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Remarques sur la révision du droit de l’assainissement

Remarques sur la révision du droit de l’assainissement

Entré en vigueur en 1997, le droit suisse de l’assainissement a fait ses preuves dans la pratique, estiment le groupe d’experts et les participants à la procédure de consultation. La révision en cours ne saurait donc viser à le repenser entièrement, mais plutôt à supprimer divers points faibles et à optimiser la procédure. Le groupe d’experts a également examiné l’opportunité de reprendre des éléments de la procédure du Chapitre 11 du code des faillites américain.

S’il existe au moins une chose que la crise économique favorise, c’est bien la demande d’une révision du droit de l’assainissement. Alors que la question de l’augmentation ou de la réduction des dépenses publiques provoque de vifs débats, la proposition d’atténuer les conséquences de la récession par une optimisation du droit de l’assainissement et de sauver ainsi sans frais des emplois menacés trouve en général une large approbation. Si l’on veut cependant soutenir la conjoncture en améliorant le cadre légal, il faut commencer par s’assurer que le droit de l’assainissement en vigueur est effectivement susceptible d’amélioration. Si ce n’est pas le cas, les tentatives de révision pourraient n’être qu’un coup dans l’eau.En été 2003, suite à la faillite de Swissair, l’Office fédéral de la justice (OFJ) a chargé un groupe d’experts composé de spécialistes réputés d’apporter une réponse précise à la question suivante: le droit suisse de l’assainissement doit-il être révisé? Les experts ont conclu à l’inutilité d’une révision ou d’une refonte totale; celui-ci offre, en pratique, suffisamment de marge de manœuvre et de possibilités raisonnables et satisfaisantes.Le gain d’efficacité que promet une révision réussie du droit de l’assainissement est ainsi limité d’emblée. Il n’est, pourtant, pas étonnant que le public s’en fasse une idée un peu différente, car à côté des tentatives réussies d’assainissement, de nombreux échecs sont toujours à déplorer et c’est surtout de ces derniers que parlent les médias. Un assainissement n’échouant en général pas pour une unique et simple raison, il est alors facile de dénoncer les défauts du cadre légal.

État de la révision


En Suisse, le droit actuel de l’assainissement date de la dernière grande révision de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP), entrée en vigueur le 1er janvier 1997. Les dispositions concernant le droit de l’assainissement avaient été introduites suite à la sévère crise économique du début des années nonante. Pour la première fois, le but avoué du législateur était de permettre non seulement une liquidation en bonne et due forme de l’entreprise, mais aussi de favoriser expressément un assainissement, qui permette le rétablissement de l’entreprise.Le groupe d’experts a été chargé d’examiner si ce droit relativement récent est adapté à la pratique. Bien quils aient pour l’essentiel reconnu la valeur du droit en vigueur, ils ont aussi soulevé la nécessité de réformer certains points. Remis en juin 2008, le rapport du groupe d’experts suggère ainsi une série de mesures spécifiques qui, selon eux, devraient permettre d’optimiser la procédure actuelle. Ce rapport a servi de base à l’avant-projet envoyé en consultation par le Conseil fédéral. Le résultat largement positif de la procédure de consultation a amené le Conseil fédéral à charger, le 20 janvier 2010, le Département fédéral de justice et police (DFJP) de l’élaboration d’un message.

Détail des propositions de révision


Les propositions formulées par le groupe d’experts – et largement reprises par le Conseil fédéral – pour optimiser la procédure d’assainissement empruntent essentiellement deux directions: dune part, la mise au point dune procédure efficace et, dautre part, le renforcement de l’égalité de traitement entre les créanciers avec laugmentation de la masse à partager, consécutive à la suppression des privilèges de certains créanciers.Il a, par exemple, été suggéré de faire de la procédure concordataire de la LP l’unique forme d’assainissement. Il fallait pour cela y intégrer la possibilité d’ajourner la faillite telle qu’elle existe dans le droit actuel (art. 725a CO), de sorte que toutes les entreprises puissent en profiter et non seulement les SA comme aujourd’hui.Durant toute la procédure, les droits de codécision du créancier doivent être renforcés par diverses mesures. Au cas où plusieurs procédures d’insolvabilité seraient en cours au même moment pour différentes sociétés d’un même groupe, leur coordination serait nécessaire, et les organes d’exécution, autorités de surveillance et tribunaux impliqués devraient, autant que possible, accorder leurs actions.Le groupe d’experts conseille de réduire une série d’autres obstacles qui ont souvent compliqué la procédure dassainissement dans la pratique. Ainsi, le cas d’insolvabilité (faillite, procédure concordataire) n’a selon le droit en vigueur absolument aucun effet sur les contrats de durée en cours (par exemple les contrats de location et de crédit-bail). Il faudra offrir la possibilité de suspendre exceptionnellement de tels contrats en cas d’assainissement de l’entreprise selon la procédure concordataire. Les contrats de durée qui entravent un assainissement pourraient être ainsi annulés à tout moment et immédiatement, moyennant dédommagement intégral de la partie adverse. Comme ce dédommagement aurait le statut de simple créance concordataire, le créancier concerné devra en règle générale assumer une perte.Il est aussi prévu de supprimer purement et simplement le droit de rétention en vigueur du bailleur de locaux commerciaux sur les affaires déposées par le locataire, celui-ci pouvant être, lui aussi, un obstacle à l’assainissement. Très controversée, enfin, a été la proposition de supprimer la disposition actuelle obligeant l’acquéreur de l’entreprise de reprendre la totalité des salariés (art. 333 CO). Cette obligation a rendu, dans certains cas, lassainissement impossible et a abouti à la suppression complète des emplois concernés. Pour cette raison, les parties en présence devraient de nouveau négocier pour convenir si et jusqu’à quel point les contrats de travail doivent être transférés conjointement avec l’entreprise.

L’appel au Chapitre 11


Dès qu’il est question de réviser le droit suisse de l’assainissement, on évoque généralement la nécessité de l’harmoniser avec la procédure en vigueur aux États-Unis, dite du Chapitre 11. On énumère constamment comme preuves de son succès diverses grandes sociétés américaines qui, au cours de leur existence, se sont mises un jour sous sa protection et génèrent aujourd’hui de nouveau des profits (entre autres United Airlines, K-Mart, Macy’s, Texaco, Singer).La procédure du Chapitre 11 donne, elle aussi, loccasion à l’entreprise de réorganiser ses dettes et de poursuivre ensuite ses affaires. Elle n’est donc pas différente – du moins quant à son but – de la procédure d’assainissement de la LP, qui prévoit, elle aussi, explicitement, outre la liquidation, l’assainissement de l’entreprise. Il faut, cependant, attirer l’attention sur le fait que, dans plus de la moitié des cas, la procédure du Chapitre 11 ne mène pas à un assainissement de l’entreprise. On peut aussi critiquer le fait qu’elle permette à la direction d’effacer après coup ses erreurs, ce qui constitue en soi une incitation à diriger l’entreprise avec désinvolture et témérité. Il existe également un risque que la direction abuse de la procédure pour des motifs stratégiques, comme de se débarrasser de certains contrats, licencier une partie des effectifs ou réduire les salaires.Adopter avec succès des institutions juridiques étrangères représente toujours un défi important pour l’autorité qui les intègre, car les conditions locales doivent être constamment considérées comme autant de facteurs d’influence, qui rendent difficile une reprise telle quelle du droit étranger, ou font que la même disposition aura des effets différents d’un environnement à l’autre. Pour savoir s’il convient de reprendre des éléments du droit américain et jusqu’où, il faut les examiner un à un, en tenant compte de toutes les circonstances. Cette façon de procéder est d’ailleurs celle du groupe d’experts, qui, dans le cadre de son travail, a discuté expressément de la reprise d’éléments spécifiques de la procédure du Chapitre 11, comme vont l’illustrer les trois exemples suivants.

Rejet d’un sursis de paiement automatique


La procédure du Chapitre 11 prévoit l’«Automatic Stay»: dès que le débiteur dépose une demande de protection, un sursis de paiement automatique et complet entre en vigueur. Les créanciers ne peuvent dès lors plus engager le moindre acte d’exécution contre lui. Le groupe d’experts a examiné l’opportunité de reprendre l’«Automatic Stay», mais a trouvé deux raisons de le rejeter: premièrement, avec la possibilité d’un sursis de paiement provisoire, la marge de temps entre le dépôt d’une requête et un accord judiciaire est très étroite. Deuxièmement, le risque de détournement d’une telle disposition apparaît très important, dans la mesure où un débiteur peut présenter une requête de sursis concordataire – sans d’ailleurs avoir la plus petite chance de se le voir accorder – et profiter de la sorte, au moins jusqu’au rejet de la requête, d’un sursis de paiement immédiat.

Gestion autonome d’après l’ordonnance sur l’insolvabilité


Une autre différence essentielle par rapport au droit suisse est qu’après l’ouverture de la procédure par le débiteur – c’est-à-dire la direction en place –, l’entreprise, continue d’être dirigée de façon autonome («debtor in possession»). Une telle solution est généralement peu coûteuse, n’entraîne pas d’interruption de l’activité et peut se justifier par le savoir-faire spécifique que le débiteur a de l’entreprise ou de la branche. Dans les faits, une telle continuité s’observe également en Suisse et s’exerce sous la surveillance du curateur. À l’opposé, aux États-Unis, la position du «debtor in possession» dans les petites entreprises, c’està-dire les entreprises ayant moins de 2 millions d’engagements non garantis, a été très fortement limitée et le rôle du curateur officiel institué par le tribunal («United States Trustee») renforcé, depuis la révision de 2002. Les deux systèmes se sont ainsi beaucoup rapprochés. On peut, en outre, se demander s’il est adéquat de laisser systé-matiquement la direction de l’entreprise à la personne qui l’a conduite à l’insolvabilité et si, par ce moyen, les bailleurs de fonds potentiels et les créanciers peuvent vraiment retrouver confiance dans les capacités du débiteur, laquelle est indispensable en cas d’assainissement. Aux États-Unis, il est moins risqué de laisser la direction des af-faires au débiteur, car la facilité avec laquelle les citoyens de ce pays portent plainte le discipline préventivement. En cas de comportement répréhensible, le débiteur risque fort de voir sa responsabilité personnelle engagée.

Procédure de «Cramdown» impossible en Suisse


Une troisième particularité du Chapitre 11 réside dans la procédure de «Cramdown», qui autorise le tribunal à approuver un concordat même contre la volonté d’une majorité de créanciers. Cela est impossible en droit suisse, car pour qu’un concordat soit homologué judiciairement, la LP exige qu’il soit accepté par une majorité qualifiée de créanciers.Le groupe d’experts a examiné la possibilité d’introduire une telle disposition, mais l’a expressément rejetée comme contraire à la tradition suisse: selon lui, le système actuel est juste, car il vise à trouver un compromis acceptable par la majorité, même si cest au prix de pénibles négociations. Il permet, en outre, au tribunal de consentir un concordat contre la volonté d’une importante partie des créanciers. Les instances judiciaires suisses ne sont, par ailleurs, en aucun cas spécialisées dans les questions d’assainissement; ce sont bien plutôt les tribunaux civils ordinaires qui fonctionnent comme des tribunaux concordataires, à la différence des États-Unis où la compétence revient à des instances hautement spécialisées en cas d’application du Chapitre 11. La possibilité d’approuver le concordat contre la volonté d’une ou plusieurs classes de créanciers requiert en fait des tribunaux qu’ils puissent juger de ses avantages mieux que les créanciers; or ceux qui, chez nous, sont compétents en ce domaine ne pourront sans doute jamais y prétendre.

Conclusion


Le groupe d’experts a été clair: le droit suisse de l’insolvabilité vaut mieux que la réputation qu’on lui a faite; cela vaut également pour le droit de l’assainissement. La révision en cours ne saurait donc avoir pour but de le repenser entièrement, mais plutôt de continuer de l’améliorer à partir des bases existantes. Les appels récurrents demandant à reprendre dans sa globalité une législation étrangère n’apportent rien à une discussion déjà très affinée et se révèlent irréalisables si l’on considère les différences fondamentales qui existent entre les ordres juridiques.En Suisse, ce n’est pas le droit qui cause le plus souvent l’échec d’un assainissement, mais bien d’autres facteurs, qui posent la question de la prévention: lorsque les difficultés sont identifiées ou que les mesures nécessaires sont prises, il est souvent trop tard. Si une procédure concordataire est alors entamée, l’assainissement n’est plus guère possible, et seule reste la liquidation. L’idée d’un «assainissement avant l’insolvabilité» mérite donc à l’avenir toute notre attention, ainsi que celle du législateur. Parallèlement, il faudrait veiller à ce que les entreprises – et plus spécifiquement leur conseiller juridique – aient connaissance du soutien que la loi leur offre avec l’institution du sursis concordataire et en fassent usage en cas de besoin. Il faudrait, enfin, réfléchir afin de savoir si des mesures sont nécessaires − et lesquelles − pour résoudre les points faibles susmentionnés de notre système, en particulier le manque de spécialisation des tribunaux et la retenue observée dans l’exercice d’actions en responsabilité et d’actions révocatoires (pauliennes).

Encadré 1: La procédure dite du Chapitre 11

Le règlement des faillites américain («US Bankruptcy Code») prévoit pour l’entreprise insolvable deux options: soit elle est liquidée selon le Cha-pitre 7, soit elle est réorganisée selon le Chapitre 11 pour lui permettre de reprendre par la suite son activité commerciale. Cette dernière procédure se distingue essentiellement de la façon suivante:1. La procédure peut être lancée par le débiteur ou par ses créanciers, l’insolvabilité n’en constituant pas une condition.2. Au moment où la requête est déposée, tous les biens du débiteur sont, de par la loi, transférés dans une nouvelle unité, le «Bankruptcy Estate», et toutes les créances contre le débiteur deviennent exclusivement des créances contre cette masse.3. Parallèlement à la requête du débiteur, un sursis automatique et total («Automatic Stay») entre en vigueur. Les créanciers existants ne peuvent plus entreprendre le moindre acte d’exécution contre le débiteur.4. Une commission de créanciers («Committee of Unsecured Creditors») est nommée dans les plus brefs délais.5. «Debtor in possession»: une fois la procédure ouverte, l’entreprise continue d’être dirigée par le débiteur lui-même, sous la surveillance du «United States Trustee». L’ancien comité de direction continue ainsi automatiquement de diriger l’entreprise.6. Procédure «Cramdown»: l’approbation de tous les créanciers au plan d’assainissement n’est pas requise. Chacun dentre eux est au con-traire rangé dans une classe avec d’autres et ne peut peser que jusqu’à un certain point sur la répartition effectuée. Le vote sur le plan d’assainissement se déroule au sein des classes. En général, le tribunal approuve le plan d’assainissement lorsque toutes les classes l’ont accepté. L’accord d’une classe est réputé acquis lorsqu’au moins la moitié des créanciers, représentant au moins les deux tiers des créances de la classe, accepte le plan. Si une ou plusieurs classes de créanciers n’acceptent pas le plan d’assainissement, le tribunal peut tout de même l’approuver dans certains cas.7. Le «Pre-Packaged» Plan permet que les négociations avec les créanciers aient lieu avant même qu’une procédure selon le Chapitre 11 soit entamée, grâce à quoi l’accord des créanciers au plan d’assainissement est déjà acquis au moment du dépôt de la requête, et le plan peut être rapidement approuvé par le tribunal.

Encadré 2: Bibliographie

Révision de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite: procédure d’assainissement, rapport explicatif relatif à l’avant-projet, Berne, 2008.– Avant-projet de révision de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP), Berne 2008.– Le droit de l’assainissement doit-il être révisé? Thèses et propositions au regard de l’assainissement des entreprises, rapport du groupe d’experts chargé de réexaminer la procédure concordataire, Berne, 2005.– Hunkeler D., «Versäumnis des Gesetzgebers als Mitursache für das Swissair-Debakel», Blätter für Schuldbetreibung und Konkurs, 2002, p. 7 ss.– Meier I., «Chapter 11 im Vergleich mit dem schweizerischen Nachlassverfahren», Private Law in the International Arena, Liber Amicorum Kurt Siehr, La Haye, 2000, p. 446 ss.– McCormack G., Corporate Rescue Law − An Anglo-Saxon Perspective, Cheltenham, 2008.

Proposition de citation: David Rueetschi (2010). Remarques sur la révision du droit de l’assainissement. La Vie économique, 01 mai.