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Quand la gestion du personnel s’adapte à la mondialisation

Le puissant mouvement de globalisation transforme le monde économique et pousse les entreprises à s’adapter aux réalités nouvelles. Le durcissement de la concurrence internationale tend à faire des ressources en personnel un facteur de réussite majeur des entreprises
Voir Knoche (2007).. Ces dernières doivent donc disposer d’employés compétents et motivés, malgré la pénurie grandissante, pour se maintenir sur le marché mondial. Leurs services du personnel se trouvent, dès lors, au défi d’attirer et de garder les employés grâce à des mesures inventives. Les résultats du «baromètre RH 2010» montrent que la plupart des grandes entreprises actives à l’échelle mondiale investissent dans une politique du personnel orientée sur la famille.

Le présent article s’intéresse à la manière dont les entreprises suisses adaptent leur politique du personnel pour faire face à la concurrence mondiale. Il estime le degré d’internationalisation des entreprises en les différenciant entre grandes sociétés, PME localement actives et micro-entreprises. L’analyse se concentre sur deux aspects types de la gestion du personnel: la politique en faveur de la famille et la flexibilité des conditions de travail. Les données du Baromètre suisse des relations humaines 2010 (baromètre RH) ont servi de base à cette enquête annuelle représentative, menée par l’université de Zurich et l’EPFZ. En outre, 1400 employés suisses des régions alémanique et romande du pays ont été interrogés sur leurs conditions de travail (voir encadré 1

Le Baromètre suisse des relations humaines 2010 (baromètre RH) est la cinquième édition d’une enquête annuelle effectuée auprès de 1400 employés suisses. Il étudie les rapports et les conditions de travail ainsi que les positions et le comportement de ces mêmes employés et permet d’analyser les tendances des thématiques étudiées. Le baromètre RH est publié par le Pr Gudela Grote, de la chaire professorale de Psychologie du travail et de l’organisation de l’EPF Zurich, et le Pr Bruno Staffelbach, titulaire de la chaire de Gestion des ressources humaines de l’université de Zurich. Il est financé grâce à de nombreux parrainages, dont le principal est Adecco, suivi d’Axpo, «Arbeitskreis für Assessment Center Schweiz», ZGP, SGO et autres.Gudela Grote et Bruno Staffelbach (éd.), Schweizer HR-Barometer 2010: Arbeitsflexibilität und Familie, Zurich, 2010, NZZ Libro, éd. Neue Zürcher Zeitung. ISBN 978-3-03823-619-8.

).

Mondialisation et politique du personnel axée sur la famille


En Suisse, la compatibilité entre vies familiale et professionnelle n’apparaît que très faiblement dans les textes réglementaires, si on compare avec d’autres pays européens. La Confédération n’accorde guère qu’un congé maternité de 16 semaines et des allocations familiales. Bien que le nombre des mesures publiques de soutien varie fortement selon les cantons, certaines réglementations – comme le congé paternité – n’ont pas encore fait partout et pleinement leur entrée dans la loi. Là où les réglementations d’État sont peu nombreuses, les offres produites par les entreprises en faveur de la famille revêtent une importance toute particulière pour les employés qui ont des enfants et qui dépendent de ce type d’avantages pour concilier leurs vies familiale et professionnelle.

La situation des familles en Suisse


Les données du baromètre RH 2010 montrent qu’en Suisse, des structures familiales très traditionnelles continuent de prévaloir. Sur l’ensemble des employés interrogés, 40% ont des enfants de moins de 18 ans. Près de 70% des mères professionnellement actives déclarent se charger le plus souvent ellesmêmes des tâches familiales. Cela explique qu’une grande partie d’entre elles ont un emploi à temps partiel. En revanche, les pères travaillent le plus souvent à temps plein et reconnaissent n’être que modérément impliqués dans l’encadrement de leurs enfants. Seul un père au travail sur dix déclare participer totalement à la prise en charge de ses enfants.Il semble que la mondialisation soit corrélée avec la baisse du taux de natalité; c’est plus précisément le cas dans les sociétés aux structures familiales traditionnelles comme la Suisse
Voir Bygren, Duvander & Hultin (2005).. Les mères au travail qui doivent assumer seules une grande partie des tâches éducatives de leur progéniture ne peuvent guère satisfaire aux exigences élevées des entreprises actives au plan international en matière de mobilité géographique et de capacité d’adaptation. La modestie des structures de soutien étatiques qui caractérise la Suisse dans ce domaine accentue encore la problématique de la mondialisation. Alors qu’en Allemagne, en Suède ou en France, par exemple, les jeunes parents sont assurés d’être repris dans leur entreprise après un congé sabbatique de plusieurs années et bénéficient de dispositifs d’accueil financés par l’État, il n’existe pas de réglementation comparable en Suisse. On estime dès lors que les effets de la mondialisation sur la structure familiale sont plus sensibles dans les pays traditionnels où les dispositifs publics de soutien sont peu développés. Ainsi, en Suisse, de nombreuses femmes ayant un bon niveau d’instruction renoncent à avoir des enfants: cette réaction est économiquement rationnelle au vu des structures d’accueil. Dans les pays scandinaves, où l’État offre aux jeunes familles des prestations et des structures de prise en charge généreuses et où la politique de l’emploi est active, le taux de natalité est supérieur
Voir Nilsen (2005)..

La politique familiale des entreprises suisses


L’examen des offres en faveur de la famille produites par les entreprises suisses révèle qu’en moyenne, seule une sur dix ne prévoit rien pour faciliter la vie de famille de ses employés (voir graphique 1). Si on prend en compte l’influence de la mondialisation, des différences apparaissent entre les entreprises dont le rayon d’action est local et les grandes sociétés généralement actives à l’échelle planétaire. Les micro-entreprises ayant moins de 10 collaborateurs sont celles qui offrent le moins d’avantages en faveur de la famille. Les PME (10 à 249 employés) sont légèrement plus généreuses et les grandes entreprises internationales (à partir de 250 employés) présentes dans le monde entier sont celles qui offrent le plus. L’examen détaillé des formules favorables à la vie de famille révèle que la souplesse du lieu et des horaires de travail est la solution la plus répandue parmi les grandes entreprises internationales aussi bien que dans les PME localement actives. Ce sont surtout les grandes entreprises qui offrent les prestations les plus coûteuses: conseil et encadrement, crèches, régime des congés maternité ou paternité et autres aides financières supplémentaires.Les employeurs plus petits et plutôt actifs localement seraient-ils donc moins favorables à la famille? Quand on demande aux employés leur sentiment sur la politique du personnel en la matière, en les invitant à préciser dans quelle mesure le régime de travail, la culture et le système de communication de leur entreprise leur paraissent favoriser la vie de famille, on constate que leur appréciation n’est pas seulement fonction de l’existence ou non d’offres allant dans ce sens. Tant dans les grandes sociétés que dans les micro-entreprises et les PME, en effet, au moins 70% des personnes occupées qua-lifient de moyennement à très favorable à la vie de famille la politique du personnel pratiquée par leur employeur (voir graphique 2).Compte tenu de leurs ressources financières généralement limitées, les PME ne peuvent pas investir autant que les grands groupes dans de coûteux dispositifs en faveur de la famille. Étant donné, toutefois, que par rapport aux grands groupes, ces PME (le plus souvent locales) exigent aussi moins de souplesse et de mobilité géographique de la part de leurs employés, elles ne sont pas con-traintes d’investir dans les mêmes proportions en ce domaine. De plus, les résultats du baromètre RH montrent que les prestations ne sont pas tout. Au-delà des offres mentionnées ci-dessus, une politique du personnel sincèrement soucieuse de la question familiale se distingue aussi par une culture et une communication qui lui est favorable. Si elles les pratiquent au jour le jour, les entreprises de taille modeste peuvent aussi aider activement leurs collaborateurs à concilier travail et vie familiale, même si le soutien est moins important. Par exemple, la compréhension que peuvent manifester des supérieurs pour la double charge de leurs subordonnés pères ou mères fait déjà beaucoup pour assurer un bon équilibre entre ces deux obligations.

La mondialisation et la flexibilité des conditions de travail


La mondialisation entraîne une mutation structurelle du marché du travail et accroît ses besoins de souplesse. Les grandes sociétés internationales exigent de leurs travailleurs mobilité géographique et adaptabilité afin de leur permettre de s’adapter à la concurrence internationale et au marché planétaire en rapide transformation. Ces derniers ne peuvent satisfaire à ces exigences que si la gestion des ressources humaines leur offre des conditions adéquates; la flexibilité est, en l’occurrence, un instrument précieux à cet égard. L’influence de la mondialisation est une chose, mais le cadre institutionnel joue également un rôle important. Selon le type d’activité de l’entreprise, le degré de flexibilité du travail dont elle a besoin diffère: dans de nombreuses organisations – les hôpitaux, par exemple – le travail par équipes et durant le week-end est indispensable; dans le secteur artisanal et industriel, les employés doivent souvent se déplacer chez les clients; enfin, dans les professions sociales, le travail à temps partiel est largement répandu en raison de la forte charge psychique que subissent les employés.Sur la base des données du baromètre RH 2010, l’enquête a porté sur les régimes de travail flexibles. Il est apparu particulièrement utile de déterminer dans quelle mesure la politique des ressources humaines des entreprises mondialement actives offre au personnel des conditions de travail qui permettent de satisfaire aux exigences de flexibilité et de mobilité nécessaires. L’analyse est fondée sur une comparaison entre entreprises localement actives et grandes sociétés, dont la plupart sont présentes sur les marchés mondiaux.

La flexibilité dans les entreprises suisses


On distinguera deux catégories de mesures flexibles proposées par les entreprises
Voir Reilly (1998).:– flexibilité du temps de travail: possibilité d’activité à temps partiel, horaires variables avec possibilité de choisir l’heure du début et de la fin du travail, horaire annualisé et congé sabbatique;– flexibilité du lieu de travail: travail à distance possible.La comparaison montre que, dans de nombreux domaines, les grandes sociétés jouent un rôle pionnier en matière de flexibilité du temps de travail (voir graphique 3). Par rapport aux PME et aux micro-entre-prises, la durée du travail y est plus souvent annualisée; autrement dit, les salariés peuvent répartir librement leurs horaires sur l’ensemble de l’année. Toutefois, cette formule a aussi ses inconvénients, puisqu’elle implique souvent des périodes de surcharge horaire
Voir Reilly (1998).. Dans les grandes entreprises, tout comme dans les micro-entreprises, les salariés disposent d’une grande liberté de choix pour commencer et terminer leur journée de travail. Dans les PME, par contre, les horaires sont le plus souvent fixes. Ils dépendent, en outre, de la branche d’activité: les grandes sociétés internationales sont en majorité actives dans les services, où la flexibi-lité en matière d’horaires est tout-à-fait concevable. Les PME de l’industrie de transformation actives au plan local ont moins de possibilités en ce domaine. C’est aussi dans les grandes entreprises que l’on propose le plus souvent des congés sabbatiques. Dans les micro-entreprises, cette offre est deux fois moins répandue (5%). Cela s’explique par le fait que, disposant deffectifs réduits, elles ont des difficultés à trouver des remplaçants à leurs collaborateurs absents pour de longues durées. La possibilité de travailler à temps partiel est nettement moins répandue dans les grandes entreprises que dans les PME ou les très petites entreprises. La raison pour laquelle on travaille moins souvent à temps partiel dans les grandes sociétés peut provenir du fait que les femmes, qui travaillent plus volontiers à temps partiel, sont sous-représentées dans ces sociétés. Il reste à clarifier la raison pour laquelle les femmes sont moins enclines à travailler dans les grandes sociétés.En ce qui concerne la flexibilité du lieu de travail, on constate que ce sont avant tout les PME et les grandes entreprises qui offrent à leurs collaborateurs la possibilité de travailler chez eux. Toutefois, pour plus de 40% des personnes interrogées, les micro-entreprises autorisent également le télétravail. Cette formule est donc indépendante de la taille des entreprises et de leur degré d’internationalisation.

Évaluation de la flexibilité par les travailleurs


La flexibilité – qu’elle s’exprime en temps ou en lieu de travail – est appréciée d’une manière relativement uniforme, tant en ce qui concerne la mesure concernée que la taille de l’entreprise. Ainsi 80% à 90% des personnes interrogées qualifient d’élevée ou de très élevée la souplesse dont elles bénéficient au travail (voir graphique 4). Les employés des grandes sociétés portent sur la flexibilité horaire un jugement légèrement meilleur et ont tendance à être un peu moins satisfaits de la flexibilité géographique offerte par leur employeur. Ces différences ne sont, toutefois, pas significatives statistiquement. Le traitement différencié de la flexibilité du travail en fonction des dimensions de l’entreprise semble donc sans effet sur la satisfaction des employés.En ce qui concerne la répartition des diverses formes de flexibilité suivant la taille de l’entreprise, on s’aperçoit que ce sont les grandes sociétés qui sont les plus généreuses: leur offre en matière de flexibilité est abondante. L’évaluation de la souplesse horaire et géographique montre toutefois – de la même manière que pour l’évaluation des offres favorables à la vie de famille – qu’il n’existe guère de différences dans la perception par les employés des régimes flexibles existants. Aussi bien la plupart des employés des grandes sociétés que ceux des PME et des micro-entreprises jugent que le degré de souplesse offert par leur entreprise est important. Le fait que les travailleurs de petites entreprises locales, malgré la faiblesse de l’offre, portent sur la flexibilité dont ils disposent un jugement aussi avantageux que les employés des grandes entreprises peut être lié au fait que l’on exige d’eux moins de flexibilité et de mobilité et qu’ils ont aussi, par conséquent, des besoins moins importants en matière de souplesse. Cela permet en outre de supposer que les entreprises adaptent la flexibilité de leurs conditions de travail à l’importance de leurs activités internationales, afin de pouvoir satisfaire autant que possible un équilibre entre vies familiale et professionnelle chez leurs employés.

Graphique 1: «Offres de la politique du personnel en faveur de la famille»

Graphique 2: «Évaluation du caractère pro-familial de la politique du personnel»

Graphique 3: «Offres de flexibilité du travail»

Graphique 4: «Évaluation de la flexibilité des conditions de travail»

Encadré 1: Le baromètre suisse RH 2010

Le Baromètre suisse des relations humaines 2010 (baromètre RH) est la cinquième édition d’une enquête annuelle effectuée auprès de 1400 employés suisses. Il étudie les rapports et les conditions de travail ainsi que les positions et le comportement de ces mêmes employés et permet d’analyser les tendances des thématiques étudiées. Le baromètre RH est publié par le Pr Gudela Grote, de la chaire professorale de Psychologie du travail et de l’organisation de l’EPF Zurich, et le Pr Bruno Staffelbach, titulaire de la chaire de Gestion des ressources humaines de l’université de Zurich. Il est financé grâce à de nombreux parrainages, dont le principal est Adecco, suivi d’Axpo, «Arbeitskreis für Assessment Center Schweiz», ZGP, SGO et autres.Gudela Grote et Bruno Staffelbach (éd.), Schweizer HR-Barometer 2010: Arbeitsflexibilität und Familie, Zurich, 2010, NZZ Libro, éd. Neue Zürcher Zeitung. ISBN 978-3-03823-619-8.

Encadré 2: Mesures prises par les entreprises en faveur de l’équilibre entre famille et travail

Pour leur permettre de concilier vie professionnelle et vie familiale, les entreprises ont diverses solutions à proposer à leurs employés. Selon le modèle de Galinsky, Friedman et Hernandez (1991), il s’agit principalement des suivantes: – un congé de maternité prolongé, qui dépasse les 14 semaines prescrites par la loi;– un congé de paternité limité dans le temps (payé ou non), accordé aux pères après la naissance de leur enfant;– un soutien financier volontaire de l’entreprise; – une structure d’accueil, p. ex. une crèche;– des prestations de conseil, comprenant par exemple des séminaires sur l’équilibre entre travail et famille;– des conditions de travail favorisant la famille, p. ex. travail à temps partiel ou partage des tâches.

Encadré 3: Bibliographie

– Bygren M., Duvander A. et Hultin M., «Elements of Uncertainty in Life Courses. Transitions to Adulthood in Sweden», dans Hans-Peter Blossfeld, Erik Klijzing, Melinda Mills et Karin Kurz (éd.), Globalization, Uncertainty and Youth in Society, Londres/ New York: Routledge, 2005, p. 135–158.– Galinsky E., Friedman D.E. et Hernandez C.A., The Corporate Reference Guide to Work-Family Programs, New York, 1991, Families and Work Institute. – Knoche M., Die deutschen Unternehmen im Globalisierungsprozess, Ifo Schnelldienst, 60 (6), 2007, p. 17–28. – Wald P.M., Neue Herausforderungen im Personalmanagement, Wiesbaden, 2005, Gabler Verlag.– Nilsen O.A., «Transition to Adulthood in Norway», dans Hans-Peter Blossfeld, Erik Klijzing, Melinda Mills & Karin Kurz (éd.), Globalization, Uncertainty and Youth in Society, Londres/New York, 2005, Routledge, p. 159–176.- Reilly P.A., «Balancing flexibility – meeting the interests of employer and employee», European Journal of Work and Organizational Psychology, 1998, 7, p. 243-259.

Proposition de citation: Cécile Tschopp ; Anja Feierabend ; (2010). Quand la gestion du personnel s’adapte à la mondialisation. La Vie économique, 01 juin.