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Faire preuve de courage, au lieu de céder à la pression

La Suisse continue de temporiser, après avoir tant tardé à reprendre les normes de l’OCDE. Bien que la protection absolue dont bénéficiait notre place financière en matière de soustraction fiscale appartienne désormais au passé, le Conseil fédéral ne veut accorder l’entraide administrative qu’au compte-gouttes. Cela ne suffira pas à sortir la Suisse de son isolement, car la soustraction et les paradis fiscaux sont désormais mis à l’index dans le monde entier. En outre, les concessions accordées jusqu’ici sont bien trop maigres pour les pays en développement.

En annonçant qu’elle acceptait de reprendre les standards de l’OCDE et qu’elle accorderait désormais l’entraide administrative dans les cas de soustraction fiscale, la Suisse a ouvert une brèche historique. Pendant des années, elle avait fait barrage aux efforts de l’OCDE. Pourtant, elle essaie encore de gagner du temps et refuse de transmettre la moindre information fiscale avant d’avoir renégocié ses conventions de double imposition. L’assistance administrative ne pourra, du reste, être accordée que si l’État requérant fournit les noms du client et de la banque. Or, les fiscs étrangers disposent rarement de ces informations, même si les soupçons de soustraction fiscale sont fondés. De plus, la loi suisse sur l’entraide pénale internationale continue de stipuler explicitement que les demandes relatives à des délits fiscaux sont irrecevables.

Une question d’éthique sociale


Notre monde politique se refuse toujours à admettre que la question de la justice fiscale vis-à-vis d’autres États ne relève pas de la tactique, mais de l’éthique sociale – peu importe les intérêts poursuivis par ceux qui font pression sur la Suisse. Que la Grande-Bretagne, avec ses paradis fiscaux, joue double jeu ne justifie aucunement notre manque d’éthique. En Suisse, on sous-estime de même la pression à laquelle sont soumis les gouvernements des pays de l’OCDE dans le domaine de la justice fiscale: la majorité de la population paie honnêtement ses impôts. Or, les médias ne cessent de l’informer sur la façon dont des individus fortunés et des entreprises recourent aux paradis fiscaux pour échapper à leurs obligations. Le Réseau mondial pour la justice fiscale, cofondé par la Déclaration de Berne (DB), a largement contribué à l’évolution des mentalités dans ce domaine. Aujourd’hui, les fraudeurs et leurs complices ne bénéficient plus de la moindre tolérance. L’impact des paradis fiscaux sur les pays en développement (PED) a joué un rôle déterminant dans ce revirement. Mandaté par l’organisation caritative britannique Oxfam, James Henry a réalisé une étude sur la question. Cet ancien chef économiste du cabinet McKinsey a calculé que les capitaux soustraits au fisc par des personnes physiques privent les PED de 64 à 124 milliards de dollars de recettes fiscales annuelles. Il faut y ajouter le manque à gagner engendré par l’évasion fiscale des entreprises. Celui-ci se monterait à 160 milliards de dollars, selon un rapport de Christian Aid, une autre oeuvre d’entraide britannique. Les pertes subies par les PED dépassent en tous cas largement les 103 milliards de dollars qu’ils reçoivent au titre de l’aide au développement. La DB a estimé qu’ils disposeraient de 5,4 à 22 milliards de francs de recettes annuelles supplémentaires s’ils pouvaient taxer les capitaux cachés en Suisse par leurs ressortissants. Cela représente, là aussi, plusieurs fois le montant de l’aide suisse au développement.

Les pays en développement ont davantage de besoins


Les PED ne profitent guère de la reprise des normes de l’OCDE. Nombre d’entre eux n’ont pas conclu de convention de double imposition avec la Suisse. En toute logique, cette dernière commencera par renégocier les accords signés avec les grands pays industriels. Par ailleurs, la complexité des exigences à remplir pour obtenir l’entraide administrative constitue un obstacle insurmontable pour bien des pays en développement. Étendre aux PED le système de la fiscalité de l’épargne – qui ne concerne jusqu’ici que les États membres de l’UE – constituerait un premier pas. La conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey l’a évoqué en novembre dernier, lors de la conférence de l’ONU sur le financement du développement. À l’instar de l’impôt anticipé auquel elle s’apparente, cette solution ne fournit, toutefois, aucune indication sur l’ampleur des fortunes cachées en Suisse. C’est pourquoi la DB demande que l’on pratique, en faveur des PED, l’échange automatique d’informations entre autorités fiscales. Elle n’est pas la seule: le groupe d’experts présidé par le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz et chargé par l’Assemblée générale de l’ONU de réfléchir sur la crise financière le préconise également dans son rapport. Pour investir dans l’éducation, la santé et la lutte contre la pauvreté, les PED ont un besoin urgent de ces milliards dont l’exode des capitaux – entre autres vers la Suisse – les prive chaque année.

Proposition de citation: Andreas Missbach (2009). Faire preuve de courage, au lieu de céder à la pression. La Vie économique, 01 juin.