La protection du climat, une tâche de la coopération économique au développement
La croissance très rapide de l’économie mondiale au cours des dernières décennies a provoqué une augmentation des émissions de gaz à effet de serre, en raison surtout de la combustion d’agents énergétiques fossiles et des feux de brousse allumés pour déboiser les forêts tropicales. Les conséquences du changement climatique mettent en péril les progrès réalisés jusqu’ici dans la lutte contre la pauvreté: les pays en développement sont touchés de manière disproportionnée par les événements climatiques extrêmes (sécheresses, ouragans et inondations), la propagation des maladies tropicales et l’élévation du niveau de la mer. Le Secrétariat d’État à l’économie (Seco) ren-force la protection du climat dans ces pays, en s’attelant surtout à combattre les causes du dérèglement.
Il est vrai que le monde industrialisé est historiquement le principal responsable du changement climatique. Cependant, les pays émergents et en développement ont un rôle croissant à jouer dans la lutte contre ce phénomène. Aujourd’hui, la Chine et les États-Unis sont de loin les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre. Certains États membres de l’UE, le Japon et de grands pays émergents comme la Russie, le Mexique, la Corée, l’Indonésie et l’Afrique du Sud affichent, toutefois, un lourd bilan enla matière. L’Afrique du Sud, par exemple, rejette dix fois plus de CO2 que la Suisse – avec un produit national brut inférieur de 33%. De toute évidence, la Suisse peut contribuer à résoudre le problème climatique, principalement par des actions ciblées au niveau international. Ces dernières sont de différentes natures: une participation constructive aux négociations relatives à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, l’exportation commerciale de technologies respectueuses du climat, l’élaboration de produits de placement écologiques ou encore la mise en oeuvre de programmes de développement consacrés à la protection du climat. Dans ce dernier domaine, des approches novatrices ont été mises au point par le centre de prestations Coopération et développement économiques du Seco, dont l’objectif est d’intégrer les pays partenaires dans l’économie mondiale et de leur assurer une croissance économique durable.
La priorité du Seco est d’atténuer les causes: la mitigation
En collaboration avec les pays partenaires, le Seco identifie et met en oeuvre des mesures appropriées qui non seulement contribuent à la protection du climat mais se justifient également sur le plan économique. Ces efforts visent principalement à réduire les émissions de gaz à effet de serre, c’est-à-dire à atténuer les causes du changement climatique (mitigation). Outre ses programmes bilatéraux de développement, le Seco est actif au sein d’institutions internationales, comme la Banque mondiale, où il plaide pour l’application de stratégies climatiques ambitieuses. Il parti-cipe également aux négociations multilatérales de l’ONU sur le climat. Son engagement se base notamment sur le message adopté en décembre 2008 par le Parlement concernant le financement des mesures de politique économique et commerciale au titre de la coopération au développement (septième crédit de programme pour la période 2008-2012) ainsi que sur la politique énergétique extérieure, approuvée par le Conseil fédéral l’an dernier également. Ces deux instruments confèrent une priorité élevée à la protection du climat. La politique de développement fait face à un défi de taille: les pays partenaires doivent atteindre un taux élevé de croissance économique – indispensable au progrès -, tout en préservant le climat et les ressources naturelles. Pour y parvenir, il faut changer d’attitude en matière de politique climatique, aussi bien dans les pays en développement que dans les nations industrialisées. La Convention sur le climat parle dans ce contexte de «responsabilités communes, mais différenciées» des États. Elle exige des pays industrialisés qu’ils prennent des mesures pour réduire sensiblement leurs émissions d’ici le milieu du siècle – l’idéal étant de parvenir à la neutralité climatique. Elle lesinvite également à fournir des ressources financières additionnelles et un soutien technique, afin de faciliter le transfert de technologies vers les pays en développement et émergents. En adoptant des méthodes modernes et efficientes, ces derniers s’engagent dans un développement faiblement générateur de CO2. Conformément à sa stratégie climatique Voir SECO, Changement climatique et développement économique. L’engagement du SECO, 2009., le Seco se concentre sur ses compétences clés: le transfert de technologies, l’investissement dans les infrastructures, l’exploitation durable des ressources – tout en tenant compte des réalités économiques – et la mobilisation du secteur privé (par exemple par la promotion du commerce des droits d’émission). Pour aider ses pays partenai-res à atteindre un développement qui génère de faibles quantités de CO2, le Seco soutient (a) l’accroissement de l’efficacité énergétique, (b) le déplacement de la consommation vers des sources d’énergie renouvelables et (c) les efforts visant à valoriser la forêt tropicale et la biodiversité sur le plan économique, afin de mieux les protéger. Dans ses activités en faveur du climat, le Seco collabore étroitement avec des partenaires internationaux, notamment les banques de développement multilatérales et des organisations internationales comme l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (Onudi), la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (Cnuced) et l’Organisation internationale des bois tropicaux (OIBT).
L’efficacité énergétique, une solution avantageuse
Le secteur énergétique est la principale source de gaz à effet de serre. Les économies d’énergie jouent donc un rôle clé dans la lutte contre le changement climatique. Cela est d’autant plus vrai que l’approvisionnement de nombreuses nations émergentes – par exemple la Colombie, l’Afrique du Sud et l’Indonésie, pays partenaires du Seco – est fortement axé sur le charbon, une ressource locale et bon marché dont les réserves sont d’ailleurs largement supérieures à celles du pétrole. Le kilowattheure le meilleur marché est celui que l’on ne consomme pas, dit-on. Cette lapalissade est également valable dans les pays en développement. Pour augmenter l’efficacité énergétique, il s’agit d’optimiser aussi bien la production que l’utilisation de l’énergie. Le Seco y contribue par le biais d’incitations financières, d’une aide à l’amélioration des conditions-cadres et de conseils professionnels. Il sollicite de manière ciblée le savoir-faire et les capitaux privés (notamment helvétiques): des perspectives intéressantes s’offrent aux entreprises suisses de haute technologie dans des domaines comme la production et le transport de l’électricité, la gestion efficiente des installations industrielles et la technique du bâtiment. Les coupures de courant à répétition sont symptomatiques de nombreux pays en développement. Elles sont dues à des pannes techniques ou à une surcharge du réseau lorsque le nombre d’utilisateurs augmente rapidement. Ces interruptions engendrent des pertes considérables pour l’économie. De plus, elles obligent les clients à utiliser des groupes électrogènes de secours, qui coûtent cher et rejettent de grandes quantités de CO2. C’est pourquoi le Seco a soutenu la modernisation des systèmes d’approvisionnement en électricité dans divers pays, surtout en Europe du Sud-Est. En collaboration avec d’autres bailleurs de fonds, comme la Banque mondiale ou la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, il a investi dans des centres nationaux de distribution, des lignes de transport et des postes de transformation. Ces projets n’ont pas seulement stabilisé les réseaux nationaux et réduit les pertes de transmission. Ils ont aussi augmenté les capacités du commerce transfrontalier d’électricité et renforcé l’intégration économique dans ce secteur. Après la chute du Mur de Berlin, d’importants travaux étaient également nécessaires en Europe de l’Est pour réhabiliter les systèmes de chauffage à distance, qui se trouvaient dans un piteux état: les installations à gaz ou à pétrole étaient peu efficaces, les conduites mal isolées et il n’y avait souvent pas d’autre moyen que d’ouvrir les fenêtres pour réguler la température ambiante des appartements. Dans deux villes roumaines, le Seco a réalisé un projet-pilote portant sur l’assainissement du chauffage à distance de quartiers: des systèmes modernes à couplage chaleur-force produisent désormais de l’électricité destinée au réseau; ils utilisent les rejets thermiques pour le chauffage et l’eau chaude. Il en résulte une économie de 130000 tonnes de CO2 sur dix ans. Le concept de «production propre», mis en oeuvre par le Seco et l’Onudi, vise à introduire des modes de production industrielle plus efficients sur le plan écologique. Il inclut également une optimisation de la consommation d’énergie. Une amélioration de la conception des produits et une réduction de la production peuvent avoir encore davantage d’impact sur le climat.
Le commerce des droits d’émission: émergence d’un nouveau marché
Le Seco a effectué un travail de pionnier dans les pays en développement, en les aidant à acquérir les capacités d’exploiter pleinement les mécanismes dits de flexibilité, en particulier le mécanisme de développement propre (MDP). Depuis l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto en janvier 2005, ceux-ci permettent de réduire ou d’éviter des émissions là où le rapport coût/efficacité est le plus avantageux, à savoir dans les pays en développement et émergents. Les projets MDP doivent être enregistrés auprès de la Convention sur le climat, puis validés par des sociétés d’audit indépendantes. Il faut aussi démontrer que les réductions d’émissions obtenues s’ajoutent à celles qui auraient été réalisées en l’absence de projets (principe de l’additionnalité). Sur le marché primaire du MDP, le volume des transactions s’est établi à 6,5 milliards d’USD en 2008 – malgré la chute des prix engendrée par la crise financière. Sur le marché secondaire, il a même atteint 26,3 milliards de dollars Voir Banque mondiale, State and Trends of the Carbon Market 2009, 2009.. Beaucoup d’entreprises n’investissent pas elles-mêmes dans des projets MDP, mais achètent des certificats à des fonds spécialisés et se préservent en concluant des opérations à terme. Cependant, trois pays seulement la Chine, l’Inde et le Brésil produisent quelque 80% des certificats. L’Afrique subsaharienne est, par contre, quasiment absente du marché. De même, l’utilisation du mécanisme est très inégale selon les secteurs: celui des transports, pourtant responsable de la majeure partie des émissions de CO2, n’a enregistré qu’une poignée de projets MDP, car l’établissement de leur caractère additionnel soulève des difficultés méthodologiques. C’est pourquoi le Seco a développé, en collaboration avec la Banque mondiale, de nouvelles méthodes à l’intention du secteur des transports. Les autorités nationales chargées d’approuver les projets ont été renforcées dans plus de quarante pays et la foire annuelle Carbon Expo, la principale manifestation d’Europe consacrée à ce mécanisme, a été mise sur pied. Dans l’optique du développement, les projets MDP présentent un avantage fondamental: ils garantissent la participation des pays pauvres aux efforts internationaux de lutte contre le changement climatique, dans la mesure où ils stimulent le transfert de capitaux et de technologies, favorisant ainsi un développement durable. Le MDP peut créer une situation dans laquelle la politique de l’environnement et celle du développement sont toutes deux gagnantes. Cependant, il convient d’en simplifier nettement les règles afin que des projets plus petits ainsi qu’un nombre plus important de pays et de villes puissent en profiter.
Promotion des énergies renouvelables
La consommation effrénée d’énergie produite à partir de combustibles fossiles (pétrole, gaz et charbon) est la principale responsable des émissions croissantes de CO2. D’un autre côté, un approvisionnement continu en énergie est indispensable pour assurer une croissance économique durable et améliorer la qualité de vie. La diversification de la production par le recours aux énergies renouvelables a des retombées positives sur le climat et l’environnement. De plus, elle atténue les problèmes créés par les fluctuations des prix des matières premières fossiles. Par le biais de programmes concrets qui ont un effet de démonstration, le Seco soutient l’établissement de conditions-cadres attrayantes et le transfert de technologies. Il fait en sorte que les pays pauvres puissent eux aussi produire de l’énergie solaire et éolienne ainsi que du biogaz. En tant que pôle de recherche et de technologie, la Suisse a beaucoup à offrir dans ces domaines. Afin de promouvoir les énergies renouvelables dans la coopération au développement, le Seco a lancé en 2004 la plateforme interdépartementale Repic Renewable Energy and Energy Efficiency Promotion in International Cooperation, siehe www.repic.ch . qui réunit, en outre, la Direction du développement et de la co-opération (DDC), l’Office fédéral de l’envi-ronnement (Ofev) et l’Office fédéral de l’énergie (Ofen). Repic appuie des projets fondés sur des approches réalistes, durables et orientées vers le marché, qui se réalisent avec la participation d’entreprises et d’organisations suisses. On effectue par exemple des mesures du vent en Amérique centrale et en Europe de l’Est, une condition indispen-sable pour assurer le succès d’investissements ultérieurs dans la construction de parcs éoliens. Ailleurs, des recherches techniques préalables visent à déterminer quel type d’installation est approprié pour transformer en biogaz les résidus de la culture de bananes ou de café.
Une gestion durable des forêts tropicales
La destruction des forêts tropicales et l’intensification de l’agriculture sont, avec la consommation énergétique, les principales causes du réchauffement de la planète. La disparition des forêts génère presque un cinquième des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Dans les pays tropicaux d’Amérique centrale et du Sud, elle représente même environ 60% des rejets de CO2 au niveau régional. D’autre part, les événements météorologiques extrêmes ne cessent d’affaiblir l’écosystème déjà fragile des forêts tropicales. Or, celui-ci joue un rôle économique irremplaçable: il sert de réservoir d’eau, protège contre l’érosion et fournit du bois ainsi que de la nourriture. Le Seco s’engage en faveur d’une exploitation durable de la forêt tropicale. Il appuie la création de systèmes de certification écologique, en prenant soin d’y intégrer les acteurs privés. Le label privé FSC, par exemple, est désormais bien établi sur le marché suisse. De plus, le Seco participe à des initiatives qui ont pour objectif d’instaurer des standards de durabilité internationaux pour d’autres matières premières renouvelables, comme le café, le coton, le soja ou les biocarburants. Le Seco soutient, en outre, un nouveau mécanisme mondial d’incitations économiques visant à protéger les forêts, qui agissent comme d’importants puits de carbone. Ce concept, appelé Redd (Réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts), joue un rôle clé dans les négociations internationales sur le climat. L’idée est de dédommager financièrement les pays et les propriétaires de terrains qui prennent des mesures pour préserver leurs forêts tropicales et contribuent ainsi à stabiliser le climat. La Banque mondiale a été la première institution multilatérale à lancer une initiative globale pour le financement d’activités Redd: le Fonds de partenariat pour le carbone forestier (FCPF). Le Seco a alloué jusqu’ici 8,2 millions dUSD à cet instrument qui bénéficie d’un large soutien internatio-nal. Grâce aux subventions du FCPF, des pays en développement comme l’Indonésie peuvent planifier des stratégies Redd et mettre en place des systèmes de contrôle – des inventaires forestiers, par exemple – en veillant à inclure de manière optimale la population locale.
L’importance de conditions-cadres appropriées
Il ne suffit, toutefois, pas que les pays industrialisés augmentent les ressources financières consacrées à la protection du climat. Comme le montrent les expériences du Seco, les pays en développement doivent également procéder aux adaptations nécessaires pour que le transfert de technologies puisse s’accélérer. En règle générale, celui-ci passe par le commerce ou par les investissements directs, raison pour laquelle le secteur privé a un rôle déterminant à jouer. Des conditions-cadres défavorables demeurent les principales entraves au transfert de technologies: les taxes douanières, les barrières commerciales non tarifaires, l’insécurité des investissements, les lourdeurs administratives, la corruption, mais également les faiblesses sectorielles, les tarifs énergétiques trop bas, le vol d’électricité et l’absence de règles relatives à la production décentralisée d’électricité. L’amélioration de la gouvernance et de l’environnement économiques constitue par conséquent un élément fondamental de la coopération économique au développement. Seules des conditions-cadres appropriées permettront aux pays en développement d’assimiler les technologies respectueuses du climat. C’est également là une condition essentielle pour qu’ils puissent réduire la pauvreté par le biais du commerce et des investissements.
Encadré 1: Les mégalopoles du Sud: des alliées de poids dans la protection du climat Cette année, le Seco a accordé une attention particulière à l’utilisation du mécanisme de développement propre (MDP) par les grandes villes. Environ 75% des émissions mondiales de gaz à effet de serre proviennent des zones urbaines. Les administrations municipales peuvent contribuer à la réduction du CO2 non seulement par des mesures de régulation, mais également par des investissements dans les infrastructures de transport public, l’utilisation de biogaz issu de la fermentation de déchets, un éclairage des rues plus efficient ou encore dans la technique du bâtiment. Pour que de tels projets puissent voir le jour grâce au MDP, le Seco a mis sur pied, en collaboration avec la Banque mondiale et des experts suisses, un programme de formation destiné aux mégalopoles. Des actions concrètes sont déjà en cours dans des villes comme Djakarta, Dar es Salaam, Johannesburg et São Paulo. En octobre 2009, le Groupe d’intégrité de l’environnement – groupe de négociations comprenant la Suisse, le Mexique, la Corée du Sud, Monaco et le Liechtenstein – a déposé une motion auprès de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. Il rappelle que les villes présentent un potentiel important en matière de protection du climat et qu’elles peuvent contribuer à la solution du problème.
Encadré 2: Albanie: les turbines de Fierza se remettent à tourner En Albanie, l’électricité est produite principalement par les centrales hydrauliques installées sur le cours de deux fleuves, le Drin et le Mat. L’ouverture et le développement économiques du pays ont accru la demande de courant. Parallèlement, les centrales albanaises, construites dans les années septante – notamment avec l’aide de la Chine et de l’URSS -, étaient dépassées et connaissaient des dysfonctionnements majeurs. Pour compenser les coupures de courant, les usagers recouraient à de petites génératrices à es-sence ou au diesel. La rénovation des centrales hydroélectriques a permis d’exploiter pleinement le potentiel de cette énergie renouvelable.La centrale de Fierza est la deuxième plus grande d’Albanie. Elle fournit presque un tiers de tout le courant produit dans le pays. Le Seco a financé, pour un montant d’environ 12 millions de francs, l’assainissement des turbines et des générateurs par des experts suisses. Ainsi, une production régulière d’électricité est garantie à long terme. En outre, l’amélioration du rendement a permis d’augmenter de 15 mégawatts la capacité maximale de production. Sous la pression des donateurs, les autorités ont par ailleurs adapté progressivement les tarifs de l’électricité aux conditions du marché et jugulé le vol d’électricité.
Proposition de citation: Denzler, Stefan (2009). La protection du climat, une tâche de la coopération économique au développement. La Vie économique, 01. décembre.