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La politique climatique du Conseil fédéral est empreinte de pusillanimité

La bonne nouvelle d’abord: dans son message relatif à la révision de la loi sur le CO2, le Conseil fédéral reconnaît qu’il est indispensable de ne pas laisser le réchauffement planétaire dépasser 2° C par rapport à la moyenne des températures de l’ère préindustrielle, sans quoi nous serons menacés de graves effets de bascule. Cela s’arrête toutefois là! Si notre gouvernement prenait ses déclarations au sérieux, sa politique climatique serait différente. Le message du Conseil fédéral ne permet pas de protéger efficacement le climat ni ne défend les intérêts économiques de la Suisse. Le seul secteur qui puisse se frotter les mains est l’industrie du pétrole. Pour qu’il en soit autrement, le Parlement devra apporter les corrections nécessaires.

Les calculs du Giec révèlent clairement qu’il faudrait que d’ici 2020, les pays industrialisés aient réduit leurs émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40% par rapport à 1990 pour ne pas dépasser 2° C de réchauffement À l’heure qu’il est, seules l’Angleterre, l’Allemagne, la Norvège et la Suède se proposent de réduire leurs émissions de 40% et plus (compte tenu il est vrai des certificats de réduction étrangers).. Or, que fait le Conseil fédéral? Il propose 10% de réduction en Suisse (en l’absence d’accord multilatéral) et y ajoute un maigre 5% si un tel accord voit le jour. Il rate donc de plusieurs longueurs la cible qu’il s’était fixée et n’atteint même pas celles prévues au niveau international pour les pays en développement. Si tous les pays industrialisés se comportaient comme la Suisse, le réchauffement planétaire atteindrait 3° C à 4° C, celui de la Suisse dépassant les 5° C. Le Conseil fédéral le sait bien, évidemment. Aussi veut-il acheter encore des certificats étrangers de réduction des émissions et les prendre en compte. C’est oublier, malheureusement, que les certificats en provenance des pays non industrialisés ne peuvent être comptabilisés qu’à partir du moment où l’ensemble de ces pays aura atteint ses objectifs de réduction. Pour y parvenir, l’Alliance pour le climat estime qu’il faudrait y consacrer 160 milliards d’USD par an, 1,7 milliard de francs étant à la charge de la Suisse Voir: assets.wwf.ch/downloads/15_forderungen_klimaallianz.pdf (en allemand). . Où un tel programme de financement est-il prévu dans le projet de loi sur le CO2?

La Suisse n’aurait pas de peine à réduire ses émissions de CO2


Il serait pourtant très facile à la Suisse de réduire ses émissions de CO2 à bon compte. Notre pays n’a pratiquement pas d’industrie fortement polluante et se situe donc au bas du classement de l’OCDE pour les émissions par habitant. À pourcentage de réduction égal, elle s’en tire donc bien, puisqu’il lui faut réduire ses émissions de moins de tonnes de CO2 par habitant que les autres pays industrialisés. En outre, les principaux rejets émanent du chauffage des immeubles et des transports. Or les études ont démontré que réduire les émissions dans ces domaines coûtait beaucoup moins que dans la production d’électricité et l’industrie lourde, qui sont les grands pollueurs dans la plupart des pays industrialisés. D’où notre étonnement de trouver dans le message du Conseil fédéral relatif à la loi sur le CO2 que les effets économiques en seraient légèrement négatifs. Ce n’est qu’en lisant les études qui les fondent qu’on comprend comment le Conseil fédéral arrive à d’aussi curieuses conclusions. D’une part les auteurs partent de l’idée que la Suisse vit dans le meilleur des mondes possibles – ô bienheureux Candide! – et que tout changement a donc des conséquences négatives. Il n’existe alors pas de mesure climatique profitable, par définition, sinon il y a longtemps qu’elle aurait été appliquée. On a aussi exclu la dynamique de l’innovation et l’amélioration de la compétitivité, sans parler de la création potentielle d’emplois.

La protection du climat paie


Le tableau change du tout au tout si l’on tient compte de ces éléments. Une étude de l’entreprise de conseil McKinsey, effectuée en 2009, prouve que près de la moitié des émissions suisses de gaz à effet de serre peuvent être réduites à très bon compte et que les coûts nets disparaissent lorsque le baril de pétrole (compte non tenu des frais de transaction) atteint les 52 USD dans le monde. À 100 USD le baril, l’économie suisse engrange déjà un substantiel bénéfice net.  Le fait que le Secrétariat d’État à l’économie (Seco) n’ait toujours pas fourni d’étude utilisable sur les effets économiques produits par les diverses mesures relevant de la politique climatique ne parle guère en sa faveur. Le seul domaine à pouvoir s’en réjouir est l’industrie du pétrole… et tous les partisans de la pusillanimité. Le conseiller fédéral Moritz Leuenberger n’avait-il, pourtant, pas exhorté les autres pays à «se montrer plus ambitieux» lors de la conférence mondiale sur le climat à Genève, fin août 2009? Les associations de défense de l’environnement se satisferaient déjà de ce que la Suisse fasse au moins le nécessaire pour prévenir le pire, à savoir réduire d’au moins 40% les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020 par rapport à 1990.

Proposition de citation: Hans-Peter Fricker (2009). La politique climatique du Conseil fédéral est empreinte de pusillanimité. La Vie économique, 01 décembre.