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La collaboration de l’assurance-chômage et de l’aide sociale en matière de conseil et de placement

Garantir aux personnes capables de gagner leur vie un accès convenable au marché du travail est une mission essentielle des politiques économique, éducative et sociale; elle s’accomplit, toutefois, dans des structures héritées du passé, chacune dotée de sa propre logique. En période d’insécurité grandissante en matière d’emploi, il devient de plus en plus pressant de coordonner ces structures. À la demande du Secrétariat d’État à l’économie (Seco), une étude s’est penchée sur le potentiel ainsi que sur les obstacles que recèle la collaboration entre l’assurance-chômage (AC) et l’aide sociale en matière d’intégration au marché du travail. La question a été posée à vingt spécialistes de l’aide sociale.

Quatre systèmes pour promouvoir l’intégration au marché du travail


Le principal mécanisme de l’intégration au marché du travail est le système de formation. La multiplicité de ses structures – orientation professionnelle, filières pratiques ou universitaires, bourses, etc. – est d’un apport éminent et garantit un accès optimal au marché du travail. En tant que système régulateur, il devrait toujours être accessible à partir des structures qui lui sont subordonnées: celles qui ne jouent de rôle auxiliaire en matière d’intégration au marché du travail que dans des cas spécifiques de bouleversement de l’existence.En cas d’atteinte à la santé, l’assuranceinvalidité (AI) offre aux personnes à capacité réduite de travail une orientation professionnelle particulière et, selon les possibilités, l’accès à des cours de recyclage ou de formation continue, ou encore des cours spéciaux, sans parler du minimum vital.Les personnes réduites au chômage pour des raisons économiques relèvent de l’assurance-chômage (AC). Les offices régionaux de placement (ORP) leur offrent conseil et placement, de même que des mesures particulières de promotion professionnelle ou des instruments allant en ce sens (mais pas de formation).L’aide sociale est le «dernier filet» du système social suisse. Ce n’est pas une assurance sociale, mais une prestation de l’État en cas de nécessité: l’aide en cas de détresse est en effet un mandat constitutionnel, qui garantit à chaque citoyen la couverture de ses besoins élémentaires. Selon les normes et recommandations de la Conférence suisse des institutions d’action sociale (Csias), l’aide sociale procure non seulement le minimum vital, mais offre aussi des conseils sociaux et des mesures incitatives. L’examen des quatre systèmes met en lumière des parallèles et des recoupements: – tous quatre offrent des conseils et calculent et attribuent des fonds destinés à couvrir le minimum vital;– tous quatre disposent de leurs propres mesures d’encouragement, mais seules les filières du système de formation procurent des diplômes formellement reconnus;– les bénéficiaires de l’AC et de l’AI dont les rentes – attribuées en raison du chômage ou de l’invalidité – ne suffisent pas à couvrir le minimum vital perçoivent des prestations complémentaires de l’aide sociale;– un tiers environ des bénéficiaires de l’aide sociale sont aptes à se réinsérer: d’après les données de la révision de l’AI, 12 000 bénéficiaires de rentes devraient être réinsérés dans le marché du travail ces prochaines années;– le chômage, notamment de longue durée, pose des problèmes qui nécessitent un conseil social complet des bénéficiaires de l’AC.La prise de conscience de cette complexité a fait que, ces dix dernières années, la collaboration interinstitutionnelle (CII) s’est développée progressivement. Au niveau des cas individuels, elle fonctionne bien et enregistre des succès. Les spécialistes interrogés constatent, toutefois, qu’elle n’est pas parvenue jusqu’ici à remplir les fortes attentes placées en elle sur le plan institutionnel. Ils déplorent en particulier que des obstacles structurels entravent la collaboration entre AC et aide sociale.

L’intégration au marché du travail, une mission de l’aide sociale


Ces quinze dernières années, l’aide sociale a connu un changement de priorités dans la mesure où l’intégration sociale et professionnelle est passée au centre des préoccupations. Des grandes villes ont élaboré des concepts en matière d’intégration, qui ont été repris pour la première fois dans les normes Csias de 1998. Le but était daméliorer lefficacité des mesures prises par les collectivités en ce domaine. En 2005, une nouvelle révision des normes Csias a finalement imposé le prin-cipe contraignant de la contre-prestation, consolidé par un système d’incitations et de sanctions. Toutefois les mécanismes créés à cet effet sont appliqués très différemment d’un canton – voire d’une commune – à l’autre.Étant donné son rôle fondamental, l’aide sociale prend toujours plus le caractère d’un système, mais sans en avoir les bases légales contraignantes. C’est ainsi que, dans la pratique, elle se distingue principalement par une foule de stratégies, modèles et mesures isolées des cantons et des communes. Il ne saurait donc être question d’égalité juridique à l’échelle nationale. Contrairement aux assurances sociales, l’aide sociale est beaucoup plus exposée aux décisions politiques, comme on le voit non seulement au niveau opérationnel – songeons seulement aux remous créés par le scandale des «abus» –, mais aussi au niveau stratégique.Un tiers environ des bénéficiaires de l’aide sociale exercent une activité lucrative, un autre tiers ne travaille pas (pour cause de formation, de soins à donner à d’autres, d’incapacité de travail, etc.), le tiers restant (en 2008, 75 000 personnes) est sans emploi. C’est sur ce dernier groupe que se concentrent les mesures d’intégration sociale et professionnelle. Or, selon les relevés de l’Office fédéral de la statistique (OFS), seules 8,1% des personnes sans emploi ont participé en 2008 à des programmes d’intégration: ce pourcentage n’est que la moitié de celui enregistré à l’AC. De plus, la moitié des places utilisées par l’aide sociale avait été organisées par l’AC.Si l’on cherche à classer la clientèle de l’aide sociale d’après ses caractéristiques, on constate une forte hétérogénéité. Certains services sociaux y renoncent donc expressément. La distinction la plus répandue est celle qui met à part les adolescents et les jeunes adultes au bénéfice de l’aide sociale. Ces groupes présentent en % une absence de formation qui est deux fois supérieure à celle des autres classes dâge de la population. Les familles monoparentales courent un risque particulièrement élevé de dépendre de l’aide sociale, et ce pour longtemps.Alors que les mesures de l’AC en faveur de l’emploi ont par définition pour but de réintégrer rapidement et durablement les chômeurs dans le marché du travail, l’aide sociale s’adresse – non pas exclusivement, mais aussi – à des personnes dont il n’est pas du tout sûr qu’elles puissent être placées. En effet, comme une partie de la clientèle de l’aide sociale ne peut fournir que des prestations limitées – pour une raison ou pour une autre –, de nombreuses personnes nont pas besoin dun placement ciblé, mais dune véritable intégration. Si un ORP n’a pas de raison d’imposer telle ou telle mesure à une personne difficile à placer (à moins qu’il ne s’agisse d’un examen), la mission même d’un service social – soit l’intégration sociale – l’oblige à disposer de possibilités adéquates.Dans la réalité, les profils des clients des ORP et des services sociaux se recoupent: les services sociaux conseillent, par exemple, des personnes susceptibles d’être placées et jouissant d’un potentiel d’intégration professionnelle, tandis que les ORP conseillent des demandeurs d’emploi qui, suite à des facteurs personnels ou familiaux, n’ont que peu de chances de se réinsérer rapidement et qui nécessitent donc des conseils sociaux professionnels ou une mesure d’intégration sociale.Les services sociaux et les ORP ont donc des tâches différentes, mais qui se recoupent souvent. L’AC et l’aide sociale disposent chacune de ressources spécifiques, qui pourraient se compléter dans les domaines qui se chevauchent, pour autant que l’on crée les conditions nécessaires, dont notamment:– la perméabilité entre les mesures des deux institutions;– la transparence des informations concernant ces mesures;– la reconnaissance mutuelle des compétences spécifiques des représentants des deux institutions.

Propositions pour améliorer la collaboration


Sur la base des entretiens menés avec les spécialistes, l’étude esquisse onze propositions de type structurel pour améliorer la collaboration de l’AC avec l’aide sociale. Cinq d’entre elles sont présentées ci-après.

Échange de prestations ORP/services sociaux: chaque institution fait ce dans quoi elle excelle


Du point de vue des conseils requis, les clients de l’aide sociale et de l’AC peuvent être classés en quatre catégories:A. Personnes capables d’être placées, jouissant de bonnes chances d’emploi et ne connaissant pas d’autres problèmes du fait de leur mode de vie.B. Personnes capables d’être placées, jouissant de bonnes chances d’emploi, mais connaissant d’autres problèmes du fait de leur mode de vie.C. Personnes capables d’être placées, ne jouissant guère de chances d’emploi et connaissant d’autres problèmes du fait de leur mode de vie.D. Personnes incapables d’être placées et connaissant une situation problématique.La compétence clé des ORP est le conseil et le placement en matière d’emploi, celle des services sociaux la consultation sociale (partielle ou complète). Les ORP n’ont pas pour mandat explicite d’offrir des consultations sociales, alors que les services sociaux manquent de connaissances approfondies du marché de l’emploi. Pour les personnes qui nécessitent des conseils croisés, cette répartition des compétences milite donc en faveur d’un échange de prestations entre les institutions concernées: les ORP offrent aux services sociaux conseil et placement pour les bénéficiaires de l’aide sociale présentant des chances d’emploi (type B) ou pour déterminer leur potentiel (type C), en échange de quoi les services sociaux peuvent récompenser les personnes qui se soumettent à une injonction des ORP en leur versant une prime d’incitation ou les sanctionner en réduisant leur soutien pour non-respect de leur obligation. De leur côté, les services sociaux offrent aux ORP des prestations de conseil et d’encadrement pour les bénéficiaires de type B (voire C), notamment les chômeurs arrivant en fin de droits ou ceux pour lesquels les conseillers constatent très vite un risque accru de chômage de longue durée. S’il s’agit d’assurés ayant droit à l’AC, mais non aux prestations complémentaires de l’aide sociale, l’attribution ne peut être que volontaire; s’il s’agit en revanche de personnes touchant des prestations des deux institutions, il est indispensable d’attribuer la gestion du dossier soit au service social, soit à l’ORP.

Compensation des quatre indicateurs d’efficacité des ORP en matière de conseil/placement


De l’avis de la majorité des spécialistes interrogés, les ORP ne traitent les bénéficiaires de l’aide sociale que derrière les demandeurs d’emploi assurés à l’AC, bien qu’en vertu de l’art. 26 LSE, tous aient droit au conseil et au placement. Cette discrimination est notamment attribuée au fait que les ORP appliquent quatre indicateurs d’efficacité basés sur la perception d’indemnités journalières de l’AC; du même coup, les ORP ne sont guère encouragés à conseiller et placer les personnes non assurées à l’AC.Pour résoudre le problème, il est proposé de compléter les quatre indicateurs actuels par un cinquième dit de compensation réservé au conseil et placement des bénéficiaires de l’aide sociale. Il ne serait pas placé au même niveau que les indicateurs actuels, mais représenterait les prestations fournies à cette catégorie de personnes, ce qui aurait un effet correctif sur les prestations globales des ORP. Il faudra tenir compte non seulement des prestations en matière de conseil (production sous forme de services rendus pour le compte de tiers), mais aussi du succès des placements (résultats). Cet indicateur supplémentaire permet de favoriser à la fois les échanges entre ORP en matière de chômage de longue durée et leur collaboration avec les services sociaux. On éliminerait ainsi une réticence fréquemment évoquée des services sociaux vis-à-vis des conseils offerts à leurs clients par les ORP.

Stratégies communes et ciblées de l’AC et de l’aide sociale au sein d’un même canton


Certains spécialistes relèvent qu’en matière d’intégration au marché du travail, de nombreux cantons ne disposent pas d’une stratégie uniforme, mais continuent d’appliquer des mesures héritées du passé. Les divers systèmes utilisés et les communes impliquées poursuivent en outre des objectifs différents. Ce qui fait défaut est une vision commune des groupes cibles et de leurs besoins spécifiques.Si l’on définit au sein d’un canton des groupes cibles, hors système, et que l’on fixe ensemble des normes de stratégie, la collaboration en sera grandement améliorée et permettra d’exploiter les synergies. Les normes stratégiques doivent être valables pour toutes les institutions s’occupant d’intégration au marché du travail (AC, aide sociale, AI, formation professionnelle, domaine des réfugiés, etc.).

Coordination de toutes les mesures d’intégration au sein d’un même canton


L’absence de transparence dans le domaine des mesures d’intégration offertes par les différentes institutions provoque à la fois des doublons et des lacunes. Élaborer un inventaire cantonal des mesures d’intégration est un premier pas vers une assistance qui ne serait plus systémique, mais spécifique au client. Des mesures qui dépassent les systèmes et s’ouvrent à ceux qui en ont besoin accroissent, en outre, l’efficacité en permettant une meilleure exploitation des capacités.

Loi-cadre fédérale pour l’intégration au marché du travail


Mission fondamentale et impérative assignée aux divers systèmes existants, l’intégration au marché du travail est une tâche transversale qu’il faut harmoniser et coordonner. Il faudrait que toutes les mesures d’intégration de l’AC, de l’AI et de l’aide sociale soient intégrées dans une loi uniforme pour éviter les doublons, identifier et combler les lacunes le mieux possible, enfin garantir la perméabilité et la meilleure allocation possible des ressources (attribution en fonction des besoins individuels plutôt que de la logique du système). Le financement pourrait être assuré par un système national de compensation des charges, alimenté après coup – soit en fonction des dépenses effectives – par les services actuellement chargés de l’aide sociale, de l’AC et de l’AI.

Conclusion


L’AC et l’aide sociale disposent d’un potentiel élevé pour intégrer les demandeurs au marché de l’emploi; or, celui-ci n’est pas exploité à fond à cause de doublons et d’obstacles d’ordre institutionnel. Une série de propositions pragmatiques pourrait déboucher rapidement sur des améliorations sensibles. Certains cantons et communes entreprennent déjà des essais dans ce sens. Il convient d’évaluer systématiquement leurs expériences, de les approfondir et de les compléter pour les généraliser, en cas de succès.

Graphique 1: «Les systèmes d’intégration au marché du travail»

Graphique 2: «Clients de l’aide sociale, sans emploi, âgés dau moins 16 ans, 2008»

Tableau 1: «Comparaison de l’aide sociale et de l’assurance-chômage»

Tableau 2: «Exemples de stratégies ciblées»

Encadré 1: Intégration au marché de l’emploi: l’exemple des jeunes

L’AC offre aux jeunes qui ne trouvent pas tout de suite une place dans le système de formation professionnelle la possibilité de participer à un semestre de motivation. Cette mesure complète les passerelles proposées par le système de formation.Ceux qui ne trouvent pas d’emploi après avoir achevé leur formation et obtenu leur diplôme perçoivent des indemnités journalières de la part de l’AC, après un délai de carence, et peuvent participer à des stages professionnels.

Encadré 2: Typologie des mesures destinées à lintégration professionnelle et sociale

Ces dernières années, les communes et certains cantons ont élaboré toute une palette de mesures d’intégration sociale et professionnelle, avec des objectifs divers: entreprises sociales, postes à salaire partiel, projets de contrôle d’accès («gatekeeping»), etc. Comme il manque une méthode et une terminologie uniformes, l’offre de l’aide sociale manque de transparence. Une évaluation des annonces publiées permet, cependant, d’identifier une certaine typologie qui dis-tingue:– les mesures d’intégration sociale de celles destinées à l’intégration professionnelle;– les mesures à caractère exploratoire de celles à caractère qualificatif.

Proposition de citation: Hannes Lindenmeyer ; Katharina Walker ; (2010). La collaboration de l’assurance-chômage et de l’aide sociale en matière de conseil et de placement. La Vie économique, 01 septembre.