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La collaboration en matière de R&D entre les hautes écoles et les entreprises

La collaboration en matière de R&D entre les hautes écoles et les entreprises

L’économie suisse se trouve au cœur d’une course intense à l’innovation. Une bonne collaboration dans le domaine de la recherche et du développement (R&D) entre les hautes écoles et les entreprises constitue une réelle chance de succès pour elle. Le chemin est toutefois semé d’embûches, plus particulièrement en ce qui concerne la propriété intellectuelle. En mai 2009, l’Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie (OFFT) a organisé une enquête sur cette question, en collaboration avec le Secrétariat d’État à l’éducation et à la recherche (SER) et Infras, une société active dans le domaine de la recherche et du conseil.

L’enquête avait pour objectif principal de recueillir des points de vue sur la pratique actuelle dans les projets de R&D communs aux hautes écoles et aux entreprises; elle devait également évaluer les réglementations concernant la propriété intellectuelle et les diverses propositions de réforme soumises. Le questionnaire a été adressé aux directions des hautes écoles et aux organes de transfert de savoir et de technologie, ainsi qu’aux chercheurs et aux essaimages («spin-off») de hautes écoles, aux jeunes pousses («start-up») et à d’autres entreprises concernées
910 courriels comprenant différentes questions ont été adressés aux hautes écoles et aux organismes dépendant de leur domaine, plus précisément les directions des hautes écoles, les organes de transfert de savoir et de technologie, les chercheurs, les essaimages et les jeunes pousses. 264 questionnaires ont été entièrement remplis. Le taux de participation s’est élevé à 29%; en ce qui concerne les directions des hautes écoles et les organes de transfert (enquête complète), le taux a atteint 50%. Dans le même temps, l’OFFT a contacté directement des entreprises actives depuis 2004 dans des projets de recherche européens ou de la CTI, ses 837 courriels étant adressés au groupe cible «autres entreprises». 137 d’entre elles ont répondu anonymement au questionnaire, ce qui équivaut à un taux de participation de 16%..

Des stratégies pour protéger la propriété intellectuelle


La protection des résultats des projets de coopération en matière de R&D peut s’opérer de diverses manières, le choix et l’application devant répondre à la stratégie la plus appropriée en matière de propriété intellectuelle. À la question portant sur l’existence d’une telle stratégie, une faible majorité de hautes écoles a répondu «tout à fait» ou «plutôt oui». 43% des universités ont fourni des réponses du même type. Les stratégies de protection sont plus fréquentes chez les «autres institutions de recherche» (84%), les écoles polytechniques fédérales (EPF, 59%) et les entreprises ayant répondu à l’enquête (76%).Lorsqu’une stratégie de protection est appliquée, elle repose le plus souvent sur le dépôt d’un brevet ou sur le temps d’avance pris par rapport à la concurrence (voir tableau 1). Le brevet joue un rôle bien plus grand dans les universités (93%), les EPF (87%) et les entreprises (94%) que dans les hautes écoles spécialisées (HES, 63%). Il convient de remarquer que les EPF attachent une importance bien plus grande au temps d’avance (96%) que ne le font les universités (68%).Les différences sont en revanche plutôt faibles lorsque la protection se fait à travers la complexité des produits ou des services pour répondre au danger des imitations: elle est très utilisée dans les universités (83%) et un peu moins dans les EPF (70%). La protection de la marque et du design est (plutôt) insignifiante pour les deux tiers environ des organisations interrogées. Dans les universités, l’importance disproportionnée accordée au droit d’auteur est frappante.Moins de la moitié des hautes écoles ne disposant d’aucune stratégie de protection explicite prévoient d’en adopter une. Il n’y a guère que dans les HES qu’une majorité (relative) souhaite mettre en place une stratégie de protection, mais nombre d’entre elles sont indécises. À l’inverse, dans les entreprises qui n’ont opté jusqu’ici pour aucune stratégie de protection, une majorité (relative) prévoit d’en appliquer une. Les difficultés à choisir la bonne stratégie sont un souci pour un quart des participants à l’enquête. Cela provient surtout du manque de connaissances en la matière et de problèmes concernant le classement de leurs résultats en R&D dans une catégorie de protection appropriée.

Utilisation pratique et évaluation des brevets

Le point de vue des hautes écoles


La protection de la propriété intellectuelle par le biais d’un brevet dans le cas des projets de collaboration en R&D entre les hautes écoles et les entreprises est réglée et évaluée de manière très variable (voir tableau 2) par celles qui ont répondu à l’enquête. 1. Le plus souvent, l’attribution des droits de propriété intellectuelle est traitée au cas par cas ou selon une «autre réglementation». Dans les entretiens, il a sans cesse été souligné que la particularité de chaque cas exigeait une solution «sur mesure».2. Pour tous les types de hautes écoles, le brevet déposé au nom de l’établissement avec cession concomitante de la titularité des droits (licence) au partenaire de coopération ou à l’essaimage est très répandu. Le traitement compétent des questions de licences par les organes directement concernés joue donc un rôle non négligeable. 3. Seules les HES présentent un pourcentage de transferts de droits aux entreprises octroyés sans conditions. Beaucoup d’entre elles ne veulent notamment pas – pour des raisons de ressources et de possibilités limitées de s’imposer – développer et gérer leur propre portefeuille de brevets. Lorsque l’éventualité d’un brevet est envisagée, les membres des HES ont souvent pour premier souci de publier leurs travaux et d’obtenir ainsi la reconnaissance des milieux spécialisés. Dans certaines circonstances, les deux EPF cèdent leurs droits de propriété aux entreprises en signant avec celles-ci un contrat de coopération en R&D. Elles exigent, toutefois, une rétribution sous forme de frais généraux: l’EPFL demande ainsi jusqu’à 40% des coûts du projet tandis que l’EPFZ exige 35% plus une contribution de 10% pour les infrastructures. Dans la plupart des cas, elles demandent de pouvoir bénéficier d’une licence gratuite pour les travaux de R&D subséquents et des droits de publication.4. Seules les universités et les HES optent pour une gestion en commun des droits de propriété intellectuelle avec leurs partenaires. Les chercheurs des HES continuent de recevoir des droits de propriété, même si ce privilège accordé autrefois aux professeurs d’universités a été aboli dans la plupart des hautes écoles universitaires. Les bases juridiques existantes sont dans l’ensemble considérées comme positives et suffisantes (voir tableau 3). Un tiers des hautes écoles interrogées critique le fait que les réglementations concernant la propriété intellectuelle limitent la demande du côté des entreprises. Deux tiers d’entre elles affirment que les réglementations en vigueur valorisent les résultats de R&D. Certains indices laissent penser qu’une importante minorité d’universités pense que les réglementations non seulement limitent la demande des entreprises, mais encore ne sont ni claires ni transparentes (39%). Dans le domaine des EPF, 43% des participants estiment que ces réglementations limitent la demande des entreprises, alors que seuls 18% des HES abondent dans ce sens.La réglementation concernant la collaboration avec les entreprises est généralement considérée comme positive. La moitié des participants à l’enquête issus des hautes écoles pense, néanmoins, que les personnes relevant de leur domaine ne sont pas assez incitées à élaborer des droits de propriété intellectuelle. En outre, deux tiers d’entre eux déclarent que les entreprises pourraient davantage profiter d’une collaboration avec les hautes écoles et que le potentiel de celles-ci en matière de coopération (dans le domaine de R&D) n’est pas encore épuisé. Cet avis est partagé par près de 60% des participants à l’enquête issus des entreprises.

Le point de vue de l’économie


137 entreprises ayant l’expérience des projets avec la CTI ou des projets de recherche européens ont participé à l’enquête; il en est de même pour 45 jeunes pousses ayant reçu le label de la CTI et 24 essaimages de hautes écoles. Pour elles, la réglementation concernant la protection de la propriété intellectuelle dans le cadre d’une collaboration avec les hautes écoles est importante.Parmi les entreprises ayant répondu à l’enquête, 67% estiment suffisantes les réglementations juridiques existantes concernant le transfert de savoir et de technologie ainsi que la protection de la propriété intellectuelle vis-à-vis de leurs partenaires des hautes écoles. Les réponses des jeunes pousses et des essaimages de hautes écoles vont dans le même sens, même si elles font preuve de légèrement plus de scepticisme. À l’inverse, près de 32% des entreprises trouvent que ces réglementations constituent un handicap pour l’utilisation et la mise en valeur de la propriété intellectuelle.43% des entreprises ayant participé à l’enquête considèrent que les coûts de licence pour les jeunes pousses et les essaimages limitent leur marge de manœuvre en matière de commercialisation. Par conséquent, 79% des entreprises sont d’avis que ces derniers devraient recevoir gratuitement les droits de propriété intellectuelle de la part des hautes écoles ou du moins pouvoir les acquérir à moindres frais. Parmi toutes les réponses issues des hautes écoles, 74% sont favorables à une cession gratuite des droits de propriété intellectuelle.Il reste que plus de la moitié des entreprises approuvent l’idée que les hautes écoles acquièrent des brevets, mais que celles-ci devraient céder la titularité des droits (licences), de manière exclusive ou à bon marché ou encore contre des redevances. C’est le modèle que les PME sans activités de R&D estiment adéquat. Durant les entretiens, il va de soi que la plupart des entreprises exigent que les droits de propriété intellectuelle leur reviennent intégralement ou du moins que la titularité des droits leur appartienne de manière exclusive pour une certaine période. Ces entreprises estiment dans le même temps qu’il est normal, dans une perspective globale, qu’en contrepartie les résultats de la R&D puissent être utilisés pour l’enseignement et d’autres projets de R&D des hautes écoles.Le fait qu’une collaboration en matière de R&D s’instaure entre les entreprises et les hautes écoles dépend principalement de la conclusion rapide, simple et avantageuse pour les deux parties d’une convention de collaboration incluant la réglementation concernant la propriété intellectuelle. Afin de faciliter la signature d’une telle convention, l’une des solutions est de se référer à des principes et à des standards minimaux engageant toutes les parties concernées. 78% des entreprises ayant participé à l’enquête estiment que les principes d’utilisation et de mise en valeur des droits de propriété intellectuelle portant sur les découvertes des hautes écoles doivent être fixés dans les contrats de prestations signés avec les organes responsables des hautes écoles. Une faible majorité des entreprises approuvent la réglementation uniforme de ces principes sur le plan national.77% des entreprises approuvent la fixation de standards minimaux pour les hautes écoles en vue de professionnaliser leurs services de soutien au transfert de savoir et de technologie (cela inclut la publication des réglementations en vigueur). Elles sont également 77% à appuyer la fixation de tels standards dans des conventions contractuelles. 81% d’entre elles estiment par ailleurs qu’un minimum de réglementations communes aux projets de coopération R&D suffirait à abaisser les coûts et éviterait les grandes différences constatées dans la pratique des hautes écoles. 72% des entreprises se déclarent en faveur d’une simplification et d’une accélération de l’organisation et des procédures du transfert de savoir et de technologie. Un pourcentage moindre trouve nécessaire de simplifier et de réduire le nombre d’unités institutionnelles et de structures organisationnelles affectées au soutien du transfert de savoir et de technologie.Toutes ces réflexions s’opposent au souci d’autonomie des hautes écoles, au sujet duquel les entreprises se montrent sceptiques. En ce qui concerne la réglementation de la propriété intellectuelle liée aux résultats de R&D, seuls 35% des 137 «autres entreprises» sont d’avis que l’autonomie des hautes écoles est un ingrédient nécessaire à leur compétitivité. Au sein des jeunes pousses, 30% seulement d’entre elles contre 54% des essaimages de hautes écoles considèrent l’autonomie des hautes écoles dans ce domaine comme une nécessité.68% des entreprises ayant répondu à l’enquête pensent qu’elles ont une influence prépondérante sur l’organisation, le déroulement (et les délais) et les réglementations contractuelles concernant des projets de coopération en matière de R&D. Toutefois, de nombreuses PME se sentent souvent en position de faiblesse lors des négociations menées en vue d’une coopération avec les hautes écoles et les organes de transfert de savoir et de technologie; elles demandent en conséquence durant l’entretien de pouvoir, le cas échéant, bénéficier d’un soutien dans ce domaine.Il ressort des entretiens que les brevets et les coûts de protection afférents sont très élevés pour les PME. Elles protègent donc leur propriété intellectuelle d’une autre manière. Certaines d’entre elles reconnaissent disposer de connaissances insuffisantes sur les moyens à leur disposition et éprouver des difficultés au moment de choisir le type de protection approprié.

Les jeunes pousses et les essaimages créés à partir de la recherche des hautes écoles


La plupart des hautes écoles – les universités de Berne et de Zurich (Unitectra) ou l’EPFZ – préfèrent céder la titularité des droits (licences) à leurs essaimages, en les soumettant à des conditions telles que des délais à respecter pour la valorisation des découvertes. Elles conservent leurs droits de propriété intellectuelle. Une cession complète et immédiate des droits de propriété intellectuelle aux essaimages est rare. Des conditions telles que la restitution des droits en cas de faillite sont considérées comme difficiles à imposer dans un tel cas.Une cession complète se concrétise parfois ultérieurement, après que l’entreprise a apporté la preuve de sa réussite. Le transfert des droits de propriété intellectuelle s’accompagne le plus souvent d’une exclusivité adaptée à chaque situation et ciblée sur le secteur d’activité de l’entreprise considérée.Les essaimages des HES sont nettement plus rares que ceux des EPF, même si l’intérêt s’accroît. Il faut, pourtant, considérer les recettes et les dépenses des activités d’essaimage des hautes écoles
Le domaine des EPF a, en Suisse, la plus grande et la plus longue expérience en matière dessaimages. En 2008, il a été à l’origine de la création de plus de 40 entreprises. Une étude portant sur ce sujet suggère que les nouvelles technologies ne peuvent souvent être mises en œuvre que par ce biais, en raison notamment du manque d’intérêt des milieux concernés en Suisse. Les dépenses de ces essaimages sont relativement faibles, mais leur impact économique est considérable. Voir Oskarsson I. et Schläpfer A., The performance of Spin-off companies at the Swiss Federal Institute of Technology Zurich, Zurich, 2008.. Les écoles polytechniques fédérales et les universités peuvent détenir des participations au capital («equities»); c’est notamment le cas lorsque les fondateurs d’essaimages sont indemnisés au moyen de bons de participation. Pour les HES, la question de la participation ne s’est jusqu’à présent pas posée dans la pratique.

Conclusion


L’ensemble des participants à l’enquête considèrent que les réglementations concernant la propriété intellectuelle sont favorables à une bonne collaboration entre les hautes écoles et les entreprises. Les milieux concernés éprouvent toutefois des difficultés au moment de recourir à ces réglementations, ne réussissant pas toujours à élaborer des conventions de manière efficace et sans perte de temps. Des lacunes sont essentiellement constatées dans une partie des HES et dans le groupe des PME. Une grande partie des personnes interrogées estiment que les procédures internes propres aux hautes écoles de même que l’organisation des interfaces entre hautes écoles et entreprises dans le cadre de projets de coopération sont trop complexes et trop peu transparentes et qu’elles engendrent du même coup des coûts trop élevés.

Tableau 1 «Préférences pour certaines stratégies de protection»

Tableau 2 «Réglementation concernant la propriété intellectuelle pour les projets de coopération en matière de R&D par type de haute école»

Tableau 3 «Évaluation des réglementations en vigueur concernant la propriété intellectuelle»

Encadré 1: Les droits de propriété intellectuelleLes droits de propriété intellectuelle se subdivisent en droits de propriété industrielle (brevets, marques et designs) et droit d’auteur. On parle aussi de biens immatériels ou de droits ou titres de protection, le tout étant regroupé sous le terme générique de «propriété intellectuelle».Le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle peut interdire à toute personne – en général des concurrents – d’exploiter à des fins économiques des biens sur lesquels il possède un droit. Si une entreprise souhaite protéger de façon optimale ses produits et ses services, elle doit définir une stratégie de protection de la propriété intellectuelle.Le titulaire d’un brevet peut interdire à tout tiers l’utilisation de son invention à des fins économiques, notamment la fabrication, la vente et l’importation. Il est libre de transférer ce droit en cédant son brevet ou en octroyant des licences. Selon le code des obligations (art. 332 CO), les inventions créées dans l’exercice d’une activité au service d’un employeur appartiennent à ce dernier (cela concerne aussi les personnes relevant des hautes écoles).Davantage d’informations sur Internet: http://www.ipi.ch.

Proposition de citation: Beat Hotz-Hart (2010). La collaboration en matière de R&D entre les hautes écoles et les entreprises. La Vie économique, 01 janvier.