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Comment les politiques commerciales mondiales peuvent aider les pays les plus pauvres

Certains pays en développement doivent s’intégrer dans l’économie mondiale par d’autres moyens que par leurs seules exportations en ressources naturelles. La bonne gouvernance est essentielle, mais aussi la politique commerciale des pays avancés. Celle-ci doit s’adapter aux besoins spécifiques des pays les plus pauvres, si l’on veut qu’ils s’ouvrent à la diversification industrielle et profitent des bénéfices à long terme du système commercial mondial. L’Organisation mondiale du commerce (OMC) joue un rôle-clé à cet égard. Cet article se penche sur deux aspects centraux de la question: les accords concernant l’extraction de ressources et l’utilisation des préférences commerciales.

Tirer un profit maximum des ressources naturelles


Historiquement, la plupart des pays à bas revenus n’on pas su gérer leurs ressources naturelles non renouvelables pour les mettre au service de leur économie et de sa transformation. D’autres, autrefois pauvres, l’ont fait: une croissance basée sur l’extraction de matières premières n’est pas obligatoirement viciée, bien au contraire. Si on considère le niveau élevé auquel semble vouloir se maintenir leur prix, il s’agit là d’une chance considérable pour de nombreux pays à bas revenus. L’extraction des ressources naturelles domine l’économie de 50 pays, hébergeant 1,4 milliard d’individus. Elle représente plus de 75% des exportations pour 24 d’entre eux et plus de 40% du PIB pour 13 d’entre eux. Leur apport aux budgets gouvernementaux est énorme: dans 18 pays, plus de 50% de leur masse provient de cette rente. Le tableau 1 répertorie quelques unes parmi les meilleures et les pires économies du monde en ce domaine. Le revenu par habitant du Botswana était inférieur à celui de la Zambie dans les années soixante; il lui est maintenant dix fois supérieur. Alors que les diamants ont profité au Botswana, ils ont généré des conflits en Sierra Leone.L’extraction des ressources naturelles provoque une croissance qui demande une forte gouvernance; or, les pays à bas revenus bien dotés dans le premier cas sont désavantagés au plus haut point dans le second. Les lacunes sont pour beaucoup internes, mais certaines d’entre elles sont liées aux investissements et au commerce international: c’est sur ces points que l’OMC a un rôle à jouer. Ce n’est actuellement pas le cas. Les pays à bas revenus qui dépendent des exportations de matières premières ont été collectivement marginalisés au sein de l’institution et sont, eux-mêmes, divisés, certains faisant cavalier seul. Aucun gouvernement n’est donc tenté de s’investir pleinement dans de nouvelles priorités. À quoi celles-ci ressembleraientelles?

De nouvelles priorités dans le système international du commerce


Il existe de nombreuses lacunes dans le système qui régit le commerce et les investissements dans les ressources naturelles: elles les empêchent de servir le développement avec toute l’efficacité voulue. Les projets qui touchent aux matières premières sont particuliers, car les investisseurs se lient à long terme avec le gouvernement du pays hôte. Les relations s’appuient sur des contrats qui sont signés lorsque les autorisations de sondage et d’extraction sont accordées et que le régime fiscal sous lequel les investisseurs opèrent est clarifié.Ces régimes contractuels et fiscaux doivent laisser une rente au gouvernement tout en étant suffisamment stimulants pour permettre une extraction efficiente et encourager les investissements dans l’exploration et la mise en valeur de nouveaux gisements. Les deux formalités n’ont pas souvent été très bien remplies. L’Afrique a, ainsi, été nettement moins bien prospectée que l’OCDE. En l’an 2000, chaque kilomètre carré de sous-sol dans l’OCDE recelait pour 114 000 USD de richesses; en Afrique: 23 000 USD. Le problème fondamental réside dans le fait que les incitations à prospecter et à développer de nouvelles sources d’approvisionnement peuvent être minées par le processus d’allocation et de respect des contrats. Lorsque ceux-ci sont faussés, ils peuvent se retourner contre les producteurs et les consommateurs; des règles supranationales peuvent atténuer de tels problèmes.Les contrats qui concernent les ressources peuvent laisser de part et d’autre le sentiment d’un problème grave qui s’apparente au «hold-up»; les gouvernements sont incapables de s’engager à ne pas renégocier les termes d’un contrat déjà scellé, ce qui tend à dissuader les investisseurs à courir un tel risque. Une telle renégociation a toutes les chances de se produire si les résultats sont meilleurs que prévus, ce qui entraînera une réduction du retour sur investissement. L’expropriation en sera l’expression ultime; plus simplement, on assistera à des réajustements dans la répartition de la production, les «royalties» et le régime fiscal auquel est soumise l’entreprise.Les processus dans la prospection et la mise en valeur des gisements perdent également de leur efficience lorsque de nombreux droits d’extraction sont vendus en sous-main plutôt qu’en faisant appel à des modes de négociation reconnus par le marché international. Comme chaque droit de prospection est unique, il n’est pas possible de se référer à un prix international pour chiffrer les transactions. Les mécanismes institutionnels ordinaires traitent les cas uniques en créant un marché qui fait appel aux adjudications et aux mises aux enchères. Les négociations bilatérales secrètes avantagent, toutefois, les deux parties, ce qui les incite à préférer cette méthode aux mises aux enchères. Elles peuvent, en effet, détourner une partie des revenus générés à des fins propres et en priver la société, tout en accordant des contrats sur d’autres critères que celui de l’efficience.

Des règles internationales pour les contrats concernant l’exploitation de ressources naturelles


Bien qu’elles ne concernent pas directement les politiques commerciales traditionnelles, ces anomalies dans la façon de passer les contrats et de les faire respecter résultent de failles dans le marché qui pourraient être corrigées par des règles internationales. Il est déjà courant dexternaliser le respect des contrats en les soumettant à des procédures ad hoc, telles que les cours étrangères et les arbitrages, qui répondent aux besoins de lindustrie dextraction. Les gouvernements des pays à bas revenus ne leur font, toutefois, pas confiance, alors qu’ils ne disposent pas, eux-mêmes, de mécanismes appropriés, ce qui ne rassure pas les investisseurs.L’OMC pourrait étendre ses compétences pour que les accords passés entre États souverains soient respectés, ce qui permettrait aux gouvernements de s’engager dans de tels accords ayant pour fin l’extraction de ressources naturelles. Tenter de prévenir tout changement après coup dans les termes contractuels et fiscaux est une chimère et n’est pas souhaitable: on ne peut prévoir certains événements qui rendent le changement nécessaire. On peut, toutefois, le circonscrire dans son ampleur et ses formes, que ce soit à travers des codes de conduite agréés ou des mécanismes de résolution des conflits contraignants. De telles pratiques pourraient également améliorer l’architecture des contrats et des régimes fiscaux; l’OMC peut raisonnablement demander que les contrats qui se fondent sur ses formalités dengagement soient conçus pour résister à toute éventualité perceptible.Les contrats qui concernent l’attribution des ressources devraient suivre la clause de la nation la plus favorisée (NPF), qui est un principe de base à l’OMC. Son pendant serait une règle imposant ou encourageant un processus ouvert d’attribution des droits d’extraction, comme dans le cas des mises aux enchères.

Les préférences commerciales favorisent la diversification


Les pays en développement qui ne possèdent pas de ressources naturelles en grande quantité doivent se diversifier dans la fabrication et s’insérer dans les circuits d’échanges de produits manufacturés à forte consommation de main-d’œuvre, une méthode qui a profité à une grande partie de l’Asie. Si on considère lavance de cette dernière, comment est-il possible de promouvoir une telle diversification dans le reste du monde en développement? La théorie des économies d’échelle sur laquelle se basent les processus d’industrialisation modernes a de profondes implications pour les pays qui cherchent à se lancer dans ce type dactivités. L’industrie de fabrication mondiale se caractérise de deux façons: les économies d’échelle et la spécialisation des tâches. Les économies d’échelle n’interviennent généralement pas au niveau de l’usine, mais de la ville. En se regroupant dans la même ville, les entreprises qui pratiquent des activités similaires tendent à s’entraider pour réduire leurs coûts. Il existe, par exemple, un large marché spécialisé pour les entreprises qui entretiennent les machines utilisées dans l’industrie, ce qui permet de réduire les temps morts en cas de panne. Cest ainsi que, durant plus d’un siècle, les villes ont eu tendance à se spécialiser dans des produits manufacturés précis. Ceux-ci reflètent les avantages comparatifs du lieu d’implantation, tels que le niveau des revenus et la proximité des marchés.

Au seuil de l’expansion industrielle


Ceci implique que l’industrialisation ne sera pas uniforme, que ce soit au niveau géographique ou temporel. Géographiquement, les entreprises fabriquant les mêmes produits sont fortement tentées de se regrouper, tandis que l’activité économique continue de se concentrer dans les grandes villes. Les décalages temporels représentent, toutefois, un problème: dès qu’une économie a dépassé le seuil de compétitivité, son expansion industrielle explose, comme en Chine. En dessous de ce seuil, l’industrialisation marque le pas et demeure proche de zéro, comme on le voit en Afrique subsaharienne.L’existence d’un tel seuil implique que les efforts marginaux produits par les pays qui ne l’ont pas atteint risquent d’être vains. Ceux-ci doivent à la fois être concentrés et coordonnés afin de hisser l’économie jusqu’à ce niveau. Le plus étonnant demeure, toutefois, que ces efforts sont seulement temporaires. Les débats sur le développement sont tellement obnubilés par la «durabilité» que si les efforts produits ne sont pas durables, ils doivent être rejetés en bloc. Or, il suffit de fournir des efforts limités dans le temps pour amorcer la pompe et pour que l’industrialisation devienne une réussite. L’explication tient au fait que, une fois le seuil fatidique franchi, le phénomène s’accélère brusquement et les coûts se réduisent rapidement. L’avantage temporaire vient-il à disparaître que les industries demeurent compétitives.

L’importance de l’AMF au Bangladesh et à l’île Maurice


La récente expérience du Bangladesh montre à la fois le potentiel et les limites d’une telle politique d’amorçage. Dans ce pays, l’industrialisation a bénéficié de l’arrangement multifibres (AMF). Les entreprises se sont très vite répandues, créant 2,5 millions d’emplois. Actuellement, le Bangladesh représente à lui seul la quasi-totalité du parc industriel des pays les moins avancés (PMA). La fin de l’AMF a bien pesé sur ce secteur, mais le niveau atteint était tel qu’il a survécu et même grandi sans préférences. Précisons, en outre, que le Bangladesh ne facilite pas les exportations de produits manufacturés, et ce dans de nombreux domaines. Pour Transparency International, la corruption de son administration est une des plus élevées du monde.L’AMF a également aidé à amorcer l’industrialisation de l’île Maurice. L’histoire diffère, cependant. Le gouvernement a soutenu le mouvement et la qualité des produits fabriqués s’est améliorée. Même si la fin de l’AMF a laissé des traces, il a permis à l’économie mauricienne de se propulser, en termes de qualifications et d’infrastructures, au niveau des pays à moyens revenus et de ne plus dépendre dangereusement des préférences commerciales.

Les faiblesses du système actuel de préférences


La fin de l’AMF n’a pas marqué celle des préférences commerciales pour les prétendants à l’industrialisation. Les États-Unis et l’Union européenne ont introduit de nou.velles possibilités en 2001. Le projet des premiers – the Africa Growth and Opportunity Act (Agoa) – diffère de celui de la seconde – initiative Tout sauf les armes (TSA) – en deux points principaux. Les pays couverts n’étaient pas les mêmes: l’Agoa se limitait à l’Afrique en incluant plusieurs pays comme le Kenya et le Ghana qui, bien que ne faisant pas officiellement partie des PMA, figuraient parmi les États les moins industrialisés au monde. L’initiative TSA était, quant à elle, réservée aux PMA africains reconnus.Les règles dorigine de l’initiative TSA se basait, par ailleurs, sur le modèle traditionnel de politique industrielle, qui encourage l’intégration verticale. Elles demandaient donc qu’une partie importante des intrants nécessaires soient produits dans le pays. L’Agoa s’accordait davantage au nouveau modèle de commerce des tâches, tout au moins dans un type de produits: les vêtements. Les exigences en termes de pièces originaires du pays étaient dans ce cas nettement abaissées. En termes d’efficacité, l’Agoa a permis à l’Afrique de multiplier par sept ses exportations vers les États-Unis en cinq ans, tandis que, durant la même période, les exportations africaines vers l’Europe déclinaient nettement avec l’initiative TSA.

Quatre implications importantes


Les démonstrations qui précèdent dé-bouchent sur quatre implications importantes:1. Lorsqu’un pays s’ouvre à l’industrialisation, le commerce des tâches est préfé- rable à l’intégration verticale.2. La classification des Nations Unies mé-rite d’être affinée en ce qui concerne les PMA. Des pays comme le Kenya, le Ghana et la Côte d’Ivoire, bien que n’étant pas des PMA, manquent de pôles manufacturiers et profiteraient pleinement de préférences commerciales pour amorcer la pompe. À présent, de telles préférences pourraient théoriquement être contestées devant l’OMC, étant donné que seuls les pays sur la liste des PMA établie par les Nations Unies peuvent les revendiquer. Une possibilité pourrait être de définir à l’ONU une liste de PMA industrialisés, qui servirait à l’OMC en cas de restriction des échanges concernant les biens manufacturés. L’OMC pourrait également demander que tous les pays ayant signé un accord commercial régional soient soumis à un traitement indifférencié: ainsi, dans un groupe où les PMA domineraient, les autres pays associés pourraient profiter du système de préférences.3. Certains pays africains sont suffisamment proches du seuil de compétitivité mondiale. Si on leur facilitait, même modestement, l’accès au marché, cela suffirait pour leur faire franchir le palier et déclencher un mécanisme de croissance accélérée.4. Tous les producteurs établis, spécialement ceux qui ne font pas partie des pays à bas revenus sur le plan technique, devraient être exclus des préférences commerciales. Si un État comme le Bangladesh y a droit, les prétendants à l’industrialisation ne peuvent pas concurrencer ses produits qui ont déjà profité d’économies d’échelle.Il serait donc raisonnable d’adopter une approche globale concertée permettant d’utiliser les préférences commerciales pour intégrer les PMA industrialisés dans le marché mondial. Différents pays de l’OCDE ont édifié des stratégies en la matière, mais la plupart ne sont pas assez bien conçues pour être efficaces. De toutes façons, leur multiplication sans fin est un foyer de complications inutiles.Une telle approche comporte un aspect particulièrement positif: si elle échoue, cela ne coûte rien. Lorsque les autres politiques dassistance au développement échouent, cela se traduit par des gaspillages financiers. Les préférences commerciales temporaires sont différentes: en cas d’échec, elles n’ont littéralement aucunes conséquences. L’adoption de nouvelles stratégies de ce type est réellement séduisante, que ce soit en termes de risques ou d’attentes.

Conclusion


Des progrès ont été constatés dans l’ouverture des marchés aux exportations, mais les pays en développement ne sont toujours pas capables d’exploiter l’ensemble des bénéfices que recèle le système commercial mondial. Nous avons mis en lumière deux domaines où de nouvelles initiatives pourraient avoir des retombées positives. Les règles internationales pourraient surmonter les problèmes liés aux engagements gouvernementaux, compenser les défauts de gouvernance et permettre aux États de mieux profiter de leurs ressources naturelles. Par ailleurs, la diversification passe par l’exportation de produits manufacturés et peut être promue en repensant les préférences commerciales. Ce processus doit prendre en compte l’importance des économies d’échelle croissantes, du commerce des tâches et du potentiel que représente les accords préférentiels pour permettre à l’Afrique de décoller et de riva-liser avec les autres continents avec succès.

Tableau 1: «Ressources non renouvelables, revenus fiscaux et exportations, 2000–2005»

Proposition de citation: Paul Collier ; Tony Venables ; (2010). Comment les politiques commerciales mondiales peuvent aider les pays les plus pauvres. La Vie économique, 01 novembre.