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Les scénarios climatiques du Giec et de l’AIE

Les scénarios climatiques du Giec et de l'AIE

Pour le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), le réchauffement est sans équivoque, il résulte surtout des émissions anthropiques de gaz à effet de serre (GES) et il requiert d’ici 2020-2030 des actions décisives pour les stabiliser puis les réduire. Autrement, la capacité d’adaptation des systèmes naturels, aménagés et humains risque d’être dépassée. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime aussi que l’évolution actuelle n’est pas durable. Il est donc crucial que les négociations sur le climat débouchent sur une action urgente, vigoureuse et coordonnée contre le réchauffement, à l’image des scénarios de stabilisation des GES que propose l’AIE.

Problématique


Du 7 au 18 décembre 2009, la 15e session de la Conférence des parties à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques réunira à Copenhague les représentants des 192 États signataires du protocole de Kyoto. Celui-ci arrive à échéance en 2012 et il s’agit de fixer de nouveaux objectifs de réduction des GES à l’horizon 2020 et 2050. La majorité des pays souhaitent contenir la hausse moyenne de la température à la surface du globe à 2° C par rapport à l’époque préindustrielle. Or, seuls les scénarios de stabilisation des concentrations de GES les plus ambitieux du Giec permettraient de ne pas dépasser ce seuil. Ceux-ci exigent des actions immédiates. En effet, plus les mesures de réduction des émissions de GES attendront, plus elles seront coûteuses et techniquement exigeantes. À Copenhague, il s’agira de convaincre le plus grand nombre possible de pays d’agir, chacun selon ses possibilités et indépendamment de sa taille. C’est non seulement la préservation du climat qui est en jeu mais également l’épuisement des réserves d’hydrocarbures et la sécurité d’approvisionnement des pays consommateurs d’énergie.

Objectifs du Giec


Créé en 1988 sous l’égide de l’ONU, le Giec est chargé d’expertiser les informations scientifiques, techniques et socio-économiques qui concernent les changements climatiques d’origine anthropique, afin d’appréhender les risques qui en découlent, leurs conséquences et les possibilités de les atténuer ou de s’y adapter. Au moment de sa publication, chaque rapport du Giec résume la connaissance des scientifiques du monde entier en matière de climat. Quatre rapports exhaustifs – le 3e publié (TRE) en 2001 et le 4e (RE4 Rapport de synthèse RE4 du Giec: www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/RE4/syr/RE4_syr_fr.pdf.) en 2007 – ont été produits jusqu’ici. Chacun a servi de base à l’avancement des négociations qui se déroulent sous l’égide de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. Le prochain rapport (RE5) est annoncé pour 2014.

Scénarios de référence du Giec contre scénarios d’atténuation/stabilisation


Les futures émissions de GES dépendent d’une foule de facteurs qui interagissent de façon extrêmement complexe. C’est pourquoi les spécialistes élaborent des scénarios pour décrire et analyser diverses «images» possibles du futur, évaluer l’impact des différents facteurs sur les émissions de GES et étudier les possibilités d’atténuation ou d’adaptation. C’est en 1992 que le Giec a proposé les premiers scénarios globaux, avec des perspectives d’émissions pour l’ensemble des GES (IS92). Une nouvelle palette a suivi en 1996 (RSSE Rapport spécial du Giec sur les scénarios d’émissions: www.ipcc.ch/pdf/special-reports/spm/rsse-fr.pdf.). Ces scénarios ne fournissent ni prédictions, ni projections. Ils décrivent de façon aussi plausible que possible comment le climat est susceptible d’évoluer au XXIe siècle en fonctions d’hypothèses clairement définies (évolution démographique, développement économique et social, progrès technologique). Ils excluent toutes politiques nouvelles visant explicitement à freiner la hausse des températures, d’où leur nom de scénarios d’émissions ou de référence. Si certaines conséquences des changements climatiques apparaissent inéluctables, le Giec estime probable qu’à long terme «la capacité d’adaptation des systèmes naturels, aménagés et humains sera dépassée» si rien n’est entrepris pour freiner le réchauffement; la sensibilité du climat aux GES constitue un facteur d’aggravation supplémentaire du phénomène (voir

encadré 1
L’évolution du climat résulte des changements des différents facteurs qui influencent la température moyenne à la surface de la planète. Si la concentration atmosphérique en CO2 double (puis se stabilise), la température moyenne à la surface du globe va augmenter et s’équilibrer quelques degrés au-dessus du niveau précédent. Le Giec définit ce réchauffement comme la sensibilité du climat à l’équilibre. Elle se situe entre 2° C et 4,5° C, compte tenu des mécanismes de rétroaction entre facteurs climatiques (voir partie droite du graphique 1). La valeur considérée la plus probable avoisine 3° C. Le Giec estime très improbable une sensibilité du climat inférieure à 1,5° C (toujours pour un doublement de la concentration en CO2).). Il faut relever que même si l’on parvient à réduire les concentrations de GES, l’inertie des systèmes climatiques et socio-économiques fait que le réchauffement à la surface du globe et l’élévation du niveau des mers par dilatation thermique se poursuivront pendant des décennies, voire même des siècles.  Pour lutter contre le réchauffement, le Giec propose des scénarios d’atténuation des émissions de GES. On parle également de scénarios de stabilisation dans la mesure où l’objectif à atteindre est prédéfini: il s’agit autrement dit de parvenir à l’échéance (par exemple 2100) à une concentration donnée en CO2 ou en GES exprimée en parties par million (ppm). À l’aide de modèles mathématiques, on calcule pour chaque année précédant l’échéance le volume d’émissions de GES qui permet d’atteindre l’objectif. On obtient ainsi des courbes d’émissions. Entre le TRE de 2001 et le RE4 de 2007, les techniques de modélisation des émissions de GES se sont nettement améliorées, ce qui a permis d’estimer plus précisément le potentiel d’atténuation non seulement des émissions de CO2 mais de tous les GES importants. Alors que dans le TRE, l’objectif le plus bas de concentration de CO2 dans l’atmosphère à atteindre vers la fin du XXIe siècle était de 450 ppm, le rapport RE4 présente deux nouvelles catégories de scénarios (I et II) avec des objectifs de stabilisation de respectivement 380 et 420 ppm pour le CO2 et 450 et 500 ppm d’équivalent CO2 pour l’ensemble des GES (voir graphique 1). La catégorie de scénarios III correspond à l’objectif le plus bas du TRE (stabilisation à 450 ppm de la concentration de CO2 et à 550 ppm d’équivalent CO2 pour l’ensemble des GES). La partie droite du graphique 1 illustre pour les six catégories de scénarios du RE4 les niveaux de concentration de GES et le réchauffement attendu à l’équilibre par rapport à l’époque préindustrielle. Il en ressort que seule la catégorie I des scénarios de stabilisation permettrait de limiter à 2° C la hausse moyenne de la température à l’équilibre à la surface du globe. Avec les scénarios III à VI, le réchauffement irait de 3 à 6° C environ, selon la sensibilité du climat la plus probable (courbe bleu foncé). Pour stabiliser la concentration en CO2 vers 2100 à environ 380 ppm et celle des GES à 450 ppm (ce qui correspond aux valeurs actuelles), comme l’envisagent les scénarios de la catégorie I, les émissions mondiales de CO2 devraient culminer au plus tard en 2015 et reculer de 50 à 80% d’ici 2050, par rapport à 2000.

Mise en question des thèses du Giec


Même si la grande majorité des scientifiques se rangent au côté du Giec, des voix discordantes s’élèvent, notamment au sein du Nongovernmental International Panel on Climate Change et de l’Oregon Institute of Science and Medicine. Ces prises de positions entretiennent le doute parmi la population quant à la validité des thèses du Giec et à l’urgence des mesures à prendre. Si d’autres critiques ne contestent pas la thèse du réchauffement climatique et son origine anthropique, en revanche ils dénoncent le rapport coûts/bénéfices des moyens de lutte proposés par le groupe d’experts. Pour masquer les effets du réchauffement, le Consensus de Copenhague suggère de recourir à la géo-ingénierie (voir

encadré 2
La plupart des techniques de géo-ingénierie en sont encore au stade embryonnaire. Si certaines apparaissent économiquement viables, toutes présentent des incertitudes ou des dangers importants. On distingue deux techniques principales: le prélèvement du CO2 dans l’air ambiant (carbone dioxide removal, CDR) et la gestion du rayonnement solaire (solar radiation management, SRM). Le CDR présente le moins de risques, mais le captage du CO2 fait appel à des techniques encore hypothétiques et chères, et son stockage à long terme reste controversé. Une technique du SRM consiste à épandre d’énormes quantités de composés soufrés dans la stratosphère, à l’image de ce qui se passe lors des grandes éruptions volcaniques, comme celle du mont Pinatubo en 1991. Or, cette dernière a non seulement provoqué un refroidissement général de l’ordre de 0,6°C sur 2 à 3 ans, mais elle a aussi fortement détruit la couche d’ozone et généré des pluies acides.), une option qui pourrait faire office d’alternative en cas d’échec des pourparlers de Copenhague. Elle comporte toutefois énormément d’incertitudes et de risques, comme l’a rappelé la Royal Society dans une étude publiée début septembre à Londres. Jusqu’ici, les accords internationaux sur le climat (à Rio en 1992 et Kyoto en 1997) n’ont guère eu d’effet sur les émissions de GES, lesquelles ont fortement augmenté au cours des années 2000. Aussi, certains experts estiment que des accords internationaux sur le financement de la recherche et du développement des énergies non fossiles donneraient de meilleurs résultats.

Les scénarios climatiques de l’AIE


Tout comme le Giec, l’AIE estime que le réchauffement climatique constitue un sérieux danger pour l’humanité. Pour l’agence, les tendances actuelles de l’offre et de la demande d’énergie ne sont guère durables. Des mesures urgentes et coordonnées à l’échelle planétaire s’imposent pour réduire les émissions de GES, auxquelles le secteur énergétique contribue à raison de 64% (61% de CO2 et environ 3% de méthane). Dans l’édition 2008 de ses perspectives énergétiques mondiales (World Energy Outlook, WEO World Energy Outlook 2008: www.worldenergyoutlook.org/2008.asp .), l’AIE propose des scénarios climatiques pour l’après-2012 visant à stabiliser la concentration en GES à respectivement 450 et 550 ppm d’équivalents CO2. Ces scénarios sont compatibles avec ceux des catégories I et III du RE4 du Giec (voir graphique 1). Dans un scénario de référence, l’AIE constate tout d’abord qu’en l’absence de politique climatique additionnelle, les besoins énergétiques mondiaux augmenteraient de 45% d’ici 2030, 81% de ce surcroît reposant sur les agents fossiles, une vision qualifiée d’irréaliste par certains critiques, étant donné les réserves limitées en ce domaine. Globalement, les émissions énergétiques de CO2 progresseraient également de 45%. Le scénario 550 ppm réduirait la hausse de la consommation globale d’énergie d’ici 2030 à 32% (9% de moins qu’avec le scénario de référence). Avec le scénario 450 ppm, elle serait ramenée à 22% (16% de moins). Dans le premier cas, la consommation d’énergies fossiles progresserait encore de 23% alors que dans le second, elle serait stabilisée, ce qui, par ailleurs, signifie que même avec le scénario 450 ppm, les agents fossiles couvriraient encore 67% des besoins énergétiques mondiaux en 2030, contre 80% actuellement.

Conditions requises


Les deux scénarios présupposent au cours des prochaines décennies une révolution planétaire touchant l’ensemble de la chaîne énergétique, de la production à l’utilisation finale: développement à l’échelle mondiale des énergies renouvelables, expansion du nucléaire, avènement accéléré du captage et du stockage du CO2 et usage rationnel de l’énergie. Ce dernier reste l’élément clé, puisqu’il représente environ 55% de la réduction des émissions de CO2, par rapport au scénario de référence. C’est bien plus que les quelque 23% attendus des nouvelles énergies renouvelables et des biocarburants. Ces scénarios requièrent la participation des pays extérieurs à l’OCDE. En effet, pour atteindre à eux seuls les objectifs de stabilisation, les membres de cette organisation devraient réduire leurs émissions de CO2 liées à l’énergie de 27% en 2020 par rapport au scénario de référence. En 2030, avec le scénario 550 ppm, ce recul devrait atteindre 58%, alors qu’avec le scénario 450 ppm, l’objectif fixé resterait hors d’atteinte même si les émissions étaient ramenées à zéro. Cela explique l’importance d’un transfert accéléré de technologie et d’une aide financière substantielle pour inciter les pays non membres de l’OCDE à s’associer à l’effort de réduction des émissions de GES. Il s’agit du principal point d’achoppement des négociations sur le climat. Comment en effet répartir entre nations les futurs droits d’émissions de la manière la plus juste possible, compte tenu des besoins d’industrialisation des pays en développement? Quel poids donner aux émissions du passé (responsabilité historique)? Faut-il faire payer en priorité les responsables (principe du pollueur payeur) ou ceux qui en ont le plus les moyens? À y réfléchir de près, les pays industrialisés doivent prendre les mesures les plus draconiennes. Ils en ont les moyens, ils sont largement responsables du réchauffement actuel et surtout, longtemps encore, leurs émissions par habitant continueront de surpasser celles des pays en développement ou en voie d’industrialisation (voir graphique 2).

Coûts et bénéfices


Le scénario 550 ppm nécessite des investissements supplémentaires de l’ordre de 4100 milliards d’USD sur la période 2010 à 2030, ce qui équivaut à 0,25% du produit mondial brut (PMB) ou 17 dollars par habitant de la planète et par an. En contrepartie, les économies d’énergie et la modération des prix des agents fossiles réduiraient les dépenses globales de plus de 7000 milliards d’USD jusqu’en 2030. Le scénario 450 ppm est d’une autre ampleur, avec 9300 milliards d’USD d’investissements supplémentaires (0,55% du PMB ou près de 40 USD par habitant) et 5800 milliards d’USD de gain sur les dépenses globales en énergie. À noter encore que les deux scénarios accroîtraient la sécurité d’approvisionnement des pays consommateurs, qu’ils diminueraient leur vulnérabilité face aux fluctuations de prix et qu’ils réduiraient la pollution.

Possibilités de mise en oeuvre


Pour l’AIE, une réduction massive des émissions globales de GES n’est envisageable que si elle s’appuie sur un accord structuré qui règle au niveau international l’adoption et l’application de mécanismes et de mesures efficaces. Les scénarios 450 et 550 ppm requièrent à la fois des règles de politique énergétique au niveau national (bâtiments etc.), des accords sectoriels internationaux (transport, industrie, production d’électricité) et la généralisation des bourses d’échange de droits d’émissions. Par ailleurs, le scénario 450 ppm exigerait l’intervention extrêmement vigoureuse des pouvoirs publics dans tous les pays, des percées technologiques sans précédents et la généralisation du captage et du stockage du CO2. Il n’est donc pas certain qu’il soit réalisable au vu des efforts exigés. Dans le rapport de synthèse RE4, le Giec estime quant à lui que «tous les niveaux de stabilisation analysés pourraient être atteints en déployant un éventail de technologies déjà commercialisées ou qui devraient l’être d’ici quelques décennies». Stabiliser la concentration de GES à 450 ppm exigerait, toutefois, de faire de la protection du climat une priorité mondiale.

Graphique 1 «Augmentation des émissions de CO2 et de la température à l’équilibre selon divers niveaux de stabilisation»

Graphique 2 «Émissions de CO2 par régions du monde: total (gauche) et par habitant (droite)»

Encadré 1: Sensibilité du climat
L’évolution du climat résulte des changements des différents facteurs qui influencent la température moyenne à la surface de la planète. Si la concentration atmosphérique en CO2 double (puis se stabilise), la température moyenne à la surface du globe va augmenter et s’équilibrer quelques degrés au-dessus du niveau précédent. Le Giec définit ce réchauffement comme la sensibilité du climat à l’équilibre. Elle se situe entre 2° C et 4,5° C, compte tenu des mécanismes de rétroaction entre facteurs climatiques (voir partie droite du graphique 1). La valeur considérée la plus probable avoisine 3° C. Le Giec estime très improbable une sensibilité du climat inférieure à 1,5° C (toujours pour un doublement de la concentration en CO2).

Encadré 2: Géo-ingénierie contre le réchauffement climatique
La plupart des techniques de géo-ingénierie en sont encore au stade embryonnaire. Si certaines apparaissent économiquement viables, toutes présentent des incertitudes ou des dangers importants. On distingue deux techniques principales: le prélèvement du CO2 dans l’air ambiant (carbone dioxide removal, CDR) et la gestion du rayonnement solaire (solar radiation management, SRM). Le CDR présente le moins de risques, mais le captage du CO2 fait appel à des techniques encore hypothétiques et chères, et son stockage à long terme reste controversé. Une technique du SRM consiste à épandre d’énormes quantités de composés soufrés dans la stratosphère, à l’image de ce qui se passe lors des grandes éruptions volcaniques, comme celle du mont Pinatubo en 1991. Or, cette dernière a non seulement provoqué un refroidissement général de l’ordre de 0,6°C sur 2 à 3 ans, mais elle a aussi fortement détruit la couche d’ozone et généré des pluies acides.

Encadré 3: World Energy Outlook 2009
Le 10 novembre, l’AIE a publié ses perspectives énergétiques pour 2009a. Le scénario de référence a été mis à jour afin d’y intégrer les effets de la crise économique. Grâce à elle, les efforts nécessaires pour atteindre les objectifs du scénario 450 ppm, en termes de consommation d’énergies fossiles et d’émissions de CO2, diminuent de quelque 5% par rapport aux perspectives du WEO 2008. Les coûts nets de ce scénario s’en trouvent également réduits.

Proposition de citation: Vincent Beuret (2009). Les scénarios climatiques du Giec et de l’AIE. La Vie économique, 01 décembre.