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Le manque de personnel qualifié dans les domaines MINT: ampleur, causes et conséquences

Une étude réalisée par le bureau Bass sur mandat du Secrétariat d’État à l’éducation et à la recherche (SER) parvient à la conclusion que la pénurie de personnel spécialisé dans les domaines des mathématiques, de l’informatique, des sciences naturelles et de la technique (MINT) n’est pas uniquement un phénomène d’ordre conjoncturel. En période d’activité économique soutenue, le manque de personnel qualifié dans ces domaines devient tel qu’il peut sérieusement affecter la capacité productive des entreprises. Alors que les salaires réagissent rapidement à la raréfaction de l’offre de travail, il semble que le choix des spécialisations n’en soit guère affecté, du moins à court et moyen termes.

Par personnel qualifié des domaines MINT (ci-dessous: «personnel MINT»), nous entendons les personnes actives qui satisfont aux deux critères suivants: – elles ont suivi avec succès une formation en rapport avec les domaines MINT, que ce soit dans une université, une école polytechnique fédérale (EPF) ou une haute école spécialisée (HES);– elles réalisent des travaux spécifiques à ces domaines ou liés à des projets. Nous ne rangeons pas parmi le personnel MINT les personnes qui occupent des postes directoriaux et exercent exclusivement des fonctions de gestion.Les indicateurs qui permettent détudier la pénurie de personnel MINT sont très variés. Nous inspirant de Koppel (2008), nous avons choisi «d’opérationnaliser» le manque de personnel par «l’inadéquation de personnel qualifié» (voir encadré 1

– Définition: la pénurie de personnel qualifié mesurée à un moment déterminé correspond à la différence entre la demande et l’offre suisse de personnel à ce moment. On parle d’inadéquation positive lorsque le personnel qualifié fait défaut sur le marché suisse du travail et d’inadéquation négative lorsque ce personnel y est en surnombre. – Opérationnalisation: l’offre de personnes qualifiées disponibles à court terme sur le marché suisse du travail peut être «opérationnalisée» sur la base du nombre d’actifs qualifiés (statistique du marché du travail du Seco); la demande peut l’être sur la base du nombre de postes offerts. La statistique du marché du travail du Seco ne couvre qu’une partie des emplois offerts. Voilà pourquoi le nombre de postes offerts a été recensé en mars 2009 sur la base d’une enquête en ligne effectuée auprès des entreprises suisses (voir encadré 2). – Catégories MINT: La pénurie de personnel MINT a été calculée pour diverses catégories professionnelles (informaticiens, ingénieurs en électricité, machines, construction, etc.).– Évolution de la pénurie de personnel MINT: pour mars 2010, nous connaissons aussi bien les postes vacants enregistrés dans les Offices régionaux de placement (ORP) que ceux non enregistrés (livrés par l’enquête en ligne auprès des entreprises). Pour ce mois de mars, on peut ainsi calculer le taux d’enregistrement, autrement dit la proportion de postes vacants annoncés aux ORP. En considérant que ce taux est stable dans la durée, il est possible de mesurer rétroactivement l’écart (pénurie) de personnel MINT.

). Cette dernière correspond à la différence entre la demande et l’offre de personnel qualifié à un moment déterminé. Si l’écart est positif, cela signifie qu’il manque en Suisse du personnel qualifié. S’il est négatif, il y a au contraire un excédent de personnel qualifié sur le marché du travail.

Ampleur de la pénurie de personnel MINT en mars 2009


Par extrapolation, nous avons calculé pour mars 2009 une pénurie de 14 000 personnes qualifiées dans les domaines MINT
Obtenu par extrapolation, le chiffre de 14 000 postes vacants dans les domaines Mint est entaché de quelque incertitude. La «valeur réelle» se situe avec une probabilité de 95% entre 9659 et 18 486. L’estimation ponctuelle de 14 088 actifs manquants dans les domaines Mint peut s’avérer tendanciellement exagérée, car en dépit du taux de réponse élevé de l’enquête auprès des entreprises, un biais de sélection ne saurait être exclu.. L’on comptait alors 16 100 postes offerts, contre seulement 2000 demandes de candidats qualifiés. La différence peut être considérée comme substantielle puisqu’elle correspond, sur un effectif total de 173 000 personnes travaillant dans les domaines MINT, à un taux de vacance de 8,5%, autrement dit à près d’un poste inoccupé sur onze. En mars 2009, le taux de chômage n’était que de 1,2% parmi les collaborateurs MINT, contre 3,4% pour l’ensemble de la population active, soit près de trois fois plus. Le marché MINT souffrait principalement d’un manque d’informaticiens et d’ingénieurs en électricité, microtechnique, machines et construction.

Au-delà de la conjoncture: la pénurie structurelle de personnel MINT


Nous avons évalué le rapport fonctionnel entre la conjoncture et la partie du marché du travail concerné par les MINT (ci-après «marché MINT») sur la base d’un modèle d’analyse de séries de type VARX
VARX = Modèle vectoriel autorégressif avec variables exogènes.. À partir de cette relation, nous avons déterminé l’ampleur de la pénurie de personnel MINT lorsque l’économie suisse se trouve sur sa ligne de croissance à long terme. Le résultat de ce calcul met en évidence ce que l’on peut définir comme une pénurie structurelle de personnel MINT. En considérant que le rythme de croissance réelle du produit intérieur brut se situe dans la durée aux environs de 1,7 à 2%, on observe en effet une pénurie structurelle de personnel MINT de quelque 10 000 personnes.

Apport des spécialistes étrangers


Nous avons également analysé le rapport entre la conjoncture, le manque de personnel MINT et l’immigration de spécialistes étrangers. Il est d’abord apparu que cette immigration est fortement corrélée à la pénurie de personnel MINT sur le marché national: plus la pénurie est aiguë, plus l’immigration est importante. On a, ensuite, constaté quelle est essentielle pour le marché du travail suisse. En 2007 et en 2008, quelque 10 000 spécialistes MINT étrangers sont venus chaque année dans notre pays, ce qui correspond aux deux-tiers environ des nouveaux diplômés enregistrés en Suisse dans ces spécialités (universités et HES confondues). Cela montre clairement qu’on ne peut pas réellement circonscrire le marché MINT au territoire national.

Le marché joue-t-il son rôle?


Économiquement, la faiblesse de l’offre en personnel qualifié exerce d’une façon générale (ici dans les domaines MINT) une fonction importante. Selon la doctrine économique, les hausses de salaires qu’elle induit tendent à améliorer l’allocation des facteurs en incitant les travailleurs occupés à des activités moins productives, ou les personnes non actives, à se former et à se réorienter, à moyen et long termes, vers des carrières financièrement intéressantes. On peut, toutefois, se demander si ce mécanisme fonctionne véritablement. Si c’est le cas, il faut s’attendre à observer, entre autres, les phénomènes suivants:– une corrélation positive entre salaires et pénurie pour le personnel MINT: autrement dit, les premiers progressent avec la seconde;– à moyen et long termes, les jeunes gens sont plus nombreux à s’engager dans des filières MINT quand les salaires augmentent et que les perspectives professionnelles deviennent plus attrayantes.L’analyse empirique montre que les salaires réels du personnel MINT ont augmenté beaucoup plus rapidement entre 2005 et 2008 que la moyenne nationale. Dans le graphique 1, on constate en effet que sur cette période, la croissance des salaires en termes réels n’a été que de 0,6% pour l’ensemble de la population active, contre 3,3%, soit près de six fois plus, pour le personnel MINT. Le marché a donc réagi au resserrement de l’offre disponible par des hausses substantielles de salaires. Le marché semble donc jouer son rôle à cet égard.La méthode d’analyse de séries dont nous nous sommes servis – sur la base des données empiriques se rapportant à la période comprise entre 1993 et fin 2008 – n’a mis en évidence aucune influence statistiquement significative de la pénurie de personnel qualifié MINT sur le nombre d’étudiants intéressés, autrement dit sur leurs décisions en matière d’études. Ce constat est conforme aux résultats de la recherche sur le choix des filières, qui montrent que les considérations liées au marché du travail ne jouent qu’un rôle secondaire. À court et moyen termes, nous n’avons donc trouvé aucun indice empirique d’un effet de la rareté de l’offre dans le marché MINT sur les options des jeunes. La base de données disponible ne permet, toutefois, pas d’établir si ce résultat se vérifie aussi à long terme.

Effets de la pénurie de personnel MINT


Au niveau microéconomique, une telle pénurie peut bien sûr être préjudiciable aux entreprises qui ont besoin de ce personnel qualifié pour produire leurs biens et services. Dans le cadre de l’enquête en ligne, nous avons donc demandé aux entreprises si elles avaient été (ou étaient encore) affectées par cette pénurie et les avons priées de nous en décrire les conséquences. Leurs réponses font l’objet du tableau 2. Pas moins de 64% des entreprises ayant répondu positivement ont déploré des préjudices. Parmi ces dernières, les plus souvent citées sont de longues vacances de postes, l’ajournement de nouvelles embauches et une augmentation des frais de recrutement.

Les causes de la pénurie


D’un point de vue purement phénoménologique, la pénurie structurelle de personnel MINT est imputable au fait que l’offre n’a pas suivi la progression de la demande. Parmi les causes de cette situation, qui sont assurément multiples, on ne peut pas ne pas mentionner le changement technologique actuel qui favorise les emplois qualifiés («skill-biased technological change») et qui veut que les processus de production nécessitent de plus en plus de personnel qualifié au détriment de la main-d’œuvre non formée. Braun et Kägi (2010) ont, en outre, montré qu’au cours de leur carrière, de nombreux professionnels du domaine MINT migrent vers des fonctions qui lui sont «étrangères» et que les nouveaux venus ne parviennent pas à compenser ces sorties, car la plupart des postes MINT ne peuvent être occupés que par des personnes formées à ces domaines. Dans la tradition de la recherche portant sur les filières, nous avons voulu identifier les facteurs qui influencent – positivement ou négativement – les chances d’un individu de réussir une formation MINT. Concrètement, nous avons cerné, à l’aide d’un modèle «logit» et sur la base de données issues de panels d’individus (données TREE)
Pour de plus amples informations sur le projet TREE, voir http://tree.unibas.ch., les spécificités des écoliers de 15 ans susceptibles d’agir sur leur probabilité de terminer ultérieurement une formation MINT. La pertinence de cette question tient au fait que d’après la littérature spécifique, le futur parcours éducatif d’un jeune est déjà fort bien dessiné après la première décision qu’il a prise en matière de formation à la fin du degré secondaire I. La modélisation nous a conduits aux constats décrits ci-après.

Importance et persistance de l’intérêt des jeunes de 15 ans


Les souhaits professionnels d’un jeune de 15 ans et son intérêt pour les mathématiques ont un impact positif très fort sur la probabilité qu’il devienne un spécialiste MINT. On peut y voir la preuve que, d’une manière générale, les intérêts des jeunes de cet âge sont déjà très affirmés, ce qui recoupe les conclusions de la recherche sur l’éveil. Avec la première décision prise en matière de formation à la fin du degré secondaire I, l’intérêt fermement établi à 15 ans trace déjà de manière quasi définitive la future biographie éducative du sujet.

Fonction sélective des mathématiques


Ses aptitudes en mathématiques augmentent considérablement les chances d’un jeune de 15 ans de devenir plus tard un spécialiste des domaines MINT. Le fait que la variable «j’en suis capable» influence pareillement le choix (à venir) d’une voie de formation montre bien que la décision pour ou contre une orientation MINT a quelque chose à voir avec la capacité du sujet. Pour le choix de la branche d’étude, les mathématiques ont une fonction sélective non seulement dans le cas des sciences exactes, mais aussi pour les sciences de l’ingénieur, dont les applications sont plutôt pratiques.

Valeurs de «l’univers MINT»: efficacité, compétitivité, assiduité et ambition


La corrélation entre une future carrière dans les domaines MINT et un apprentissage compétitif est très forte. On observe le rapport inverse avec un apprentissage de type coopératif. Par ailleurs, le statut socio-économique lié au choix professionnel des écoliers de 15 ans suivant le programme Pisa augmente la probabilité qu’ils fassent carrière dans un domaine MINT. La séduction exercée par ce statut peut ainsi servir d’indicateur du degré d’ambition d’un garçon ou d’une fille de 15 ans. Il apparaît, en outre, que l’assiduité au travail des jeunes de 15 ans, conjuguée au temps qu’ils consacrent à leurs devoirs à domicile, a un effet positif sur leurs chances d’évoluer plus tard dans un domaine MINT. En fin de compte, on voit donc se dégager l’image d’un univers qui, d’une certaine façon, peut être décrit comme élitaire. Du moins remarque-t-on que l’efficacité, l’esprit de compétitivité, l’ambition et l’assiduité sont des qualités qui semblent prédisposer au choix d’une carrière dans ces domaines.

Importance du sexe dans le choix d’une carrière MINT


Le sexe des sujets a une influence extraordinairement forte sur leur probabilité de faire carrière dans un domaine MINT. Les chances qu’un écolier de 15 ans s’engage dans cette voie sont cinq fois plus élevées que pour une écolière du même âge. Cette différence peut s’expliquer à raison de 60% par les variables qui distinguent ordinairement les individus de l’un et l’autre genre. Les 40% restants ne s’expliquent pas par d’autres facteurs que le sexe lui-même. Pour illustrer le rôle du sexe sur la probabilité d’une carrière MINT, on peut recourir à l’expérience imaginaire d’un «changement de sexe»: si une écolière de 15 ans devenait subitement un garçon, en conservant au demeurant toutes ses autres spécificités, la probabilité qu’elle («qu’il») fasse un jour partie du personnel qualifié d’un domaine MINT triplerait d’un seul coup.

Graphique 1: «Évolution du salaire réel, de 2005 à 2008 (pour les deux sexes)»

Tableau 1: «Pénurie de personnel qualifié Mint en mars 2009»

Tableau 2: «Conséquences pour les entreprises de la pénurie de personnel qualifié MINT Question: Parmi les conséquences énumérées ci-dessous et pouvant être imputées à une pénurie de personnel dans les domaines MINT, desquelles votre entreprise souffre-t-elle actuellement ou a-t-elle eu à souffrir en 2008?»

Encadré 1: Précisions sur le concept de pénurie de personnel qualifié dans les domaines MINT

Définition: la pénurie de personnel qualifié mesurée à un moment déterminé correspond à la différence entre la demande et l’offre suisse de personnel à ce moment. On parle d’inadéquation positive lorsque le personnel qualifié fait défaut sur le marché suisse du travail et d’inadéquation négative lorsque ce personnel y est en surnombre. – Opérationnalisation: l’offre de personnes qualifiées disponibles à court terme sur le marché suisse du travail peut être «opérationnalisée» sur la base du nombre d’actifs qualifiés (statistique du marché du travail du Seco); la demande peut l’être sur la base du nombre de postes offerts. La statistique du marché du travail du Seco ne couvre qu’une partie des emplois offerts. Voilà pourquoi le nombre de postes offerts a été recensé en mars 2009 sur la base d’une enquête en ligne effectuée auprès des entreprises suisses (voir encadré 2). – Catégories MINT: La pénurie de personnel MINT a été calculée pour diverses catégories professionnelles (informaticiens, ingénieurs en électricité, machines, construction, etc.).– Évolution de la pénurie de personnel MINT: pour mars 2010, nous connaissons aussi bien les postes vacants enregistrés dans les Offices régionaux de placement (ORP) que ceux non enregistrés (livrés par l’enquête en ligne auprès des entreprises). Pour ce mois de mars, on peut ainsi calculer le taux d’enregistrement, autrement dit la proportion de postes vacants annoncés aux ORP. En considérant que ce taux est stable dans la durée, il est possible de mesurer rétroactivement l’écart (pénurie) de personnel MINT.

Encadré 2: L’enquête en ligne auprès des entreprises

questionnaire en ligne

Instrument d’enquête:

échantillon aléatoire à stratification disproportionnée tiré du Registre des entreprises et des établissements REE

Forme de l’échantillon:

3815 entreprises et institutions de Suisse alémanique et romande

Échantillon global:

du 9 mars 2009 au 15 avril 2009

Période d’enquête:

41,6%; échantillon actif: N = 1586

Encadré 3: Bibliographie

– Gehrig Matthias et Gardiol Lucien, Der MINT-Fachkräftemangel in der Schweiz, Berne, 2009, Bureau BASS.– Gehrig Matthias et Fritschi Tobias, Ingenieurmangel in der Schweiz und im Kanton Graubünden, Berne, 2008, Bureau BASS.– Koppel Oliver, Ingenieurlücke in Deutschland – Ausmass, Wertschöpfungsverluste und Strategien, Cologne, 2008, Institut der deutschen Wirtschaft, Cologne.– Braun Nils et Kägi Wolfram, Indikatorensystem Fachkräftemangel. Auswertung der MINT-Berufe, Bâle, 2010, B,B,S. Volkswirtschaftliche Beratung AG.– Kägi Wolfram, Sheldon George et Braun Nils, Indikatorensystem Fachkräftemangel. Rapport final, Basel, 2009, B,B,S. Volkswirtschaftliche Beratung AG.

Proposition de citation: Lucien Gardiol ; Matthias Gehrig ; (2010). Le manque de personnel qualifié dans les domaines MINT: ampleur, causes et conséquences. La Vie économique, 01 septembre.