maladie. Cela s’accompagne d’un changement des rôles et d’une nouvelle perception de tous les partenaires impliqués: le patient, passif jusqu’ici, est promu au rang de client, autrement dit les prestations de santé peuvent désormais être évaluées et comparées dans un esprit de concurrence basée sur la qualité.

Évolution du concept à l’étranger


L’UE et les États-Unis sont aussi confrontés à la problématique dans laquelle se débat l’offre en matière de prestations de santé: comment concilier un niveau de qualité élevé et des coûts abordables. L’utilisation des TIC est liée à l’attente que suscitent des processus de santé continus et des services personnalisés. Cela s’accompagne de l’avancement dans le temps des interventions médicales, qui passent du statut de maladie tardive («late disease») à celui de santé précoce («early health»). Par ailleurs, la diminution de la capacité hospitalière et la volonté des générations âgées de rester le plus longtemps possible dans leur environnement social habituel, avec une bonne qualité de vie, mènent à une organisation décentralisée des systèmes de soins (télésoins à domicile). Les États-Unis et l’UE ayant adopté leurs stratégies de cybersanté depuis 2004, ce processus a aussi été appliqué par les États européens. Les décideurs de la politique de la santé constatent, toutefois, que ce processus de type descendant n’est pas encore arrivé chez les fournisseurs de prestations et leurs patients Voir EHTEL, Briefing Paper on Sustainable Telemedicine, février 2008 ( www.ehtel.org ).. La mise en oeuvre de stratégies en matière de cybersanté ne peut réussir que si elle est portée par la base. On a affaire ici à un processus de gestion du changement dans lequel toutes les personnes concernées doivent être intégrées dès le début. C’est pourquoi, pour réussir, il est primordial de tenir compte des besoins, de susciter la confiance et de montrer à tous les groupes d’intérêts la plus-value qu’ils pourront générer.

Obstacles et mesures d’encouragement


Le développement de la cybersanté et de la télémédecine dans l’UE est lié à la promotion de la société de l’information, née en 2000 de la stratégie de Lisbonne Voir eEurop, An Information Society For All. Communication on a Commission Initiative for the Special European Council of Lisbon, 23-24 mars 2000., qui a donné lieu en 2004 à un plan d’action en faveur de la cybersanté Voir Plan d’action «Santé en ligne», COM (2004) 356 final. 30.4.2004.. Jusqu’ici, les activités essentielles en relation avec la cybersanté et la télémédecine provenaient de la Direction générale Société de l’information et médias (DG Infso). Par analogie à cette dernière, l’Office fédéral de la communication (Ofcom) a réactualisé sa stratégie pour une société de l’information en Suisse, qui datait de 1998, en ajoutant en janvier 2006 un nouveau chapitre intitulé «Santé et systèmes de santé». Il a ainsi ouvert la voie à la stratégie en matière de cybersanté, adoptée par le Conseil fédéral en juin 2007. La Direction générale Santé et protection des consommateurs (DG Sanco) n’a, par contre, pas pu jusqu’ici prendre l’initiative d’agir en faveur de la santé en ligne. Il faut en chercher la cause dans des valeurs culturelles récalcitrantes à l’idée d’associer les prestations et produits de santé aux aspects économiques. À cela s’ajoute le fait que la DG Sanco, en vertu du principe de subsidiarité, n’a qu’une influence très limitée sur les systèmes de santé des membres de l’Union européenne. On peut en déduire qu’en Suisse, la collaboration entre la Confédération et les cantons, mais aussi avec les partenaires privés, est déterminante pour le succès de la cybersanté. L’analyse de l’évolution de la cybersanté en Europe a permis d’identifier quatre obstacles majeurs à surmonter: – la fragmentation du marché et l’absence d’interopérabilité; – les lacunes dans la certitude juridique, aussi bien au niveau national qu’européen; – l’insuffisance des fonds pour les investissements; – le manque de disponibilités pratiques pour des solutions innovatrices.  Des mesures ont été prises à divers échelons pour surmonter ces obstacles Voir Ensemble pour la santé: une approche stratégique pour l’UE 2008-2013, COM(2007) 630 final. 23.10.2007.: initiatives d’encouragement au niveau européen, création de groupes de travail et de soutien transnationaux Internet: www.ehtel.org , www.epsos.eu , www.calliope-network.eu. pour améliorer la collaboration entre les acteurs impliqués et intéressés, encouragement de l’interopérabilité et des activités de normalisation (par exemple pour le dossier médical électronique Voir Recommendation on cross-border interoperability of EHR systems, COM(2008)3282 final. et les prescriptions à distance), détermination des étapes nécessaires, dans un premier temps, à l’ouverture d’un Espace économique paneuropéen pour les services numériques de santé transfrontaliers Internet: www.ehealth2008.si, www.d-m-p.org/eu-usa.. Une dynamique à laquelle aucun décideur ne peut se soustraire est en train de se créer. Aujourd’hui, la question est la suivante: est-il justifiable de ne pas faire avancer la cybersanté?

Marchés des investissements et de la croissance


Le potentiel d’investissement dans le marché de la cybersanté des quinze États-noyaux de l’UE est estimé à 21 milliards d’euros. Les systèmes d’informations cliniques, les prestations de télémédecine, les réseaux intégrés de soins et les prestations secondaires en font partie. Il est judicieux d’investir dans la télémédecine puisqu’on peut sauver des vies, augmenter l’efficacité des interventions médicales et optimiser les coûts. Le contrôle médical à distance permet, par exemple, de diminuer de 20% le taux de mortalité des maladies cardiaques Voir Louis A. A. et al., «A systematic review of telemonitoring for the management of heart failure» Eur J Heart Fail, oct. 2003, 5(5), pp. 583-90.. De même, l’accompagnement des patients, possible à distance, exerce des effets positifs sur leur autonomie et l’évolution de la maladie. Grâce au contrôle médical à distance, la durée de l’hospitalisation peut diminuer de 30 à 60% et le temps consacré aux visites de contrôle chez le médecin de 40 à 70% Chaudhry S. I. et al., «Telemonitoring for patients with chronic heart failure: a systematic review», J Card Fail, fév. 2007, 13(1), p. 56-62.. On estime que le marché des systèmes de télémédecine passera de 4,7 milliards d’euros en 2007 à plus de 11,2 milliards d’ici à 2012 (taux annuel de croissance: 19%) Voir Telemedicine: Opportunities For Medical and Electronic Providers, BCC Research, 2007..

L’initiative des marchés pilotes de l’UE


Une initiative commune de la DG Infso et de la Direction générale Entreprise et industrie (DG Entr) contribue dans une large mesure à concrétiser le potentiel économique de la cybersanté et de la télémédecine: l’Initiative des marchés pilotes pour l’Europe Voir ec.europa.eu/enterprise/leadmarket/leadmarket.htm., destinée à encourager le potentiel d’innovation et de croissance des six marchés prometteurs, a été lancée au début de 2008. Sur ces marchés, on entrevoit à relativement court terme un haut potentiel de croissance qui devrait profiter en premier lieu aux PME, lesquelles sont au coeur des processus d’innovation. Ces marchés présentent un avantage économique et social élevé; ils réalisent un chiffre d’affaires annuel de plus de 120 milliards d’euros et procurent des emplois à 1,9 million de personnes dans l’UE. L’initiative précédemment évoquée devrait augmenter ce chiffre à 300 milliards d’euros et accroître le nombre d’emplois de plus de 3 millions d’ici 2020. La santé en ligne (cybersanté et télésanté) a été identifiée comme le premier des six marchés pilotes européens. L’Initiative des marchés pilotes pour l’Europe implique des mesures pour promouvoir l’innovation et soutenir des activités pilotes ainsi que la coordination. La création de conditions-cadres juridiques favorables et les démarches de normalisation et de certification jouent un rôle important. Mais c’est le principe de l’orientation de la demande, en lien avec le potentiel d’innovation que représentent les PME, qui occupe la place la plus importante. Celles-ci seront à l’avenir une force dominante du marché – en particulier dans le domaine de la santé. Sur un marché tel que celui ouvert par l’initiative sur les marchés pilotes, un prestataire de santé devra se distinguer par des facteurs comme la création d’une plus-value médicale, le respect de normes de qualité, un esprit novateur et une orientation en fonction des besoins. Davantage de médecins voudront élargir leur métier de base et se différencieront par leur compréhension des TIC, leur plaisir de s’attaquer à des tâches entrepreneuriales et leur intérêt pour les modèles commerciaux innovateurs. Le terme de prestataire de santé ne se limitera bientôt plus aux activités médicales stricto sensu, mais se rapportera à tous les fournisseurs de services et de produits médicaux qui servent directement ou indirectement à la prévention, au dépistage, au traitement et à la préservation de la santé. De plus, des domaines de transition seront créés qui iront de la branche des denrées alimentaires aux services de nettoyage en passant par l’automatisation des immeubles (assistance à l’autonomie à domicile Internet: www.aal-europe.eu., gestion des installations Internet: www.intelligenteswohnen.com/iw_de , www.bonacasa.ch .).

Promotion des prestations de télémédecine


Bien qu’il existe de nombreuses preuves de l’efficacité médicale et microéconomique de la télémédecine, bon nombre de projets dans ce domaine sont restés au stade pilote faute de possibilité de démontrer leur évidence scientifique et économique à une large échelle. Pour surmonter ce blocage, la Commission de l’UE a lancé une initiative le 4 novembre 2008 en faveur des prestations de télémédecine Internet: ec.europa.eu/information_society/activities/health/policy/telemedicine/index_en.htm. avec, en point de départ, la lutte contre les maladies chroniques Internet: ec.europa.eu/information_society/newsroom/cf/itemdetail.cfm?item_id=4465.. Les vrais objectifs se situent toutefois au-delà des aspects de (télé)médecine: il y va du développement économique et social à long terme d’une société de l’information moderne. La télémédecine et la cybersanté doivent d’abord sortir de leurs niches et s’intégrer naturellement dans le quotidien des médecins de famille et des patients. Trois trains de mesures visent cet objectif: – susciter la confiance envers les services de télémédecine et se les approprier; – faire preuve de clarté au plan juridique; – clarifier les questions techniques et faciliter l’évolution du marché. La volonté d’agir, d’une part, des mesures économiques et politiques d’encouragement, généreuses et systématiques, de l’autre, permettront de créer une nouvelle branche des services dont l’importance sera la preuve finale de leur utilité. Les États membres de l’UE sont invités à déterminer les points essentiels de leur stratégie en matière de cybersanté et de télémédecine d’ici au printemps 2009 et à harmoniser leurs dispositions juridiques sur les activités transfrontalières en matière de santé d’ici à 2011.

Conséquences pour la Suisse


Le potentiel de la télésanté et la télémédecine suisses se réduit actuellement à tenter de résoudre les problèmes internes d’un marché de la santé cloisonné; la dimension économique échappe au raisonnement. La dynamique de l’espace européen de la santé ne doit pas laisser la Suisse de côté. Nous devrions savoir, dans quelques années, si la télémédecine fait partie des produits phare d’exportation de la Suisse ou si la question est réglée.

Proposition de citation: Denz, Martin D. (2008). Cybersanté et télémédecine: avec ou sans la Suisse? La Vie économique, 01. décembre.