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Les enjeux de Copenhague

En fin d’année, la communauté internationale se réunira à Copenhague pour définir la politique climatique de demain. Son efficacité dans la lutte contre le changement climatique déterminera notre avenir face au problème que soulève l’effet de serre planétaire. Les dommages que le changement climatique occasionne à l’environnement, à l’économie et à la société sont déjà sensibles aujourd’hui et continueront de s’aggraver sans une réponse de portée mondiale. Il n’existe pas pour l’heure de solution de rechange valable – pas de plan B – à l’instauration d’un régime climatique efficace et équitable. Pour faire de Copenhague le point de départ d’une action résolue et bien ciblée de la communauté des États contre la dégradation du climat, des progrès supplémentaires sont cependant nécessaires, qui devront être obtenus à l’issue de négociations portant sur une série de questions essentielles.

Quel est l’objectif de Copenhague?


La communauté internationale réunie à Bali en 2007 s’était fixé comme but d’adopter à la fin 2009, à l’issue de la 15e Conférence des États parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCUNCC ou Convention sur le climat), un nouveau «régime climatique mondial». Il s’agissait de mettre en place, au plan international, une base réglementaire suffisamment efficace pour stabiliser la concentration atmosphérique en gaz à effets de serre (GES) à un niveau tel qu’il ne constitue plus un risque significatif de perturbation an-thropique du système climatique. La nouvelle convention offrira une réglementation qui prolongera le protocole de Kyoto, dont la première phase d’engagements contraignants expire fin 2012, et élargira dans le même temps le champ d’application de la convention climatique (voir encadré 1 La première pierre d’une politique climatique concertée au niveau international a été posée en 1992 avec la signature de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Ratifiée par 192 États, elle vise à stabiliser la concentration de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère à un niveau susceptible d’empêcher une perturbation anthropique dangereuse du climat.La première mesure pour atteindre cet objectif fut prise en 1997 avec la signature du protocole de Kyoto fixant des objectifs contraignants de réduction des émissions de gaz polluant des pays industrialisés pour la période comprise entre 2008 et 2012. Ce protocole a été ratifié par 189 pays, de nombreux autres restant à la traîne dont les États-Unis. Globalement, les pays industrialisés se sont engagés à réduire d’ici 2012 les émissions de gaz à effet de serre de 5,2% en moyenne par rapport aux niveaux de 1990. La Suisse avait pris l’engagement de réduire de 8% en moyenne par rapport à 1990 ses émissions de GES entre 2008 et 2012. Le plan d’action de Bali, adopté en décembre 2007 afin d’améliorer la mise en oeuvre de la convention-cadre sur les changements climatiques, sert de fondement à un nouveau régime climatique mondial. Selon cet accord, celui-ci devra reposer sur quatre piliers: des mesures de réduction des émissions de CO2, des mesures d’adaptation, un soutien financier et le transfert de technologies vers les pays en développement.). Pour éviter que le changement climatique ne provoque des dommages irréversibles, les scientifiques recommandent de limiter à + 2°C au maximum l’augmentation de la température mondiale par rapport à l’époque préindustrielle. De nombreux pays, dont la Suisse, voient dans cet objectif un élément majeur du futur régime climatique. Pour y parvenir, il faudrait réduire d’ici 2050 les émissions de 50 à 85% par rapport à 1990, selon les scénarios figurant dans le quatrième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Au vu des projections concernant les tendances mondiales en matière d’émissions (voir graphique 1), une réduction planétaire de cette ampleur apparaît comme un très gros effort de politique climatique. Même en ramenant leurs émissions à zéro, les pays industrialisés seraient incapables d’atteindre seuls les objectifs fixés en matière de réduction. Le problème du réchauffement climatique ne peut être résolu que si les grands pays émergents et en développement limitent eux aussi leurs émissions et parviennent à les réduire à long terme. À cet égard, la Chine, l’Inde et le Brésil jouent un très grand rôle. L’un des principaux défis que pose la mise en oeuvre d’un régime climatique efficace consiste donc à associer les pays émergents et en développement aux efforts de réduction tout en évitant que ces efforts ne contrarient leur développement économique, et donc la lutte contre la pauvreté à l’intérieur de leurs frontières. Compte tenu des capacités financières restreintes des pays en développement, de leur manque de ressources technologiques, de leur vulnérabilité aux conséquences du changement climatique et de leur dé-pendance à l’égard des agents énergétiques fossiles, il est indispensable, pour assurer un régime climatique à la fois efficace et équitable, de mettre sur pied un mécanisme international de transfert qui soutienne leurs efforts d’adaptation et de réduction des émissions. Dans ce contexte, les négociations climatiques se heurtent à des défis qui se résument aux questions suivantes: – quels objectifs en matière de réduction des émissions les pays industrialisés retiennent-ils et comment se répartissent-ils l’effort commun? – quels efforts de réduction les pays en développement entreprennent-ils? – quel soutien financier les pays en développement reçoivent-ils pour leurs mesures de réduction et d’adaptation au changement climatique? – comment les pays contributeurs se partagent-ils le soutien financier?  Hormis ces points de discussion majeurs, il en existe de nombreux autres également importants, tels les mesures d’adaptation au changement climatique (voir encadré 2 Certaines conséquences du changement climatique sont désormais inévitables et déjà perceptibles, comme le recul des glaciers en Suisse. Toute réponse efficace à ce problème doit passer à la fois par une atténuation des émissions de gaz à effet de serre (afin d’éviter l’ingérable) et par un processus d’adaptation (afin de gérer l’inévitable). Du fait de leur situation géographique et des ressources limitées dont ils disposent pour engager des mesures d’adaptation, de nombreux pays en développement et des États insulaires sont très exposés aux changements climatiques et en partie menacés dans leur existence, alors même que leurs faibles émissions ne contribuent guère au réchauffement climatique.Il est dès lors très important, pour faire avancer les négociations, que les parties parviennent à s’entendre sur les mesures d’adaptation nécessaires. La question du soutien financier et technologique aux efforts d’adaptation entrepris par les pays en développement constituera un élément central de l’accord. Simultanément, de telles adaptations exigent de prendre en considération la maîtrise et le transfert des risques. Il s’agit notamment d’élaborer des stratégies d’adaptation nationales et régionales, des instruments méthodologiques (par exemple un système d’alerte précoce coordonné) ainsi que des possibilités d’assurance. Dans la lutte contre le changement climatique, les mesures de réduction des émissions et d’adaptation sont les deux faces d’une même monnaie. Un régime climatique global présuppose un consensus international et un engagement mondial pour accomplir cette double tâche, car tous les pays sont à la fois pollueurs et vulnérables, bien que dans une mesure variable.) et le transfert de technologies environnementales, les mesures de lutte contre la déforestation et la dégradation des forêts tropicales, la prise en compte des puits de CO2 dans les forêts et les sols, enfin le perfectionnement des mécanismes de négoce des droits d’émission, y compris du mécanisme de développement propre (MDP).

Les défis de Copenhague


Pour trouver des terrains d’entente sur ces questions-clés, de nombreuses difficultés restent à surmonter à Copenhague.

Comment parvenir à fixer un objectif de réduction efficace dans les pays industrialisés?


Il est incontestable que les pays industrialisés doivent prendre la tête du combat contre le changement climatique. Un premier pas a été accompli dans ce sens avec le protocole de Kyoto, qui soumet ces pays à des impératifs de réduction. Sa première phase d’engagement arrivant à échéance fin 2012, il s’agit à présent de fixer de nouveaux objectifs de réduction pour les pays industrialisés. Selon les scénarios du Giec, pour limiter l’augmentation moyenne de la température à 2°C, les pays industrialisés doivent réduire leurs émissions de 25 à 40% d’ici 2020 par rapport à 1990 et de 80 à 95% d’ici 2050. Or, les objectifs nationaux de réduction annoncés jusqu’ici par les pays qui ont ratifié le protocole de Kyoto (les États-Unis étant donc exclus) se situent nettement au-dessous de cette fourchette. Selon des estimations du Secrétariat de la CCNUCC, ils correspondraient actuellement à une réduction moyenne générale de 15% à 23% des émissions jusqu’en 2020 par rapport à 1990 L’étendue de cette fourchette s’explique notamment par le fait que de nombreux pays, dont la Suisse, se réservent une marge de manoeuvre à l’égard de leurs objectifs de réduction des émissions. Autrement dit, ils subordonnent leur engagement concret en matière de réduction à la possibilité de conclure un accord satisfaisant.. Pour qu’un accord valable soit conclu, il faut que les pays industrialisés s’engagent en faveur d’objectifs de réduction d’émissions aussi élevés et efficaces que possible. La fourchette des réductions nécessaires calculée par le Giec devrait servir de ligne directrice pour atteindre l’objectif général de réduction fixé pour les pays industrialisés jusqu’en 2020. Les ambitions affichées par les pays industrialisés représenteraient aussi un signal favorable à l’engagement des pays émergents et en développement. Ceux-ci critiquent, en effet, le manque de volonté des pays industrialisés d’assumer pleinement leurs objectifs de réduction annoncés, et donc leur leadership décisif et efficace dans la lutte contre le changement climatique. Ils exigent d’eux, d’ici à 2020, un effort global de réduction de 40% par rapport au niveau de 1990. Pour que cet objectif soit atteint, ils proposent que l’on définisse des critères internationaux – en particulier la responsabilité historique des divers pays industrialisés dans la concentration de GES sur la planète – pour fixer la répartition de l’effort de réduction. Un objectif ambitieux de réduction générale pour les pays industrialisés constitue, avec la répartition correspondante de l’effort, un élément crucial du régime climatique planétaire de l’après-2012. Eu égard au niveau des objectifs de réduction annoncés jusqu’ici et à la part de chaque pays dans le total des émissions, il faut s’attendre à ce que la pression se renforce sur ceux à forte intensité d’émissions. À côté de pays comme la Russie et le Canada, l’attention se porte en particulier sur les États-Unis, qui apparaissent comme les grands absents des discussions sur le suivi du Kyoto (voir encadré 3 Les États-Unis ont refusé de signer le protocole de Koyoto et ne sont donc pas contraints d’observer ses objectifs d’ici 2012. La ratification par les États-Unis d’un nouveau protocole se bornant à fixer des objectifs en matière de réduction des émissions de CO2 pour les pays industrialisés est également peu probable. Le deuxième émetteur de gaz à effet de serre du monde (après la Chine) subordonne sa participation au futur régime climatique à l’intégration des grands pays émergents et en développement – en premier lieu la Chine – dans le processus, tant pour des raisons d’efficacité climatique que par souci de préserver la compétitivité de son économie. Pour obtenir un accord efficace, il est pourtant essentiel d’associer les États-Unis au futur régime climatique. De nombreux pays industrialisés conditionnent d’ailleurs leur engagement à celui – substantiel – des États-Unis aussi bien que des économies en développement. La plupart d’entre eux appellent de leurs voeux l’élaboration d’un nouveau traité définissant des objectifs contraignants pour l’après-Kyoto valables désormais aussi bien pour les nations occidentales qui se sont déjà engagées à réduire leurs émissions que pour les États-Unis et les pays en développement. Ces derniers, en revanche, réclament avec véhémence que la suite donnée au protocole de Kyoto sépare clairement les nations industrialisées des pays en développement. L’engagement du gouvernement américain à se fixer des objectifs concrets de réduction des émissions de CO2 serait un facteur de succès très important de la conférence de Copenhague. Outre-Atlantique, les procédures parlementaires nationales relatives au traitement de la loi américaine sur la protection du climat risquent, cependant, d’avoir la priorité sur les négociations internationales. Si les États-Unis ne sont pas prêts à s’engager sur des objectifs de réduction contraignants à Copenhague, les engagements pris par les autres pays industrialisés et l’accord sur l’objectif global de réduction s’en trouveront fragilisés. Cette réaction en chaîne ne donnerait pas le coup de grâce au régime climatique mondial, mais diminuerait les chances de trouver un accord à Copenhague en cette fin d’année.).

Quels efforts de réduction les pays en transition et en développement doivent-ils consentir?


Sans limitation substantielle ni effort de réduction à long terme des émissions de GES de la part des pays émergents et en développement, il ne sera pas possible de stopper le réchauffement climatique. Globalement, ces pays sont d’ores et déjà responsables de plus de la moitié des émissions de GES sur notre planète, avec toutefois un niveau d’émissions par habitant nettement plus bas que dans les pays industrialisés. Il est donc nécessaire de faire en sorte que le futur régime climatique soit la référence en vertu de laquelle les pays émergents et en développement soient également tenus – selon leurs responsabilités et leurs possibilités – de prendre des mesures pour réduire leurs émissions, qui soient adaptées à la situation de chacun. Certains pays émergents ou en développement affichant des niveaux élevés d’émissions – en particulier la Chine – ont déjà annoncé de vastes programmes climatiques nationaux. Le récent rapport de l’AIE montre que de ce point de vue, les plans nationaux peuvent être considérés à certains égards comme très positifs. Ainsi la mise en oeuvre des objectifs de la Chine en matière climatique et énergétique pourrait se traduire par une substantielle réduction des GES qui ferait de ce pays un acteur de première importance dans la lutte contre le réchauffement climatique. L’importance de ce programme et d’autres plans similaires est certes reconnue et saluée par les pays industrialisés. Ils exigent, toutefois, que les programmes climatiques nationaux des pays émergents et en développement s’insèrent formellement et de manière contraignante dans le futur régime climatique international. Les efforts de réduction des émissions des pays en développement ne doivent pas être consentis au détriment de la lutte contre la pauvreté, d’où la proposition que les mesures de réduction tiennent compte du niveau de développement propre à chaque pays. En plus des mesures financées et mises en oeuvre de manière autonome, les efforts supplémentaires doivent faire l’objet d’un soutien international, que ce soit sous la forme d’une coopération multilatérale ou de l’octroi de droits d’émission négociables pour les réductions obtenues. Rappelant les principes de la convention sur les changements climatiques En particulier la responsabilité commune mais différenciée des États., la responsabilité historique des pays industrialisés et le droit au développement économique, le groupe de négociation des pays émergents et en développement s’est jusqu’ici résolument opposé à des mesures de réduction sous forme contraignante ou internationalisée ainsi qu’à toute tentative de différenciation entre pays en développement, en dépit du caractère obsolète de la répartition entre «pays industrialisés» tenus de réduire leurs émissions et «pays en développement», qui remonte à 1992. Des pays comme la Corée du Sud et Singapour resteraient ainsi des pays en développement sans engagement ferme. Ces discussions relatives à la question-clé des efforts de réduction des États industrialisés et des pays en développement montrent que sur ce point, les fronts se sont encore durcis, en particulier le long de la «ligne Nord-Sud», et qu’ils constituent un gros obstacle à surmonter dans les négociations.

Un soutien financier aux pays en développement


Il est incontestable que la réussite des négociations sur le climat exige que l’on se mette d’accord sur un mécanisme de transfert international pour le financement des mesures de réduction des émissions et d’adaptation prises dans les pays en développement. Selon les termes du secrétaire exécutif de la convention sur les changements climatiques Yvo de Boer, l’argent est bel et bien le nerf de la guerre: «Money is the oil that encourages commitments and drives actions» (L’argent est le lubrifiant qui motive l’engagement et conduit l’action). Bien que sommaires, les estimations actuelles de l’ONU et de la Banque mondiale concernant le besoin de financement des pays en développement indiquent déjà un niveau considérable. L’UE estime de son côté qu’il faudra d’ici à 2020 jusqu’à 100 milliards d’euros par année pour financer des mesures de préservation du climat dans les pays en développement. Il existe un réel consensus international sur la nécessité de réserver des moyens financiers supplémentaires en faveur des mesures climatiques à prendre dans les pays en développement. Les sources financières envisagées à cette fin sont aussi bien publiques que privées. Les investissements du secteur privé, en particulier, seront essentiels au financement de la réduction des émissions et au transfert de technologies vers les pays en développement. Dans le cadre du futur régime climatique, la poursuite du développement du marché international du CO2 et son organisation sont indispensables pour promouvoir l’investissement privé dans la réduction des GES et l’utilisation de technologies respectueuses du climat. L’UE considère qu’environ 40% des besoins en financements supplémentaires devront être couverts par le biais du marché carbone. Ce dernier ne règlera pas tout. Il faut également accroître les fonds publics consacrés au climat, surtout là où les structures incitatives ne sont pas suffisantes pour attirer des fonds privés (par exemple au niveau des mesures d’adaptation). Diverses possibilités de générer des fonds publics supplémentaires figurent dans le texte de négociation pour Copenhague, parmi lesquelles la proposition suisse d’une taxe mondiale sur le CO2. Les paramètres fondamentaux sur lesquels s’appuieront la future architecture financière et notamment la mobilisation internationale de fonds publics supplémentaires sont, toutefois, fortement contestés. Il s’agit par conséquent de trouver une entente internationale sur les questions essentielles que voici: – comment, dans quelle mesure et à partir de quelles sources mobiliser les moyens nécessaires? Comment organiser la répartition des charges entre les États bailleurs de fonds? – comment les fonds publics seront-ils utilisés? Quelles mesures climatiques devront être financées, et dans quels pays? – comment l’accès aux fonds sera-t-il organisé? Par quels canaux et organismes ces fonds seront-ils acheminés vers leurs destinataires? – dans quelle direction et sur quels modes les mécanismes de marché seront-ils développés et étendus dans le cadre du futur régime climatique?  La question de l’aménagement de l’architecture financière dans le futur régime climatique – et donc celle de l’aide financière aux pays en développement au titre du climat – est encore entièrement ouverte. Ce qui est clair, en revanche, c’est qu’une entente sur le financement est la condition essentielle à tout accord conclu à Copenhague et que pour y parvenir, des percées décisives devront être obtenues sur les questions-clés évoquées ci-dessus.

Issue prévisible des négociations de Copenhague


Compte tenu des points d’achoppement considérables auxquels se heurte la mise en place d’un régime climatique mondial efficace, il semble de plus en plus probable qu’aucun accord prêt à être ratifié ne sera adopté à Copenhague. Pour que ce sommet soit malgré tout un succès, il faut que la communauté internationale parvienne, au moins sur les grands thèmes controversés (en particulier la réduction des émissions de CO2 et le financement), à un accord de principe qui constituera la base d’un régime climatique mondial efficace et équitable. Un accord de principe politique exige simultanément une feuille de route ambitieuse susceptible d’accélérer les travaux nécessaires pour instituer un régime climatique opérationnel et contraignant. Le temps dont on dispose aujourd’hui doit être utilisé à bon escient. Comme la période d’engagement initiale du protocole de Kyoto se termine à la fin 2012, le risque est grand de laisser un vide après cette date si aucun accord n’est conclu rapidement. La société et l’économie ont également besoin de signaux clairs et les investisseurs de sécurité. Plus nous attendrons avant de nous fixer des objectifs de réduction substantiels, plus la concentration de GES augmentera et plus les mesures climatiques futures devront être draconiennes. Attendre se traduira par une augmentation des coûts d’évitement ainsi que du coût des dommages et des mesures d’adaptation. Comme le souligne Sir Nicholas Stern, ancien économiste en chef de la Banque mondiale, les coûts globaux d’une réduction efficace des émissions de GES sont moins élevés que ceux que le changement climatique engendrera sur le long terme; cet avis est partagé par l’OCDE. La lutte contre le réchauffement climatique présente donc un intérêt à long terme. Dans l’immédiat, il faut chercher à concilier les positions divergentes. Cela requiert avant tout une volonté politique et un esprit de compromis. L’attention accordée depuis quelque temps à la problématique du climat et la dynamique politique observée dans les plus hautes sphères gouvernementales du monde entier constituent à cet égard des éléments encourageants. L’objectif de la conférence de Copenhague est de faire de cet événement un point de repère historique de la politique climatique et le fondement d’un régime climatique mondial efficace, équitable et contraignant pour l’après-2012. Il n’existe pas d’alternative.

Graphique 1 «Participation de divers groupes de pays aux émissions mondiales de gaz à effet de serre, projections de 2005 à 2050 (sans les émissions résultant de l’utilisation des terres, des changements d’affectation et de la foresterie)»

Encadré 1: Les fondements de la politique climatique internationale La première pierre d’une politique climatique concertée au niveau international a été posée en 1992 avec la signature de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Ratifiée par 192 États, elle vise à stabiliser la concentration de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère à un niveau susceptible d’empêcher une perturbation anthropique dangereuse du climat.La première mesure pour atteindre cet objectif fut prise en 1997 avec la signature du protocole de Kyoto fixant des objectifs contraignants de réduction des émissions de gaz polluant des pays industrialisés pour la période comprise entre 2008 et 2012. Ce protocole a été ratifié par 189 pays, de nombreux autres restant à la traîne dont les États-Unis. Globalement, les pays industrialisés se sont engagés à réduire d’ici 2012 les émissions de gaz à effet de serre de 5,2% en moyenne par rapport aux niveaux de 1990. La Suisse avait pris l’engagement de réduire de 8% en moyenne par rapport à 1990 ses émissions de GES entre 2008 et 2012. Le plan d’action de Bali, adopté en décembre 2007 afin d’améliorer la mise en oeuvre de la convention-cadre sur les changements climatiques, sert de fondement à un nouveau régime climatique mondial. Selon cet accord, celui-ci devra reposer sur quatre piliers: des mesures de réduction des émissions de CO2, des mesures d’adaptation, un soutien financier et le transfert de technologies vers les pays en développement.

Encadré 2: Adaptation au changement climatique Certaines conséquences du changement climatique sont désormais inévitables et déjà perceptibles, comme le recul des glaciers en Suisse. Toute réponse efficace à ce problème doit passer à la fois par une atténuation des émissions de gaz à effet de serre (afin d’éviter l’ingérable) et par un processus d’adaptation (afin de gérer l’inévitable). Du fait de leur situation géographique et des ressources limitées dont ils disposent pour engager des mesures d’adaptation, de nombreux pays en développement et des États insulaires sont très exposés aux changements climatiques et en partie menacés dans leur existence, alors même que leurs faibles émissions ne contribuent guère au réchauffement climatique.Il est dès lors très important, pour faire avancer les négociations, que les parties parviennent à s’entendre sur les mesures d’adaptation nécessaires. La question du soutien financier et technologique aux efforts d’adaptation entrepris par les pays en développement constituera un élément central de l’accord. Simultanément, de telles adaptations exigent de prendre en considération la maîtrise et le transfert des risques. Il s’agit notamment d’élaborer des stratégies d’adaptation nationales et régionales, des instruments méthodologiques (par exemple un système d’alerte précoce coordonné) ainsi que des possibilités d’assurance. Dans la lutte contre le changement climatique, les mesures de réduction des émissions et d’adaptation sont les deux faces d’une même monnaie. Un régime climatique global présuppose un consensus international et un engagement mondial pour accomplir cette double tâche, car tous les pays sont à la fois pollueurs et vulnérables, bien que dans une mesure variable.

Encadré 3: Comment intégrer les États-Unis dans le futur régime climatique mondial? Les États-Unis ont refusé de signer le protocole de Koyoto et ne sont donc pas contraints d’observer ses objectifs d’ici 2012. La ratification par les États-Unis d’un nouveau protocole se bornant à fixer des objectifs en matière de réduction des émissions de CO2 pour les pays industrialisés est également peu probable. Le deuxième émetteur de gaz à effet de serre du monde (après la Chine) subordonne sa participation au futur régime climatique à l’intégration des grands pays émergents et en développement – en premier lieu la Chine – dans le processus, tant pour des raisons d’efficacité climatique que par souci de préserver la compétitivité de son économie. Pour obtenir un accord efficace, il est pourtant essentiel d’associer les États-Unis au futur régime climatique. De nombreux pays industrialisés conditionnent d’ailleurs leur engagement à celui – substantiel – des États-Unis aussi bien que des économies en développement. La plupart d’entre eux appellent de leurs voeux l’élaboration d’un nouveau traité définissant des objectifs contraignants pour l’après-Kyoto valables désormais aussi bien pour les nations occidentales qui se sont déjà engagées à réduire leurs émissions que pour les États-Unis et les pays en développement. Ces derniers, en revanche, réclament avec véhémence que la suite donnée au protocole de Kyoto sépare clairement les nations industrialisées des pays en développement. L’engagement du gouvernement américain à se fixer des objectifs concrets de réduction des émissions de CO2 serait un facteur de succès très important de la conférence de Copenhague. Outre-Atlantique, les procédures parlementaires nationales relatives au traitement de la loi américaine sur la protection du climat risquent, cependant, d’avoir la priorité sur les négociations internationales. Si les États-Unis ne sont pas prêts à s’engager sur des objectifs de réduction contraignants à Copenhague, les engagements pris par les autres pays industrialisés et l’accord sur l’objectif global de réduction s’en trouveront fragilisés. Cette réaction en chaîne ne donnerait pas le coup de grâce au régime climatique mondial, mais diminuerait les chances de trouver un accord à Copenhague en cette fin d’année.

Proposition de citation: Kathrin Bucher ; Xavier Balthazar Tschumi Canosa ; (2009). Les enjeux de Copenhague. La Vie économique, 01 décembre.