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La stratégie de croissance pour la place touristique suisse: le point de vue de l’hôtellerie

Le tourisme suisse stagne depuis les années septante. Ceci se traduit par un recul continu du nombre d’établissements hôteliers, surtout dans les régions touristiques de l’espace alpin. Outre le grand nombre de nouvelles destinations proposées dans le monde entier, l’une des principales raisons de ce marasme réside dans l’îlot de cherté que représente la Suisse. Un fait qui entrave considérablement la compétitivité internationale du tourisme helvétique. La clé du succès consiste à s’orienter systématiquement sur la qualité. Du côté de la demande, une promotion efficace de la Suisse est décisive. Pour que la stratégie de croissance reçoive tout le soutien nécessaire, elle doit être fortement ancrée au niveau de la Confédération, des cantons et des organisations professionnelles du tourisme suisse.

Aujourd’hui, cela paraît presque inimaginable: après une forte croissance dans la période de l’après-guerre, la Suisse figurait dans les années cinquante au cinquième rang mondial des «grandes puissances touristiques». La progression s’est maintenue jusque dans les années septante, grâce essentiellement à l’augmentation des visiteurs étrangers, faisant définitivement du tourisme un important facteur d’exportation suisse. Puis est survenue une longue phase de stagnation, initiée par l’effondrement du système monétaire mondial, avec pour conséquence une appréciation durable du franc suisse.Le tourisme doit également faire face aux profonds changements liés à la mondialisation: l’évolution des technologies dans le domaine des transports et l’apparition de nouveaux marchés et offres exercent une pression sur les acteurs nationaux. Les concurrents ont trouvé leur place sur le marché mondial et rivalisent avec la Suisse par des offres bon marché. Heureusement, le «gâteau» s’agrandit pour tout le monde: avec un taux de croissance à long terme de 4%, la branche du voyage et du tourisme fait partie, à l’échelle internationale, des marchés d’avenir les plus importants et les plus dynamiques.L’objectif est de renouer avec cette dynamique. Toutefois, en matière de prix, la Suisse ne se trouve pas en «pole position». La branche du tourisme, et en particulier de l’hôtellerie, seule industrie d’exportation qui ne peut être délocalisée, doit relever le défi de produire au niveau local tout en étant concurrentielle à l’échelle internationale. En effet, près de 60% des recettes proviennent d’hôtes étrangers. Dans un contexte de concurrence mondialisée, le tourisme suisse doit se battre pour conserver ces clients, mais il ne peut déplacer ni ses sites de production ni une partie de ses services à l’étranger.Si l’on réunit les deux principaux postes de dépenses que sont les coûts des prestations préalables et du travail, les pays voisins bénéficient en moyenne d’un avantage financier de 20%. C’est avec l’Autriche, où les coûts des prestations préalables dans le tourisme sont inférieurs de 44% et les coûts d’exploitation de 16%, que l’écart est le plus marqué. Les principales revendications de l’hôtellerie résident par conséquent dans une ouverture de notre économie sur le monde et une déréglementation du marché intérieur, ce qui améliorerait considérablement la compétitivité internationale du tourisme suisse.

La clé du succès: le choix systématique de la qualité


En raison du niveau notoirement élevé des coûts, le tourisme suisse ne peut pas baisser ses prix. L’avenir de la branche ne se jouera donc pas à ce niveau, mais à celui des prestations. La Suisse ne peut se démarquer qu’en se concentrant davantage sur les services et sur ses atouts touristiques uniques. La clé du succès réside dans une orientation systématique vers la qualité, sachant qu’il ne peut y avoir de croissance sans une offre touristique attrayante.Le mot d’ordre est innovation. Le programme de promotion Innotour joue à cet égard un rôle important: celui-ci a pour but d’accroître l’attrait de l’offre en stimulant l’esprit d’innovation; cela permettra de maintenir et d’améliorer sensiblement la compétitivité du secteur de l’hébergement, une branche clé de l’économie touristique. Il s’agit en premier lieu de créer de nouveaux débouchés et de développer les prestations existantes. Dans ce contexte, Innotour met l’accent sur la collaboration des différents prestataires touristiques pour leur permettre de créer ensemble une offre de séjour complète.Un nouveau volet du programme de promotion est le développement du savoir. Outre l’amélioration des bases statistiques, il s’agit de favoriser l’échange d’expériences sur la base des projets soutenus par Innotour. Des contrôles d’efficacité réguliers et indépendants réalisés par les universités de Berne et de Saint-Gall ont confirmé à maintes reprises l’utilité de ce programme. L’hôtellerie présente elle aussi des exemples de réussite, comme le projet Matterhorn Valley Hotels. Dans la vallée de Zermatt, plusieurs hôtels se sont associés et ont mis en commun le marketing, les achats, la comptabilité ainsi que le système de réservation. Cette coopération génère d’importantes économies d’échelle et est qualifiée d’exemplaire au sein de la branche.

Gagner des parts de marché dans l’espace alpin par une promotion soutenue de la Suisse


La stratégie adoptée s’est fixé comme objectif de maintenir l’importance économique du tourisme dans le pays et de gagner des parts de marché dans l’espace alpin européen. La concurrence y est rude entre la Suisse et les pays voisins pour attirer les visiteurs des différents marchés émetteurs. À l’avenir, ce sont surtout les États en plein développement tels que la Russie, l’Inde et la Chine qui joueront un rôle important. Ne serait-ce que pour les hôtes indiens, la croissance annuelle est de 15%, et tout porte à croire que ce sous-continent va devenir le plus grand marché touristique du monde. Face à la crise que subit actuellement la zone euro, il est important de réduire notre dépendance vis-à-vis des marchés européens et d’élargir notre clientèle internationale.Pour cela, la Suisse doit se présenter de manière convaincante sur le marché. L’hôtellerie ne peut vendre ses produits et ses services sur les marchés en croissance que si la promotion touristique dispose des moyens nécessaires. Cela relève de la responsabilité de Suisse Tourisme, qui joue depuis longtemps un rôle moteur dans la promotion du tourisme suisse à l’étranger. Il faut en même temps conserver nos parts de marché auprès des pays industrialisés, notamment européens. Enfin et surtout, avec une demande touristique émanant à plus de 40% de la population du pays, la Suisse doit se défendre efficacement contre les autres destinations de vacances, proches ou lointaines, qui pourrait séduire ses hôtes indigènes. Lors de la récente crise financière et monétaire, les hôtes suisses ont été d’un important soutien pour la conjoncture touristique de notre pays. En assurant les moyens financiers de Suisse Tourisme, la Confédération actionne le bon levier au bon endroit et garantit la poursuite d’un travail fructueux.

Renforcer la coordination entre les responsables de la politique du tourisme


La stratégie de croissance de la Confédération prévoit de créer les meilleures conditions-cadres possibles pour les entreprises touristiques. Elle s’appuie pour cela sur deux piliers: une gestion active des enjeux stratégiques et une prise en compte accrue des tâches transversales. La première prévoit la création d’une plate-forme d’échanges baptisée «Forum Tourisme Suisse», qui devrait permettre d’identifier à temps les chances et les risques de la place touristique suisse et d’élaborer des solutions visant à la renforcer. Il serait souhaitable que cette plate-forme devienne un organe permettant, entre autres, de contrôler la compatibilité sur le plan touristique des décisions de l’État.Il existe déjà une plate-forme au fonctionnement similaire, le Forum PME, avec laquelle de bonnes expériences ont été faites. En effet, tout comme les PME, le tourisme est influencé par une multitude de domaines politiques et par l’impact de la réglementation qui en découle. Il convient également de renforcer le point de vue du tourisme au sein de l’administration fédérale. Le centre de compétences en matière de tourisme du Seco joue à cet égard un rôle important. Il faut en outre garantir la cohérence entre les différents domaines politiques au sein de l’administration et dans les cantons. Afin de coordonner les nombreux thèmes politiques transversaux, le tourisme doit pouvoir s’appuyer sur des partenaires forts au niveau de la Confédération et des cantons. C’est seulement ainsi que la stratégie de croissance pourra vraiment porter ses fruits.

Graphique 1: «Nuitées dans les hôtels et établissements de cure suisses, 1945–2009»

Proposition de citation: Christoph Juen ; Orlando Gehrig ; (2010). La stratégie de croissance pour la place touristique suisse: le point de vue de l’hôtellerie. La Vie économique, 01 septembre.