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La coopération suisse dans le domaine de l’eau

La coopération suisse dans le domaine de l’eau

L’eau est à la fois essentielle à la vie et à l’économie. Or, cette ressource aux multiples facettes, synonyme d’échanges, se heurte à des problèmes de disponibilité, d’acheminement et d’utilisation rationnelle. Le stress hydrique chronique touchait 8% de la population mondiale au tournant du siècle, ce pourcentage atteindra 45%, soit 4 milliards de personnes, en 2050. L’eau génère donc compétition, voire conflit entre utilisateurs. Elle est aussi, en raison de sa nature incontournable, une source de négociation et de dialogue plutôt que de dispute. Cet article a pour but de familiariser le lecteur avec les principaux enjeux liés à l’eau, tant du point de vue humain qu’économique et environnemental, et de présenter une vision synthétique des réponses de la coopération suisse face à ces défis
L’auteur remercie François Münger, chef de la division Initiative de l’eau/domaine Coopération globale de la Direction du développement et de la coopération (DDC), et Johan Gély, collaborateur de la division Initiative de l’eau/domaine Coopération globale de la DDC, pour leur collaboration..

L’eau: un bien unique et complexe


L’eau est non seulement la denrée alimentaire essentielle mais également un important vecteur d’hygiène, un outil de production fondamental et une composante de base du système écologique. Il s’agit donc d’un facteur clé du développement social et économique ainsi que de la préservation des ressources naturelles, faisant ainsi de ce secteur un système complexe. L’«eau virtuelle» joue aussi un rôle clé loin en aval dans la chaîne de création de valeur: notre développement économique est en effet fortement dépendant de l’eau disponible dans d’autres régions: 80% de l’eau contenue dans les produits consommés en Suisse provient de l’étranger. Logiquement, l’eau est aussi considérée comme un bien public dont la mise à disposition et la protection relèvent tant de l’intérêt public que des droits fondamentaux. Cette complexité est illustrée par le graphique 1, qui reproduit le circuit de l’eau, du captage à la restitution à l’environnement.La nature et la fonction de l’eau exigent donc une gestion adéquate et transparente pour garantir une croissance économique équitable et durable propre à réduire la pauvreté. Il est ainsi raisonnable d’estimer que chaque franc investi dans ce secteur génère un bénéfice qui oscille entre 3 et 5 francs, si l’on additionne les dépenses évitées et le gain de productivité.

Les défis du secteur de l’eau

Sécurité de l’approvisionnement et pérennité environnementale


Un approvisionnement fiable et suffisant en eau est une question centrale, tant pour un État que pour une communauté, et constitue aussi un prérequis pour le développement économique. Les responsables politiques doivent faire en sorte que le consommateur puisse accéder à la quantité d’eau qui lui est nécessaire et que sa qualité soit appropriée. Au niveau mondial, plus d’un milliard d’êtres humains n’ont pas accès à un approvisionnement en eau potable et l’objectif du millénaire de diminuer de moitié le pourcentage de population non approvisionnée d’ici à 2015 ne pourra vraisemblablement pas être atteint sans des efforts exceptionnels. Il en va de même pour les systèmes d’assainissement, auxquels 2,6 milliards de personnes n’ont pas accès. Ainsi, améliorer la pérennité environnementale des systèmes d’eau est un enjeu vital pour qui veut maintenir la qualité de cette ressource; malheureusement, le coût de l’assainissement, souvent considéré comme prohibitif à court terme, conduit les politiques à négliger cet aspect, au profit de l’eau potable, qui bénéfice d’une meilleure image publique. L’environnement en subit les conséquences avec la pollution des eaux et des sols, ce qui fait courir des risques importants à la santé publique. Dans le domaine de l’irrigation, à l’importance de la quantité s’ajoute l’aspect critique de la disponibilité saisonnière, qui peut entrer en conflit avec d’autres emplois de l’eau, tel que la production d’énergie.

Efficacité des systèmes d’eau


L’enjeu est souvent davantage l’efficacité du système de production et de distribution de l’eau, puis de sa restitution à l’environnement, que la quantité d’eau disponible à la source. En effet, les infrastructures, si elles existent, sont très souvent dans un état de détérioration avancé, ce qui se traduit par une mauvaise qualité de l’eau et des pertes de 50% et plus dans nos pays partenaires. Ce gaspillage se traduit souvent par une perte équivalente en électricité nécessaire au pompage et au traitement. La qualité de la gestion est aussi souvent le talon d’Achille des systèmes d’eau, tant sur le plan économique que technique, synonyme de dysfonctionnement, de pertes et de revenu insuffisant pour faire fonctionner le système de manière satisfaisante. Cela est vrai tant en milieu urbain que rural. L’efficacité des systèmes d’irrigation est, par ailleurs, tout aussi essentielle.

Des conditions-cadres pour un financement pérenne


Le secteur de l’eau fait face à un défi financier d’origine structurelle très important: des investissements massifs, dans un environnement politico-économique souvent très risqué et offrant des rendements peu attractifs, sont nécessaires pour développer et entretenir des systèmes d’eau performants. De plus, le client ne peut que rarement payer l’intégralité des coûts de production du bien qu’il consomme. On estime, en effet, que la facture pour ces services ne devrait pas dépasser 4% du revenu disponible.Les mesures destinées à accroître la pérennité financière de l’ensemble du secteur peinent à être mises en application. Les enjeux et défis sont, en effet, perçus de manière étroite selon les types de consommation envisagés et les réponses, souvent fragmentaires, sont le fait de différents ministères ou institutions qui ne collaborent pas toujours bien entre eux. De plus, des incitations financières erronées, souvent motivées par des intérêts politiques contradictoires, freinent l’usage parcimonieux de l’eau. Il est, par ailleurs, rare que les responsables aient une vision claire de ce qui doit être financé par l’impôt et de ce qui relève de la tarification. Cela est particulièrement vrai dans les économies planifiées légataires du système soviétique.

L’eau dans la chaîne de production industrielle


Non seulement l’eau entre dans la composition de nombreux produits alimentaires plus ou moins transformés, mais surtout, elle est utilisée dans une infinité de processus industriels, où elle est directement incorporée au produit ou sert d’auxiliaire de fabrication (lavage, vaporisation, etc.). Cette part «virtuelle» de l’eau dans la chaîne de production économique varie fortement d’un produit de consommation à l’autre et un choix inapproprié – que ce soit dans l’agriculture ou l’industrie – peut aboutir à une forte demande en eau avec des coûts élevés de production.

Les compétences au sein de la coopération suisse


Cinq offices fédéraux apportent un concours actif et concerté dans l’eau. Un mécanisme de coopération, le Comité interdépartemental pour le développement durable (CIDD), assure une cohérence globale de son action, une définition des priorités d’action de tous les acteurs concernés et des prises de décision communes dans les enceintes internationales. À cette fin, il s’appuie sur des instruments financiers importants, provenant notamment du Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) et de la Direction du développement et de la coopération (DDC). Cette «mutualisation» des efforts donne une influence à la Suisse que sa contribution financière, faible au regard du volume total de l’aide internationale, ne lui permettrait pas dobtenir autrement.L’Office fédéral de l’environnement (Ofev) marque de sa présence le débat global sur la dégradation des écosystèmes. L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) intervient sur le thème de la qualité de l’eau. L’Office fédéral de l’agriculture (Ofag) se concentre sur la productivité agricole de l’eau et la lutte contre la pollution des intrants agricoles.Enfin, la coopération suisse dans le domaine de l’eau est répartie entre coopération économique, conduite par le Seco (DFE) et coopération au développement, conduite par la DDC (DFAE). La première capitalise plus de deux décennies d’expérience dans le domaine de l’eau et l’assainissement en milieu urbain, engageant en moyenne 15 à 20 millions de francs par année; actuellement, 16 projets sont en cours pour un engagement total de 131 millions de francs. La DDC, de son côté, a inscrit ses premiers projets à la fin des années septante et concentre son activité dans les mêmes domaines en milieu rural (40 millions de francs par an), ainsi que dans l’irrigation. La complémentarité de ces deux approches a conduit au développement de compétences spécifiques:1. La coopération économique est reconnue pour ses activités dans le domaine du renforcement des autorités de régulation, du développement des capacités de gestion financières et techniques des services des eaux et de la promotion auprès du secteur privé (industriel) d’un emploi parcimonieux de l’eau. L’approche à travers les structures nationales, régionales ou locales, de type publiques ou parapubliques, a ainsi été privilégiée. 2. La coopération au développement est réputée pour son approche participative de la gestion de l’eau, pour les systèmes décentralisés dans les milieux ruraux, destinés tant à l’irrigation qu’à la consommation. Ses représentants sont des acteurs écoutés dans les forums internationaux de politique sectorielle; ils sont à la pointe sur la réflexion concernant les implications de l’eau comme droit humain.3. Les interactions avec d’autres secteurs, résultant des multiples fonctions de l’eau, ont également fait l’objet d’un savoirfaire particulier: eau-énergie (Seco), eau-agriculture (DDC) et eau-santé (DDC, voir encadré 1

En Asie centrale, l’eau est une ressource âprement disputée entre les pays riverains des grands fleuves que sont l’Amou Daria et le Syr Daria. L’agriculture, source de revenu pour une grande partie de la population, est un grand consommateur durant les mois d’été. Le secteur énergétique aurait besoin de cette eau en hiver lorsqu’il est nécessaire de faire face au froid intense dans les pays en amont. Simultanément, les besoins en eau potable sont importants et celle-ci est distribuée par des réseaux vétustes à l’origine de gaspillages importants. Dans un effort concerté, le Seco finance des projets de réhabilitation des systèmes d’eau urbain en Ouzbékistan (en partenariat avec la BM), au Kirghizistan et au Tadjikistan (avec la Berd), tandis que la DDC soutient des projets de distribution d’eau en milieu rural et de gestion des canaux d’irrigation, dans la vallée de la Fergana, zone densément peuplée couvrant les trois pays. L’approche permet d’initier un dialogue sectoriel sur le financement et les structures institutionnelles en Ouzbékistan. La mise en place d’équipement performant d’origine suisse à permis d’économiser jusqu’à 15% d’énergie de pompage à Samarkand.Par ailleurs, le Seco, contribue au dialogue entre les pays de la région sur la difficile allocation des ressources en eau et en énergie en mettant des experts à leur disposition, au travers d’un fonds de financement de la Banque Mondiale.

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Les réponses et priorités de la coopération


Le développement social et économique durable est indissociable de l’avenir de l’eau, à travers notamment ses infrastructures et sa gestion. La préservation de l’environnement est la clé de la pérennité du secteur et de sa viabilité économique à long terme. Cela implique en particulier une utilisation efficace de l’eau disponible dans ses différentes fonctions et un recours à l’assainissement. Si l’eau est essentielle à la vie, la préservation de sa qualité, du captage à la restitution, en passant par son traitement et sa distribution, représente un coût de production qui doit être assumé en grande partie par le consommateur-contribuable, lequel a le droit d’exiger une gestion équitable et transparente de ce bien précieux.Ainsi, la coopération suisse entend répondre aux défis du secteur de l’eau en contribuant aux objectifs suivants.

Amélioration de l’approvisionnement en eau de la population et de l’économie dans nos pays partenaires


La mise à disposition d’un service efficace et durable d’approvisionnement en eau est un apport essentiel au développement économique et social. Les financements suisses visent à étendre les réseaux d’eau et à augmenter l’accès à un service fiable de qualité, à un prix abordable, y compris pour les segments pauvres de la population. Ils permettent aussi de soutenir les mesures physiques (p. ex. le comptage de la consommation d’eau) permettant une gestion transparente de l’accès à l’eau et, au besoin, de son négoce (voir encadré 2

En Albanie, près d’un quart de la population n’est pas relié à un réseau d’eau centralisé et moins d’une personne sur deux est raccordée à un réseau d’élimination des eaux usées. Seules trois stations d’épuration sont en exploitation. À Pogradec, le Seco avec l’aide de l’établissement allemand Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW), finance la modernisation de l’approvisionnement en eau et de l’élimination des eaux usées – conduisant ainsi à réduire de 20% les besoins en électricité –, ainsi que l’installation des compteurs deau et des mesures pour améliorer la gestion du service des eaux. Une station d’épuration a été construite au bord du lac Ohrid, un site inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco avec un potentiel touristique important. La démarche choisie à Pogradec, à savoir la mise en œuvre pragmatique de la gestion intégrée des ressources en eau, a inspiré une stratégie suivie au plan national. Cette expérience sera répétée à Shkodra, une autre ville albanaise.

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Amélioration de l’accès aux services d’assainissement pour la population et l’économie dans nos pays partenaires


Le développement économique et social repose aussi en grande partie sur l’accès à un service d’assainissement performant. Les fonds suisses soutiennent l’extension des services d’assainissement pour des raisons, à la fois, de santé publique et de protection de l’environnement. Fiabilité, qualité et maîtrise des coûts sont les mots clés. L’assainissement est généralement le parent pauvre des investissements, car sa valeur n’est pas immédiatement perçue par le bénéficiaire; c’est pourquoi il doit faire l’objet d’un soutien accru.

Renforcement institutionnel et de la pérennité économique, environnementale et technique des entreprises publiques du secteur de l’eau et de l’assainissement


Il s’agit ici de mettre à disposition une assistance technique destinée à améliorer la gestion des compagnies de services industriels en promouvant les principes de gestion d’entreprise tout en renforçant les capacités de gestion et les organes internes de contrôle, ainsi que la planification des investissements et la transparence des coûts. Une réduction des pertes commerciales et une meilleure ouverture au client sont ainsi visées. Les capacités professionnelles pour la maintenance et l’exploitation des installations bénéficient également de ce soutien. L’expérience du secteur privé en matière de gestion d’entreprise peut à cet effet bénéficier au secteur public, par exemple sous forme de PPP (mandat de gestion), mais aussi sous forme d’activité de conseil auprès de services industriels publics (voir encadré 3

L’expérience du secteur privé en matière de gestion d’entreprise peut bénéficier au secteur public, en lui permettant de renforcer ses structures et l’efficacité de l’exploitation. Ce transfert de savoir-faire peut prendre la forme d’un mandat de gestion de type PPP, ou plus simplement d’activités de conseil auprès de services industriels publics. Dans tous les cas, il importe de bien définir dans quel cadre institutionnel une telle transaction est réalisée et de s’assurer que les intérêts de toutes les parties soient pris en compte.Une étude récente de la Banque mondiale confirme que les PPP conclus sous forme de mandat de gestion ont été les plus bénéfiques et ont permis d’améliorer la performance des services des eaux. Dans ce type de transaction, il se développe davantage de partenariats locaux ou régionaux qu’internationaux. Par contre, il a été mis en évidence qu’un contrat de PPP n’a que rarement permis de mobiliser des capitaux additionnels pour la modernisation d’un réseau.

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Renforcement institutionnel et de la pérennité économique, environnementale et technique des communautés rurales et périurbaines pour la gestion des eaux


L’assistance technique entend répondre à un besoin similaire au précédent, mais en milieu rural et pour les systèmes décentralisés. Les capacités de planification, de gestion, de maintenance et d’exploitation sont ici le fait d’une communauté qui doit s’organiser elle-même pour couvrir ses besoins, souvent en partenariat avec les services publics ou le secteur privé local. L’approche est alors participative et sociale.

Réduction de la consommation spécifique d’eau, réelle ou virtuelle, de l’économie de nos pays partenaires par des mesures ciblées de renfor-cement de l’efficacité dans la production et l’emploi de l’eau


Ce que reçoit le consommateur final n’est en général qu’une portion, de 30% à 80% (au mieux), de la quantité d’eau prise à la source, en raison de l’obsolescence des systèmes. Afin de rendre le coût de l’eau plus supportable pour le consommateur, la collectivité et l’environnement, les projets financés par la Suisse cherchent systématiquement à réduire les fuites dans les réseaux et à accroître l’efficacité des processus de traitement et des modes de production industriels. La réduction de la consommation spécifique par personne (ou par unité économique) ainsi obtenue a généralement un impact très positif sur l’efficacité énergétique des systèmes d’eau. De plus, la réduction de l’eau virtuelle consommée contenue dans les produits agricoles et transformés a un impact bien réel sur le coût des infrastructures: ainsi, un soutien est apporté au secteur privé, agricole et industriel, pour qu’il réduise la part d’eau virtuelle dans les produits qu’il propose au consommateur, ce qui profite à tous. Ces aspects sont particulièrement sensibles dans les régions soumises à un fort stress hydrique (voir encadré 4

La production de pratiquement tous nos biens de consommation exige d’énormes quantités d’eau. Or, ces marchandises sont souvent importées de pays arides ou semi-arides. Dans le cadre d’un projet pilote lancé par la DDC en Colombie, six entreprises suisses (Nestlé, Syngenta, Holcim, Novartis, Clariant et Alpina) s’efforcent d’économiser l’eau à tous les stades du processus de production. C’est la première fois que des entreprises de divers secteurs industriels collaborent pour réduire leur empreinte en eau. La Suisse a même suggéré en 2009 d’établir une norme internationale en ce domaine, proposition qui a été retenue par l’Organisation internationale de standardisation (ISO). Le processus d’élaboration de la norme sera dirigé par Quantis, une société vaudoise spécialisé dans les bilans écologiques. Ce projet a tiré parti du travail fondamental effectué par le «centre de production propre» auprès de l’industrie locale, lequel a été soutenu financièrement par le Seco dans une phase initiale.

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Développement et renforcement de la cohérence économique, environnementale et sociale des politiques de l’eau au niveau d’un pays, d’une région ou d’une ville, à travers les conditions-cadres, l’assistance technique et le dialogue politique


La mise en place de conditions-cadres destinées à une exploitation transparente des systèmes d’eau et au financement de projets est essentielle à la pérennité du secteur. Le soutien prend ici la forme d’une assistance technique au dialogue politique, afin de réglementer efficacement l’approvisionnement en eau et l’assainissement. Le cadre légal à mettre en place comprend le renforcement de la surveillance du secteur, le recours à des contrats de service et l’amélioration des structures financières et tarifaires, ainsi que l’établissement d’un filet social. La nature concrète de l’eau et son caractère local permettent également de traiter des questions de décentralisation et de gouvernance.La stratégie permettant d’assurer le financement à long terme de telles infrastructures et leur développement est donc un délicat équilibre à trouver entre une approche centralisée qui tienne compte des aspects budgétaires particuliers à ce secteur et l’emploi le plus poussé possible du principe de subsidiarité pour développer des projets proches des besoins effectifs des utilisateurs, en relation avec leur capacité économique et sociale (voir encadré 5

L’expérience a montré la nécessité de coupler un investissement – qui permet d’améliorer la qualité du service pour le consommateur et lui faire accepter les adaptations tarifaires – avec des réformes structurelles qui visent à assurer la pérennité financière des services industriels par l’entremise d’une tarification couvrant au minimum les coûts opérationnels. Ce changement de paradigme n’est jamais une évidence dans les pays à économie planifiée ou dans ceux qui subventionnent leurs services à la population. Ainsi, un soutien actif aux entreprises d’eau et d’assainissement pour augmenter leur taux de couverture de comptage (au-delà de 50%) et d’encaissement (au-delà de 85%), ainsi que la transparence de leur gestion, a souvent permis de déclencher un cercle vertueux qui les incite à investir, même modestement, pour améliorer leurs services et renforcer la maintenance. Cela permet également de rendre ces entreprises plus attractives sur le marché des crédits dont elles ont besoin.

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Moyens et partenaires


Le secteur de l’eau requiert de gros moyens financiers lorsqu’il s’agit des infrastructures de production ou de transmission d’un pays ou d’une région. C’est pour cela qu’il a besoin de grands acteurs financiers tels que le groupe de la Banque mondiale (BM) ou les banques régionales de développement, fournisseurs de prêts ou de crédits auprès des pays bénéficiaires. Cependant, le développement de projets de démonstration, qui peuvent servir les réformes structurelles ou valoriser des approches innovatrices, font appel à des ressources plus limitées, de l’ordre de 10 à 50 millions de francs: ces ressources financières peuvent être mises à disposition par un ou plusieurs pays donateurs ou par un groupe de financiers.Les moyens financiers de la coopération suisse sont alloués par le Parlement au travers de plusieurs crédits-cadres, ciblés selon les régions d’intervention. Trois instruments financiers de mise en œuvre sont à disposition:– les dons pour financer des projets, soit de manière bilatérale, soit avec des institutions financières internationales, comme la BM, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) et le Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW);– les contributions à un programme ou un secteur au travers de facilités soutenant les axes opérationnels mentionnés ci-dessus;– les contributions, sous forme de dons ou garanties, destinées à catalyser des mécanismes de financement, tels que des partenariats publics-privés, comme le Public-Private Infrastructure Advisory Facility (PPIAF) et le Private Infrastructure Development Group (PIDG).Finalement, le savoir-faire et la technologie disponibles auprès des industriels et des bureaux de consultants suisses actifs dans le secteur de l’eau, de l’assainissement et de la gestion des bassins versants comptent pour une part importante dans les ressources mobilisées par la coopération suisse. La palette de compétences nécessaires varie évidemment sensiblement selon qu’il s’agit d’un pays au tout début de sa transition économique, comme en Asie centrale, ou d’un État de la partie orientale de l’Union européenne (UE). Les professionnels suisses ont développé un savoir-faire avéré pour gérer la complexité des flux hydriques et des arbitrages qui en résultent. Ce savoir-faire est ainsi transféré au travers des projets de la coopération suisse.Cette dernière dispose ainsi d’un instrument à multiples facettes, à l’image de l’eau elle-même, propre à apporter sa contribution, si modeste soit-elle, à la gestion de ce bien précieux, afin qu’elle devienne pérenne et équitable. L’originalité de ses actions, l’indépendance et la flexibilité en sont ses caractéristiques.

Graphique 1: «Vue schématique de l’utilisation de l’eau et des zones d’intervention de la coopération suisse (en rouge)»

Encadré 1: L’eau, un instrument de dialogue en Asie centrale

En Asie centrale, l’eau est une ressource âprement disputée entre les pays riverains des grands fleuves que sont l’Amou Daria et le Syr Daria. L’agriculture, source de revenu pour une grande partie de la population, est un grand consommateur durant les mois d’été. Le secteur énergétique aurait besoin de cette eau en hiver lorsqu’il est nécessaire de faire face au froid intense dans les pays en amont. Simultanément, les besoins en eau potable sont importants et celle-ci est distribuée par des réseaux vétustes à l’origine de gaspillages importants. Dans un effort concerté, le Seco finance des projets de réhabilitation des systèmes d’eau urbain en Ouzbékistan (en partenariat avec la BM), au Kirghizistan et au Tadjikistan (avec la Berd), tandis que la DDC soutient des projets de distribution d’eau en milieu rural et de gestion des canaux d’irrigation, dans la vallée de la Fergana, zone densément peuplée couvrant les trois pays. L’approche permet d’initier un dialogue sectoriel sur le financement et les structures institutionnelles en Ouzbékistan. La mise en place d’équipement performant d’origine suisse à permis d’économiser jusqu’à 15% d’énergie de pompage à Samarkand.Par ailleurs, le Seco, contribue au dialogue entre les pays de la région sur la difficile allocation des ressources en eau et en énergie en mettant des experts à leur disposition, au travers d’un fonds de financement de la Banque Mondiale.

Encadré 2: Le Seco en Albanie

En Albanie, près d’un quart de la population n’est pas relié à un réseau d’eau centralisé et moins d’une personne sur deux est raccordée à un réseau d’élimination des eaux usées. Seules trois stations d’épuration sont en exploitation. À Pogradec, le Seco avec l’aide de l’établissement allemand Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW), finance la modernisation de l’approvisionnement en eau et de l’élimination des eaux usées – conduisant ainsi à réduire de 20% les besoins en électricité –, ainsi que l’installation des compteurs deau et des mesures pour améliorer la gestion du service des eaux. Une station d’épuration a été construite au bord du lac Ohrid, un site inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco avec un potentiel touristique important. La démarche choisie à Pogradec, à savoir la mise en œuvre pragmatique de la gestion intégrée des ressources en eau, a inspiré une stratégie suivie au plan national. Cette expérience sera répétée à Shkodra, une autre ville albanaise.

Encadré 3: L’apport du secteur privé dans le domaine de l’eau

L’expérience du secteur privé en matière de gestion d’entreprise peut bénéficier au secteur public, en lui permettant de renforcer ses structures et l’efficacité de l’exploitation. Ce transfert de savoir-faire peut prendre la forme d’un mandat de gestion de type PPP, ou plus simplement d’activités de conseil auprès de services industriels publics. Dans tous les cas, il importe de bien définir dans quel cadre institutionnel une telle transaction est réalisée et de s’assurer que les intérêts de toutes les parties soient pris en compte.Une étude récente de la Banque mondiale confirme que les PPP conclus sous forme de mandat de gestion ont été les plus bénéfiques et ont permis d’améliorer la performance des services des eaux. Dans ce type de transaction, il se développe davantage de partenariats locaux ou régionaux qu’internationaux. Par contre, il a été mis en évidence qu’un contrat de PPP n’a que rarement permis de mobiliser des capitaux additionnels pour la modernisation d’un réseau.

Encadré 4: Eau virtuelle: des entreprises suisses font un effort pour réduire leur consommation en Colombie

La production de pratiquement tous nos biens de consommation exige d’énormes quantités d’eau. Or, ces marchandises sont souvent importées de pays arides ou semi-arides. Dans le cadre d’un projet pilote lancé par la DDC en Colombie, six entreprises suisses (Nestlé, Syngenta, Holcim, Novartis, Clariant et Alpina) s’efforcent d’économiser l’eau à tous les stades du processus de production. C’est la première fois que des entreprises de divers secteurs industriels collaborent pour réduire leur empreinte en eau. La Suisse a même suggéré en 2009 d’établir une norme internationale en ce domaine, proposition qui a été retenue par l’Organisation internationale de standardisation (ISO). Le processus d’élaboration de la norme sera dirigé par Quantis, une société vaudoise spécialisé dans les bilans écologiques. Ce projet a tiré parti du travail fondamental effectué par le «centre de production propre» auprès de l’industrie locale, lequel a été soutenu financièrement par le Seco dans une phase initiale.

Encadré 5: De la nécessité de coupler investissement et réformes structurelles

L’expérience a montré la nécessité de coupler un investissement – qui permet d’améliorer la qualité du service pour le consommateur et lui faire accepter les adaptations tarifaires – avec des réformes structurelles qui visent à assurer la pérennité financière des services industriels par l’entremise d’une tarification couvrant au minimum les coûts opérationnels. Ce changement de paradigme n’est jamais une évidence dans les pays à économie planifiée ou dans ceux qui subventionnent leurs services à la population. Ainsi, un soutien actif aux entreprises d’eau et d’assainissement pour augmenter leur taux de couverture de comptage (au-delà de 50%) et d’encaissement (au-delà de 85%), ainsi que la transparence de leur gestion, a souvent permis de déclencher un cercle vertueux qui les incite à investir, même modestement, pour améliorer leurs services et renforcer la maintenance. Cela permet également de rendre ces entreprises plus attractives sur le marché des crédits dont elles ont besoin.

Proposition de citation: Guy Bonvin (2010). La coopération suisse dans le domaine de l’eau. La Vie économique, 01 juillet.