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Évaluation de la loi sur les cartels: résultats et recommandations

La loi sur les cartels (LCart) doit empêcher les cartels et autres restrictions commerciales de nuire à la concurrence; elle vise, en outre, à ce que cette dernière soit efficace. Le groupe d’évaluation Loi sur les cartels conclut que le concept sur lequel se fonde le texte a globalement fait ses preuves. Des améliorations sont, toutefois, possibles et nécessaires à divers égards: les priorités portent sur l’organisation des autorités en matière de concurrence en une seule institution indépendante et professionnalisée, sur la modernisation du régime de contrôle des concentrations, sur le traitement différencié des accords verticaux et sur l’échange formel d’informations confidentielles entre les autorités de la concurrence suisse et étrangères Les auteurs sont membres du groupe d’évaluation Loi sur les cartels. Les avis exprimés dans le rapport et le présent article n’engagent ni la Commission de la concurrence (Comco) et son Secrétariat ni le Secrétariat d’État à l’économie (Seco)..

Il est prouvé qu’une concurrence efficace constitue l’une des conditions principales à l’optimisation du niveau de vie; c’est ce à quoi aspire la LCart. Cela implique en général que les agents économiques exploitent de manière optimale le peu de ressources disponibles et proposent aux consommateurs, à un rapport qualité-prix optimal, les produits et services souhaités par ceux-ci. Le manque de concurrence peut non seulement entraîner des prix excessifs ou un appauvrissement de l’offre, mais aussi ralentir l’évolution de la productivité et la croissance économique. La LCart de 1995 a profondément modifié le droit suisse de la concurrence et jeté les bases du système actuel. Elle comporte trois volets: la lutte contre les ententes cartellaires nuisibles entre entreprises, la lutte contre les abus de position dominante et le contrôle des fusions (voir encadré 1 Empêcher les ententes cartellaires nuisibles entre entreprises

La loi sur les cartels vise à empêcher que des entreprises ne suppriment la concurrence par des accords ou des pratiques concertées ou ne la restreignent notablement, sans justification, en s’entendant – au détriment des consommateurs – sur les prix, les quantités ou les zones de distribution («cartels»).

Empêcher les abus de position dominante

Le droit des cartels ne lutte pas contre la position dominante d’une entreprise en soi: c’est le comportement de cette dernière sur le marché qui est déterminant. Il importe d’empêcher des entreprises qui dominent le marché d’abuser de leur position de force en entravant leurs concurrents, sans justification matérielle, ou en portant tort aux consommateurs.

Empêcher les concentrations nuisibles d’entreprises

Le régime de contrôle des concentrations entend empêcher de manière préventive que, suite à une croissance exogène (p. ex. fusion ou prise de contrôle), des entreprises qui occupent une position leur permettant d’éliminer la concurrence puissent voir le jour ou renforcer leur position. ). La révision partielle de 2003 a doté les autorités suisses en matière de concurrence – la Commission de la concurrence (Comco) et son Secrétariat – de nouveaux instruments plus performants. L’introduction de sanctions directes (amendes) à l’encontre des entreprises qui contreviennent à la LCart était au coeur de la révision. Les autres instruments étaient le régime de clémence (réglementation concernant les repentis), la procédure d’opposition et la possibilité de perquisitionner des entreprises.

Examen de l’efficacité du droit suisse de la concurrence


La révision de la LCart, en vigueur depuis le 1er avril 2004, a aussi chargé le Conseil fédéral de veiller à ce que l’efficacité des mesures prises et l’exécution de la loi fassent l’objet d’une évaluation. Il doit présenter un rapport au Parlement en lui soumettant des propositions quant à la suite de la démarche (art. 59a LCart). Le groupe d’évaluation Loi sur les cartels, composé d’un groupe de pilotage et d’un autre de contact Le groupe de pilotage était composé de R. Corazza (Secrétariat de la Comco, directeur, responsable du projet d’évaluation de la LCart et président du groupe de pilotage), U. Böge (ancien président du Bundeskartellamt allemand et du Réseau international de la concurrence RIC), A. Brunetti (Seco, chef de la Direction de la politique économique), W. Bussmann (OFJ, responsable de l’évaluation législative et des questions touchant au fédéralisme), D. Herren (université de Berne, Institut de droit économique) et V. Martenet (université de Lausanne, vice-président de la Comco). Le groupe de contact était constitué de F. Stüssi (Secrétariat de la Comco, rapporteur, chef du projet d’évaluation de la LCart), B. Zirlick (Secrétariat de la Comco, chef du centre de compétence Droit), S. Michal (Seco, suppléant du chef du secteur Croissance et politique de la concurrence) et S. Rutz (Secrétariat de la Comco, chef du centre de compétence Économie)., était responsable de cette tâche. La mise en place d’un groupe de pilotage et la sélection de ses membres ont apporté une double garantie: l’évaluation pouvait s’appuyer sur une vaste base de connaissances et d’expériences et être effectuée avec l’indépendance requise vis-à-vis des milieux politiques et des autorités. L’ évaluation avait pour objet, d’une part, les nouveaux instruments et les nouvelles dispositions de la LCart révisée en 2003 (voir encadré 2 – Les sanctions directes: une entreprise impliquée dans des ententes cartellaires particulièrement nuisibles ou abusant de sa position dominante est punie d’une amende pouvant aller jusqu’à 10% de son chiffre d’affaires suisse au cours des trois derniers exercices.

– Le régime de clémence prévoit l’abandon de toute ou partie de l’amende lorsqu’une entreprise révèle une restriction à la concurrence et coopère à sa suppression.

– Perquisitions: si elles disposent de suffisamment d’indices pour corréler une pratique anticoncurrentielle, les autorités en matière de concurrence ont la possibilité d’ordonner des perquisitions dans les entreprises concernées et la saisie de pièces à conviction.

– Procédure d’opposition: la sanction directe disparaît lorsqu’une entreprise annonce une pratique anticoncurrentielle à venir aux autorités de la concurrence et que ces dernières n’ouvrent pas d’enquête préalable ou ordinaire dans un délai de cinq mois.) et, d’autre part, une expertise, autant que faire se peut, des effets de la loi depuis 1995. Elle entendait, en outre, pointer les aspects qui appellent des modifications. C’est dans ce cadre que dix études internes Collaborateurs du Secrétariat de la Comco, du Seco et de l’Office fédéral de la justice (OFJ). à l’administration et cinq autres externes Polynomics AG, le Zentrum für Europäische Wirtschaftsforschung (ZEW) en collaboration avec le Centre de recherches conjoncturelles (KOF) de l’EPFZ, A. Heinemann, C. Baudenbacher et R. Specht (Specht Consulting GmbH). ont été examinées. Les résultats de l’évaluation sont consignés dans un rapport de synthèse L’ensemble des résultats peuvent être consultés à l’adresse www.comco.admin.ch , «Documentation», «Évaluation de la loi sur les cartels».. Ce document dresse un tableau des effets et du fonctionnement de la LCart, pointe les adaptations nécessaires et s’achève par une série de recommandations (voir encadré 3) La recommandation n°1 constitue le principal constat de l’évaluation:

1. Il faut conserver le concept de loi sur les cartels tel qu’introduit en 1995 et révisé en 2003. Il n’est pas nécessaire de retoucher les instruments ajoutés à cette dernière date (sanctions directes, régime de clémence et perquisitions).

Les améliorations dont il est question dans les recommandations n°2 à n°5 sont prioritaires et justifient une révision de la loi sur les cartels.

2. Les autorités de la concurrence doivent être totalement indépendantes des milieux politiques et économiques et les décideurs professionnalisés. La commission et le Secrétariat doivent être refondus dans une autorité à un seul niveau.

3. Pour pouvoir procéder à un échange formel d’informations confidentielles entre les autorités de la concurrence suisses et étrangères, notre pays doit conclure des accords de coopération avec ses principaux partenaires commerciaux. Il importe en outre, dans ce même but, d’introduire une base légale formelle dans le droit suisse habilitant les autorités en matière de concurrence à communiquer des données sous certaines conditions.

4. Il faut harmoniser le contrôle des concentrations suisse avec la pratique de l’UE, en mettant en place le test Siec et l’analyse des gains en efficacité d’après un standard de bien-être adapté à la Suisse (standard dynamique de bien-être des consommateurs). Il faut parallèlement adapter les critères d’intervention (abaisser notamment les montants seuils).

5. Au chapitre des restrictions aux accords verticaux, il convient d’abandonner la présomption d’illicéité prévue par la loi. Il faut en revanche conserver le système des sanctions directes en cas de prix de vente minimum ou fixe et de restrictions territoriales.

Il faut en outre mettre en oeuvre les recommandations 6 à 10 dans le cadre d’une révision:

6. Il faut renforcer le droit des cartels sur le plan du droit civil. Ainsi, les entreprises, les consommateurs et les associations concernés par des restrictions à la concurrence doivent disposer de meilleurs outils pour faire respecter leurs droits (notamment eu égard à l’administration de la preuve, à la qualité pour agir et aux dommages-intérêts).

7. En matière de droit administratif (droit procédural), celui relatif aux cartels doit être amélioré (eu égard notamment à l’applicabilité, au renversement du fardeau de la preuve, aux actions collectives). Il faut, en revanche, rejeter le droit pour les juristes d’entreprise de refuser de témoigner et de produire des documents, ainsi que la non-sanction dans le cadre des programmes d’adhésion volontaire.

8. Il faut confirmer expressément à l’art. 49a, al. 1, LCart (sanctions directes) que les accords illicites particulièrement nuisibles (cartels durs) sont punissables indépendamment de la réfutation de la présomption d’illicéité (suppression de la concurrence).

9. La possibilité de sanction directe dans la procédure d’opposition au sens de l’art. 49a, al. 3, let. a, LCart ne doit pas être rétablie à l’ouverture d’une enquête préalable, mais à l’ouverture d’une enquête ordinaire seulement et le délai légal de cinq mois doit être raccourci.

10. Une proposition doit être élaborée concernant l’introduction de sanctions administratives à l’encontre des personnes physiques.

Dans le cadre de l’exécution, il convient de concrétiser les recommandations 11 à 14 sans modifications de lois:

11. Les chiffres 10 et 12 de la communication concernant les accords verticaux doivent être adaptés. Le premier en ce sens que la preuve d’une concurrence entre des prestataires de marques différentes (concurrence intermarques) doit être suffisante pour réfuter la présomption de suppression de la concurrence efficace. Le second en ce qu’il faut abandonner le lien automatique entre restriction verticale et caractère notable de la restriction. Il faut tenir compte de cet aspect lors du prochain réexamen de la communication concernant les accords verticaux dans le commerce automobile.

12. Les mesures à court et moyen termes élaborées lors de l’analyse visant à améliorer le fonctionnement des autorités en matière de concurrence doivent être mises en oeuvre dans le cadre d’un projet bénéficiant d’un suivi externe.

13. La présidence de la Comco doit être complétée par la présence d’un économiste indépendant en qualité de deuxième vice-président.

14. Pour rendre le droit des cartels encore plus efficace, il importe de doter le Secrétariat de la Comco de moyens supplémentaires tant sur le plan financier que du personnel. voir encadré 3) destinées au législateur et aux organes d’exécution, soit le Conseil fédéral, le Département fédéral de l’économie (DFE) et les autorités en charge de la concurrence. Les conclusions du groupe d’évaluation sont résumées ci-après.

Un concept éprouvé et de nouveaux instruments efficaces


Le groupe d’évaluation estime que le concept sur lequel se base la LCart a globalement fait ses preuves et qu’elle dote les autorités de la concurrence des moyens fondamentaux pour mener une politique axée sur la promotion et le maintien d’une saine concurrence (recommandation 1). Les études confirment qu’un droit des cartels moderne et une autorité en matière de concurrence dynamique et indépendante présentent de grandes vertus économiques pour la Suisse Voir à ce sujet les articles de H. Worm et S. Vaterlaus (p. 12ss.) et de K. Hüschelrath et al. (p. 16ss.) dans le présent numéro.. Le législateur a donc choisi la bonne voie. Le droit des cartels doit être pratique et l’autorité en matière de concurrence doit avoir les moyens de l’appliquer. Il convient toutefois de limiter les interventions de l’État afin de prévenir les erreurs de réglementation. Outre la LCart, d’autres réglementations de l’État influent notablement sur la concurrence Les exemples sont nombreux. Ainsi, la protection douanière et autres obstacles (techniques) légaux au commerce restreignent la concurrence de l’étranger.. La loi ne peut corriger que dans une moindre mesure les distorsions de la concurrence qui en résultent. Dans l’ensemble, les nouveaux instruments mis en place par la révision de la LCart (sanctions directes, régime de clémence, procédure d’opposition, perquisitions) se sont révélés utiles. Ils contribuent à prévenir ou à mettre au jour des entraves à la concurrence et donc à favoriser la concurrence. Des enquêtes réalisées auprès d’avocats, d’entreprises et d’associations ont montré que les nouveaux instruments encouragent la conformité des pratiques des entreprises au droit des cartels et accroissent ainsi l’effet préventif de la loi. Le groupe d’évaluation voit, toutefois, un potentiel d’amélioration dans la procédure d’opposition (recommandation 9): il propose de la renforcer en réduisant le délai d’opposition de l’autorité, qui est actuellement de cinq mois, et en veillant à ce que la possibilité de sanction ne soit pas rétablie dès l’ouverture d’une enquête préalable, mais seulement à l’ouverture d’une enquête ordinaire L’ouverture d’une enquête ne devrait pas intervenir dans le délai de la procédure d’opposition.. L’amélioration des ressources humaines et financières (recommandation 14) et une plus grande efficacité du mode de fonctionnement des autorités (recommandation 12) peuvent aussi contribuer à une utilisation plus systématique des nouveaux instruments. De plus, la loi doit préciser la possibilité de sanction des accords particulièrement nuisibles qui n’éliminent pas pour autant entièrement la concurrence (recommandation 8) En effet, la formulation actuelle de l’art. 49a, al. 1, LCart prête parfois à confusion, d’aucuns comprenant que seuls les cartels durs visés à l’art. 5, al. 3 et 4, LCart qui éliminent totalement la concurrence peuvent être sanctionnés, et non les accords illicites au sens de l’art. 5, al. 3 et 4, LCart qui restreignent considérablement la concurrence sans justification.. L’analyse du nombre, de la durée et de l’issue des procédures engagées par les autorités en matière de concurrence brosse un tableau satisfaisant. Les autorités suisses et européennes traitent – toutes proportions gardées – approximativement le même nombre de dossiers. En ce qui concerne la durée des procédures, il n’y a en principe pas lieu d’intervenir, d’autant qu’elle n’est pas exagérément longue. Par ailleurs, la durée ne dépend pas seulement des autorités en matière de concurrence mais aussi, de façon non négligeable, du comportement des parties et des instances de recours. Un bilan montre que, dans 70% des cas, la Comco a eu gain de cause (80% pour les causes accessoires) Pour une définition et des informations sur le type des décisions analysées, voir la section 8.1 du rapport de synthèse..

Principales améliorations potentielles


Malgré un bilan globalement positif, des améliorations sont possibles et nécessaires à divers égards. Les paragraphes ci-après en donnent un aperçu. L’ordre retenu reflète l’importance que le groupe d’évaluation a donné à chacun des thèmes. La nécessité d’agir apparaît également quand on compare avec la pratique internationale: si les objectifs visés et les instruments du droit suisse des cartels correspondent, dans une large mesure, aux exigences posées au droit moderne, il y a encore du chemin à parcourir, dans certains domaines, pour égaler les bonnes pratiques internationales Voir à ce propos les contributions de C. Baudenbacher (p. 20ss.) et A. Heinemann (p . 29ss.) dans la présente édition..

Cadre institutionnel


Les études effectuées dans le cadre de l’évaluation montrent que des améliorations institutionnelles doivent être apportées tant du côté de la Comco que du Secrétariat (recommandations 2, 12 et 13). Afin d’améliorer l’efficacité des autorités en matière de concurrence, il faut impérativement modifier les dispositions légales. Il existe, par exemple, des problèmes relatifs à l’indépendance, à la taille et à l’organisation de milice de la Comco. Il faudrait aussi revoir la répartition des compétences entre la Comco (qui prend les décisions) et le Secrétariat (qui mène les investigations) De l’avis du groupe d’évaluation, la taille de la Comco est aujourd’hui trop importante et l’organisation de milice trop peu adaptée à la complexité croissante des cas. L’indépendance est remise en question, par le fait – notamment – que certains représentants des groupes d’intérêts siègent à la commission. Il est inhabituel au niveau international que des représentants dassociations économiques, paysannes et de consommateurs puissent décider de lourdes sanctions.. Le groupe d’évaluation recommande par conséquent que: – les autorités en matière de concurrence deviennent totalement indépendantes (pas de représentants de groupes d’intérêts et pas de personnes siégeant dans des conseils d’administration); – l’organe décisionnel soit professionnalisé (p. ex. équilibre entre experts juristes et experts économiques) et ramené entre trois et cinq membres; – l’attribution des compétences au sein des autorités de la concurrence soit clarifiée, que ce soit par une fusion des deux autorités en une seule ou par une séparation nette (autorité à deux niveaux), la première option étant privilégiée. En attendant que la loi soit modifiée (et en partie indépendamment de cela), des mesures à court et moyen termes peuvent déjà apporter des améliorations essentielles à l’actuelle organisation de la commission et au traitement des affaires. Il serait, par exemple, possible daméliorer la conduite et les mécanismes décisionnels de la Comco, la coordination entre la commission et le Secrétariat, ainsi que les processus suivis par ce dernier Celles-ci ont déjà été mises en oeuvre par les autorités dans le cadre d’un projet bénéficiant d’un suivi externe..

Coopération internationale


La coopération des autorités suisses de la concurrence avec leurs homologues étrangères se limite actuellement à un échange d’information informel. Pourtant, les interconnexions économiques gagnent en importance du fait de la mondialisation et les entraves internationales à la concurrence se multiplient. Il est plus difficile de les combattre si les autorités en matière de concurrence ne peuvent pas s’échanger les informations confidentielles relatives à un cas concret. Les procédures séparées à l’échelon international augmentent par ailleurs inutilement la charge administrative, tant pour les autorités que pour les entreprises. Ce sont surtout les consommateurs suisses qui en paient le prix, puisque les autorités suisses sont les seules en Europe occidentale à ne pas être informées des enquêtes internationales. C’est pourquoi le groupe d’évaluation estime que des accords de coopération doivent être conclus au plus vite avec les principaux partenaires commerciaux de la Suisse afin de rendre possible l’échange formel d’informations confidentielles (recommandation 3). Pour que cet échange puisse aussi avoir lieu avec les autorités des pays avec lesquels aucun accord de ce type n’a été conclu, il importe en outre d’introduire une base légale formelle dans la LCart habilitant les autorités en matière de concurrence à communiquer des données sous certaines conditions.

Concentrations d’entreprises


Le groupe d’évaluation estime que, comparé à celui des autres pays, le droit suisse régissant le contrôle des concentrations d’entreprises présente des carences et se révèle bien pâle dans les moyens qu’il offre aux autorités pour favoriser efficacement la concurrence. En Suisse, les concentra-tions ne peuvent être interdites que lors-quelles créent ou renforcent une position dominante capable de supprimer une concurrence efficace. Cette approche rend le contrôle des fusions très permissif. Le risque existe que les autorités en matière de concurrence doivent autoriser des fusions même si ces dernières entraînent des restrictions notables de la concurrence néfastes pour l’économie. Il est nécessaire de moderniser le contrôle des concentrations en mettant en place des instruments modernes Voir à ce propos larticle de D. Halbheer (p. 25ss.) dans le présent numéro.. L’harmonisation du régime suisse de contrôle des concentrations avec ceux de l’UE permettrait de réduire les difficultés Pour le groupe d’évaluation Loi sur les cartels, il s’agirait parallèlement de mettre en place des instruments modernes (test Siec, analyse des gains en efficacité d’après un standard de bien-être) et de contrôler les critères d’intervention (p. ex. abaissement des valeurs seuils) dans le cadre des concentrations d’entreprises. et, grâce au rapprochement, la charge administrative pour les fusions transfrontalières (recommandation 4).

Accords verticaux


Le traitement des accords verticaux, c’est-à-dire des accords entre des agents économiques occupant différents échelons du marché (p. ex. producteurs et détaillants), continue de faire débat. Le législateur suisse s’est écarté de la pratique internationale: l’art. 5, al. 4, LCart dispose en effet que certains accords verticaux sont présumés entraîner la suppression d’une concurrence efficace. Eu égard à la doctrine et à la pratique économiques, cette présomption n’est pas défendable. La Comco a, en outre, radicalisé la solution choisie par le Parlement avec sa communication concernant les accords verticaux. Les réseaux de distribution de certains fabricants pourraient, par exemple, être inutilement gênés dans leur développement. Des accords verticaux efficaces pourraient être empêchés de se former. Le groupe d’évaluation estime par conséquent qu’il est nécessaire de modifier la loi et la communication de la Comco afin que chaque accord vertical soit examiné sous l’angle de son impact sur la concurrence, y compris les raisons de son efficacité (recommandations 5 et 11). Cette évaluation doit également prendre en compte la concurrence entre les marques (concurrence intermarques), négligée aujourd’hui. Il faudra aussi tenir compte de cet aspect lors du prochain réexamen de la communication de la Comco concernant les accords verticaux dans le commerce automobile.

Autres avancées possibles


L’importance de la procédure civile, dans le cadre de laquelle les tribunaux cantonaux appliquent le droit des cartels sur requête d’une entreprise plaignante, est minime en Suisse. Pour le groupe d’évaluation, il faut la mettre en valeur par une série de mesures afin que les acteurs du marché lésés puissent dénoncer avec davantage de facilité les restrictions à la concurrence. Les principales mesures à cet égard comprennent des améliorations touchant à l’administration de la preuve, la qualité pour agir et les dommages-intérêts. La voie du droit privé ne fait pas concurrence à la procédure administrative; elle devrait constituer un instrument complémentaire de mise en oeuvre du droit des cartels (recommandation 6). Une nouvelle loi distincte régissant la procédure administrative relative au droit des cartels n’est pas nécessaire; il en est de même pour les problèmes liés à la CEDH Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, du 4 novembre 1950.. Il convient en revanche d’adapter certains points du droit en vigueur (recommandation 7) afin de supprimer les incertitudes et les insécurités du droit existantes, et d’améliorer les instruments visant à mettre au jour les restrictions illicites à la concurrence (par exemple renversement du fardeau de la preuve, intérêt moratoire et applicabilité immédiate). Il est possible que des adaptations s’imposent également du fait de la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral et du Tribunal fédéral. L’opinion selon laquelle une protection de la concurrence efficace ne passe pas seulement par la sanction des entreprises, mais aussi par celle des personnes responsables, donc des managers impliqués dans les ententes cartellaires, a récemment gagné du terrain au niveau international. Après tout, ce sont eux qui restreignent la concurrence. C’est pour cela quil faut envisager l’introduction de sanctions administratives (amendes) à l’encontre des personnes physiques (recommandation 10). Ces dernières ne feraient pas concurrence à celles qui frappent les sociétés; elles compléteraient le droit des cartels.

Conclusion


Les analyses et résultats détaillés ainsi qu’une comparaison internationale effectuée par le groupe d’évaluation Loi sur les cartels montrent que le concept sur lequel repose la LCart a fait ses preuves. Les nouveaux instruments mis en place lors de la révision de 2003 se révèlent globalement utiles et contribuent à prévenir ou à mettre au jour des entraves à la concurrence, et donc à promouvoir la concurrence. Un droit des cartels moderne et une autorité en matière de concurrence dynamique et indépendante sont d’une grande utilité économique pour la Suisse. L’évaluation a toutefois montré que des améliorations sont possibles et nécessaires: les priorités portent sur l’organisation des autorités de la concurrence en une seule entité indépendante et professionnalisée, sur la modernisation du régime de contrôle des concentrations, sur le traitement approprié des accords verticaux et sur l’échange formel d’informations confidentielles avec les autorités en matière de concurrence étrangères.

Encadré 1: Les trois objectifs du droit de la concurrence Empêcher les ententes cartellaires nuisibles entre entreprises

La loi sur les cartels vise à empêcher que des entreprises ne suppriment la concurrence par des accords ou des pratiques concertées ou ne la restreignent notablement, sans justification, en s’entendant – au détriment des consommateurs – sur les prix, les quantités ou les zones de distribution («cartels»).

Empêcher les abus de position dominante

Le droit des cartels ne lutte pas contre la position dominante d’une entreprise en soi: c’est le comportement de cette dernière sur le marché qui est déterminant. Il importe d’empêcher des entreprises qui dominent le marché d’abuser de leur position de force en entravant leurs concurrents, sans justification matérielle, ou en portant tort aux consommateurs.

Empêcher les concentrations nuisibles d’entreprises

Le régime de contrôle des concentrations entend empêcher de manière préventive que, suite à une croissance exogène (p. ex. fusion ou prise de contrôle), des entreprises qui occupent une position leur permettant d’éliminer la concurrence puissent voir le jour ou renforcer leur position.

Encadré 2: Nouveaux instruments de la loi sur les cartels révisée – Les sanctions directes: une entreprise impliquée dans des ententes cartellaires particulièrement nuisibles ou abusant de sa position dominante est punie d’une amende pouvant aller jusqu’à 10% de son chiffre d’affaires suisse au cours des trois derniers exercices.

– Le régime de clémence prévoit l’abandon de toute ou partie de l’amende lorsqu’une entreprise révèle une restriction à la concurrence et coopère à sa suppression.

– Perquisitions: si elles disposent de suffisamment d’indices pour corréler une pratique anticoncurrentielle, les autorités en matière de concurrence ont la possibilité d’ordonner des perquisitions dans les entreprises concernées et la saisie de pièces à conviction.

– Procédure d’opposition: la sanction directe disparaît lorsqu’une entreprise annonce une pratique anticoncurrentielle à venir aux autorités de la concurrence et que ces dernières n’ouvrent pas d’enquête préalable ou ordinaire dans un délai de cinq mois.

Encadré 3: Recommandations du groupe d’évaluation Loi sur les cartels La recommandation n°1 constitue le principal constat de l’évaluation:

1. Il faut conserver le concept de loi sur les cartels tel qu’introduit en 1995 et révisé en 2003. Il n’est pas nécessaire de retoucher les instruments ajoutés à cette dernière date (sanctions directes, régime de clémence et perquisitions).

Les améliorations dont il est question dans les recommandations n°2 à n°5 sont prioritaires et justifient une révision de la loi sur les cartels.

2. Les autorités de la concurrence doivent être totalement indépendantes des milieux politiques et économiques et les décideurs professionnalisés. La commission et le Secrétariat doivent être refondus dans une autorité à un seul niveau.

3. Pour pouvoir procéder à un échange formel d’informations confidentielles entre les autorités de la concurrence suisses et étrangères, notre pays doit conclure des accords de coopération avec ses principaux partenaires commerciaux. Il importe en outre, dans ce même but, d’introduire une base légale formelle dans le droit suisse habilitant les autorités en matière de concurrence à communiquer des données sous certaines conditions.

4. Il faut harmoniser le contrôle des concentrations suisse avec la pratique de l’UE, en mettant en place le test Siec et l’analyse des gains en efficacité d’après un standard de bien-être adapté à la Suisse (standard dynamique de bien-être des consommateurs). Il faut parallèlement adapter les critères d’intervention (abaisser notamment les montants seuils).

5. Au chapitre des restrictions aux accords verticaux, il convient d’abandonner la présomption d’illicéité prévue par la loi. Il faut en revanche conserver le système des sanctions directes en cas de prix de vente minimum ou fixe et de restrictions territoriales.

Il faut en outre mettre en oeuvre les recommandations 6 à 10 dans le cadre d’une révision:

6. Il faut renforcer le droit des cartels sur le plan du droit civil. Ainsi, les entreprises, les consommateurs et les associations concernés par des restrictions à la concurrence doivent disposer de meilleurs outils pour faire respecter leurs droits (notamment eu égard à l’administration de la preuve, à la qualité pour agir et aux dommages-intérêts).

7. En matière de droit administratif (droit procédural), celui relatif aux cartels doit être amélioré (eu égard notamment à l’applicabilité, au renversement du fardeau de la preuve, aux actions collectives). Il faut, en revanche, rejeter le droit pour les juristes d’entreprise de refuser de témoigner et de produire des documents, ainsi que la non-sanction dans le cadre des programmes d’adhésion volontaire.

8. Il faut confirmer expressément à l’art. 49a, al. 1, LCart (sanctions directes) que les accords illicites particulièrement nuisibles (cartels durs) sont punissables indépendamment de la réfutation de la présomption d’illicéité (suppression de la concurrence).

9. La possibilité de sanction directe dans la procédure d’opposition au sens de l’art. 49a, al. 3, let. a, LCart ne doit pas être rétablie à l’ouverture d’une enquête préalable, mais à l’ouverture d’une enquête ordinaire seulement et le délai légal de cinq mois doit être raccourci.

10. Une proposition doit être élaborée concernant l’introduction de sanctions administratives à l’encontre des personnes physiques.

Dans le cadre de l’exécution, il convient de concrétiser les recommandations 11 à 14 sans modifications de lois:

11. Les chiffres 10 et 12 de la communication concernant les accords verticaux doivent être adaptés. Le premier en ce sens que la preuve d’une concurrence entre des prestataires de marques différentes (concurrence intermarques) doit être suffisante pour réfuter la présomption de suppression de la concurrence efficace. Le second en ce qu’il faut abandonner le lien automatique entre restriction verticale et caractère notable de la restriction. Il faut tenir compte de cet aspect lors du prochain réexamen de la communication concernant les accords verticaux dans le commerce automobile.

12. Les mesures à court et moyen termes élaborées lors de l’analyse visant à améliorer le fonctionnement des autorités en matière de concurrence doivent être mises en oeuvre dans le cadre d’un projet bénéficiant d’un suivi externe.

13. La présidence de la Comco doit être complétée par la présence d’un économiste indépendant en qualité de deuxième vice-président.

14. Pour rendre le droit des cartels encore plus efficace, il importe de doter le Secrétariat de la Comco de moyens supplémentaires tant sur le plan financier que du personnel.

Proposition de citation: Sven Michal ; Frank Stüssi ; Beat Zirlick ; (2009). Évaluation de la loi sur les cartels: résultats et recommandations. La Vie économique, 01 avril.