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La règle complémentaire, un renforcement du frein à l’endettement

L’introduction du frein à l’endettement en 2003 a fortement contribué à la consolidation du budget de la Confédération. Ce mécanisme constitutionnel a imposé une règle fiscale garantissant à moyen terme l’équilibre du budget ordinaire. L’endettement croissant enregistré durant les années nonante est toutefois largement dû à des dépenses extraordinaires. La règle complémentaire étendra l’obligation d’équilibre au budget extraordinaire. Elle devrait entrer en vigueur au début de 2010.

Le compte de financement de la Confédération accusait en 2008 un déficit de 3,6 milliards de francs, à l’issue de deux mouvements contradictoires: d’une part, le budget ordinaire de la Confédération faisait excellente figure, puisqu’il affichait un excédent de 7,5 milliards de francs. En revanche, le trou du budget extraordinaire était considérable. L’exercice 2008 s’inscrit dans le sillage des améliorations successives du budget ordinaire de la Confédération (voir graphique 1). Ce résultat, qui a bénéficié des faveurs de la conjoncture, reflète également le succès du frein à l’endettement introduit en 2003. Ce dernier a conduit aux programmes d’allégement PA03 et PA04, qui ont généré des économies annuelles de 5 milliards de francs et permis de stabiliser la quote-part des dépenses et l’endettement.

Le problème du budget extraordinaire


Le frein à l’endettement garantit l’équilibre du budget ordinaire sur l’ensemble d’un cycle conjoncturel. Il ne concerne, toutefois, pas les transactions extraordinaires. L’avantage de ce statut particulier tombe sous le sens: les dépenses engendrées par des événements imprévisibles échappant au contrôle de la Confédération, tels des catastrophes naturelles, des récessions graves ou l’assainissement d’anciennes charges, ne doivent pas être compensées au détriment des dépenses ordinaires. L’accomplissement des tâches ordinaires s’inscrit donc dans la continuité. Ce statut particulier présente toutefois un inconvénient: en dépit d’une politique budgétaire conforme aux exigences du frein à l’endettement, la dette peut continuer de croître de manière insidieuse. Abstraction faite des recettes affectées et des dépenses qui leur sont liées, le budget extraordinaire présente pour les années 2003 à 2009 un déficit de 1 milliard de francs environ. L’exercice 2008 a clairement montré que les paiements extraordinaires étaient parfois planifiés, et parfois non: – les dépenses extraordinaires prévisibles, et donc planifiées, ont totalisé 5,2 milliards de francs (première dotation du fonds d’infrastructure, introduction de la RPT, dotation unique de la Publica, domaine de l’asile et des réfugiés); – des dépenses extraordinaires non planifiées ont servi à recapitaliser l’UBS (5,9 milliards de francs). Pour garantir la durabilité de la politique budgétaire, il est donc indispensable que les dépenses extraordinaires soient également compensées.

L’objectif de la règle complémentaire: équilibrer le budget extraordinaire


La règle complémentaire ne doit ni modifier, ni remplacer le frein à l’endettement, mais comme son nom l’indique, le compléter. Pour stabiliser durablement la dette nominale de la Confédération, il convient à moyen terme d’équilibrer non seulement le budget ordinaire de la Confédération – ce qui est l’objectif du frein à l’endettement -, mais encore le budget extraordinaire. Ce n’est qu’ainsi que l’on pourra répondre au mandat constitutionnel, à savoir équilibrer à terme l’ensemble des recettes et des dépenses de la Confédération Art. 126, al. 1, de la Constitution fédérale (Cst., RS 101).. Le principe fondamental de la règle complémentaire consiste à compenser dans un laps de temps donné les déficits du budget extraordinaire par le biais du budget ordinaire, pour autant que ce dernier soit préalablement assaini. La règle complémentaire est conforme à la Constitution, s’ajuste à la situation conjoncturelle et reste souple quant au choix des économies à réaliser. Simultanément, elle garantit la compensation du budget extraordinaire sur les six exercices suivants.

La règle complémentaire en bref


Les éléments essentiels de la règle complémentaire sont le compte d’amortissement et les conditions d’élimination des découverts du budget extraordinaire.

Le compte d’amortissement


L’état du compte d’amortissement est l’instrument de pilotage institué par la règle complémentaire. À l’instar du compte de compensation, le compte d’amortissement est tenu hors du compte d’État. Il est débité des dépenses extraordinaires et crédité des recettes extraordinaires. L’état du compte d’amortissement reflète le solde cumulé du budget extraordinaire. Sa présentation annuelle intervient lors de celle du compte d’État.

Conditions d’élimination des déficits


Les découverts du compte d’amortissement doivent impérativement être compensés sur les six exercices comptables suivants par une réduction des dépenses autorisées maximales au sens du frein à l’endettement. En d’autres termes, les excédents structurels du budget ordinaire doivent compenser les déficits du budget extraordinaire. Si, à la suite d’une nouvelle dépense extraordinaire, le découvert du compte d’amortissement augmente d’un montant supérieur à 300 millions de francs environ 0,5% du plafond des dépenses selon le frein à l’endettement., le délai d’amortissement de six ans recommence à courir. Dans des cas particuliers, l’Assemblée fédérale peut prolonger le délai de six ans (clause de sauvegarde). Les dispositions de la règle complémentaire ménagent au Conseil fédéral et au Parlement une marge de manoeuvre en ce qui concerne l’assainissement du budget extraordinaire. Ces derniers ont donc la possibilité de définir en grande partie le montant des économies annuelles et leur répartition sur les exercices, en respectant toutefois le délai imparti. Cette souplesse permet de prendre en compte la situation conjoncturelle ainsi que les restrictions imposées par des dépenses liées en vertu de dispositions légales ou contractuelles. La fixation d’un délai pour équilibrer le compte d’amortissement garantit une planification contraignante pour compenser les découverts. Lorsque le compte d’amortissement affiche un découvert, ce dernier doit être compensé. Cependant, une politique budgétaire prudente requiert bien davantage, à savoir l’introduction à temps de mesures d’économie pour parer aux dépenses extraordinaires prévisibles. C’est pourquoi la règle complémentaire proposée permet de réduire préventivement les dépenses maximales autorisées afin de compenser des découverts prévisibles du compte d’amortissement: concrètement, l’Assemblée fédérale peut adopter des mesures d’économie préventives dans le budget ordinaire.

Subordination


Une réduction des découverts du compte d’amortissement n’est contraignante que si le compte de compensation présente un solde positif ou équilibré. L’assainissement des déficits du budget extraordinaire est donc «de rang subordonné» par rapport au budget ordinaire. Une réduction de l’endettement dû au budget extraordinaire ne doit être engagée qu’à partir du moment où le budget ordinaire est équilibré et où des économies supplémentaires ne sont plus requises suite à un découvert du compte de compensation. La «subordination» de la règle complémentaire assure la constitutionnalité de cette dernière. Le respect de la subordination est aussi garanti dans le cas d’une compensation anticipée de découverts prévisibles. En effet, les économies à titre préventif relatives aux dépenses extraordinaires ne sont autorisés qu’après assainissement du budget ordinaire.

La clause de sauvegarde


Une majorité du Parlement était favorable à l’idée de soumettre également le budget extraordinaire à une règle de politique budgétaire. Au sein des deux Chambres, les débats ont été marqués par les événements liés à la crise financière et économique. À cet égard, des parlementaires craignent que la règle complémentaire puisse se révéler trop restrictive dans des situations extraordinaires. Le Parlement a dès lors décidé de compléter le projet du Conseil fédéral avec la clause dite de sauvegarde. Dans des «cas particuliers», le Parlement se réserve le droit de prolonger le délai d’amortissement au-delà de six ans. Aucune des deux Chambres n’a précisé les critères permettant de définir les «cas particuliers».

Mise en oeuvre de la règle complémentaire: un aperçu


Le graphique 2 donne un aperçu de la mise en oeuvre de la règle complémentaire. L’état du compte de compensation détermine la situation initiale. Si, par exemple, celui-ci présente un solde négatif, le budget ordinaire doit être assaini en priorité (cas 1). Le découvert du compte d’amortissement du budget extraordinaire ne peut être éliminé avant que le compte de compensation ne présente un résultat positif ou du moins équilibré. Lorsque le compte d’amortissement présente un découvert, on se trouve face à un déficit du budget extraordinaire qui doit être éliminé sur les six exercices comptables suivants (cas 2). Toutefois, si le compte de compensation tombe lui aussi dans les chiffres rouges durant cette période, l’obligation de compenser le compte d’amortissement sera suspendue jusqu’à ce que le découvert du compte de compensation ait été éliminé. Dans des cas particuliers, le délai d’amortissement peut être prolongé. Comme l’expérience de ces dernières années l’a montré, une partie des dépenses extraordinaires, notamment dans le domaine des modifications du modèle comptable et des concentrations de paiements liées au système comptable, est prévisible avec une certaine précision. C’est pourquoi il devrait être possible de réaliser des économies préventives pour parer aux découverts prévisibles et pour équilibrer le compte d’amortissement (cas 3). Du point de vue de la politique budgétaire, on se trouve dans une situation idéale lorsque les comptes de compensation et d’amortissement sont équilibrés et qu’aucun découvert du compte d’amortissement n’est attendu. Dans ce cas, les budgets ordinaire et extraordinaire sont équilibrés et les mesures d’assainissement ne sont pas nécessaires (cas 4).

Propriétés de la règle complémentaire


Diverses possibilités se présentent lorsque l’on veut établir des règles de politique budgétaire. Pour ce qui est de la règle complémentaire, on a porté une attention particulière à sa constitutionnalité, à son adéquation à la situation conjoncturelle et à la souplesse qu’elle offre du point de vue de la politique budgétaire. Constitutionnalité: la Constitution accorde un traitement particulier aux dépenses extraordinaires: elle ne les soumet pas au frein à l’endettement. Ce privilège ne sera pas touché par la règle complémentaire: les découverts du compte d’amortissement (dans le budget extraordinaire) ne doivent être compensés que lorsque le compte de compensation du frein à l’endettement n’affiche lui-même aucun découvert (dans le budget ordinaire) qui doive être éliminé. Souplesse: la règle complémentaire n’impose aucune condition quant à la répartition du montant à amortir sur la période de six ans durant laquelle le découvert doit être éliminé. Elle est donc très souple en ce qui concerne les montants annuels de l’amortissement et leur répartition. Le Conseil fédéral et le Parlement sont en mesure de réagir à court terme aux événements significatifs pour la politique budgétaire et, ce faisant, de tenir dûment compte de la situation économique globale. Adéquation à la situation conjoncturelle: l’adéquation de la règle complémentaire à la situation conjoncturelle est garantie par sa subordination et sa souplesse, de même que par sa clause de sauvegarde. L’endettement dû aux déficits du budget extraordinaire ne doit être éliminé que lorsque le budget ordinaire est équilibré (c’est-à-dire lorsque le compte de compensation ne présente aucun découvert). C’est le cas lorsque la conjoncture est favorable. Lors d’une récession durable, le compte de compensation présenterait toutefois un solde négatif, de sorte qu’un assainissement éventuel du budget extraordinaire serait suspendu, ce qui évitera de perturber la politique conjoncturelle. Si dans une situation d’exception, cette garantie n’était pas offerte, le Parlement pourrait davantage tenir compte de la situation conjoncturelle, en décidant des montants annuels d’amortissement et de leur répartition (souplesse dans l’application de la règle), ainsi que d’une éventuelle prolongation des délai (clause de sauvegarde).

Priorité à la stabilisation de l’endettement


Tout comme le frein à l’endettement, la règle complémentaire n’oblige pas à réduire la dette. L’objectif premier est de la stabiliser en termes nominaux. Toutefois, le Conseil fédéral et le Parlement peuvent à tout moment viser un objectif plus ambitieux dans le cadre de la budgétisation et de la planification financière. Une réduction de la dette est possible, car aussi bien le frein à l’endettement que la règle complémentaire constituent des prescriptions minimales.

Graphique 1 «Évolution des soldes du compte de financement ordinaire de la Confédération, 1993-2008»

Graphique 2 «Mise en oeuvre de la règle complémentaire»

Tableau 1 «Évolution du budget extraordinaire, 2003-2009»

Encadré 1: Dépenses extraordinaires Le frein à l’endettement n’empêche pas les dépenses extraordinaires. Les cas prévus à l’art. 15 de la loi sur les finances de la Confédération concernent aussi bien des événements extraordinaires échappant au contrôle de la Confédération (par ex. des catastrophes naturelles) que des adaptations du modèle comptable et des concentrations de paiements liées au modèle comptable. Les dépenses extraordinaires relèvent le plafond des dépenses autorisées sans qu’elles ne doivent être compensées par des recettes. De la sorte, elles peuvent encore provoquer un accroissement de l’endettement dans la mesure où elles ne sont pas compensées, dans le budget ordinaire, par des recettes extraordinaires ou des excédents structurels.

Encadré 2: La procédure de consultation Lors de la procédure de consultation, la règle complémentaire a été majoritairement bien accueillie. Trois thèmes ont été particulièrement discutés. Transfert de charges aux cantons: presque tous les cantons craignent un transfert de charges en cas de solde négatif du compte d’amortissement. Les expériences des dernières années montrent toutefois que le Conseil fédéral et le Parlement ont pris au sérieux le droit des cantons de participer à l’élaboration des programmes d’allégement 2003 et 2004: il n’y a eu que très peu de transferts de charges. Dans son message, le Conseil fédéral a clairement fait connaître son intention de continuer à éviter, le plus possible, de tels transferts. Extension aux assurances sociales: le Conseil fédéral accueille favorablement l’idée de soumettre les assurances sociales à une règle de politique budgétaire. De la sorte, l’équilibre des dépenses et des recettes pourrait s’instaurer à terme dans ce domaine. Le Conseil fédéral envisage dès lors de traiter la demande d’extension aux assurances sociales dans le cadre des réformes prévues en ce domaine. Délai d’amortissement: quelques participants à la consultation ont demandé un raccourcissement du délai d’amortissement, qui serait ramené à quatre ans au lieu de six, et d’autres une prolongation du même délai, qui passerait de six ans à huit ou dix, voire une renonciation pure et simple à toute limite temporelle. Le délai de six ans est une moyenne des solutions souhaitées. De plus, il correspond à la durée moyenne d’un cycle conjoncturel en Suisse (six à huit ans).

Proposition de citation: Margit Himmel ; Michael Schuler (2009). La règle complémentaire, un renforcement du frein à l’endettement. La Vie économique, 01 septembre.