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Les soins intégrés: un concept thérapeutique efficace en termes de qualité et d’économicité

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Créé il y a vingt ans, le premier HMO Health Maintenance Organization (organisation de maintien de la santé). de Suisse était considéré comme une provocation à l’époque. Les critiques et les reproches ne lui furent pas épargnés: prestations bas de gamme, destruction du rapport de confiance entre le médecin et le patient, médecine des caisses-maladie. Aujourd’hui, le modèle de «managed care» est bien implanté en Suisse. Les cabinets HMO, les réseaux de médecins et d’autres organisations étoffent les soins de base, surtout en Suisse alémanique. Les assurés et les patients jouent le jeu: plus de la moitié des affiliés des compagnies d’assurance ayant tablé sur la gestion des soins ont opté pour un modèle d’assurance de ce type.

Un système de santé fragmenté


Au-delà de tout clivage politique, on est d’accord pour dire qu’un réseau renforcé et davantage intégré représente le moyen le plus efficace et le plus durable de garantir une qualité élevée et l’économicité des soins. Cette optique s’est imposée dans presque tous les pays européens ces dernières années Voir Amelung V. E., Sydow J. et Windeler A., Vernetzung im Gesundheitswesen im Spannungsfeld von Wettbewerb und Kooperation, Kohlhammer, Stuttgart, 2008.. Ce constat se base sur de nombreux travaux de recherches qui montrent que les systèmes de santé sont fragmentés, donc «non-intégrés», parce que les différents protagonistes ont une logique fondamentalement opposée Voir Glouberman S. et Mintzberg H., «Managing the Care of Health and the Cure of Disease – Part I: Differentiation», Health Care Management Review, hiver 2001, pp. 56-69.. Les conséquences sont bien connues: manque de cohérence dans les processus qui concernent les patients, doubles examens, erreurs médicales et autres. Les intérêts personnels et la défense des différentes prérogatives ne sont pas les seuls responsables de cette fragmentation qui est, en réalité, normale dans tout système de santé. On voit bien les défis que doit relever l’intégration. Il faut encore et toujours tenir compte de l’entêtement (inévitable) des différents protagonistes et, au moyen de compromis intelligents, empêcher que s’activent les systèmes d’immunité spécifiques aux sous-systèmes. C’est exactement cela qui caractérise le développement des soins intégrés dans notre pays.

Modèle des soins intégrés


Le «managed care» constitue l’ensemble de tous les instruments de gestion et d’intégration du système de santé publique visant à promouvoir une prise en charge médicale répondant aux besoins, basée sur la qualité et efficace au plan des coûts. Le terme de «managed care» disparaît peu à peu dans les milieux spécialisés au profit des «soins intégrés». De nombreux outils de gestion et d’intégration ont été mis en oeuvre au niveau international, comme par exemple les formes d’organisation intégrées (modèle du médecin de famille, réseaux de médecins, centres de santé/HMO) ou les instruments d’intégration («gatekeeping», «guidelines», «case management», «disease management», «demand management»/tri téléphonique) Voir Berchtold P. et Hess K., Pertinence des modèles de managed care. Analyse de la littérature européenne en tenant compte de la situation en Suisse: Effets du pilotage du système des soins sur la qualité et les coûts, document de travail 16, Observatoire suisse de la santé Obsan, Neuchâtel, 2006. . Aujourd’hui, les assurés peuvent choisir dans le cadre de leur assurance-maladie ordinaire entre différents modèles, le plus souvent appelés modèles «managed care» par le grand public, et être traités et se faire suivre comme patients dans des réseaux de médecins/HMO. Tous les modèles de soins intégrés sont basés sur le principe du «gatekeeping»: la personne assurée s’engage en cas de problème de santé à toujours prendre la même «entrée» dans le système de santé publique. Cela peut être le médecin de famille, un centre de santé HMO ou un centre d’appel médical. Les traitements spécifiques ou les hospitalisations ne sont possibles que sur transfert via le «gatekeeper» ou le «care manager» (choix restrictif ou préétabli du médecin). En contrepartie, les assurés bénéficient d’une réduction de prime. En cas d’urgence, cette obligation ne s’applique pas. Des réglementations particulières sont octroyées pour les visites chez le gynécologue, le pédiatre ou l’ophtalmologue.

Modèles contractuels


Dans les modèles contractuels (réseaux de médecins, HMO, centre d’appel médical), les médecins de famille font partie d’un groupe de médecins lié contractuellement avec la caisse d’assurance-maladie. Les réseaux de médecins assument fréquemment de manière collective le risque financier (coresponsabilité du médecin en matière budgétaire sous forme d’un système de bonus/malus ou contrat de capitation). Ils reçoivent une rémunération pour les frais supplémentaires liés à la gestion et à la qualité du travail. Les contrats de collaboration avec les centres de santé (HMO) sont aménagés de la même manière; la plupart d’entre eux appartiennent à des compagnies d’assurance-maladie et les médecins sont salariés. En Suisse, il existe une centaine de réseaux de médecins et de HMO. Près de la moitié de l’ensemble des fournisseurs de prestations de base s’engage dans les réseaux de médecins. Dans certaines régions, près d’un tiers des assurés a déjà opté pour un modèle alternatif d’assurance (par exemple canton de Thurgovie). Les réseaux de médecins se distinguent à maints égards Voir Berchtold P., Peier K. et Peier Ch., «Erfolgreiche Entwicklung der Ärztenetze in der Schweiz», Bulletin des médecins suisses, n° 89/47, 2008, pp. 2038-41.. Le graphique 1 et le graphique 2 montrent leur répartition géographique, leur taille – autrement dit le nombre des assurés et des médecins qui en font partie – et le nombre d’années d’exploitation. À noter la multiplication des réseaux au nord-est de la Suisse et dans les cantons de Berne, Genève et Lucerne, tandis que leur nombre est beaucoup plus restreint dans le reste du pays. Presque tous les réseaux ont mis en place une ou plusieurs formes de gestion de la qualité (voir tableau 1). Les cercles de qualité, que pratiquent obligatoirement 99% des réseaux, constituent le point principal; les médecins se rencontrent régulièrement pour assurer leur formation continue, pour parler de cas particuliers complexes, pour déceler les éventuelles erreurs de traitement ou pour évaluer de nouvelles thérapies. Les directives thérapeutiques, les informations institutionnalisées sur les patients, l’organe de médiation et le Conseil des patients complètent ce système de qualité. Les deux tiers des réseaux ont leur propre service d’urgence et la moitié un service de consultation par téléphone.

Modèles de télémédecine


Le centre d’appel médical ou les modèles de télémédecine représentent une autre variante de modèles contractuels. Les assurés sont tenus, en cas de problème de santé, de consulter d’abord par téléphone. Ici, des professionnels de la santé donnent des indications et des recommandations ou enjoignent le patient de consulter un médecin ou de se rendre à l’hôpital. Dans ces modèles, un contrat spécifique entre les assurés et le centre d’appel régit la protection des données et l’assurance-qualité. La gestion est plutôt ponctuelle et se limite actuellement en général à un appel. Les offres de traitement et de suivi ultérieur pour certains patients sont, toutefois, possibles par télémédecine et sont aussi parfois proposées, par exemple dans le cadre de programmes de «disease management».

Modèles non contractuels


Les modèles non contractuels (basés sur des listes de médecins ou «light») ne sont pas régis par une quelconque réglementa-tion contractuelle entre les assureurs et les médecins. Ce sont des produits pour lesquels les assureurs définissent des listes – restreintes – de fournisseurs de prestations, d’où leur nom de «modèles basés sur des listes de médecins». Ils sont fermement rejetés par les médecins, qu’ils soient indépendants ou en réseau. On leur reproche de favoriser la sélection des risques et d’entraver fortement le développement des soins intégrés, en raison de leur manque de partenariat contractuel: en effet, les fournisseurs de prestations sont unilatéralement choisis par les assureurs et les contrats qui les lient sont insuffisamment contraignants. Les assu-reurs sont, quant à eux, convaincus que les listes sont pertinentes dans les régions où il n’existe pas de modèles contractuels (réseaux de médecins/HMO) et qu’elles doivent être proposées pour économiser sur les coûts. Comme la quote-part de tous les modèles «alternatifs» d’assurance est en hausse, les assureurs contestent l’idée que les listes puissent constituer un obstacle aux soins intégrés.

Des modèles intégrés en évolution


Le «gatekeeping» est l’instrument de gestion central des modèles actuels. En coordonnant les renvois vers les spécialistes ou le milieu hospitalier, les «gatekeepers» sont supposés éviter les doubles examens et les traitements inutiles. Cela fonctionne très bien pour les petits bobos et pour certaines maladies aiguës simples. Les soins et la gestion intégrés sont surtout pertinents pour les maladies chroniques complexes et pour les patients nécessitant un suivi à long terme lorsque de nombreux et multiples traitements ou suivis médicaux doivent être coordonnés et adaptés les uns aux autres; les soins intégrés améliorent la coordination et la gestion de ce type de cas, optimisent la qualité du traitement, garantissent l’approvisionnement en soins et augmentent l’efficacité des coûts. On distingue déjà des traits de l’évolution future: – les médecins spécialisés s’engagent dans des réseaux de médecins existants ou mettent en place leurs propres réseaux (p. ex. dans le secteur de la psychiatrie); – les modèles de médecin de famille existants se positionnent comme des réseaux de soins multidisciplinaires proposant une gamme de prestations très large; – les hôpitaux et les réseaux de médecins développent ensemble de nouveaux concepts régionaux de soins (p. ex. pour les urgences). Les futurs modèles «managed care» et les réseaux intégrés de médecins serviront notamment de premier contact médical pour le tri et le traitement. Contrairement au «gatekeeper» actuel, le «care manager» pourrait être aussi bien un fournisseur de prestation de base (dans le cas de nouvelles maladies ou de maladies peu évidentes) qu’un médecin spécialisé (pour de nombreuses maladies chroniques). Tout parle en faveur du choix du premier interlocuteur médical par les patients – autrement dit leur «care manager» -, en fonction de leur besoins en matière de traitement et de leurs préférences Voir Berchtold P., «Differenziertere Steuerung statt Türsteher, Torhüter oder Pförtner: Réseaux de médecins: relève médicale», Bulletin des médecins suisses, n° 88/38, 2007, pp. 1586-87..

Des compromis intelligents pour des points de vue divergents


Le développement du «managed care» en Suisse est aussi synonyme de solutions trouvées en commun. Dans de nombreux pays européens, les soins intégrés se sont diffusés uniquement par le biais d’ordonnances légales ou dans des systèmes de santé gérés par l’État. Ce n’est pas le cas de la Suisse, où leur développement provient de l’engagement et de la conviction de tous les protagonistes envers les soins intégrés, lesquels s’appuient sur une loi libérale en matière d’assurance-maladie. C’est pour le moins remarquable quand on sait que, dans le système de santé suisse, les intérêts des différents protagonistes ne sont pas moins antagonistes qu’ailleurs. Pourtant, leur vision des principes (légaux), des attraits et des modèles de gestion se sont rapprochés à maints égards. Aujourd’hui, les protagonistes s’accordent globalement sur les points suivants: – les soins intégrés permettent une meilleure qualité de soins et un meilleur rapport coûts/bénéfices grâce à une coordination et à une gestion contraignante; – l’efficacité des coûts et l’optimisation de la qualité apparaissent principalement là où les règles de coordination et de gestion entre les fournisseurs de prestations et les assureurs sont régies de manière contractuelle; – les soins intégrés deviendront tout particulièrement importants dans les maladies chroniques complexes et chez les patients nécessitant un suivi à long terme; – les soins intégrés encouragent l’accès et l’échange électronique d’informations relatives au patient entre les équipes soignantes tout au long de la chaîne de traitements grâce à un système de cybersanté qui garantit la confidentialité des données; – l’actuel assouplissement de l’obligation de contracter contenue dans les accords passés entre assureurs et réseaux de médecins est tout à fait pertinente; – une plus grande efficacité des coûts et une optimisation de la qualité sont de l’intérêt de tous les protagonistes: les fournisseurs de prestations, les assureurs et les patients; – les assurés optant pour un modèle alternatif d’assurance doivent être avantagés financièrement (réductions de primes, participation réduite de l’assuré); – la qualité des soins et du traitement (résultat final, performance) doit subir une évaluation renforcée et accessible; – les assurés doivent être libres de choisir leurs produits d’assurance comme les prestataires de santé leurs modèles de soins; – l’affinement de la compensation des risques qui entrera en vigueur en 2012 est une bonne chose et doit être encore développé.

Conclusion


Le «managed care» a réussi son implantation en Suisse. Les étapes qui suivent seront, toutefois, décisives: un nouveau projet de loi traitant de la question a été lancé au Parlement. Les assureurs proposent constamment de nouveaux modèles alternatifs et les réseaux de soins de la prochaine génération sont en cours d’élaboration. Des questions difficiles nous attendent aussi: quels objectifs voulonsnous atteindre avec les soins intégrés? Quels avantages les patients souffrant de maladies chroniques peuvent-ils retirer des soins intégrés? Peut-on (encore) réduire les coûts? Peut-on (encore) améliorer la qualité? Quelles sont les options politiques et légales les plus efficaces? Voulons-nous poursuivre sur la voie du caractère facultatif ou faut-il instaurer une obligation? Quelles rémunérations pour les prestations? Quelle doit être la coresponsabilité du médecin en matière budgétaire? Faut-il de meilleurs processus pour faire des économies? Que signifie la cybersanté? Comment mesure-t-on la qualité et comment répond-on aux attentes des patients? Le système dit «du paiement à la performance» est-il la solution d’avenir? A-t-on le droit de faire des bénéfices sur les soins intégrés? On ne pourra répondre à ces questions que si un dialogue s’instaure entre les protagonistes; l’évolution des soins intégrés en Suisse montre que cela est possible.

Graphique 1 «Nombre d’assurés par réseau de médecins»

Graphique 2 «Nombre de médecins par réseau»

Tableau 1 «Structure et qualité des réseaux de médecins (en % des réseaux)»

Encadré 1: Caractéristiques d’un réseau de médecins (selon la définition de med-swiss.net) – basé sur les médecins: formé par les fournisseurs de prestations et destiné aux soins de santé;- caractère contraignant: collaboration régie par voie contractuelle entre les médecins, les fournisseurs de prestations externes au réseau et les répondants des coûts;- philosophie commune: action sur la base de processus de traitements convenus, structures organisationnelles d’entreprise et culture de suivi commune;- «care management»: gestion des prestations de santé tout en un, chaque fois que c’est possible;- basé sur les besoins: se base de manière conséquente sur les besoins des patients;- basé sur la qualité: s’engage pour une qualité de soins supérieure;- conscience des coûts: gestion économe des moyens existants.

Proposition de citation: Berchtold, Peter (2009). Les soins intégrés: un concept thérapeutique efficace en termes de qualité et d’économicité. La Vie économique, 01. novembre.