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Libre circulation des personnes et marché du logement dans les agglomérations suisses

L’introduction progressive de la libre circulation des personnes entre la Suisse et les États membres de l’Union européenne (UE) a eu des effets sur la demande de logements dans notre pays. De ce fait, elle s’est également répercutée sur les prix de l’immobilier et les loyers. Durant la période 2004–2009, la pénurie d’appartements a atteint un niveau record sur les bords du lac Léman ainsi que dans les agglomérations de Zurich, Zoug et Lugano. L’augmentation du nombre de ménages revenait principalement à l’immigration. Tandis que les étrangers arrivés en Suisse de fraîche date s’établissaient de préférence dans les centres urbains, de plus en plus de ménages suisses choisissaient d’acquérir un bien immobilier à la périphérie des villes ou de louer un appartement dans l’agglomération.

Selon les rapports de l’Observatoire du Secrétariat d’État à l’économie (Seco) sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’UE, le nombre d’immigrants était autrefois largement indépendant de la législation sur les travailleurs étrangers et reflétait plutôt les aléas de la conjoncture. Son importance nest donc guère liée à la libre circulation des personnes, mais plutôt à la situation économique et aux besoins de l’économie suisse. L’emploi a progressé dans notre pays aussi bien avant qu’après l’introduction de la libre circulation des personnes; la moitié de cette hausse provient de l’immigration.Cette dernière s’est transformée au cours des dix dernières années: non seulement les étrangers ne viennent plus des mêmes pays qu’avant, mais leurs qualifications sont différentes. Il s’agit de personnes jeunes et bien formées, qui complètent le plus souvent la main-d’œuvre locale. Les salaires s’en ressentent, puisque ceux des étrangers ont augmenté plus vite que ceux des Suisses. La classe supérieure de revenus s’est ainsi largement renforcée. L’immigration des personnes appartenant à cette catégorie est également encouragée par le fait que les hauts revenus sont faiblement imposés, ce qui compense le coût de la vie en Suisse, lequel est plus élevé que dans l’UE.

Les préférences des immigrés en matière de logements


L’évolution de la demande sur le marché du logement suscite plusieurs réflexions:1. Si les préférences des immigrés bien qualifiés en matière de logement ne sont pas fondamentalement différentes de celles des Suisses, leurs appartements sont généralement plus petits. 2. Bien que les ménages étrangers soient en moyenne plus grands que ceux des Suisses, la jeunesse des nouveaux arrivants fait que, dans bien des cas, il n’ont pas encore d’enfants. Leurs ménages sont donc restreints et ils sont moins nombreux que les Suisses à être propriétaires. Le taux de logements en propriété augmente cependant, tout particulièrement en raison des déménagements des nouveaux immigrés. Le taux de propriété a, en effet, nettement augmenté durant les quatre ans qui ont suivi leur première installation dans un logement en Suisse. Sur le marché du logement locatif, ils sont de plus en plus nombreux à viser un standing élevé qui reflète leur pouvoir d’achat. 3. Les immigrés non qualifiés vivent dans des appartements de moins bonne qualité que les citoyens suisses ayant un statut comparable. Ces derniers désertent dans une large mesure le segment de logements le plus précaire, tandis que les étrangers s’y maintiennent.4. Les ménages étrangers sont surreprésentés sur le marché des appartements. Beaucoup de nouveaux immigrés, en particulier, déménagent à plusieurs reprises en un court laps de temps. De ce fait, leur visibilité semble disproportionnée.Une immigration accrue a donc des effets non seulement quantitatifs, mais également qualitatifs sur le marché du logement. C’est pourquoi la question cruciale est – outre la pénurie générale d’appartements – la ségrégation qualitative et régionale du marché de l’habitat. Pour en mesurer les conséquences, l’Office fédéral du logement (OFL) a chargé les auteurs du présent article de mettre sur pied un «moniteur» dont le rôle est d’observer le marché du logement. Cet instrument mesure la pénurie d’habitations par agglomération et par commune. Il détecte d’éventuels modifications dans la structure des ménages suisses et étrangers.

La situation actuelle sur le marché suisse du logement


En 2009, tous les segments du marché suisse du logement étaient légèrement tendus. La durée moyenne d’insertion dans la presse des objets à louer ou à vendre a valeur d’indicateur en ce domaine. Il faut la comparer avec la durée d’insertion dans une situation où les prix réels resteraient stables. Si les annonces paraissent longtemps, il y a une surabondance d’offres. Si elles disparaissent rapidement, il y a pénurie. Il s’agit en l’occurrence d’un instantané qui est complété plus loin par l’évolution des prix sur toute la période examinée (voir encadré 1

La situation des différents marchés est évaluée à l’aide de données, fournies par le système d’information info-vista, sur la durée d’insertion et l’évolution des prix. À cette fin, les marchés du logement locatif et en propriété sont subdivisés en trois segments (inférieur, moyen et supérieur), chacun contenant un tiers de l’offre. Si l’un d’eux se contracte et que les prix augmentent, la limite du segment se déplace vers le haut. Pour mesurer la pénurie actuelle, on observe la durée d’insertion des annonces dans une région – en la mettant en rapport avec la durée qui représente la valeur d’équilibre. Sur des périodes plus longues, en revanche, c’est principalement à l’évolution des prix que l’on jauge la pénurie. À vrai dire, il se peut qu’un marché ne se contracte pas aujourd’hui, parce que les hausses de prix lui ont permis d’atteindre son équilibre par le passé. Un équilibre actuellement ne doit donc pas dissimuler les changements que le temps a permis.Les indicateurs relatifs au marché locatif, à celui de l’immobilier et à la répartition régionale sont pondérés avec le nombre de ménages, afin d’obtenir des indicateurs globaux agrégés. Pour déterminer l’évolution des données relatives aux ménages, des salaires et du statut de propriétaire, on se base sur l’Enquête suisse sur la population active (Espa) et sur la Statistique de l’état annuel de la population (Espop).L’évolution de la population régionale est estimée pour l’année écoulée sur la base du Registre central des étrangers (tant que les prévisions de l’Office fédéral de la statistique ne sont pas disponibles). L’Espa permet également de déterminer la fréquence des déménagements, la taille des ménages, etc. On trouve des indications sur l’évolution du parc immobilier dans la statistique de la construction, publiée par l’OFS, et dans les données de DocuMedia (fournisseur suisse d’information pour le secteur de la construction). Cela nécessite, toutefois, certaines conversions et estimations; c’est notamment le cas pour le statut de propriétaire, qui ne figure pas dans la statistique de la construction. Le système de surveillance n’examine pas séparément la surface des logements. Toutefois, la structure de la surface est prise en compte pour le calcul de l’indice. Ainsi, un appartement cher d’une seule pièce sera classé dans le segment supérieur, tandis qu’un logement bon marché de cinq pièces tombera dans la catégorie inférieure.

). Le graphique 1 illustre l’écart en pour cent par rapport à la valeur d’équilibre sur les différents marchés régionaux.Le Bassin lémanique et l’agglomération zurichoise sont les régions où l’insuffisance de logements est la plus criante. C’est le cas depuis bien longtemps. Dans quelques zones moins peuplées, des pénuries passagères peuvent également survenir en fonction des activités dans la construction. Les mouvements du marché y sont souvent très volatils, étant donné la faible densité de population et la demande fluctuante de résidences secondaires. Le marché du logement à Zoug et à Zurich, qui a affiché les plus fortes tensions pendant des années, s’est plutôt relâché en 2009, mais le niveau des prix reste élevé.La situation actuelle peut cacher des redéploiements à long terme sur le marché du logement et dans la structure des ménages: un marché qui apparaît équilibré aujourd’hui peut parfaitement avoir subi des remaniements conséquents au cours des dernières années. En fin de compte, des modifications de prix suffisent à remettre les marchés d’aplomb. Le tableau 1 présente les hausses de prix intervenues dans les principales agglomérations depuis 2004. Là aussi, les marchés du logement locatif et des objets en propriété ont été agrégés. L’évolution des prix montre que le marché du logement a subi de fortes tensions pendant une longue période dans des régions comme le Bassin lémanique, Zoug, Lugano et l’agglomération zurichoise. Le graphique 1 montre, toutefois, que cette tension s’est quelque peu relâchée en 2009. En revanche, les marchés du logement locatif et de l’immobilier se sont contractés dans d’autres parties du pays.

Modification de la structure des ménages


L’immigration de ces dernières années a profondément remanié la structure des ménages et celle de l’habitat. Entre fin 2004 et fin 2009, l’augmentation de la population était due essentiellement à l’immigration. Les étrangers ont préféré s’installer dans les grandes agglomérations (Zurich, Bâle, Genève, Lausanne, Berne, Lucerne, Saint-Gall). Dans ces villes, où le nombre total de ménages s’est accru d’environ 6%, les deux tiers de la hausse étaient à mettre sur le compte des immigrants. Les autres agglomérations ont aussi enregistré une forte croissance, mais la demande étrangère n’en a justifié qu’un tiers environ. Le même constat vaut pour les zones rurales, même si le nombre total des ménages n’a augmenté que de 3% environ.Comme l’indique le graphique 2, les ménages étrangers contribuent de manière prépondérante à la hausse de la demande pour des logements locatifs. Dans plusieurs agglomérations, ils ont même (sur)compensé la demande déclinante des Suisses. En ce qui concerne la propriété, l’image s’inverse. Les Suisses contribuent bien davantage à la hausse de la demande que les étrangers. Ces derniers appuient, toutefois, fortement la demande de logements. En 2009, ils représentaient 17,7% de la totalité des ménages, mais 32% des locataires et seulement 8% des propriétaires. Le graphique 2 montre que la proportion d’étrangers possédant leur propre logement s’est considérablement accrue. Schématiquement, on peut dire que le marché des grandes villes est marqué par l’immigration liée à la libre circulation des personnes et que les ménages suisses achètent des maisons ou des appartements dans les zones urbaines périphériques, où une extension du parc immobilier est encore possible.L’offre a pu anticiper, dans une certaine mesure, le redéploiement de la demande des ménages suisses – en particulier en ce qui concerne les logements en propriété. Grâce à l’augmentation de l’activité dans la construction, associée à des hausses substantielles de prix, la pénurie de 2005 a fait place à une situation équilibrée dans tout le pays. Il n’en va pas de même pour les logements locatifs. Dans ce domaine, les nouvelles constructions n’ont pu absorber que de manière limitée la forte immigration de l’année 2008, qui s’est poursuivie en 2009. C’est pourquoi l’offre a continué de se résorber en 2009. Le graphique 3 montre la situation actuelle sur les marchés du logement locatif et la met en relation avec l’immigration.L’arrivée de locataires étrangers a eu en 2009 une influence notable sur le marché du logement dans les zones sensibles. Elle n’a, toutefois, pas entraîné partout un tassement de l’offre. À l’exception du Tessin et de la Suisse orientale, toutes les régions d’immigration ont connu une hausse de la demande étrangère de logements locatifs en même temps quun recul de la demande indigène. On peut y voir un phénomène de ségrégation, puisque le nombre de ménages étrangers disposant d’un revenu total supérieur à 10 000 francs par mois a continué d’augmenter en 2009, tandis que les ménages suisses étaient en diminution dans ce segment. En revanche, on a enregistré une progression des Suisses dans la classe de salaires allant de 7000 à 10 000 francs par mois. Il est certain que le pouvoir d’achat des étrangers s’est accru plus fortement que celui des Suisses. Toutefois, l’effet de ségrégation s’est accompagné d’un changement dans la forme de la propriété. Sur la plupart des marchés, les loyers ont évolué plus ou moins au même rythme dans les différents segments (objets bon marché, moyens et chers) en 2009, le segment le plus cher accusant des hausses relativement élevées. Si l’on tient compte de ce fait, on ne peut pas vraiment parler d’une ségrégation croissante dans le domaine du logement locatif l’année dernière, du moins en ce qui concerne les classes de salaires.En 2009, l’immigration a été perceptible surtout sur le marché du logement locatif dans les régions de Zoug, Zurich et Genève. Au Tessin, les ménages suisses déterminent l’évolution du marché dans le Sopraceneri. En ville de Bâle, l’arrivée d’immigrants a compensé le départ de locataires indigènes.

Propriété du logement: des prix ouverts vers le haut


L’influence des nouveaux arrivants étrangers sur le marché du logement locatif est incontestable. Cependant, malgré la pénurie qui en découle, l’immigration n’a pas provoqué de flambées des prix, ni créé de fossé entre les différents segments du marché. Globalement, les prix ont accusé durant la période 2004–2009 une hausse légèrement plus marquée dans les segments supérieurs du marché, mais l’écart n’est que de 2 à 3%.Dans le secteur du logement en propriété, la situation se présente différemment: en 2009, seuls 8% des propriétaires étaient étrangers. On peut dès lors se demander si l’immigration a véritablement pu exercer une influence notable. Comme le montre le graphique 4, ce sont les ménages suisses qui ont jusqu’ici déterminé dans tout le pays la croissance de la demande de logements en propriété. Or, la part des ménages étrangers dans la classe supérieure de salaires dépasse désormais 20%. Au cours des dernières années, les immigrés ont allègrement rattrapé leur retard en matière de pouvoir d’achat et contribué à la hausse des prix. Dans les villes de Zurich, Zoug, Lausanne, Genève, Bâle et Bellinzona, l’augmentation des étrangers parmi les hauts revenus a pratiquement égalé, voire dépassé, celle des Suisses entre 2004 et 2009. Dans ces agglomérations, il est évident que la demande étrangère a eu des répercussions sur la structure du marché.Dans le segment des objets chers, la tendance à la hausse reste, malgré tout, principalement le fait des ménages suisses. Les prix y ont augmenté plus fortement que dans les segments moyens ou bon marché, cela dans toutes les régions, y compris celles qui n’ont pas enregistré une hausse sensible de la demande étrangère.

Conclusion


L’influence de la libre circulation des personnes, plus perceptible depuis 2004, ne s’est que modestement renforcée en 2009. L’immigration, ralentie par le repli conjoncturel, a continué d’engendrer des tensions sur le marché du logement dans les centres économiques. Elle a eu un effet d’éviction sur une partie des ménages suisses. Ceux-ci ont quitté le centre des villes, soit pour aller occuper des logements locatifs meilleur marché dans le reste de l’agglomération, soit pour acheter des habitations à la périphérie. Ainsi, la tension sur le marché du logement a plutôt augmenté en 2009. Il est incontestable que les immigrés disposant d’un pouvoir d’achat relativement fort ont exercé une certaine pression concurrentielle, qui a pesé surtout sur les nouvelles locations.

Graphique 1: «Tensions sur le marché suisse du logement (en location et en propriété), 2009»

Graphique 2: «Variation du nombre de ménages par groupe régional, par possession et par origine, 2004-2009»

Graphique 3: «Tensions sur le marché suisse du logement locatif et contributiona de la croissance des ménages étrangers à la situation prévalant en 2009»

Graphique 4: «Variation du nombre de ménages demandant un logement en propriété, par classes de revenus, 2004–2009»

Tableau 1: «Hausse des prix par agglomération, 2004–2009»

Encadré 1: Remarques sur la méthode

La situation des différents marchés est évaluée à l’aide de données, fournies par le système d’information info-vista, sur la durée d’insertion et l’évolution des prix. À cette fin, les marchés du logement locatif et en propriété sont subdivisés en trois segments (inférieur, moyen et supérieur), chacun contenant un tiers de l’offre. Si l’un d’eux se contracte et que les prix augmentent, la limite du segment se déplace vers le haut. Pour mesurer la pénurie actuelle, on observe la durée d’insertion des annonces dans une région – en la mettant en rapport avec la durée qui représente la valeur d’équilibre. Sur des périodes plus longues, en revanche, c’est principalement à l’évolution des prix que l’on jauge la pénurie. À vrai dire, il se peut qu’un marché ne se contracte pas aujourd’hui, parce que les hausses de prix lui ont permis d’atteindre son équilibre par le passé. Un équilibre actuellement ne doit donc pas dissimuler les changements que le temps a permis.Les indicateurs relatifs au marché locatif, à celui de l’immobilier et à la répartition régionale sont pondérés avec le nombre de ménages, afin d’obtenir des indicateurs globaux agrégés. Pour déterminer l’évolution des données relatives aux ménages, des salaires et du statut de propriétaire, on se base sur l’Enquête suisse sur la population active (Espa) et sur la Statistique de l’état annuel de la population (Espop).L’évolution de la population régionale est estimée pour l’année écoulée sur la base du Registre central des étrangers (tant que les prévisions de l’Office fédéral de la statistique ne sont pas disponibles). L’Espa permet également de déterminer la fréquence des déménagements, la taille des ménages, etc. On trouve des indications sur l’évolution du parc immobilier dans la statistique de la construction, publiée par l’OFS, et dans les données de DocuMedia (fournisseur suisse d’information pour le secteur de la construction). Cela nécessite, toutefois, certaines conversions et estimations; c’est notamment le cas pour le statut de propriétaire, qui ne figure pas dans la statistique de la construction. Le système de surveillance n’examine pas séparément la surface des logements. Toutefois, la structure de la surface est prise en compte pour le calcul de l’indice. Ainsi, un appartement cher d’une seule pièce sera classé dans le segment supérieur, tandis qu’un logement bon marché de cinq pièces tombera dans la catégorie inférieure.

Encadré 2: Bibliographie

– Secrétariat d’État à l’économie, Conséquences de la libre circulation des personnes sur le marché du travail suisse, rapports de l’Observatoire sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’UE pour différentes périodes allant de 2005 à 2010. – Graf Silvio, Jans Armin et Sager Daniel, Personenfreizügigkeit und Wohnungsmarkt: Indikatoren zur Beurteilung der Auswirkungen auf regionale Immobilienmärkte – Office fédéral du logement (éd.). Résumé en français: Libre circulation des personnes et marché du logement, juillet 2009. – Graf Silvio, Jans Armin et Sager Daniel, Personenfreizügigkeit und Wohnungsmarkt: Modul 1, Office fédéral du logement (éd.), 2007. – Office fédéral du logement (éd.), Moniteur OFL, à paraître en septembre 2010.

Proposition de citation: Silvio Graf ; Armin Jans ; Daniel Sager ; (2010). Libre circulation des personnes et marché du logement dans les agglomérations suisses. La Vie économique, 01 juillet.