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Le protectionnisme commercial et la crise mondiale

Le protectionnisme commercial et la crise mondiale

Même si l’économie mondiale donne aujourd’hui des signes d’amélioration, la planète est toujours en récession et le niveau du commerce mondial demeure bien inférieur à ce qu’il était en 2008. Les récessions et ralentissements d’échanges commerciaux que l’on a connus par le passé se sont toujours accompagnés d’une résurgence des mesures protectionnistes. La crise actuelle ne fait pas exception à cette règle. Des tendances protectionnistes se sont déjà manifestées récemment et s’accentueront au fur et à mesure que la récession s’aggrave. Certes, ce n’est plus le protectionnisme des années trente. Les mesures gouvernementales prises pour combattre la crise ont souvent fait appel au protectionnisme sous de nouvelles formes; bien que plus discrètes, elles n’en portent pas moins préjudice, même de manière subtile, aux entreprises, travailleurs et investisseurs étrangers. De même, le recours au parapluie légal de l’OMS, sous la forme des mesures antidumping, par exemple, a vivement progressé.

Un certain nombre d’organisations ont commencé à traquer les mesures protectionnistes prises à la faveur de la crise. L’une d’elles est l’initiative suisse «Global Trade Alert (GTA)», qui a été lancée le 8 juin 2009 à l’université de Saint-Gall par le Pr Simon Evenett. Constituée d’un réseau mondial de spécialistes des échanges commerciaux, l’équipe GTA a enquêté sur plus de 400 cas d’interventions étatiques susceptibles d’affecter les échanges extérieurs. Leur éventail va des trains de mesures publiques de large portée ayant de nombreuses implications pour la politique commerciale et d’investissement aux majorations tarifaires frappant certaines lignes de produits. Ces enquêtes ont démontré l’apparition d’un protectionnisme en période de crise. Il est également clair que les dirigeants du G20 n’honorent guère leur promesse de ne pas recourir au protectionnisme, qu’ils réitèrent à chaque sommet.

Le fléau protectionnisme est toujours en mouvement


L’une des découvertes les plus importantes de GTA est que les tendances protectionnistes n’ont rien perdu de leur vigueur. À chaque trimestre de 2009, les gouvernements ont lancé en moyenne une septantaine d’initiatives comportant des mesures qui discriminent presque à coup sûr des intérêts étrangers. À l’échelle mondiale, sur les 280 initiatives d’État mises en oeuvre depuis novembre 2008, pas moins de 192 ont avantagé les intérêts commerciaux domestiques aux détriment de ceux de l’extérieur ou introduit des éléments discriminatoires envers les étrangers. Quarante-huit autres sont suspectes et probablement discriminatoires à l’égard d’un certain nombre d’intérêts commerciaux étrangers. Pour autant, il serait faux de croire que chacune des initiatives gouvernementales étudiées par GTA s’est révélée protectionniste. Dans 40 cas, l’équipe a conclu à des mesures étatiques qui soit libéralisent les échanges internationaux, soit améliorent la transparence d’un régime commercial, soit restent neutres à l’égard des entreprises étrangères. Nombreuses, par exemple, sont les autorités budgétaires d’économies d’Afrique sub-saharienne qui ont introduit des réductions tarifaires sur les importations d’équipements, de pièces de rechange et de composants. De plus, à onze occasions, des gouvernements ont pris des mesures unilatérales visant à assouplir les restrictions frappant les investisseurs étrangers. Dans l’ensemble, l’impression qui domine est celle de gouvernements inclinant au protectionnisme. À l’échelle planétaire, le nombre des mesures discriminatoires qui ont été appliquées dépasse d’un facteur cinq celui des mesures de libéralisation. De nombreuses mesures supplémentaires sont également en réserve. GTA s’intéresse aussi aux mesures annoncées mais pas encore mises en oeuvre. Sur les 140 qu’elle a repérées dans cette catégorie, plus de 100 vont certainement se traduire par une discrimination d’intérêts commerciaux étrangers lorsqu’elles se concrétiseront.

Les violations en série des engagements du G20


L’un des constats les plus décourageants peut-être du dernier rapport de GTA a trait aux actes des gouvernements composant le G20. Les pays qui le composent ont mis en oeuvre 172 initiatives publiques qui ont été passées en revue et intégrées à la base de données de GTA. Sur ce total, il s’en est trouvé 121 qui faussaient les règles du jeu au détriment d’intérêts commerciaux étrangers. Seules 23 d’entre elles portaient sur des droits anti-dumping et compensatoires, de même que sur des investigations de sauvegarde, ce qui témoigne d’un recours abondant à d’autres moyens pour fermer les frontières. Compte tenu du fait que quelque 300 jours se sont écoulés depuis le premier sommet de crise du G20 à Washington, on peut donc en conclure qu’en moyenne, tous les trois jours, un membre du G20 a violé son engagement à ne pas recourir au protectionnisme. Dans le rapport GTA, aucune statistique ne met plus clairement en évidence l’absence actuelle de leadership mondial en matière de protectionnisme. Parce que les actions protectionnistes peuvent affecter toute une série de produits, de secteurs et de partenaires commerciaux, il n’existe aucun moyen d’identifier les pays qui pèchent le plus. On constate néanmoins qu’au regard du nombre de mesures nocives mises en oeuvre, ou de lignes tarifaires, secteurs ou partenaires commerciaux affectés, l’Indonésie – qui fait partie du G20! – apparaît régulièrement parmi les cinq pays affichant les plus mauvais scores. À la lumière de chacun de ces quatre critères, la Chine et la Russie font toujours partie des dix pays les plus sérieusement en défaut. Enfin, pour trois des quatre indicateurs en question, l’Allemagne et l’Inde se classent parmi les dix pires contrevenants. L’Ukraine a le douteux privilège d’élever des barrières commerciales contre la plupart des lignes tarifaires (60% de toutes les catégories de produits). L’Algérie est le pays qui pénalise le plus de secteurs économiques; la Chine est celui qui inflige du tort au plus grand nombre de partenaires commerciaux (163). Dix nations, parmi lesquelles six pays industrialisés (Royaume-Uni, États-Unis, Allemagne, Espagne, France et Pologne), ont pris des mesures restrictives qui ont porté atteinte au minimum à 100 de leurs partenaires commerciaux. Sur les 18 nations figurant dans nos quatre classements des dix contrevenants les plus importants, 12 se sont engagés avec le G20 à ne pas recourir au protectionnisme: Russie, Allemagne, Inde, Indonésie, Italie, Royaume-Uni, Chine, Argentine, Japon, États-Unis, Mexique et France.

Que faire?


Jusqu’à présent, le G20 est resté très discret en ce qui concerne la progression du protectionnisme. Ses membres devraient donc envisager des mesures plus substantielles. Plutôt que de se contenter de répéter des promesses vides de sens par lesquelles ils s’engagent à conclure le cycle de Doha, les chefs du G20 devraient émettre immédiatement des signaux puissants envers les forces protectionnistes. À ce titre, priorité devrait être accordée à deux initiatives. La première consiste à vider le réservoir protectionniste et ne plus le laisser se remplir. Nous proposons que chaque membre du G20 s’engage à publier puis à réexaminer toutes ses initiatives économiques majeures prévues pour les 12 prochains mois. Les objectifs clairement discriminatoires devraient être désavoués. Lorsqu’une initiative planifiée poursuit un but bienveillant, le membre du G20 qui en est responsable devrait vérifier publiquement que les moyens choisis remplissent les buts fixés au coût le moins élevé possible pour ses partenaires commerciaux. La seconde initiative propose de revoir et d’éliminer les mesures de distorsions commerciales identifiées par de grandes opérations de contrôles. Nous exhortons aussi chaque membre du G20 à procéder à une révision semestrielle de tous ses programmes économiques et financiers étroitement liés à la crise, ainsi que des initiatives de politique commerciale qu’il a mises en oeuvre depuis le premier sommet du G20. Chacune de ces révisions devrait: – vérifier si l’initiative en question est toujours nécessaire;  – déterminer si l’ensemble des mesures prises est nécessaire pour atteindre les buts de l’initiative;  – vérifier dans quelle mesure les mesures prises peuvent être remplacées par d’autres, capables d’atteindre les mêmes buts mais à un moindre coût pour les partenaires commerciaux;  – se fonder sur les meilleures pratiques internationales, quand elles existent; – être documentée et raisonnée;  – être publiée sur le site Internet du G20. Tout réexamen d’une initiative publique déboucherait sur la décision soit de la supprimer, soit de la maintenir en sa forme actuelle (après avoir montré que ses buts peuvent ainsi être atteints à moindre coût), soit encore de la maintenir, mais en remplaçant les moyens occasionnant le plus de distorsions commerciales par de meilleures pratiques en ce domaine. De tels réexamens pourraient favoriser les évaluations sereines, factuelles et transparentes des initiatives d’État qui, sans cela, risquent de se confondre avec une démarche de politique nationale, conçue dans l’affolement, et appliquée comme telle. Ainsi, le fait de régler certains des dommages engendrés par la crise permettrait de soutenir les partenaires commerciaux de chaque État et, finalement, toute l’économie mondiale.

Proposition de citation: Richard Baldwin (2009). Le protectionnisme commercial et la crise mondiale. La Vie économique, 01 décembre.