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90 ans de politique suisse du commerce extérieur

90 ans de politique suisse du commerce extérieur

La politique suisse du commerce extérieur a connu de profonds changements au cours des 90 dernières années, dictés d’une part par les conditions générales de la politique internationale du commerce, de l’autre par la politique intérieure. À une phase de protectionnisme pendant l’entre-deux-guerres succède dans les années cinquante la mise sur pied d’un régime multilatéral du commerce mondial, le Gatt
General Agreement on Tariffs and Trade (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce), aujourd’hui OMC., auquel la Suisse se rallie dans les années soixante, après quelques hésitations initiales. Une constante que l’on peut observer dans la politique suisse du commerce extérieur est la volonté d’obtenir l’intégration économique sans s’impliquer politiquement.

Une remarque personnelle pour commencer: j’ai été surpris de constater à quel point, jusque dans les années cinquante, le monde de la politique suisse du commerce extérieur différait du nôtre, et combien peu j’en savais. Le cadre était fixé par un grand nombre d’accords bilatéraux de commerce et de paiement d’une durée généralement assez brève. À partir des années trente, le contingentement des importations et des exportations permettait d’équilibrer la balance des paiements à travers des systèmes de clearing. Après la Deuxième Guerre mondiale, la Suisse se tint à l’écart des institutions de Bretton Woods et l’adhésion au Gatt resta tabou jusque dans les années cinquante.Nous commencerons par un aperçu chronologique de la politique suisse du commerce tout en suivant l’évolution générale du commerce international. Puis quelques chiffres illustreront les mutations de ces 90 dernières années. Nous tirerons, enfin, quelques enseignements généraux de nos observations.

La voie ardue du multilatéralisme


La seconde moitié du XIXe siècle, fréquemment décrite comme l’âge du libéralisme, est censée se distinguer nettement de la période qui suit la Première Guerre mondiale. Cela n’est qu’en partie exact. Il est vrai que l’étalon-or permettait un règlement libre des paiements et, en conséquence, l’existence d’une balance multilatérale des paiements. De même, le principe de la nation la plus favorisée – inscrit pour la première fois dans le traité de Cobden, conclu par l’Angleterre et la France dans les années 1860 – s’imposait de plus en plus comme la norme des accords bilatéraux de commerce et «multilatéralisait» ainsi des concessions accordées bilatéralement. Il faut, toutefois, remarquer que la politique de démantèlement des droits de douane entamée au milieu du XIXe siècle bascula dès les années 1870 en réaction à une grave récession. Les tarifs douaniers protecteurs et ceux dits «de combat» (relèvement des droits de douane destiné à fournir de la munition pour les négociations ultérieures) étaient donc des politiques commerciales courantes avant même la Première Guerre mondiale, et la Suisse, pays traditionnellement libre-échangiste, ne put s’y soustraire entièrement. Ainsi, la révision des tarifs douaniers de 1902 présente des traits protectionnistes, même si c’est à un niveau moindre que chez la plupart de ses partenaires européens.

1920–1945: délitement du système multilatéral du commerce mondial


Après la Première Guerre mondiale, le système multilatéral du commerce mondial s’effrite à vue d’œil, pour deux raisons: 1° la montée des droits de douane entrave le commerce international; 2° dans les années trente, le système multilatéral des règlements internationaux cesse de fonctionner correctement.En ce qui concerne les droits de douane, la révision des tarifs douaniers suisses de 1921 avait pour but d’une part d’adapter l’imposition au poids à la dépréciation de la monnaie accumulée depuis 1902; de l’autre, elle comprenait pour la première fois des tarifs protecteurs pour l’agriculture. Elle peut donc être considérée comme l’origine d’une politique agricole de plus en plus protectionniste. Il faut, toutefois, admettre que même la révision générale eut des effets fortement protectionnistes (quoique probablement involontaires). La chute des prix qui commença sur les marchés après cette révision conféra en effet à l’imposition au poids un effet protecteur qui dépassait de beaucoup le niveau habituel. Ainsi, la charge douanière moyenne des importations suisses monta très vite à 8–10% (contre 4,5% avant la Première Guerre mondiale); en 1935, elle dépassait toujours les 20% et, en 1938, était encore de 17%, soit le quadruple des années d’avant-guerre
Voir Bosshardt et Nydegger, p. 314.. La Suisse restait pourtant en dessous des barrières érigées par d’autres États. Rappelons le (déplorable) Smoot-Hawley Act, édicté en 1931 par les États-Unis, qui releva massivement les droits de douane et servit de prétexte à d’autres pays pour relever les leurs.La politique douanière n’était cependant que le rempart pour ainsi dire extérieur du verrou protectionniste. Tout aussi grave fut l’effondrement du système des règlements internationaux. Dès les années vingt, le président de la Reichsbank, Hjalmar Schacht, avait introduit le contrôle des devises pour les importations allemandes. Le krach de 1929 fut suivi dès 1931 d’un grand nombre d’accords de paiement fondés sur le clearing bilatéral. Pour autant qu’il n’y eût pas de mécanismes de crédit ou de possibilités (limitées) de compensations multilatérales, ce système postulait que les exportations et importations entre deux pays devaient s’équilibrer. Or, on ne pouvait y parvenir qu’au prix d’interventions lourdes dans les échanges internationaux.La situation fut d’abord perçue comme un problème de solvabilité insuffisante des perdants de la Première Guerre mondiale. Après coup, cependant, le délitement du régime multilatéral des règlements internationaux peut tout autant être attribué au maintien d’un régime monétaire aberrant. Après la Première Guerre mondiale, en effet, on avait voulu réintroduire l’étalon-or et la convertibilité intégrale des monnaies, mais sans accepter la discipline de la variation automatique de la masse monétaire pour les pays déficitaires ou excédentaires. Comme le cours de change et l’évolution intérieure des prix et des salaires n’entraient plus en ligne de compte comme mécanismes d’adaptation, il était inévitable qu’il en résultât des déséquilibres au niveau du commerce extérieur, auxquels on ne pouvait répondre qu’en intervenant dans les règlements internationaux en limitant la masse monétaire, donc aussi les flux commerciaux. Le pilotage direct des échanges internationaux s’accentua dans les années de guerre, le commerce extérieur étant devenu un élément central de la stratégie de survie
Comme cette époque a été traitée en détail dans les rapports de la Commission indépendante d’experts Suisse – Seconde Guerre mondiale (commission Bergier), je n’y reviendrai pas (voir l’étude de fond de Meier, Frech, Gees et Kropf, ou le chapitre 4 du rapport final de la commission)..

1945–1955: la reconstruction dun système international des paiements


Jusqu’au milieu des années cinquante, les accords bilatéraux de commerce et de paiement restèrent un élément central de la politique suisse du commerce extérieur. Sous la conduite des États-Unis et avec le soutien du Plan Marshall, la reconstruction européenne devait aboutir au multilatéralisme économique. À cet effet furent créées en 1948 l’Organisation européenne de coopération économique (OECE), précurseur de l’actuelle OCDE et, en 1950, sa fille, l’Union européenne des paiements (UEP), institutions censées enclencher et accompagner un processus de libéralisation progressive. Ce dernier s’avéra, cependant, ardu et la convertibilité intégrale pour les transactions courantes ne put être introduite dans tous les membres de l’OECE qu’en 1958. Tant qu’elle n’existait pas, il fallut conserver les institutions du trafic réglementé des paiements, avec leur impact inévitable sur les échanges commerciaux. Durant cette phase, la politique commerciale extérieure suisse resta fortement empreinte par le bilatéralisme.

1955–1965: changement de cap de la politique suisse du commerce extérieur


Au milieu des années cinquante, on observe une réorientation de la politique suisse du commerce extérieur, dictée en partie par des changements à l’étranger, mais née aussi d’un changement de cap politique, qu’on peut même retracer au niveau personnel. De 1934 à 1954, Jean Hotz, directeur de la Division du commerce, avait imprimé sa marque décisive à l’approche bilatérale. À sa retraite, la Division du commerce passa aux mains de Hans Schaffner, élu ensuite conseiller fédéral (1961). Dans l’une et l’autre fonction, celui-ci inaugura et développa la voie multilatérale à plusieurs niveaux. En Europe, la Suisse devait réagir à la fondation de la Communauté économique européenne (CEE). Comme, politiquement, il n’était pas question d’adhérer à la CEE, Schaffner poussa l’idée de fonder une grande zone de libre-échange, à laquelle appartiendraient tous les pays européens, CEE comprise. Ce plan ayant échoué devant le veto français, Schaffner se fit alors la cheville ouvrière d’une zone plus petite, l’Association européenne de libre-échange (AELE).C’est aussi à l’époque de Schaffner que remonte le rapprochement de la Suisse avec lAccord général sur les tarifs douaniers et le commerce (Gatt). Comme on l’a vu plus haut, la Suisse s’était montrée très réticente, au début, parce qu’elle craignait que la clause concernant la balance des paiements ne lui impose des obligations unilatérales. Cet argument perdit de son importance avec la convertibilité de la plupart des monnaies européennes obtenue dans le cadre de l’OECE. La Suisse dut aussi constater, à la même époque, que la clause de la nation la plus favorisée contenue dans les accords de commerce bilatéraux ne suffisait pas pour bénéficier entièrement de l’abaissement des droits de douane obtenu par les autres pays au Gatt. Les importations provenant de Suisse bénéficiaient bien de ces droits de douane réglementés, en vertu du principe de la nation la plus favorisée, mais il manquait un cadre de négociation pour défendre les intérêts purement helvétiques
À titre d’exemple, les commentateurs citent les exportations de montres suisses aux États-Unis.. Sa politique agricole allait, en outre, se trouver face à une nouvelle difficulté: la Nouvelle-Zélande et l’Australie s’opposaient à une admission de la Suisse sans concessions étendues de sa part dans le secteur agricole. En 1958, les membres du Gatt s’entendirent sur une adhésion provisoire de la Suisse (sans droit de vote, mais avec participation complète aux travaux); l’admission définitive suivit en 1966, avec toute une série de dispositions spéciales pour la politique agricole helvétique. Dans les deux phases de l’admission au Gatt, Schaffner fut le principal négociateur du côté suisse.

À partir de 1980: passage de la politique du commerce extérieur à celle de la place économique


L’internationalisation de l’économie, qui s’accélère surtout à partir des années quatre-vingt, oblige la politique économique extérieure à offrir des conditions intéressantes pour les investisseurs, et ce dans une mesure bien supérieure à autrefois. À l’extérieur, il s’agit de renforcer les investissements directs suisses; ici, à part l’appui politique direct, c’est surtout le réseau serré de conventions de double imposition et de protection des investissements qui joue un rôle. Les investissements directs étrangers en Suisse représentent un autre pilier important de notre croissance, car aujourd’hui, les entreprises peuvent choisir leur implantation avec une certaine souplesse. Pour la Suisse, il est décisif qu’elle devienne une place attrayante pour les activités à forte valeur ajoutée. En l’espèce, les succès ne manquent pas: plusieurs groupes internationaux exercent leur activité à partir du territoire suisse, ce qui génère des emplois fortement rémunérés et des recettes fiscales. À ce titre, on peut dire que la politique économique extérieure est de plus en plus une politique de promotion de la place économique suisse, dans un espace économique intégré de plus en plus mondialisé. Cette politique de la place économique ne doit donc pas garantir uniquement les échanges extérieurs, mais comprend encore la politique fiscale, la formation, la culture et les transports – bref, tout ce qui rend séduisante l’implantation en Suisse de sociétés et de cadres.

Quelques chiffres sur l’interdépendance économique avec l’extérieur


Le chapitre précédent esquissait avant tout l’évolution du commerce extérieur suisse face aux enjeux politiques internationaux et les accords conclus pour y répondre. Nous dégagerons maintenant quelques grandes ten-dances de cette évolution durant ces 90 dernières années. Des tableaux et graphiques compléteront les données factuelles, encore que nous manquions malheureusement de séries de chiffres cohérentes pour toute la période
Les données sont bonnes pour la période qui suit la Deuxième Guerre mondiale. Les estimations portant sur les années antérieures se fondent sur différentes sources et ne permettent que des comparaisons entre ordres de grandeur..

Une balance suisse des revenus en bonne santé


La balance commerciale suisse accusait traditionnellement un déficit, qui était compensé par les excédents résultant des échanges de services auxquels s’ajoutaient les revenus issus des capitaux, d’où finalement une balance des revenus excédentaire (voir tableau 1). Cette bonne santé, qui persista pendant toute la période observée, contrastait avec ce qui se passait dans la plupart des pays européens et fut – avec une politique monétaire axée sur la stabilité – l’une des principales raisons de la position particulière de la Suisse dans le système commercial européen, des années trente aux années cinquante.

Intensité variable du commerce extérieur


Le tableau 1 présente l’intensité du commerce extérieur pour la période postérieure à la Deuxième Guerre mondiale. Les chiffres reflètent l’importance croissante des exportations au cours des dernières décennies: de 1960 à nos jours, la quote-part des exportations de biens dans le PIB double (de 20 à 40%). On oublie, cependant, fréquemment que le maillage international était déjà très poussé avant la Première Guerre. D’après Bosshardt/Nydegger, les exportations constituaient environ un tiers du PIB au début du XXe siècle. La Première Guerre mondiale et la Grande Dépression firent tomber ce chiffre à 15% en moyenne en 1937/38. Même si les deux séries de données ne sont comparables que jusqu’à un certain point, ce n’est que dans les années nonante que la Suisse a rattrapé les valeurs affichées avant la Première Guerre mondiale.

Modifications de la structure des industries exportatrices


À examiner la structure des exportations par secteur (voir graphique 1), on notera des changements significatifs. L’industrie textile, autrefois prédominante, a largement perdu de son importance. Aujourd’hui, on ne peut être que frappé par la place exceptionnelle qu’elle occupait jusqu’au début du XXe siècle. D’après les estimations de Bosshardt/Nydegger, cette industrie fournissait plus de la moitié des exportations suisses pendant la seconde moitié du XIXe siècle. Plus près de nous, cette proportion était encore de 40% au milieu des années vingt. C’est la Grande Dépression qui provoqua un véritable effondrement, dont le secteur ne parvint plus à se relever après la Deuxième Guerre mondiale. À part l’apparition de nouveaux concurrents, une raison de ce déclin pourrait aussi être qu’à l’époque du trafic réglementé des paiements, les tissus coûteux ne bénéficiaient guère de priorité, étant considérés comme «non essentiels». Un autre phénomène frappant est l’évolution de l’industrie suisse des machines: sa progression extraordinaire des années cinquante et soixante est suivie d’un recul de sa quote-part dans le PIB qui s’est encore accentuée ces dix dernières années. On notera en revanche la part croissante des industries chimique et pharmaceutique à partir du début des années nonante.

Répartition par région


La répartition régionale des exportations (voir graphique 2) est étonnamment stable alors que l’économie mondiale a subi de profondes mutations, les seules exceptions étant les traces nettement visibles de la Deuxième Guerre mondiale (voir les chiffres pour 1930, 1940 et 1950). Dans le débat public, on a fréquemment le sentiment d’une progression importante des exportations vers les État non européens, mais les chiffres ne l’attestent guère.

Les investissements directs à l’étranger


Nous avons signalé plus haut que le maillage international de l’économie augmente fortement à partir de 1980. Cela se constate aussi dans l’évolution des investissements directs à l’étranger (voir graphique 3). À partir de 1985, la Banque nationale suisse relève des chiffres détaillés. En ce qui concerne les flux globaux, on dispose même de chiffres remontant jusqu’en 1965, mais on s’arrêtera ici à 1980, étant donné qu’avant, les investissements restent constants (entre 2 et 4 milliards de francs) et ne présentent pas de mouvements notables. Le graphique montre que, ces dernières décennies, les flux ont fortement augmenté, mais aussi qu’ils oscillent fortement sous l’effet de la conjoncture. Là encore, la répartition régionale est étonnamment stable: quelque deux tiers du volume des investissements directs sont toujours engagés en Europe et en Amérique du Nord.

Conclusion générale


Après la Deuxième Guerre mondiale, la reconstruction d’un régime multilatéral pour l’économie mondiale a été guidée par les principes généraux de la nation la plus favorisée, du traitement national, de l’interdiction des contingentements et de la réglementation des droits de douane – encore que la mise en œuvre en soit restée inachevée.Depuis les années soixante, le cadre multilatéral est solidement fixé. Il n’y a plus aucun risque de retomber dans le trafic réglementé des paiements et dans le bilatéralisme rigoureux qu’il impliquait. Même dans ce cadre, toutefois, on peut relever des problèmes majeurs pour la politique suisse du commerce extérieur. Sans entrer dans les détails, citons la question européenne, la tendance toujours plus marquée aux accords préférentiels bilatéraux et l’importance croissante de l’espace asiatique pour le commerce extérieur suisse. En concluant l’an dernier un accord de libre-échange avec le Japon – et ce avant l’UE –, la Suisse a marqué un but important.

Deux constantes de la politique suisse du commerce extérieur


Le XXe siècle illustre particulièrement bien les rapports étroits entre le régime monétaire et le système commercial international. Pour qu’il y ait régime multilatéral de l’économie mondiale, il est indispensable que le trafic des paiements soit libre. La crise mondiale des années trente ne fut pas aggravée seulement par les tarifs douaniers protecteurs, mais encore et surtout par le contingentement des exportations et des importations adopté pour garantir la balance des paiements. Cette corrélation est également manifeste dans la phase de reconstruction qui suit la Deuxième Guerre mondiale. Les contingentements liés aux systèmes de clearing bilatéraux ne purent en effet être réellement assouplis qu’au milieu des années cinquante, lorsque la balance des paiements des membres de l’OECE autorisa de nouveau la libéralisation du trafic des paiements pour les transactions courantes. Il convient désormais de ne pas oublier cette leçon: pour assurer un ordre économique mondial ouvert, la liberté du trafic des paiements importe plus que la stabilité des cours de change. Cette règle vaut aussi pour l’intégration des pays émergents et en développement dans l’économie mondiale.La deuxième constante de la politique suisse du commerce extérieur est, vis-à-vis de l’Europe, sa volonté d’obtenir l’intégration économique sans être impliquée politiquement. Ce principe a marqué la politique des années vingt et trente, est resté source de tension durant la Deuxième Guerre mondiale et peut aussi être qualifié de caractéristique de la politique commerciale suisse à partir des années cinquante. L’objectif manqué de la création d’une grande zone de libre-échange pour répondre à la naissance de la CEE, la fondation de l’AELE après le veto français, l’accord de libre-échange bilatéral Suisse-CEE (1972), les négociations concernant l’EEE et la stratégie bilatérale adoptée après le non du peuple suisse (1992) sont autant de jalons sur une voie cohérente consistant à rechercher l’intégration économique sans être impliqué politiquement. Les protagonistes de cette politique suisse du commerce extérieur se nomment Hans Schaffner, Paul Jolles et Franz Blankart. Dans cette perspective, la question est aujourd’hui de savoir si dissocier l’intégration économique de l’intégration politique peut rester une stratégie porteuse dans le nouveau contexte politique européen; les avis sont manifestement très divergents.

Trois points critiques


Les évolutions retracées plus haut mettent cependant aussi en lumière des points critiques.1. Pour les pays émergents et en développement, il a été trop simple d’invoquer la clause de la balance des paiements; ils ont donc répété les erreurs des États européens des années vingt et trente. Même si la situation s’est nettement améliorée, en particulier sous l’influence du Fonds monétaire international (FMI), on ne saurait sous-estimer le risque de rechute.2. Le non-respect du principe de la nation la plus favorisée tend à se généraliser. Tant que les autres principes sont appliqués et que les droits de douane préférentiels restent bas, les dégâts seront limités. Toutefois, plus les autres principes seront violés, plus le risque croîtra d’une négligence insouciante du principe de la nation la plus favorisée. Pensons aux accords préférentiels dans le secteur agricole (cas de la banane)! Il peut également s’avérer problématique d’inciter les pays émergents et en développement à conclure davantage d’accords préférentiels entre eux. En effet, comme leurs droits de douane effectifs se situent en général très en dessous des tarifs réglementés, le risque ne peut être écarté qu’ils relèvent leurs barèmes de la nation la plus favorisée pour compenser les droits de douane préférentiels.3. La Suisse se fait actuellement la championne des accords préférentiels. En ce qui la concerne, cela paraît parfaitement justifié, si on considère l’enlisement du cycle de Doha et la longueur d’avance qu’elle peut en retirer par rapport aux Communautés européennes. Il ne faudrait, toutefois, pas sous-estimer les risques systémiques de l’évolution actuelle. Le siècle précédent nous a enseigné que les coûts du délitement du régime multilatéral du commerce mondial peuvent être très élevés.

Tableau 1 «Balance des revenus de la Suisse, 1912–2007»

Graphique 1 «Structure des exportations suisses par secteur, 1925–2008»

Graphique 2 «Structure des exportations suisses par région, 1925–2008»

Graphique 3 «Investissements directs de la Suisse à l’étranger (IDE), 1980–2008»

Encadré 1: Bibliographie– Bosshardt Alfred et Nydegger Alfred: «Die schweizerische Aussenwirtschaft im Wandel der Zeiten», Schweizerische Zeitschrift für Volkswirtschaft und Statistik, 1964, vol. 100, cahier I/II, p. 302–327.– Hotz Jean: «Die treibenden Kräfte in der Schweizerischen Handelspolitik», Schweizerische Zeitschrift für Volkswirtschaft und Statistik, 1947, vol. 83, cahier IV, p. 543–552.– Kneschaurek Francesco: «Struktur und Entwicklung der aussenwirtschaftlichen Leistungsbilanz der Schweiz», Aussenwirtschaft, 7e année, cahier IV, 1952, p. 236–251.– Meier Martin, Frech Stefan, Gees Thomas et Kropf Blaise, Schweizerische Aussenwirtschaftspolitik 1930–1948: Strukturen – Verhandlungen – Funktionen, Publications de la CIE, vol. 10, Chronos Verlag, Zurich, 2002.– Commission indépendante d’experts Suisse – Seconde Guerre mondiale, La Suisse, le national-socialisme et la Seconde Guerre mondiale. Rapport final, Editions Pendo, Zurich, 2002.

Proposition de citation: Heinz Hauser (2010). 90 ans de politique suisse du commerce extérieur. La Vie économique, 01 janvier.