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Optimisation économique de la prévention contre l’incendie

La protection contre l’incendie sauve des vies humaines et permet de limiter les dommages économiques. C’est la raison pour laquelle les prescriptions suisses de protection contre l’incendie s’imposent aux bâtiments. Les investissements exigés doivent, cependant, se justifier par leur utilité. Engloutir des sommes importantes dans des mesures économiquement inefficaces revient, en effet, à immobiliser des capitaux qui pourraient sauver des vies dans d’autres domaines. Inversement, il ne faut jamais renoncer à des mesures efficientes. En collaboration avec l’EPF de Zurich, l’Association des établissements cantonaux d’assurance incendie a lancé un projet destiné à vérifier l’économicité des mesures préventives de protection contre l’incendie en vue d’une éventuelle révision des prescriptions.

Le rôle des établissements cantonaux d’assurance incendie


En Suisse, les établissements cantonaux d’assurance incendie jouent un rôle particulier. Ils ne représentaient à l’origine qu’une simple collectivisation des risques et leur principale mission était de former une communauté solidaire chargée de venir financièrement en aide aux personnes sinistrées à la suite d’un incendie. Afin de promouvoir cette solidarité, tous les propriétaires de biens immobiliers ont été obligés de s’assurer auprès d’un établissement le plus souvent monopolistique. C’est le cas dans 19 des 26 cantons, où l’établissement cantonal d’assurance des bâtiments (ECA) est de droit public. Dans trois autres cantons, l’obligation d’assurance existe également, mais sans monopole.Le mandat des établissements cantonaux d’assurance des bâtiments va plus loin que la simple couverture des dommages: ils sont responsables de l’organisation opérationnelle des mesures de lutte contre l’incendie et de sauvetage relevant des sapeurs-pompiers et exercent une influence sur la prévention contre l’incendie dans les bâtiments par l’intermédiaire de la police du feu. Les prescriptions suisses en la matière sont édictées par l’Association des établissements cantonaux d’assurance incendie. Depuis qu’elles ont été déclarées contraignantes par l’Organisation intercantonale des obstacles techniques au commerce, elles sont également valables dans les cantons sans monopole.Du fait de leur engagement dans les domaines de la prévention des sinistres, de la lutte contre l’incendie et de l’assurance, les établissements cantonaux sont dans une position qui leur permet d’imposer des mesures de protection et de veiller à leur mise en œuvre. Cette position contraint aussi les assureurs de bâtiments à garantir une utilisation efficace des moyens affectés à la protection contre l’incendie. L’efficience économique de cette dernière dépend non seulement de l’utilité, mais aussi du coût des mesures de prévention généralement à la charge des propriétaires de biens immobiliers.

Économicité des mesures de protection


La protection contre l’incendie est dans l’intérêt de la société: elle contribue à sauver des vies et à éviter ou limiter les dommages économiques. Ces avantages ont cependant leur prix, car la protection n’est pas gratuite. Pour optimiser les investissements dans la prévention contre l’incendie, tous les coûts doivent être pris en compte.Dans une économie de marché libérale, l’optimisation économique est en principe du ressort de l’individu. Des normes, des lois et des directives peuvent, toutefois, restreindre sa liberté de choix. Ces contraintes confèrent une légitimité au cadre général de la société, certaines tâches ne pouvant être que collectives et ayant un caractère de bien public (par ex. les sapeurs-pompiers). Certains biens sont, en outre, placés sous la protection souveraine de l’État afin que ses ressortissants cohabitent harmonieusement (par ex. l’intégrité corporelle et la vie, la propriété d’autrui). Ce cadre exige aussi une optimisation des coûts de la protection contre l’incendie au niveau social.Il n’est pas judicieux de laisser entièrement aux propriétaires de bâtiments le soin de l’optimisation économique, car même si les coûts de la prévention contre l’incendie sont à leur charge, une grande partie des dommages est remboursée par l’assurance en cas d’incendie. Les assureurs choses privés peuvent exclure de la couverture d’assurance les immeubles insuffisamment protégés contre les sinistres ou exiger des primes plus élevées. Ces possibilités d’influencer les décisions des preneurs d’assurance n’existent pas pour les établissements cantonaux d’assurance incendie, car l’obligation d’assurance va ici dans les deux sens. Dans de nombreux cantons, le niveau des primes ne peut pas non plus être fixé librement. La prévention contre l’incendie dans les nouvelles constructions ou des immeubles existants qui subissent des transformations importantes ne peut être influencée que par les prescriptions.L’économicité et l’efficience des mesures de prévention des sinistres doivent donc être prises en considération lors de la définition des prescriptions. Le projet «Optimisation économique dans la protection contre l’incendie préventive» fournira à ce sujet des points de repère scientifiquement fondés. Il vise notamment à déterminer l’efficience économique des mesures de protection contre l’incendie dans l’optique sociale, qui tient également compte des coûts qui ne sont pas pris en charge par les assurances. Les éléments de coût qui intéressent l’ensemble de la société sont les suivants:– coûts de la prévention et autres coûts inhérents;– coût de la lutte contre le feu (sapeurs-pompiers);– coût de l’indemnisation des dommages causés par un incendie;– frais administratifs liés à la protection et à l’assurance incendie.L’optimum économique est atteint lorsque l’ensemble des coûts liés à la protection contre l’incendie est réduit au minimum. Il faut s’attendre à ce que les principales répercussions des modifications des prescriptions en vigueur touchent les coûts de la prévention et ceux des dommages en cas d’incendie. Aussi les explications ci-après se concentrent-elles sur ces deux éléments de coût. Selon la mesure considérée, le coût de la lutte contre l’incendie et les frais administratifs sont cependant susceptibles de varier.L’optimisation économique est présentée schématiquement dans le graphique 1: le paramètre de décision p (par ex. le choix de la résistance au feu des murs pare-feu) peut avoir une incidence sur le niveau de sécurité d’un bâtiment. Les dommages seront d’autant plus faibles que le niveau de sécurité est élevé. Les coûts ou dépenses de la prévention des incendies augmentent parallèlement. L’optimum économique est atteint lorsque la somme de tous les éléments de coût (ou coûts totaux) est minimale. Le niveau de sécurité est limité vers le bas par les critères de l’acceptabilité sociale, qui exigent en particulier que la protection des personnes soit dans tous les cas assurée de façon adéquate.

La protection des personnes, une condition imposée


Étant donné que les incendies mettent en danger aussi bien des biens matériels que des vies humaines, une optimisation purement économique est exclue: la protection de la vie et de l’intégrité corporelle doit toujours être considérée comme prioritaire. Un niveau de sécurité minimal doit être exigé pour la sécurité des personnes (paramètre de décision p = pmin). Cette exigence minimale définit par conséquent la zone à partir de laquelle toute optimisation économique est possible. Dans le graphique 1, l’optimum économique se situe dans la zone d’acceptabilité. Il peut aussi arriver que le coût total minimum ne corresponde pas à un niveau de sécurité acceptable. Le niveau de sécurité minimal pmin est, dans ce cas-là, prioritaire.Définir une fourchette acceptable n’est pas chose aisée, car sur le plan éthique, il est impossible de déterminer la valeur d’une vie humaine. La définition du risque «acceptable» encouru par les personnes est également problématique. Si nous acceptons par exemple une probabilité de décès de 10-5 par personne et par an, cela représente pour la Suisse et ses 7,7 millions d’habitants 77 décès par an dans un incendie (la valeur actuelle est inférieure de moitié environ). La question n’est pas de savoir si des vies sont sacrifiées, mais plutôt si ces décès peuvent être évités. De prime abord, la «vision zéro cas», dont l’objectif est de réduire au maximum les probabilités de décès, semble être la seule stratégie socialement défendable, du point de vue éthique, en matière de gestion des risques pour les personnes.D’un point de vue pratique, il est manifestement impossible, techniquement ou économiquement, de réduire à zéro la probabilité de décès. Les moyens à disposition dans la société pour améliorer la sécurité des personnes ne sont pas illimités et doivent dès lors être employés le plus efficacement possible. Savoir quelles mesures – et de quelle ampleur – il faut consacrer à la protection des personnes est une question qui doit être tranchée sur la base de considérations d’efficience. Les mesures de protection contre l’incendie peuvent entrer en concurrence non seulement entre elles, mais aussi avec des mesures salvatrices relevant d’autres domaines, comme la médecine, la sécurité des transports ou la protection contre les dangers naturels.On parvient à cerner convenablement l’efficacité des mesures de protection des personnes en tenant compte du coût marginal de chaque amélioration apportée à la sécurité des personnes (voir graphique 2). Cette dernière s’accroît avec les investissements consentis. Au départ, de modestes dépenses suffisent généralement pour améliorer un faible niveau initial de sécurité: à cet endroit la courbe présente une pente faible. Ensuite, plus le niveau est élevé, plus les moyens à mettre en œuvre pour le rehausser sont importants. Le coût marginal augmente et la pente de la courbe se redresse.À partir du moment où on connaît la propension à payer du corps social pour un surcroît marginal de sécurité, il est possible de fixer un critère indiquant jusqu’à quelle valeur-seuil il convient d’investir: si le coût marginal reste inférieur à cette propension, des investissements supplémentaires dans la sécurité des personnes se justifient. Le niveau de sécurité ne doit, toutefois, être relevé que jusqu’au point où le coût marginal correspond à cette propension. On illustre cela par une tangente à la courbe des investissements, qui trace la limite de la volonté (marginale) de payer. Un renforcement de la sécurité des personnes au-delà de la zone d’efficacité ainsi définie ne se justifie plus. Des investissements sécuritaires excessifs consacrés à tel ou tel domaine (p. ex. des mesures spécifiques de protection contre le feu ou des mesures générales de protection contre l’incendie) mobiliseraient des ressources qui pourraient être affectées plus efficacement à la protection des personnes dans d’autres domaines.L’indice de qualité de vie («Life Quality Index», LQI), de Nathwani et al. (voir encadré 1

L’indice de qualité de vie («Life Quality Index», LQI) est un indicateur social analogue à l’Indice de développement humain (IDH). Il est calculé à partir de l’espérance de vie moyenne d’une société et de son produit intérieur brut (PIB) par habitant. La pondération de ces deux indices résulte de la relation observée entre durée de travail et temps libre au sein d’une population. On part de l’hypothèse que les individus optimisent la gestion de leur temps, afin d’en tirer le meilleur profit.Si l’on définit le LQI comme une fonction d’utilité sociale, il permet de comparer, d’une part, le bien-être et, d’autre part, la durée de vie disponible pour jouir de ce bien-être. En rapportant ce concept aux décisions d’investissements concernant la protection des personnes, le LQI permet d’évaluer la disposition du corps social à payer pour des ajouts marginaux à la sécurité des personnes.Pour des raisons de place, nous devons renoncer ici à nous étendre en détail sur les fondements du concept LQI et à en débattre plus à fond. On peut se faire une bonne opinion de cette thématique en consultant la bibliographie.

), est une fonction d’utilité sociale qui peut motiver des investissements dans le domaine de la protection des personnes.Grâce au critère du coût marginal, il est possible de déterminer, selon le degré d’efficacité des mesures considérées, un investissement minimum en faveur de la protection des personnes qui s’inscrive dans un champ d’optimisation économiquement acceptable. En règle générale, les investissements consacrés à la prévention contre l’incendie ont une double utilité puisqu’ils permettent de réduire à la fois les dommages aux personnes et les dégâts matériels. Voilà pourquoi la protection des personnes se présente comme une condition imposée. À partir du moment où ce critère est satisfait, d’importants investissements dans la protection contre l’incendie ne se justifient (plus) que si leur utilité, mesurée à la réduction des dégâts matériels, l’emporte sur leur coût.

Étude d’économicité


Cette étude a pour but d’évaluer l’économicité de mesures de protection contre l’incendie dans une optique sociale. Les éléments d’appréciation ont été décrits plus haut. L’examen de l’économicité ne doit pas perdre de vue la question de la protection des personnes. Dans le passage ci-dessus, nous avons évoqué la manière dont la protection des personnes est à prendre en considération – en tant que «condition primordiales» – dans l’effort d’optimisation.Pour définir leur économicité, il convient d’évaluer aussi bien les coûts que les avantages des mesures de protection contre l’incendie. On juge de l’utilité des mesures à leur impact sur les dommages escomptés, personnels et matériels. Il faut pour cela recourir à une modélisation des risques basée sur les méthodes d’ingénierie de la protection contre l’incendie. On observera, toutefois, que les prescriptions émises s’appliquent à une multitude de bâtiments aux caractéristiques diverses. La question de l’économicité ne doit donc pas être abordée spécifiquement à l’objet, mais sur le plan des portefeuilles de bâtiments pour les groupes d’immeubles concernés. À l’aide des données sur le parc de bâtiments détenues par les établissements cantonaux d’assurance incendie, on peut évaluer les particularités de ces portefeuilles. Une comparaison avec les dommages mis en évidence dans la statistique de l’Association des établissements cantonaux d’assurance-incendie permet, ensuite, de valider le modèle de risque.

Pour une protection contre l’incendie socialement optimale


Le modèle de risque peut être utilisé pour définir un niveau de protection contre l’incendie qui soit optimal sur le plan social. Il s’agit de trouver la voie moyenne idéale entre le meilleur dispositif possible en fonction de l’état actuel de la technique – les dommages sont réduits autant que possible, mais les coûts sont excessifs – et des dépenses réduites – ce qui équivaut à négliger les risques de dommages. Il est, en outre, évident que renoncer totalement à des mesures de prévention contre l’incendie n’est pas socialement souhaitable, ne serait-ce qu’en raison du besoin de protéger les personnes. Dans l’étude de l’économicité des mesures de protection, le défi consiste donc à prendre minutieusement en compte tous ces aspects afin de déterminer l’optimum social selon une approche intégrale.

Graphique 1: «Optimisation du niveau de sécurité»

Graphique 2: «Principe du coût marginal dans la protection des personnes»

Encadré 1: Indice de qualité de vie

L’indice de qualité de vie («Life Quality Index», LQI) est un indicateur social analogue à l’Indice de développement humain (IDH). Il est calculé à partir de l’espérance de vie moyenne d’une société et de son produit intérieur brut (PIB) par habitant. La pondération de ces deux indices résulte de la relation observée entre durée de travail et temps libre au sein d’une population. On part de l’hypothèse que les individus optimisent la gestion de leur temps, afin d’en tirer le meilleur profit.Si l’on définit le LQI comme une fonction d’utilité sociale, il permet de comparer, d’une part, le bien-être et, d’autre part, la durée de vie disponible pour jouir de ce bien-être. En rapportant ce concept aux décisions d’investissements concernant la protection des personnes, le LQI permet d’évaluer la disposition du corps social à payer pour des ajouts marginaux à la sécurité des personnes.Pour des raisons de place, nous devons renoncer ici à nous étendre en détail sur les fondements du concept LQI et à en débattre plus à fond. On peut se faire une bonne opinion de cette thématique en consultant la bibliographie.

Encadré 2: Bibliographie

– Nathwani J. S., Lind N. C. et al., Affordable Safety by Choice: The Life Quality Method, université de Waterloo, 1997.– Pandey, M. D., Nathwani J. S. et al., «The Derivation and Calibration of the Life Quality Index (LQI) from Economic Principles», Structural Safety, vol. 28, n° 4, 2006, p. 341–360.– Lentz A., Acceptability of Civil Engineering Decisions Involving Human Consequences, travail de doctorat, 2007, TU Munich.– Faber M.H., Risk Assessment in Engineering; Principles, System Representation & Risk Criteria, A publication of the Joint Committee on Structural Safety (JCSS), 2008, http://www.jcss.ethz.ch. – Rackwitz R., The Philosophy behind the Life Quality Index and Empirical Verifications, JCSS Basic Documents on Risk Assessment in Engineering, 2008.– Faber M. H. et Maes M. A., Sustainable Strategic and Operational Management of Life Safety, 4th International Forum on Engineering Decision Making (IFED), 2009, Hakone, Japan.

Proposition de citation: Markus Fischer ; Mario Fontana ; Katharina Kraemer ; (2010). Optimisation économique de la prévention contre l’incendie. La Vie économique, 01 juin.