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Allégements pour les sociétés reprenantes: la révision du droit de l’assainissement est-elle suffisante?

Allégements pour les sociétés reprenantes: la révision du droit de l’assainissement est-elle suffisante?

La révision du droit de l’assainissement est en cours et plusieurs adaptations ont été proposées pour faciliter la création de sociétés reprenantes (p. ex. reprise ou non des contrats de travail, limitation de la révocabilité, attribution forcée d’actions de la société reprenante). Ces mesures relèvent surtout de la procédure concordataire judiciaire. L’assainissement extrajudiciaire, important pour les sociétés reprenantes, est laissé de côté. Il faudrait poursuivre la révision, en intégrant le droit de la fusion et celui des sociétés anonymes, afin de faciliter les assainissements en dehors des procédures concordataires et des faillites.

La société reprenante, une mesure dassainissement


Fondamentalement, l’objectif d’un assainissement est de permettre à une entreprise, ou partie de celle-ci, de poursuivre son activité. Pour y parvenir, on peut recourir à différentes techniques. Certaines sont de nature financière, d’autres sont propres au bilan, d’autres encore concernent l’aspect opérationnel de l’entreprise
Les mesures financières sont par exemple le paiement différé, l’échange de créances contre des actifs ou la postposition de créances; l’assainissement opérationnel peut inclure la vente ou la fermeture de secteurs non rentables de l’entreprise, la réduction de l’horaire de travail ou des licenciements . Voir Böckli (2009), pp. 1839s., Roberto (2003), pp. 12ss, et Schumacher (2010), p. 13.. L’assainissement opérationnel peut, par exemple, passer par la constitution d’une société reprenante
Rapport explicatif relatif à l’avant-projet (2008), p. 17.. Dans ce cas de figure, les parties encore saines de l’entreprise à assainir sont détachées, puis transférées à la nouvelle structure
Knobloch (2006), pp. 76 et 151.. Différents instruments sont utilisés pour le transfert de parties d’entreprises. Deux d’entre eux sont la création d’une société reprenante ou l’augmentation de son capital par le biais d’apports en nature
La loi sur la fusion ne prévoit que des possibilités très limitées de restructuration pour l’assainissement. Voir ci-après.. Tandis que la totalité ou une partie seulement de ses activités commerciales se poursuivent au sein de la société reprenante, l’entreprise débitrice est ensuite liquidée – souvent par le biais d’une procédure concordataire judiciaire. Dans le cadre de la liquidation, les actions de la société reprenante sont vendues et le produit réparti entre les créanciers
Rapport explicatif relatif à l’avant-projet (2008), p. 17; Malacrida (2007), p. 241s.. Parfois, ceux-ci reçoivent directement les actions, plutôt que le produit de leur vente. Il faut souligner que la constitution d’une société reprenante et le transfert de certaines parties de l’entreprise interviennent généralement en dehors de la procédure judiciaire d’assainissement
Rapport et avant-projet du groupe d’experts (2008), p. 26; voir également Malacrida (2007), pp. 236, 238 et 241..

Les obstacles juridiques que rencontre une société reprenante


De nombreux obstacles doivent être surmontés pour un assainissement opéré par le biais d’une société reprenante. Voici quelques-uns des éléments qui peuvent se transformer en frein juridique.

Contrats de travail: reprise obligatoire et responsabilité solidaire


Lors du transfert d’une partie de l’entreprise, les rapports de travail passent obligatoirement à l’acquéreur, à moins que le travailleur ne s’y oppose (art. 333, al. 1, CO). La société reprenante répond solidairement des créances du travailleur échues dès avant le transfert (art. 333, al. 3, CO)
Selon l’ATF 129 III 335, la responsabilité solidaire ne s’applique pas lors de l’acquisition d’une entreprise issue de la masse en faillite. Une insécurité juridique demeure en ce qui concerne la procédure concordataire. Voir Stöckli (2010), p. 68, et Rapport explicatif relatif à l’avant-projet, p. 20.. Elle n’a donc pas la possibilité d’alléger ses charges pour prendre un nouveau départ avec un personnel réduit et de nouvelles conditions de travail.

Action révocatoire contre le transfert de parties de l’entreprise


Lorsqu’une procédure judiciaire de concordat par abandon d’actifs
Staehelin, Bauer et Staehelin (1998), note 3 sur l’art. 331. ou une faillite fait suite à la constitution d’une société reprenante, il y a un risque que le transfert d’une partie de l’entreprise puisse être qualifié d’acte portant préjudice aux créanciers. Il est alors sujet à révocation, par le biais d’une action dite paulienne (voir art. 286, 288 et 331 LP)
Knobloch (2006), p. 151ss et 160.. Ce risque peut même exister lorsque le transfert d’actifs par la société mère prend la forme d’apports en nature et que cette dernière obtient en contrepartie des actions de la société reprenante
Knobloch (2006), p. 154s..

La protection des créanciers et du capital, un risque de responsabilité pour les organes


Les mesures d’assainissement, comme la constitution d’une société reprenante, prennent du temps. Or, les organes responsables sont soumis, en pareil cas, à des conditions strictes qui découlent des prescriptions sur la protection des créanciers et du capital. Ainsi, ils doivent livrer une course contre la montre pour se conformer à l’obligation d’aviser le juge en cas de surendettement (art. 725, al. 2, CO). Si la procédure de faillite est ajournée pour permettre à l’entreprise de parvenir à un assainissement extrajudiciaire, il faut s’attendre en cas d’échec à une action en responsabilité civile ou, dans le pire des cas, à une plainte pénale
Voir Roberto, p. 15s., ainsi que Böckli, pp. 1845 et 1871ss.. L’insécurité juridique sur la nécessité et le moment d’annoncer le surendettement quand un assainissement paraît possible
Malacrida (2007), p. 245., ainsi que les risques de responsabilité personnelle qui y sont liés, réduisent l’attrait que représente la constitution d’une société reprenante.

La loi sur la fusion: un dispositif qui protège fortement les créanciers


La loi sur la fusion n’offre que des possibilités de restructuration extrêmement restreintes pour l’essaimage d’une partie d’entreprise, en raison des prescriptions (trop) sévères sur la protection des créanciers. Ces dispositions incluent la responsabilité solidaire (en cas de scission et de transfert de patrimoine), y compris pour les créances qui n’ont pas été transférées à la société reprenante, ainsi que l’obligation de fournir des sûretés (en cas de scission, de transfert de patrimoine et de fusion)
Voir Binder (2007), p. 125, et Malacrida (2007), p. 254..

Droit de rétention du bailleur


En vertu de l’art. 268 CO, le bailleur de locaux commerciaux dispose d’un droit de rétention sur certains meubles. Le droit de rétention latent peut empêcher l’apport en nature d’actifs immobilisés ou circulants dans une société reprenante, étant donné qu’il faut s’attendre à une requête en réintégration de la part du bailleur
Rapport explicatif relatif à l’avant-projet (2008), p. 23s..

Les allégements prévus par l’avant-projet


Selon les documents publiés au sujet de la révision partielle de la procédure d’assainissement
Voir Avant-projet du groupe dexperts (2008), Rapport et avant-projet du groupe d’experts (2008), Rapport explicatif relatif à l’avant-projet (2008), Synthèse des résultats de la procédure de consultation (2009) et le communiqué du DFJP (2010)., différents allégements sont en cours de discussion. En font partie les propositions suivantes, qui s’appliquent aux sociétés reprenantes.

Pas de transfert automatique des rapports de travail (art. 333b, al. 1, AP CO)


Lors d’une reprise d’entreprise pendant le sursis concordataire ainsi que dans le cadre d’une faillite ou d’un concordat par abandon d’actifs, l’acquéreur ne doit plus être tenu de reprendre automatiquement les travailleurs avec l’entreprise. Selon l’avant-projet, il doit toutefois répondre solidairement des créances non couvertes qui découlent des contrats de travail repris
Rapport explicatif relatif à l’avant-projet (2008), p. 21.. Ainsi, l’élimination d’un obstacle de taille en matière de contrats de travail ne permettrait pas à la société reprenante de repartir vraiment à zéro en raison du maintien de la responsabilité solidaire (ou son extension à la faillite)
Voir Synthèse des résultats de la procédure de consultation (2009), p. 18..

Suppression de la révocabilité des actes juridiques accomplis pendant le sursis concordataire


La création d’une société reprenante, dans la mesure où elle a été avalisée par l’assemblée des créanciers ou par le juge du concordat, ne doit plus être révocable à l’avenir (art. 285, al. 3, AP LP). Cela accroît la sécurité juridique pour l’acquéreur
Rapport explicatif relatif à l’avant-projet (2008), p. 28.. Cependant, cette amélioration ne s’applique pas si la société reprenante a été créée avant une procédure d’insolvabilité. L’avant-projet propose même, dans le cas de groupes d’entreprises, un retournement du fardeau de la preuve au profit des créanciers pour les actions en révocation
Voir art. 286 et 288 AP LP; rapport explicatif relatif à l’avant-projet (2008), p. 28.. Cela augmenterait l’exposition aux risques du procès lors de la création de sociétés reprenantes au sein d’un groupe et rendrait ainsi encore plus difficile un nouveau départ.

Suppression du droit de rétention pour les baux commerciaux et à ferme


La suppression proposée du droit de rétention facilite la création de sociétés reprenantes.

Attribution forcée d’actions de la société reprenante


Selon l’avant-projet, le contrat concordataire peut prévoir de désintéresser les créanciers sous forme de droits de participation ou de droits sociaux à l’égard de la société reprenante (art. 314, al. 1bis, et art. 318, al. 1, ch. 1, AP LP)
Rapport explicatif relatif à l’avant-projet (2008), p. 17.. Il n’est pas possible, dans la plupart des cas, de désintéresser les créanciers en espèces (si l’on ne veut pas provoquer immédiatement un nouveau cas d’insolvabilité) et une aliénation des parts de la société reprenante à des tiers n’est souvent pas réalisable, du moins pas tout de suite. C’est pourquoi l’attribution forcée de droits de participation peut faciliter la création de sociétés reprenantes, voire même la rendre possible. Cette mesure paraît, toutefois, délicate en ce qui concerne les titres non cotés
Voir Synthèse des résultats de la procédure de consultation (2009), p. 15. Ainsi, le droit allemand de linsolva- bilité ne permet d’allouer des droits de participation qu’avec le consentement formel de tous les créanciers (voir § 230, al. 2, InsO); on y recourt donc rarement dans la pratique.. L’art. 306 AP LP prévoit dans ce cas un examen juridique. Le juge devrait pouvoir accorder des exceptions lorsqu’un créancier risque de subir un dommage substantiel du fait de la reprise de droits de participation
On pense ici, par exemple, à l’organe de révision, dont l’indépendance peut être réduite par l’attribution de droits de participation..

Conclusion


Les adaptations proposées dans l’avant-projet du droit de l’assainissement peuvent certes faciliter la création de sociétés reprenantes, mais pour l’essentiel uniquement dans le cadre des procédures concordataires judiciaires. En règle générale, l’ouverture et la publication d’une procédure de sursis concordataire ont pour effet d’anéantir une grande partie de la valeur de l’entreprise, ce qui complique l’assainissement de l’entreprise
Synthèse des résultats de la procédure de consultation (2009), p. 4s.. Les travaux de révision de la loi devraient par conséquent tenir compte du droit de la fusion et de celui des sociétés anonymes, et s’intéresser également à la phase qui précède le déclenchement de la procédure concordataire devant le juge
Vandebroek (2009), p. 21..

Encadré 1: Sélection de références bibliographiques et d’autres sources

– Binder Andreas, «Wege, Irrwege und Umwege für Umstrukturierungen», GesKR, 2/2007, pp. 123ss.– Böckli Peter, Schweizer Aktienrecht, 4e éd., Zurich/Bâle/Genève, 2009.– Knobloch Stefan, Die zivilrechtlichen Risiken der Banken in der sanierungsbedürftigen Unternehmung, thèse, Zurich/Saint-Gall, 2006.– Malacrida Ralph, «Neuer Wind im Restrukturierungsrecht – Kurswechsel im Gläubigerschutz?», GesKR, 3/2007.– Roberto Vito, «Rechtsprobleme bei Sanierungen – ein Überblick», dans Vito Roberto (éd.), Sanierung der AG, Ausgewählte Rechtsfragen für die Unternehmenspraxis, Zurich/Bâle/Genève, 2003, 2e édition.– Schumacher Reto, «Sanierungsmöglichkeiten gemäss Fusionsgesetz», dans Lengauer/ Rezzonico; Chancen und Risiken rechtlicher Neuerungen 2009/2010, Zurich/Bâle/ Genève, 2010.– Staehelin Adrian, Bauer Thomas et Staehelin Daniel (éd.), Kommentar zum Bundesgesetz über Schuldbetreibung und Konkurs: SchKG III Art. 221-352, Bâle/Genève/Munich, 1998.– Stöckli Kurt, «Der Verkauf von Betriebsteilen während der Nachlassstundung», Anwaltsrevue, 2/2010, p. 67ss.– Vandebroek Jos, «Gläubiger stehen bei Sanierungen oft im Regen, Zweifelhafte Verbesserungen des schweizerischen Nachlassrechts», NZZ, n° 189 du 18 août 2009, p. 21.– Révision de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP): procédure d’assainissement, Avant-projet du groupe d’experts «Procédure concordataire», Berne, juin 2008.– Révision de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP): procédure d’assainissement, Rapport et avant-projet du groupe d’experts «Procédure concordataire», Berne, juin 2008.– Révision de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP): procédure d’assainissement, Rapport explicatif relatif à l’avant-projet, décembre 2008.– Révision de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP): procédure d’assainissement, Synthèse des résultats de la procédure de consultation, août 2009.– Procédure d’assainissement des entreprises – Le Conseil fédéral prend acte des résultats de la consultation: communiqué du DFJP, 21 janvier 2010.

Proposition de citation: Peter Fatzer (2010). Allégements pour les sociétés reprenantes: la révision du droit de l’assainissement est-elle suffisante. La Vie économique, 01 mai.