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Une crise économique coûteuse et des interventions à risque

L’éclatement de la bulle immobilière américaine en 2007 a plongé le monde dans une profonde crise économique et financière. Pour éviter une dépression comme celle des années trente, les États, les banques centrales et les organisations internationales ont misé sur des interventions massives. Les mesures fiscales et monétaires qui ont été prises ont permis de stabiliser l’économie mondiale et les marchés financiers à court terme. Cependant, les risques et les effets secondaires des interventions et les conséquences à long terme de la crise se font sentir de plus en plus nettement
Le présent article reflète uniquement l’opinion personnelle de l’auteur. Ce dernier débat également des mesures prises en matière de politique commerciale et des investissements adoptées pour lutter contre la crise dans un texte intitulé The Dangerous Rise of Economic Interventionism; www.zimmermann-thomas.ch, rubrique «Veröffentlichungen»..

L’éclatement de la bulle immobilière aux États-Unis en 2007 et la déstabilisation du secteur financier qu’il a provoquée menaçaient de faire sombrer l’économie mondiale dans une crise profonde. C’est surtout la faillite de la banque américaine Lehman Brothers en automne 2008 qui a semé la panique sur les marchés financiers. Pressés d’augmenter leurs liquidités et de diminuer leur niveau d’endettement, nombreux sont ceux qui ont été obligés de vendre des avoirs, ce qui a fortement pesé sur les prix de l’immobilier, les titres de créances immobilières, les actions et les matières premières. De son côté, la baisse des prix des avoirs a renforcé la pression sur les bilans des banques et sur les budgets, qui étaient de plus en plus menacés de surendettement, alors que les dettes nominales n’avaient pas changé. À son tour, ce phénomène a freiné l’octroi de crédits par les banques, ralentissant la consommation des ménages privés et, par conséquent, la demande. Pour sortir de ce cercle vicieux déflationniste, les États, les banques centrales et les organisations internationales ont eu recours à des interventions massives de différentes natures.

Un assouplissement rapide de la politique monétaire


La politique monétaire a très vite réagi devant la détérioration de la situation éco-nomique. Dès le milieu de l’année 2007, bon nombre de banques centrales ont vite réduit leurs taux d’intérêts monétaires à un niveau très bas. Ainsi, la Banque d’Angleterre a baissé son taux directeur à 0,5%, soit à son niveau le plus bas depuis sa fondation en 1694.Les intérêts n’étant pas particulièrement élevés avant le début de la crise, leur potentiel de baisse s’est rapidement épuisé. Quelques banques centrales, dont celles des États-Unis, d’Angleterre et de Suisse, ont opté pour des mesures d’assouplissement quantitatif. Elles ont acheté, par exemple, des papiersvaleurs de débiteurs publics ou privés, ce qui a normalement entraîné une expansion de la masse monétaire et parfois aussi une multiplication des sommes inscrites au bilan des banques centrales. L’évolution de la base monétaire à long terme aux États-Unis (voir graphique 1) est impressionnante à cet égard; celle-ci est brusquement passée de 871 milliards d’USD en août 2008 à 2141 milliards en février 2010 pour ne redescendre que légèrement depuis (2033 milliards d’USD le 1er mai 2010).D’autres assouplissements ont été instaurés sous la forme d’une modification des réserves et en changeant la fréquence et les conditions des opérations sur le marché libre («open market»): les durées ont notamment été allongées et les exigences amoindries quant aux garanties mises en gage. Au niveau international, des facilités de swaps ont été instaurées ou étendues entre les banques centrales pour garantir les liquidités étrangères. De plus, les moyens du Fonds monétaire international (FMI) ont été renforcés et le marché des devises a fait lobjet dinterventions.

Une politique budgétaire en forte expansion


Outre la politique monétaire, la politique budgétaire a été particulièrement mise à contribution pour lutter contre la crise. Cela s’est principalement traduit par des programmes de relance de l’économie et des opérations de sauvetage du secteur financier et des industries ébranlées.Du côté des dépenses, les infrastructures ont bénéficié d’investissements supplémentaires ou anticipés et certains secteurs ont reçu des aides spécifiques, comme des primes à la «casse» pour les voitures ou des soutiens aux propriétaires de maisons. De plus, les programmes de transfert ont été renforcés ou élargis, par exemple en prolongeant la réduction de l’horaire de travail. Les recettes ont été affectées par des aides octroyées aux entreprises et aux ménages sous la forme d’allègements d’impôts. Toutefois, ce sont moins ces mesures discrétionnaires qui ont soutenu l’économie que les stabilisateurs automatiques, la crise ayant fait reculer les recettes fiscales et les primes des assurances sociales, tout en augmentant les dépenses de ces dernières.La politique budgétaire n’a pas seulement eu pour but de stabiliser la conjoncture, elle devait surtout soutenir le secteur financier. Dans les pays industrialisés, des fonds considérables ont été mobilisés et les risques ont été transférés du secteur financier vers l’État. Parmi ces instruments, outre la garantie que ce dernier a accordé aux engagements des banques, on trouve l’achat de papiers-valeurs illiquides et les participations étatiques au capital des instituts financiers, ainsi que d’autres mesures prises en partie avec la collaboration des banques centrales. Dans les pays émergents, les fonds nécessaires à la stabilisation du secteur financier ont été minimes.Les estimations actuelles du FMI
Voir FMI, Fiscal Monitor, mai 2010, p. 85. partent de l’idée que l’endettement brut des pays industrialisés du G20 passera de 78% à 117% du PIB entre 2007 et 2015, un niveau d’endettement encore jamais atteint en temps de paix. De cette augmentation de 39,1 points de pourcentage, environ 19,2 points proviennent des baisses de recettes (dépréciation des actifs et diminution des bénéfices), 8,2 points du différentiel entre la croissance et le taux d’intérêt, 4,5 points des programmes de relance de l’économie, 4 points de l’octroi de crédits et 3,2 points des mesures de soutien au secteur financier ayant un impact direct sur le budget de l’État. Les passifs éventuels des garanties de crédit accordés par l’État qui étaient sans incidences sur les dépenses jusqu’ici n’en font pas partie.En plus des mesures budgétaires et monétaires, les normes de comptabilité et les règles commerciales ont changé. Quelques États ont aussi recouru à des mesures de politiques commerciale et d’investissement (voir encadré 1

D’autres mesures ont été prises par diverses instances pendant la crise afin de stabiliser les marchés.Dans le domaine des normes de comptabilité, les organes internationaux compétents IASB et FASB ont décidé, au point culminant de la crise, d’assouplir la règle qui veut qu’une évaluation se fasse au prix du marché; les établissements financiers doivent normalement y souscrire lors de l’inscription des papiers-valeurs. Soumis à des amortissements massifs, à des ventes d’urgence et à la baisse des prix, les titres illiquides devenus toxiques – tels que les titres obligataires garantis par l’immobilier – avaient été entraînés dans une spirale baissière, détériorant les bilans bancaires. L’assouplissement de la règle de l’évaluation au prix du marché instauré sous la pression politique a permis de neutraliser la pression à la vente et sur les prix, de même que la dégradation des bilans des banques sur le papier.On a, en outre, essayé de freiner la spirale baissière des marchés financiers par des interdictions commerciales concernant certaines ventes à découvert.On a, enfin, tenté de stabiliser l’économie avec des mesures relevant des politiques commerciales et des investissements, qui n’étaient pas exemptes de relents protectionnistes.

).

Succès de la stabilisation à court terme…


Bien qu’il soit beaucoup trop tôt pour faire un bilan définitif, on peut dire que les mesures prises ont contribué, en peu de temps, à stabiliser les marchés et à redynamiser l’économie à court terme; pour le moment, on a pu sortir du cercle vicieux déflationniste fait de ventes d’urgence, d’actifs en baisse et d’insolvabilité. L’effondrement des prix de l’immobilier, des actions, des matières premières et des titres de créances a été contenu et même parfois inversé. Le développement économique s’est stabilisé et la récession a été maîtrisée dans la plupart des pays. Même le chômage n’a augmenté que de manière relativement modérée. Les échanges n’ont pas non plus été confrontés, jusqu’à présent, à une escalade incontrôlée du protectionnisme. Tout cela ne va pas de soi.

… avec des coûts et des risques à long terme


Ces interventions, pour bénéfiques qu’elles aient été, comportent des coûts et des risques considérables à long terme à plusieurs niveaux: microéconomique, macroéconomique et politique. La crise économique et financière a également des effets à long terme qui apparaissent de plus en plus nettement. On ne peut pas non plus exclure une nouvelle aggravation de la situation.

Risques microéconomiques: des incitations à des comportements erronés


Du point de vue microéconomique, les mesures conjoncturelles ont souvent repoussé les adaptations structurelles nécessaires, surtout là où les aides ont été sectorielles et ont ciblé des branches en état de surcapacités chroniques (l’industrie automobile p. ex.). On peut supposer que cela a causé des distorsions et une perte d’efficacité dans la production, la consommation et l’allocation des ressources; la croissance de la productivité a également pu en être freinée. L’intervention croissante de l’État dans les entreprises va de pair avec des risques liés à l’influence politique et avec des problèmes de gestion.Les opérations de sauvetage du secteur financier ont aggravé les risques d’aléa moral. Les établissements financiers qui, pendant les années de «boom», ont augmenté allègrement leurs taux d’endettement et le total de leurs bilans grâce à la faiblesse des taux d’intérêt ont acquis entretemps une «importance systémique». Comme leur perte pourrait menacer des économies entières – problème du «trop grand pour faire faillite» («too big to fail») –, ils disposent aujourd’hui d’une garantie implicite de l’État. La perspective de réaliser des bénéfices importants pendant que l’État assume en même temps les risques et les pertes – à laquelle sajoute un système de rémunérations vivement critiqué – amplifie la propension à prendre des risques financiers qui vont au-delà de lefficacité économique. Un problème comparable, dimportance macroéconomique, est celui de l’aléa moral que pose le renflouement de fait de la Grèce pour la discipline budgétaire de l’UE.

Risques macroéconomiques: le grand problème de la dette publique


La forte augmentation de la dette publique comporte des risques considérables au plan macroéconomique. Les mesures de stimulation et de sauvetage de l’économie étaient encore relativement avantageuses lorsque la crise a éclaté et elles pouvaient être financées par de nouvelles dettes; maintenant, les investisseurs sont sceptiques quant à leur remboursement. Les craintes d’une faillite de l’État se sont exprimées sous la forme d’une augmentation rapide des rendements des emprunts publics des pays de la zone euro du sud de l’Europe, en particulier la Grèce. Étant donné le risque de contagion et l’incertitude qui pèse sur l’Union monétaire européenne, la crise grecque est devenue rapidement la «crise de l’euro» avec un cours en forte baisse sur les marchés des devises. De son côté, la crise européenne de la dette a engendré de nouvelles interventions, dont la transformation de la zone euro en une union de transfert encore impensable il y a quelque temps (voir encadré 2

Au printemps 2010, les préoccupations créées par l’importante dette publique de certains États du sud de l’Europe (Portugal, Italie, Grèce et Espagne) ont provoqué des turbulences sur les marchés des obligations. En particulier, la crainte d’une insolvabilité de la Grèce, dont les déficits embellis ont largement été réévalués, a fortement abaissé la valeur des titres de l’État grec. Les conditions de financement se sont aggravées. Par crainte de contagion, le taux des titres d’autres États a aussi augmenté, de même que la pression sur l’euro.Les États de l’UE se sont dès lors lancés dans des opérations de sauvetage. Ainsi, en avril, l’UE a élaboré, avec le FMI, un plan de sauvetage de la Grèce fortement endettée. Selon certaines critiques, ces mesures représentent une violation de la règle interdisant de prendre en charge les engagements financiers d’un État, contenue dans les traités de l’UE.En mai, étant donné la pression constante des marchés financiers sur la zone euro, l’UE a fait un pas supplémentaire en adoptant une série de mesures en faveur des États financièrement faibles de l’UE. Pour ce faire, elle a étendu l’aide déjà existante destinée aux pays de l’UE situés en-dehors de la zone euro aux membres de l’union monétaire et a augmenté en parallèle l’enveloppe financière de 50 à 60 milliards d’euros. En outre, une société de portage placée sous la surveillance de la Commission européenne doit recueillir de l’argent sur les marchés financiers au nom des 16 pays de l’euro et le transmettre sous forme de crédit aux États membres financièrement faibles. Une enveloppe financière de 440 milliards d’euros est prévue à cet effet. Par ailleurs, le Fonds monétaire international (FMI), qui devrait plutôt soccuper daide à la balance des paiements que d’aide budgétaire, avancerait jusqu’à 250 milliards d’euro. En contrepartie, le Portugal et l’Espagne doivent redoubler d’efforts pour assainir leurs budget. La Banque centrale européenne (BCE) soutient ces efforts en proclamant sa volonté d’acheter des emprunts.À maints égards, les mesures prises représentent un revirement par rapport aux principes assignés jusqu’ici à la zone euro, puisque la BCE est prête à acheter des emprunts et que le principe de non-renflouement est abandonné à l’intérieur de l’union monétaire. Sur ce dernier point, on encourage «seulement» le relachement budgétaire, comme par le passé: ainsi, lors de leur adhésion à l’union monétaire, certains pays se sont conformés aux critères de Maastricht en usant dartifices. Le pacte de stabilité et de croissance tant vanté a été mis en pratique avec beaucoup de souplesse. Les États ont trop souvent fait preuve d’indulgence les uns envers les autres face à leurs erreurs en matière de politique budgétaires.

).La situation de la dette est devenue précaire non seulement dans certains pays de la zone euro, mais aussi dans d’autres pays industrialisés comme le Japon, la Grande-Bretagne ou les États-Unis. Certes, ces États détiennent certains avantages, dont une politique monétaire adaptable aux besoins nationaux. De plus, les États-Unis profitent du statut de réserve et de refuge de l’USD et du seigneuriage qui y est lié. Le Japon profite de sa faible dette extérieure et la Grande-Bretagne tire des avantages de la longue durée de vie de ses obligations. En même temps, on ne peut pas exclure une réaction négative des marchés financiers vis-à-vis des dettes et de la monnaie de ces pays.D’ici à 2050, le FMI estime qu’une hausse de la moyenne de la dette publique des pays industrialisés du G20 équivalant à quelque 300% de leur PIB est concevable
Voir FMI, Fiscal Implications of the Global Economic and Financial Crisis, p. 39.. La responsabilité en incombe principalement aux dépenses supplémentaires auxquelles il faut s’attendre dans les domaines de la santé et des retraites. On estime que la valeur actuelle des dépenses supplémentaires dues au vieillissement sera dix fois plus élevée que les coûts de la lutte contre la crise économique et financière
Voir FMI, Strategies for Fiscal Consolidation in the Post-Crisis World, p. 18..

Quelles sont les options à disposition pour réduire la dette?


On s’interroge sur la façon de réduire à long terme la montagne des dettes publiques et privées dans les pays industrialisés. Certes, on affirme vivement de toutes parts que la monétisation et la réduction par l’inflation ne sont pas une option, mais on ne sait pas non plus vraiment quelles sont les alternatives; il ne faut notamment pas s’attendre à des miracles en matière de croissance dans les pays industrialisés. Mises à part les exportations vers les pays émergents, qui sont en hausse, dautres éléments de la demande, tels la consommation et les investissements, devraient progresser avec prudence compte tenu de l’évolution démographique, de l’assainissement du bilan des banques et des ménages, de même que des surcapacités industrielles. L’État devrait également diminuer son soutien à la demande, s’il veut assainir ses finances par le biais dune réduction des dépenses; d’autant plus si cela se produit dans plusieurs grandes économies au même moment
La littérature a, cependant, démontré que la consolidation des budgets entraînait des effets non-keynésiens. Dans ce cas, les mesures d’économie ne diminuent pas, mais stabilisent ou même augmentent les revenus; voir Ardagna Silvia, «Fiscal Stabilizations: When Do They Work and Why», European Economic Review, vol. 48, n° 5, 2004, p. 1047–1074.. Les augmentations d’impôt, quant à elles, paralyseraient l’activité économique. Un «boom» particulier pourrait, toutefois, se déclencher dans les pays exportateurs et très productifs de la zone euro comme l’Allemagne, grâce à la faiblesse à la fois du taux d’intérêt unique qui y est pratiqué et du cours de l’euro; toutefois, ce phénomène comporterait de nouveaux risques.

Le plus grand défi: la consolidation budgétaire


Si les pays industrialisés veulent atteindre un taux d’endettement équivalent à 60% du PIB (critère de Maastricht) d’ici à 2030, il faudrait, selon le FMI, une amélioration de la balance primaire des budgets publics de 8,7 points de PIB en moyenne entre 2010 et 2020, ainsi qu’une stabilisation pendant la décennie suivante
La balance primaire exclut le paiement d’intérêts sur les dettes existantes. En moyenne, il faudrait que la balance primaire s’améliore, entre 2010 et 2020, pour passer d’un déficit moyen de l’ordre de 4,9% à un excédent moyen de 3,8%. Voir FMI, Fiscal Monitor, p. 28.. Cela serait possible uniquement en réduisant les dépenses pour la sécurité sociale, la prévoyance vieillesse et la maladie; il faudrait également couper dans d’autres postes et subventions, tout en élargissant l’assiette de l’impôt pour augmenter les recettes fiscales. À long terme, il faudrait aussi appliquer des mécanismes comme le frein à l’endettement. Maintenant, il faut savoir si un remède de cheval tel que celui-ci est possible à long terme du point de vue politique; en effet, la faible popularité, un possible fléchissement de la conjoncture pendant la période de consolidation, le paysage démographique et le risque des taux d’intérêt constituent autant de freins à un tel programme.Étant donné les circonstances, la méfiance augmente à l’égard du système actuel de papier-monnaie et de crédit. On craint que la question des dettes publique et privée ne soit réglée par une politique inflationniste. En plus, on n’entrevoit pas clairement les effets secondaires de lassouplissement monétaire sans précédent qui a eu lieu. Si se passer de ce soutien conjoncturel monétaire est techniquement possible, on peut se demander si les grands pays industrialisés feront preuve de la volonté et de la coordination nécessaire
En ce qui concerne la politique monétaire de sortie de crise, voir: FMI, Exiting from Crisis Intervention Policies, 2010, et FMI, Exiting from Monetary Crisis Intervention Measures, Background Paper, 2010..

Conséquences politiques de la crise


La crise a aussi des conséquences politiques. Les risques directs pour la stabilité politique apparaissent dans les pays où des mesures impopulaires doivent être prises. Comme il n’est plus possible de dévaluer au sud de l’Europe, le rétablissement de la compétitivité passe par des mesures internes et se traduit par une pression douloureuse sur les salaires et les prix. La réduction des services publics et l’augmentation des impôts causent des privations supplémentaires. On ne sait pas si les gouvernements concernés disposent de suffisamment de soutien politique pour surmonter la période nécessaire à la consolidation.La crise s’accompagne aussi de tensions politiques au niveau international. Cela vaut d’abord pour la zone euro: l’union économique et monétaire risque de demeurer durablement sous pression avec l’intensification des rivalités tournant autour de la redistribution. En fait, c’est sur l’ensemble de la planète que les luttes pourraient s’aggraver.Il faut s’attendre à ce que le clivage se creuse entre les pays émergents et industrialisés tant que la forte croissance des premiers – moins endettés et plus dynamiques du point de vue démographique – se poursuivra. À partir de là, le résultat à long terme devrait être un déplacement des forces politiques de l’ouest vers l’est et du nord vers le sud. De nouveaux problèmes économiques pourraient en résulter pour les pays industrialisés, comme dans le cas d’une érosion du pouvoir d’achat des devises occidentales ou en ce qui concerne l’accès aux matières premières. Pour finir, il faut aussi tenir compte des conséquences politiques indirectes de la crise: la confiance dans l’économie de marché a été fortement ébranlée pendant la crise économique et financière, malgré le fait que lÉtat, par ses défaillances, soit aussi lourdement responsable de la situation (voir encadré 3

Pour le public, la crise a surtout été causée par les opérations à risque des banques d’investissement et des «spéculateurs», la politique des crédits dans le secteur immobilier américain, la défaillance des agences de notation et les systèmes de rémunérations dans le secteur financier. Il s’agit ici incontestablement d’une déroute des marchés et de leurs acteurs. Les accusations unilatérales sont, toutefois, déplacées, puisque les politiques étatiques ont en partie favorisé la crise, quand elles n’en ont pas été les premières responsables. Il sera nécessaire détudier si les erreurs du passé pourront être évitées à lavenir. Selon l’angle adopté en politique économique, on peut compter les «dysfonctionnements étatiques» suivants parmi les éléments qui ont contribué à déclencher la crise:− taux d’intérêt maintenus à un niveau très bas après l’éclatement de la bulle technologique;− impossibilité pour la politique monétaire menée dans la zone euro de s’adapter aux conditions nationales avec pour conséquences une bulle immobilière (p. ex. en Espagne) et un excès d’endettement (p. ex. en Grèce);− avantages fiscaux accordés au financement en fonds étrangers au détriment des fonds propres dans de nombreux pays avec pour conséquence un surendettement (p. ex. dans le financement de l’immobilier et des entreprises);− aide politique à la construction de logements aux États-Unis;− garantie implicite de l’État aux deux organismes de refinancement hypothécaire Fannie Mae et Freddie Mac;− fragmentation de la surveillance des marchés financiers aux États-Unis;− accroissement de l’endettement de l’État dans de nombreux pays industrialisés;− non-application «cartellaire» du pacte de stabilité dans la zone de l’euro, y compris l’application généreuse des critères de Maastricht lors des adhésions;− compétition entre places financières en matière de réglementation;− parité de la devise des pays excédentaires (en particulier la Chine et les États du Golfe) avec l’USD, ce qui a entraîné des déséquilibres internationaux;− engagement de l’État dans le secteur financier.

). La perte de confiance dans les lois du marché a notamment pour origine les évènements survenus dans le secteur financier: si on privatise les gains et quon étatise les pertes par les crises et les opérations de sauvetage, on viole la notion de responsabilité et de justice, deux principes fondamentaux qui conditionnent le succès économique à long terme et une politique économique qui atteigne son objectif. De lourdes hypothèques psychologiques pèsent sur les réformes qu’il faudra mettre en place ces prochaines années.

Graphique 1: «Évolution de la base monétaire: l’exemple des États-Unis, 1er janvier 1918 – 1er mai 2010»

Encadré 1: Autres mesures pour lutter contre la crise

D’autres mesures ont été prises par diverses instances pendant la crise afin de stabiliser les marchés.Dans le domaine des normes de comptabilité, les organes internationaux compétents IASB et FASB ont décidé, au point culminant de la crise, d’assouplir la règle qui veut qu’une évaluation se fasse au prix du marché; les établissements financiers doivent normalement y souscrire lors de l’inscription des papiers-valeurs. Soumis à des amortissements massifs, à des ventes d’urgence et à la baisse des prix, les titres illiquides devenus toxiques – tels que les titres obligataires garantis par l’immobilier – avaient été entraînés dans une spirale baissière, détériorant les bilans bancaires. L’assouplissement de la règle de l’évaluation au prix du marché instauré sous la pression politique a permis de neutraliser la pression à la vente et sur les prix, de même que la dégradation des bilans des banques sur le papier.On a, en outre, essayé de freiner la spirale baissière des marchés financiers par des interdictions commerciales concernant certaines ventes à découvert.On a, enfin, tenté de stabiliser l’économie avec des mesures relevant des politiques commerciales et des investissements, qui n’étaient pas exemptes de relents protectionnistes.

Encadré 2: La crise de l’euro et les interventions

Au printemps 2010, les préoccupations créées par l’importante dette publique de certains États du sud de l’Europe (Portugal, Italie, Grèce et Espagne) ont provoqué des turbulences sur les marchés des obligations. En particulier, la crainte d’une insolvabilité de la Grèce, dont les déficits embellis ont largement été réévalués, a fortement abaissé la valeur des titres de l’État grec. Les conditions de financement se sont aggravées. Par crainte de contagion, le taux des titres d’autres États a aussi augmenté, de même que la pression sur l’euro.Les États de l’UE se sont dès lors lancés dans des opérations de sauvetage. Ainsi, en avril, l’UE a élaboré, avec le FMI, un plan de sauvetage de la Grèce fortement endettée. Selon certaines critiques, ces mesures représentent une violation de la règle interdisant de prendre en charge les engagements financiers d’un État, contenue dans les traités de l’UE.En mai, étant donné la pression constante des marchés financiers sur la zone euro, l’UE a fait un pas supplémentaire en adoptant une série de mesures en faveur des États financièrement faibles de l’UE. Pour ce faire, elle a étendu l’aide déjà existante destinée aux pays de l’UE situés en-dehors de la zone euro aux membres de l’union monétaire et a augmenté en parallèle l’enveloppe financière de 50 à 60 milliards d’euros. En outre, une société de portage placée sous la surveillance de la Commission européenne doit recueillir de l’argent sur les marchés financiers au nom des 16 pays de l’euro et le transmettre sous forme de crédit aux États membres financièrement faibles. Une enveloppe financière de 440 milliards d’euros est prévue à cet effet. Par ailleurs, le Fonds monétaire international (FMI), qui devrait plutôt soccuper daide à la balance des paiements que d’aide budgétaire, avancerait jusqu’à 250 milliards d’euro. En contrepartie, le Portugal et l’Espagne doivent redoubler d’efforts pour assainir leurs budget. La Banque centrale européenne (BCE) soutient ces efforts en proclamant sa volonté d’acheter des emprunts.À maints égards, les mesures prises représentent un revirement par rapport aux principes assignés jusqu’ici à la zone euro, puisque la BCE est prête à acheter des emprunts et que le principe de non-renflouement est abandonné à l’intérieur de l’union monétaire. Sur ce dernier point, on encourage «seulement» le relachement budgétaire, comme par le passé: ainsi, lors de leur adhésion à l’union monétaire, certains pays se sont conformés aux critères de Maastricht en usant dartifices. Le pacte de stabilité et de croissance tant vanté a été mis en pratique avec beaucoup de souplesse. Les États ont trop souvent fait preuve d’indulgence les uns envers les autres face à leurs erreurs en matière de politique budgétaires.

Encadré 3: La crise est-elle due à un dysfonctionnement du marché ou de l’État?

Pour le public, la crise a surtout été causée par les opérations à risque des banques d’investissement et des «spéculateurs», la politique des crédits dans le secteur immobilier américain, la défaillance des agences de notation et les systèmes de rémunérations dans le secteur financier. Il s’agit ici incontestablement d’une déroute des marchés et de leurs acteurs. Les accusations unilatérales sont, toutefois, déplacées, puisque les politiques étatiques ont en partie favorisé la crise, quand elles n’en ont pas été les premières responsables. Il sera nécessaire détudier si les erreurs du passé pourront être évitées à lavenir. Selon l’angle adopté en politique économique, on peut compter les «dysfonctionnements étatiques» suivants parmi les éléments qui ont contribué à déclencher la crise:− taux d’intérêt maintenus à un niveau très bas après l’éclatement de la bulle technologique;− impossibilité pour la politique monétaire menée dans la zone euro de s’adapter aux conditions nationales avec pour conséquences une bulle immobilière (p. ex. en Espagne) et un excès d’endettement (p. ex. en Grèce);− avantages fiscaux accordés au financement en fonds étrangers au détriment des fonds propres dans de nombreux pays avec pour conséquence un surendettement (p. ex. dans le financement de l’immobilier et des entreprises);− aide politique à la construction de logements aux États-Unis;− garantie implicite de l’État aux deux organismes de refinancement hypothécaire Fannie Mae et Freddie Mac;− fragmentation de la surveillance des marchés financiers aux États-Unis;− accroissement de l’endettement de l’État dans de nombreux pays industrialisés;− non-application «cartellaire» du pacte de stabilité dans la zone de l’euro, y compris l’application généreuse des critères de Maastricht lors des adhésions;− compétition entre places financières en matière de réglementation;− parité de la devise des pays excédentaires (en particulier la Chine et les États du Golfe) avec l’USD, ce qui a entraîné des déséquilibres internationaux;− engagement de l’État dans le secteur financier.

Proposition de citation: Thomas A. Zimmermann (2010). Une crise économique coûteuse et des interventions à risque. La Vie économique, 01 juillet.