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Phase initiale et constitution du capital-risque des jeunes pousses actives dans le domaine technologique

Dans la phase de lancement d’un projet, la constitution des fonds et du capital-risque représente pour la plupart des jeunes pousses («start-up») un réel obstacle sur le chemin de la réussite. Certaines branches et technologies demandent un effort financier important de la part des «business angels» et des sociétés de capital-risque (SCR). Il faut se demander dans quelle mesure et sous quelle forme l’État – dans son programme d’encouragement à l’innovation – peut et doit proposer son aide pour résoudre ce problème Nous remercions de leurs remarques et commentaires: Michael Sidler, Jean-Pierre Vuilleumier, Urs Althaus, Martin Bopp, Markus Scharnowski et Manfred Grunt..

Bien avant que les établissements de crédit ne leur prêtent de l’argent, les fondateurs d’entreprises et les nouvelles sociétés ne peuvent compter que sur des investisseurs. Constituer un capital représente un défi majeur. La recherche d’argent échoue bien souvent. Alors que, dans le passé, les fondateurs et les jeunes entreprises déploraient une insuffisance de capital propre et le manque de volonté des grands investisseurs, ces derniers faisaient remarquer que, comparé à l’étranger, les jeunes pousses suisses ne brillaient pas par leurs bonnes idées et que l’étroitesse du marché intérieur diminuait les chances de croissance pour de nombreux projets. La situation est différente aujourd’hui et même les investisseurs considèrent que la Suisse est devenue un pôle d’innovation qui concentre nombre de jeunes pousses intéressantes. La constitution de capital se heurte, par contre, à la récession actuelle et à des problèmes d’ordre structurel, plus ou moins important selon la technologie et la branche. Ce point sera examiné en détail plus loin.

«Business angels» et sociétés de capital-risque: différences et points communs


Les deux solutions les plus courantes pour collecter du capital passent par les «business angels» et les SCR. L’un et l’autre se distinguent principalement par la période et le volume des investissements. Les «business angels» sont des personnes qui possèdent l’expérience de la branche et savent diriger une entreprise; elles concentrent leur soutien sur la phase initiale ou sur celle de création («seed stage capital» ou capital d’amorçage), sans mettre un accent explicite sur les phases ultérieures du développement. Outre l’apport de capital propre, les «business angels» ont l’importante mission de transmettre leur savoir, leurs expériences et leurs réseaux dans la branche concernée. Ils soutiennent aussi la direction, généralement inexpérimentée, dans les tâches de gestion opérationnelle et stratégique et pendant la ronde suivante de financement. Les sociétés de capital-risque se concentrent plus fréquemment sur les phases avancées du développement (capital-développement ou «later stage capital») de la jeune pousse. Si l’on compare avec la phase initiale, il est à la fois plus aisé ici de calculer les risques liés au développement de l’entreprise et d’entrevoir son potentiel, d’autant plus que deux éléments d’évaluation décisifs ont eu le temps de mûrir: les capacités de gestion de l’équipe (professionnalisme, acquisition des réflexes de l’économie d’entreprise et résistance au stress) sont d’abord plus claires que dans les phases initiale et de création; les chances de croissance et les débouchés commerciaux peuvent ensuite être évalués plus aisément. Les risques ayant diminué, les SCR, qui visent une rentabilité immédiate, acceptent d’augmenter leurs prêts, tandis que les «business angels» privilégient l’engagement à long terme.

La collaboration est source d’avantages


Une étroite collaboration entre le «business angel» et la SCR peut dégager des avantages importants. Cette dernière peut, d’une part, aider le «business angel» à évaluer l’entreprise qui débute et, d’autre part, lui donner une certaine idée de la suite du financement. Le «business angel» peut aider la SCR dans les premières phases dexistence de lentreprise et lui donner un meilleur aperçu de son développement. Ce type important de collaboration est, entre autres, soutenu par la plate-forme des investisseurs CTI Invest. De nombreuses banques cantonales et des fondations essaient aujourd’hui d’assurer la transition entre les investissements des «business angels» et ceux des SCR en appliquant des modes de financement mezzanine. Elles le font la plupart du temps sous la forme dun prêt convertible qui se transforme en capital propre à l’arrivée du capital-risque. Outre ces différences, le financement de jeunes pousses avec des capitaux propres de tiers et donc extérieurs à la zone d’influence du fondateur de l’entreprise (en dehors des épargnes personnelles ou familiales) a toujours un point commun: il est important que les investisseurs puissent concevoir et comprendre concrètement l’innovation, le futur secteur d’activité et les possibilités de sortir ultérieurement du projet. C’est justement sur ce point que des différences fondamentales peuvent se présenter selon la technologie et la branche d’activité de la jeune pousse.

L’évaluation du secteur d’activité et de la branche est déterminante


Un regard sur le financement des sciences de la vie, en particulier de l’industrie pharmaceutique, suffit à comprendre ce point. Étant donné que c’est dans la phase initiale que les jeunes pousses doivent investir des sommes considérables pour leurs recherches, les projets des sciences de la vie, à la croisée de la science et de l’économie, sont l’un des domaines auquel l’agence pour la promotion de l’innovation CTI alloue les sommes les plus importantes. Lutilisation pharmaceutique des résultats de la recherche appliquée se profilent déjà clairement dans la phase de développement, ce qui n’échappe pas aux investisseurs. De surcroît, le lancement à proprement parler du produit s’effectue par les grands firmes pharmaceutiques, lesquelles sont présentes en Suisse comme dans nulle autre branche. En d’autres termes, pour les investisseurs, une sortie et donc un retour sur investissement peuvent fréquemment avoir lieu avant que le produit n’arrive effectivement sur le marché. Cette minimisation des risques renforce l’intérêt des investissements en capitaux propres pour les «business angels» et les SCR. Quand les investisseurs peuvent évaluer dès le début les chances globales de commercialisation, comme pour les jeunes pousses des sciences de la vie, ils peuvent plus facilement calculer le retour sur investissement. En Suisse, les investisseurs connaissent traditionnellement bien ce domaine scientifique, mais les rendements y sont plutôt faibles (à quelques exceptions près). Ajoutons à cela que les biotechnologies ont connu un essor particulier, ce qui profite à tout l’environnement financier et a généré l’arrivée d’investisseurs et d’entrepreneurs compétents.

Un environnement financier lacunaire dans le domaine des technologies propres


Cet environnement financier fait grandement défaut dans le domaine des technologies propres Dans le cadre des mesures spéciales du deuxième dispositif de stabilisation mises en oeuvre par la promotion de la recherche et de l’innovation, la CTI inclut, entre autres, dans les technologies propres les domaines partiels suivants: les énergies renouvelables, le stockage et la distribution d’énergie, l’énergie dans les bâtiments, l’efficacité énergétique, l’élimination (traitement des eaux usées, des déchets, etc.), la réduction du bruit et des émissions, le recyclage des matières premières, la mobilité durable.. Pourtant, la Suisse aurait toutes les cartes en main pour l’améliorer, car avec de grandes entreprises comme ABB, Alstom, Sulzer, Rieter, GF, Holcim, elle peut s’appuyer sur une base solide; elle peut également compter sur des institutions comme les deux écoles polytechniques fédérales, l’Empa, l’Institut Paul-Scherrer et l’Eawag pour la recherche. La perspective d’un rendement faible, comparé à d’autres activités, n’est en soit qu’une explication parmi d’autres des obstacles rencontrés par ce secteur lors de la phase de financement initiale. Les points de départ spécifiques et les structures économiques particulières des diverses branches et technologies constituent un paramètre important. Si l’on compare avec les sciences de la vie, la reprise des jeunes pousses spécialisées dans les technologies propres par des acteurs internationaux est peu probable: la croissance des grandes entreprises se situe ailleurs et les rachats de petites entreprises ne sont pas la règle. En Suisse, les technologies propres attirent les petites structures et les entreprises sont encore relativement jeunes. Les investisseurs ne peuvent même pas s’attendre à des rendements intéressants lors de la vente de la jeune pousse à une grande entreprise, à moins que des sociétés étrangères ne manifestent leur intérêt. On ne peut pas davantage envisager d’intégrer les innovations des jeunes pousses dans la palette de produits et les canaux de distribution de grands groupes internationaux. Les investisseurs prennent donc un risque relativement élevé en plaçant des capitaux dans de telles entreprises, car l’entrée sur les marchés internationaux, indispensable pour progresser, doit d’abord passer par sa croissance organique. Certes, la Suisse peut constituer un marché d’essai exigeant, mais sa petitesse permet difficilement datteindre la masse critique requise pour se lancer sur les marchés étrangers. Les entreprises dans le domaine des technologies propres émanent aussi bien de fondations privées que d’ONG, dassociations ou dorganismes associatifs; elles naissent, en outre, de motifs intrinsèques. Les experts constatent, toutefois, que la collaboration interentreprises et l’échange d’informations sont insuffisants, alors qu’ils sont nécessaires pour atteindre la masse critique en matière de savoir-faire et d’investissements. Autre difficulté, les dirigeants de ces jeunes pousses ne se concentrent pas exclusivement sur le marché et sur le succès de l’entreprise. Elles se soucient aussi d’aspects liés à la politique environnementale et des réponses qu’elles peuvent apporter à la société face au changement climatique. De leur côté, les investisseurs déplorent le nombre réduit de projets et estiment que leur préparation n’est pas satisfaisante. Ils attendent des jeunes pousses qu’elles leur fournissent des plans d’affaires et des modèles commerciaux convaincants. Ce dernier point est également sensible dans d’autres domaines. On peut appliquer ici la règle selon laquelle le risque des investisseurs augmente lorsque s’accroissent les exigences envers la jeune pousse et que s’allonge la période qui précède une réelle réussite à l’exportation. Les entreprises qui se lancent dans le domaine des technologies propres se heurtent encore à une autre difficulté lors de la constitution de capital: elles ont souvent besoin d’investir davantage pour construire une installation pilote que, par exemple, si elles évoluaient dans les TIC. Les jeunes pousses actives dans des branches qui demandent une longue phase de lancement, pour des raisons technologiques ou de marketing, font courir un risque élevé aux «business angels»: en effet, le capital-risque intervenant tardivement, le potentiel de rendement pour les investisseurs de la phase initiale diminue. Cela constitue un obstacle supplémentaire à la recherche de financements pour la phase initiale. À l’inverse, les SCR nentrent en matière que si les montants dépassent ceux nécessaires aux jeunes pousses; autrement, lopération ne serait pas rentables au regard des frais de vérification préalable et d’administration. Les SCR vivant des commissions de gestion (2 à 3% du montant investi), un fonds important ne peut effectuer de petits investissements sans subir des frais administratifs démesurés. Il peut donc y avoir un besoin de financement situé entre les fonds apportés par les amis et la famille et ceux des SCR que, pour des raisons structurelles, même les «business angels» ne peuvent couvrir. On rencontre maintenant des «super angels» ou des «sociétés d’investissement de type angel» qui commencent à s’intéresser à ce besoin intermédiaire de financement. Les investisseurs constatent par ailleurs que les jeunes entreprises suisses manquent de courage; elles ne pensent pas suffisamment en termes de croissance et font preuve de beaucoup trop de modestie. Elles oublient par exemple le potentiel des marchés étrangers; une idée en soi très bonne mais qui n’est souvent pas du tout prise en compte. Par ailleurs, l’un des plus grands problèmes des technologies propres est le fait que les applications dépendent souvent pour le meilleur et pour le pire des législations nationales: pas de catalyseur sans réglementation sur les gaz d’échappement, pas de solution novatrice dans l’électricité sans rétribution du courant injecté. Une fois en application, ces dispositions légales peuvent constituer de remarquables marchés de niche, mais il s’écoule souvent beaucoup trop de temps jusqu’à leur entrée en vigueur. Il faut aussi tenir compte des prix de l’énergie qui sont un facteur d’incertitude, dépendant du contexte. Les conditions-cadres dans le domaine des technologies propres sont ainsi moins favorables et mesurables (prévisibles) que dans le domaine des sciences de la vie.

Comparaison avec l’étranger


Si l’on regarde ce qui se passe chez nos voisins européens, on constate que les fondateurs d’entreprise y trouvent une large palette de soutien qui prévoit non seulement la constitution de capital-risque, mais aussi le financement dans la phase initiale. Par exemple le fonds destiné aux créateurs de haute technologie, alimenté en commun par le gouvernement fédéral allemand et plusieurs grandes entreprises. Doté de 272 millions d’euros, il pourvoit en capital-risque de jeunes et talentueuses entreprises du domaine de la technologie qui mettent en pratique les résultats prometteurs de la recherche. À l’aide d’un financement d’amorçage («seed») pouvant atteindre 500 000 euros, les jeunes pousses peuvent mener leurs projets en R&D jusqu’à la mise en place d’un prototype ou d’une démonstration de faisabilité ou encore jusqu’à la mise sur le marché. En Suisse, on a renoncé pour des raisons institutionnelles à mettre sur pied de telles offres dans la phase initiale. Le financement passe par l’économie de marché, car l’on estime que seuls des entrepreneurs, des fondateurs et des investisseurs, peuvent évaluer les risques avec pertinence. On évite ainsi toute intervention étatique à mauvais escient. Ceci n’exclut, toutefois, ni les mesures visant à améliorer la transparence ni les offres de formation et de suivi, telles qu’elles sont organisées au niveau fédéral depuis 1996 avec un grand succès par l’agence pour la promotion de l’innovation CTI (voir encadré 1 Il s’agit essentiellement d’améliorer les connaissances, principalement des futurs ingénieurs, sur les possibilités d’encouragement des jeunes pousses et sur les exigences requises pour la commercialisation des bonnes idées. Aujourd’hui, on dispose déjà d’instruments de formation adéquats avec l’initiative venturelab.). Sur les plus de 1800 projets examinés par des experts chevronnés depuis 1996, 200 jeunes pousses ont reçu le label convoité de CTI Start-up. 85% d’entre elles sont encore en activité, un succès très nettement supérieur à la moyenne, qui est aussi reconnu par le marché, puisque ces entreprises primées parviennent chaque année à attirer plus de 200 millions de francs de capital-risque.

Conclusion


Les différences relevées dans les possibilités de financement des jeunes pousses, selon la technologie et la branche d’activité, plaident pour quon accorde une attention particulière à certains domaines comme celui des technologies propres, surtout en raison de leur rôle important dans la société.

Graphique 1 «Phases entrepreneuriales et de financement des jeunes entreprises»

Graphique 2 «Possibilités de soutien de la CTI dans les phases de développement d’une jeune entreprise»

Encadré 1 «L’état et la promotion de l’innovation: l’exemple des technologies propres» Quelles possibilités l’État a-t-il d’améliorer les chances de succès des jeunes pousses, comme celles qui évoluent dans le domaine des technologies propres? On trouvera ci-après un aperçu des possibilités d’action, vues par l’agence pour la promotion de l’innovation CTI.

Formation des ingénieurs dans le domaine jeunes pousses/entreprises:

Il s’agit essentiellement d’améliorer les connaissances, principalement des futurs ingénieurs, sur les possibilités d’encouragement des jeunes pousses et sur les exigences requises pour la commercialisation des bonnes idées. Aujourd’hui, on dispose déjà d’instruments de formation adéquats avec l’initiative venturelab.

Prestations de suivi et remise du label CTI:

L’agence pour la promotion de l’innovation CTI propose depuis plusieurs années un suivi très performant aux jeunes entreprises, notamment par la remise du label CTI si elles remplissent les conditions fixées. Celui-ci peut aider les jeunes pousses prometteuses à obtenir des capitaux propres ou étrangers supplémentaires.

Utilisation des réseaux existants:

De nombreuses plates-formes et réseaux ont vu le jour ces dernières années en Suisse, y com- pris dans le domaine des technologies propres. Il faut promouvoir les meilleurs projets sur ces plates-formes et dans ces réseaux et les présenter dans des foires et conférences spécialisées.

Amélioration de la transparence pour les jeunes pousses et les investisseurs:

La première priorité consiste à renforcer l’adéquation entre les jeunes pousses et les investisseurs. Il faut pour cela améliorer les informations et accroître la transparence en ce qui concerne les idées de projets à disposition et les sources possibles d’investissement. On pourrait envisager d’organiser des présentations des projets auprès des investisseurs et de renforcer la participation des jeunes pousses aux principaux concours de plans d’affaires en Suisse, comme De Vigier, Venture 2010, Venturekick et IMD. On pourrait aussi les inciter à recourir plus souvent à la plate-forme des investisseurs CTI Invest lorsqu’elles sont en phase de constitution du capital.

Installations pilotes:

Comme la jeune entreprise doit effectuer une forte percée sur le marché, elle doit aussi répondre à davantage d’exigences dans le domaine des installations pilotes, des produits pilotes, des preuves de compatibilité des systèmes et de respect des normes internationales. Beaucoup de jeunes entreprises ne peuvent satisfaire elles-mêmes à ces prestations nécessaires à l’implantation sur le marché ou les faire financer par des investisseurs. Dans la mesure où les installations pilotes présentent un rapport avec la science, on pourrait envisager une aide à leur élaboration de la part des hautes écoles. Le financement devrait dans ce cas être garanti par l’état dans son programme de promotion de l’innovation, à la condition qu’une nouvelle base légale soit créée.

Plates-formes export:

Pour encourager la création d’une chaîne complète de valeur ajoutée, de la recherche jusqu’à la commercialisation des produits sur les marchés globaux, l’état dispose d’un instrument efficace: les plates-formes export, nouvellement créées par l’Osec et le Seco. Celles-ci fonctionnent aussi dans le domaine des technologies propres et facilitent la tâche des jeunes pousses et des jeunes entreprises qui veulent promouvoir leurs produits sur des marchés étrangers.

Les mesures décrites ici ont un caractère subsidiaire. Elles montrent néanmoins que l’état, par des mesures visant à encourager l’information et la transparence, peut grandement contribuer à une meilleure réussite des projets émanant des jeunes pousses.

Proposition de citation: Ingrid Kissling-Naef ; Andreas Reuter-Hofer ; (2009). Phase initiale et constitution du capital-risque des jeunes pousses actives dans le domaine technologique. La Vie économique, 01 novembre.