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Les aspects économiques des écosystèmes et de la biodiversité

Quel rapport y a-t-il entre économie et biodiversité? Peu de choses à première vue: aucun prix n’est fixé pour les produits de la nature (du moins pour la plupart) et leur usage est gratuit. Dès lors, la société ne prête pas suffisamment attention à l’importance des écosystèmes et de la biodiversité. Nous considérons la nature comme un bien public et nous ne prenons pas en compte sa valeur lorsque nous décidons de l’usage des terrains et des surfaces. L’étude TEEB, sur laquelle se base cet article, a pour but de modifier cette attitude en procédant à une évaluation économique des produits de l’écosystème et de la biodiversité.

Production alimentaire et biodiversité sont rarement considérées conjointement. On néglige le fait qu’il existe une relation négative entre les cultures agroalimentaires et le maintien des prestations de l’écosystème et de la biodiversité. La production alimentaire est pourtant en conflit avec d’autres utilisations du sol: les surfaces agricoles disponibles pour cette production sont de fait limitées, et d’autres usages peuvent en être faits, qui vont de l’habitat et du transport à la préservation des prestations des écosystèmes et de la biodiversité en passant par la production de plantes énergétiques.La production alimentaire implique des pertes en termes de prestations de l’écosystème ou de biodiversité qui engendrent des coûts économiques. Il faudra, suivant les circonstances, mettre en place ou développer des solutions coûteuses qui puissent sauvegarder les conditions de base de notre existence. Nous devrions donc, pour éviter des coûts sur le long terme et garantir notre bien-être – voire notre survie –, encourager les investissements dans le capital naturel.Le présent article montre qu’il est possible d’identifier, au moyen d’une analyse économique, les services que nous rend l’équilibre naturel et même, dans de nombreux domaines, de les quantifier. Cela permet de concevoir des modèles plus pertinents d’utilisation du territoire, les informations sur lesquelles nous basons nos décisions étant complétées par des coûts et des profits qui jusqu’alors n’étaient pas pris en compte. C’est là l’objectif principal de l’étude The Economics of Ecosystem and Biodiversity (TEEB), dont les résultats servent de base à cet article.

Les prestations offertes par les écosystèmes


Une étude économique des écosystèmes et de la biodiversité analyse le profit que tirent les hommes de la nature. Nous profitons des écosystèmes et de la biodiversité de multiples façons. La nature nous offre des biens et des services qui constituent la base de notre bien-être, comme par exemple la nourriture, l’eau potable, les combustibles ou une protection contre les inondations. Ces prestations sont essentielles à notre santé et à notre bien-être. Selon la classification du Millennium Ecosystem Assessment (2005), elles peuvent être de quatre types (voir graphique 1):1. Services de base ou de soutien: ceux-ci comprennent des processus tels la formation des sols, la photosynthèse et le cycle alimentaire, qui sont importants pour notre production et notre croissance et qui constituent la base pour les autres services de la biodiversité et des écosystèmes.2. Services d’approvisionnement: ce terme désigne la mise à disposition de biens tels que le bois, la nourriture, l’eau ou les fibres.3. Services de régulation: ce sont les processus qui régulent le climat et les précipitations, nous protègent des inondations et de l’érosion des sols ou stockent des polluants.4. Services culturels: les parcs nationaux appartiennent, par exemple, à l’héritage culturel d’un pays et en nourrissent l’identité. Ils ont une valeur récréative et une importance spirituelle. Ce sont, en outre, des biens culturels possédant une dimension sociale et leur usage est important pour notre bien-être psychique.On peut illustrer ces diverses prestations en prenant l’exemple d’une forêt. Par la photosynthèse, une forêt produit l’oxygène indispensable à notre survie ainsi que le matériau organique qui se trouve au début de la chaîne alimentaire. La forêt nous donne du bois, dont la valeur peut être déterminée à partir des prix sur le marché du bois. Par le filtrage et le stockage de l’eau, nous obtenons de l’eau potable et économisons peut-être ainsi les frais d’une installation de filtrage ou d’un traitement de l’eau potable. La forêt, en stockant l’eau et en réduisant l’érosion des sols, offre une protection contre les inondations et les avalanches. Elle est, enfin, un lieu où l’on aime se détendre, et où nos enfants peuvent découvrir et apprendre à connaître l’environnement.Le Millennium Ecosystem Assessment a contribué de façon essentielle à expliciter le lien qui existe entre le bien-être des hommes et les services que nous rend l’équilibre naturel. Ces derniers ne sont, pourtant, pas toujours intégrés avec toute l’importance requise dans de nombreuses décisions économiques conventionnelles; on semble même considérer quils vont de soi. C’est sur ce point que l’étude TEEB, par son orientation économique, souhaite apporter sa contribution.

De la reconnaissance des prestations écologiques à l’évaluation économique


Les prestations écologiques ne peuvent être évaluées économiquement que si elles sont identifiées et reconnues. On peut les répartir, d’un point de vue économique, en différentes catégories de valeurs, dont la somme donnera la valeur économique d’ensemble (voir graphique 2). Cette dernière est moins une grandeur empirique qu’un outil de réflexion, une heuristique qui permet de rendre attentif aux différents types de valeurs économiquement pertinentes et qu’il importe donc de prendre en compte
Voir WBGU (1999).On distingue, parmi ces valeurs économiques, celles qui dépendent d’un usage et les autres. Les premières permettent aux hommes de réaliser un profit dès lors qu’ils utilisent effectivement l’environnement, par exemple en prélevant des ressources ou en entreposant des polluants. Ces valeurs se divisent à leur tour en valeurs directes (p. ex. à des fins de production et de consommation) et indirectes (p. ex. une fonction de régulation qui ne sert qu’indirectement aux hommes).Les valeurs qui ne dépendent pas d’un usage comprennent d’abord la valeur existentielle, qui marque que la simple existence de la nature nous apporte apaisement et bien-être – par exemple l’existence de la baleine bleue nous procure du plaisir, même si nous n’en avons jamais vu personnellement. Il faut y ajouter la valeur d’héritage, autrement dit le profit que nous tirons de la transmission d’une nature intacte aux générations futures.Entre les valeurs qui dépendent d’un usage et celles qui n’en dépendent pas se situe la valeur d’option. Celle-ci représente les profits d’une utilisation possible ultérieurement, lorsque nos connaissances et le progrès technique en permettront un usage intéressant. Un exemple de telles valeurs d’option est la conservation de la forêt tropicale humide comme ressource génétique, qui sera peut-être exploitée un jour à des fins agricoles, pharmaceutiques ou industrielles.

Méthodes d’évaluation économique


Les préférences des individus constituent le point de départ de l’évaluation économique. L’économie a développé sur cette base diverses méthodes d’évaluation, parmi lesquelles on distingue entre méthodes directes et indirectes. Les secondes consistent à utiliser les données du marché pour en déduire ce que les individus sont prêts à payer pour les biens naturels que l’on cherche à évaluer. La nature peut, par exemple, être évaluée en partant du comportement de la demande envers des biens mis sur le marché. Cela présuppose bien sûr que les biens en question aient un rapport – substitutif ou complémentaire – avec le bien de l’environnement considéré (p.ex. air pur, eau potable). On trouve ainsi, parmi ces méthodes, des approches qui, pour déterminer une valeur, se réfèrent aux coûts des dommages évités (méthode des coûts substituts
Combien coûte, par exemple, la construction d’un paravalanche? Le coût peut être vu simultanément comme la valeur d’une forêt qui protège des avalanches.) ou qui, sur la base de dépenses consenties en faveur de mesures préventives, concluent à une valeur économique de la nature (méthode des coûts de remplacement). On peut aussi mentionner comme autres méthodes indirectes celle de la valeur immobilière et celle des coûts de transport.Lorsqu’il est impossible d’estimer indirectement la valeur économique des écosystèmes et de la biodiversité à partir d’un comportement observable du marché ou lorsqu’on veut appréhender des prestations de l’environnement qui présentent une composante hautement indépendante de l’usage (p. ex. une espèce animale rare), on peut interroger directement les individus sur ce qu’ils seraient prêts à payer pour la conservation de tel écosystème ou sur la hauteur du paiement compensatoire à exiger en cas d’atteinte à cet écosystème. Cette méthode dite de l’évaluation contingente suppose cependant que les individus soient familiarisés avec l’environnement et possèdent des connaissances à son sujet.Il existe ainsi différentes méthodes économiques qui permettent de convertir en valeurs les prestations de la nature. Cela ne doit, cependant, pas masquer le fait qu’elles sont souvent d’un emploi très difficile. Néanmoins, même si tous les aspects des prestations d’un écosystème ne peuvent être financièrement quantifiés, une étude économique peut contribuer à estimer l’importance quantitative des prestations d’un écosystème, par exemple le nombre de bénéficiaires d’une prestation déterminée ou la taille et l’importance du secteur économique considéré. Enfin, l’analyse économique peut identifier les acteurs impliqués: les responsables de dommages à l’environnement tout comme ceux qui les subissent. Elle peut révéler les structures incitatives qui sont à l’origine des activités dommageables à l’environnement et suggérer des modes d’action aux décideurs politiques.

Valorisation économique et prise de décision


L’absence de prix du marché pour les prestations de l’écosystème et pour la biodiversité conduit à leur omission ou leur sous-estimation dans les processus de décision. L’évaluation économique est ici un pas décisif, car elle montre clairement que la nature fournit des prestations dotées dune valeur. Celle-ci, lorsquelle est définie, a – de même que le prix du marché pour les biens privés – une double fonction: informative et incitative. Citoyens, entreprises ou décideurs politiques sont informés du «vrai» coût de leurs choix de consommation, de production ou de gouvernement. Des conflits d’objectifs se manifestent alors, mais deviennent également mieux négociables et l’usage des biens gagne en efficacité.Indiquer la valeur des prestations des écosystèmes permet de montrer que dans certains cas les investissements dans le capital naturel sont moins coûteux que ceux dans le capital constitué par les hommes. L’approvisionnement en eau de la ville de New York en est un exemple célèbre. Jusque dans les années nonante, le bassin versant des montagnes Catskill procurait aux habitants de New York une eau d’une qualité si élevée qu’il n’était nécessaire ni de la filtrer ni de la traiter chimiquement. Avec le temps, cependant, la qualité de l’eau s’est mise à baisser et la ville s’est vue contrainte soit de construire une installation de filtrage, soit de rétablir le potentiel de prestation du bassin versant des Catskill. Le coût de la seconde option a été estimé entre 1 et 1,5 milliard d’USD, ce qui correspondait à un cinquième seulement du coût de l’installation de filtrage
Voir Perrot-Maître, Davis (2001)..La valorisation de la nature peut aussi permettre de créer de nouveaux marchés. Celui du CO2, dont la création a été une révolution, en fournit l’exemple le plus marquant. Le CO2 est devenu un bien rare, que prennent en compte les entreprises dans leurs décisions. Il faut ambitionner de créer des marchés similaires dans le domaine de la biodiversité, dont les entreprises pharmaceutiques ont déjà partiellement identifié le potentiel. Enfin, les valeurs économiques peuvent contribuer à lutter contre la pauvreté et les problèmes sociaux, dans la mesure où leur estimation permet de déterminer qui en tire profit et qui en porte le coût. Ainsi les bénéficiaires et les personnes lésées peuvent être identifiés à un niveau régional ou local, et, si des groupes déterminés ou des individus subissent des préjudices, d’éventuelles compensations peuvent être fixées.Malgré tous ces avantages, on doit garder à l’esprit que l’estimation économique a également ses limites et ne fournit qu’une partie des données prises en compte dans les processus de décision. Les valeurs qu’elle détermine peuvent toutefois jouer un rôle important: l’objectif est de faire prendre conscience aux décideurs de limportance de la nature – et c’est là l’idée qui sous-tend l’étude TEEB.

L’objectif de l’étude TEEB


L’étude TEEB, débutée en 2007, devait permettre de mieux estimer la valeur économique des prestations de la nature, mais aussi d’évaluer les atteintes aux écosystèmes et ainsi de pouvoir chiffrer le coût du laisser-faire. Les personnes peuvent ainsi être rendues attentives à l’aspect économique des écosystèmes et de la biodiversité. Selon les mots du directeur de l’étude, Pavan Sukdhev: «La société doit de toute urgence remplacer sa boussole économique, défectueuse, si elle ne veut pas, en sous-estimant les écosystèmes et la biodiversité et en subissant durablement leur perte, mettre en danger le bien-être des hommes et la santé de la planète»
Voir TEEB (2008)..L’étude TEEB n’est pas un projet de pure science, elle doit jouer un rôle avant tout politique, en montrant comment nous pouvons prendre en compte la valeur des écosystèmes et de la biodiversité dans nos processus et nos prises de décisions. Un des objectifs majeurs de l’étude est de faire prendre conscience aux décideurs politiques qu’il existe déjà une multitude d’approches et d’instruments grâce auxquels il leur est possible d’intégrer la valeur des prestations de l’écosystème dans leurs décisions. Cette étude est un outil pour la pensée et pour l’action, qui permet de voir la biodiversité comme elle est: le fondement des activités économiques et de notre bien-être.L’étude TEEB a l’ambition de faire prendre conscience à autant de personnes que possible de l’importance de la protection des écosystèmes et de la biodiversité. Elle doit donc répondre aux attentes de quatre groupes différents d’utilisateurs: politique nationale et internationale, administrations aux échelles régionales et locales, entreprises ainsi que citoyens et consommateurs. L’étude TEEB se conclura donc avec un rapport de base sur l’état de la recherche mais aussi avec quatre rapports spécifiques spécialement adressés à ces groupes cibles. Les mêmes données scientifiques seront présentées de façons différentes l’accent étant mis sur des points spécifiques afin de trouver à chaque fois le langage qui convient aux utilisateurs potentiels, et favoriser ainsi une mise en œuvre rapide des résultats
Voir Hansjürgens (2010). On trouvera de plus amples informations ainsi que les résultats actuels de l’étude TEEB à l’adresse http://www.teebweb.org..

Graphique 1: «Prestations de l’écosystème»

Graphique 2: «Valeur économique d’ensemble»

Encadré 1: Bibliographie

– Hansjürgens B., Natur Frei Haus, Hamburger Gespräche für Naturschutz, publications de la fondation Michael Otto, Hambourg, 2010.– Millennium Ecosystem Assessment, Ecosystems and Human Well-being: Synthesis, Island Press, Washington, DC, 2005.– Perrot-Maître D. et Davis P. Case Studies of Markets and Innovative Financial Mechanisms for Water Services from Forests, Forest Trends, 2001. – The Economics of Ecosystem and Biodiversity (TEEB): http://www.teebweb.org.– Wissenschaftlicher Beirat Globale Umweltveränderungen (WBGU), Welt im Wandel, Umwelt und Ethik, Sondergutachten, Marburg, 1999, Metropolis.

Proposition de citation: Christoph Schroeter-Schlaack ; Melanie Chatreaux ; Bernd Hansjuergens ; (2010). Les aspects économiques des écosystèmes et de la biodiversité. La Vie économique, 01 septembre.