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Protection de l’environnement et politique des ressources

Protection de l’environnement et politique des ressources

Notre bien-être est étroitement lié à la disponibilité des ressources naturelles. Indispensables à notre existence, celles-ci représentent également d’importants facteurs de production pour l’économie. Elles sont, pourtant, trop sollicitées. Il appartient à l’État de fixer un cadre à l’activité économique afin quelles soient utilisées de façon efficace et durable: nous avons besoin d’une économie «verte».

Les ressources naturelles sont indispensables à notre existence. Elles comprennent non seulement les différentes matières premières mais aussi la biodiversité, un air propre ou encore un climat stable. Préserver l’environnement, autrement dit la qualité et la quantité de ressources naturelles disponibles, est essentiel pour notre bien-être économique et social. Or, aujourd’hui, nous surexploitons notre environnement: nous entamons le capital au lieu de nous contenter de vivre des intérêts. C’est, par exemple, le cas lorsque nous fixons des quotas de pêche supérieurs au taux d’exploitation durable. Dans le pire des cas, la pêche excessive provoque l’extinction d’une espèce. Seule une exploitation des prestations écosystémiques adaptée à la capacité de reproduction des ressources halieutiques peut garantir la conservation durable de cette ressource naturelle.

Surexploitation des ressources naturelles


L’exploitation excessive des ressources naturelles se traduit également par des coûts considérables et si les économistes tentent de les chiffrer, cest pour les rendre plus tangibles. Publié en 2006, le rapport Stern mandaté par le gouvernement britannique évalue le coût de l’inaction face aux changements climatiques. Il conclut que si aucun effort supplémentaire n’est entrepris pour réduire les émissions, ce coût équivaudrait à une réduction de 5 à 20% du PIB mondial chaque année durant les deux prochains siècles
Stern (2007)..L’étude sur l’économie des écosystèmes et de la biodiversité («The Economics of Ecosystems and Biodiversity», TEEB), soutenue par l’ONU, évalue pour sa part à environ 7% du PIB mondial annuel le coût de l’appauvrissement de la biodiversité jusqu’en 2050 si rien n’est fait pour y remédier
Braat et ten Brink (éd.) (2008).. Bien entendu, de telles prévisions comportent un grand nombre d’incertitudes. Elles démontrent néanmoins que la destruction de la biodiversité n’est pas «seulement» un problème éthique mais aussi économique. C’est pourquoi les auteurs de l’étude TEEB recommandent de renforcer le recours à des instruments économiques dans le but de concilier les activités économiques et la protection de la nature et d’améliorer ainsi l’efficacité de la protection de l’environnement
Voir p. ex. ten Brink et al. (2009)..L’explosion de la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique en avril dernier a détruit un capital naturel précieux. L’économiste américain Robert Costanza estime que la valeur économique de la biodiversité et les services écosystémiques perdus seraient supérieurs à la valeur marchande totale de BP avant la catastrophe
Costanza et al. (2010).. La production n’est, toutefois, pas seule responsable de la pollution de l’environnement et de la surexploitation des ressources: la consommation y contribue aussi pour une grande part. La politique environnementale, si elle se veut efficace, doit donc s’intéresser aux dégradations de l’environnement causées par les produits consommés. Il s’agit de réduire l’impact de la consommation sur l’environnement afin de diminuer globalement l’utilisation des ressources naturelles et de garantir durablement leur accès. Il faut, toutefois, savoir que lorsque nous consommons des produits importés, cest principalement à létranger que l’environnement est dégradé.

Des objectifs clairs pour une utilisation efficace des ressources


Les ressources naturelles sont souvent des biens publics, librement accessibles et sans valeur marchande. C’est pourquoi elles sont fréquemment utilisées comme si elles étaient inépuisables. Elles sont ainsi beaucoup plus sollicitées que ne le justifie le bien-être commun: on extrait trop de pétrole et on rejette trop de CO2 dans l’atmosphère.Une politique environnementale efficace passe donc par la fixation d’objectifs clairs en matière d’utilisation des ressources. Dans les domaines de la lutte contre la pollution atmosphérique ou de la politique climatique, c’est déjà chose courante: il suffit de penser aux valeurs limites d’immission de poussières fines et d’ozone, ou encore aux 2° C visés en matière climatique. Ce n’est toutefois pas le cas dans d’autres domaines, comme la biodiversité ou la dégradation de l’environnement causée par une économie nationale.La Suisse entend réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 20 à 30% d’ici à 2020. Or il est toujours préférable, tant pour la politique que pour l’économie, d’adjoindre à de telles valeurs cibles des objectifs intermédiaires ou des trajectoires de réduction. On peut imaginer des objectifs annuels («dynamiques»), comme le propose une étude du Wuppertal Institut für Klima, Umwelt, Energie publiée en 2006
Kristof et al. (2006).. Les auteurs y formulent différents objectifs chiffrés pour diviser par deux la consommation de ressources naturelles en Allemagne à moyen et long termes. L’un d’entre eux est couplé à la croissance économique: la productivité des ressources doit croître chaque année de 4% au minimum et dépasser la croissance économique d’au moins 1%.

Lier écologie et économie


Sans une utilisation efficace des ressources naturelles, il ne peut y avoir de développement économique sain et durable. La protection et la préservation de ces ressources constituent un facteur clé pour l’économie et la société, et donc pour la production et la consommation. Les innovations dans le domaine des technologies propres participent pour une grande part à la durabilité de l’économie. Souvent regroupées sous l’acronyme anglais «cleantech», ces dernières désignent des processus de fabrication et des services qui contribuent à la protection et à la préservation des ressources naturelles et des écosystèmes. Elles incluent les domaines de l’environnement et de l’énergie et concernent notamment les énergies renouvelables, les techniques de mesure, la gestion de l’eau et des déchets, le recyclage ou encore le stockage de l’électricité.Les technologies propres ne constituent pas un secteur au sens traditionnel mais possèdent un caractère transversal. Ainsi, la méthanisation des biodéchets de communes ou d’entreprises implique plusieurs branches, ce qui permet de produire du biogaz de façon durable et sûre. Les technologies propres emploient à l’heure actuelle environ 160 000 personnes en Suisse. Elles génèrent une valeur ajoutée brute de près de 20 milliards de francs par an, ce qui représentait, en 2008, plus de 3% du produit intérieur brut (PIB)
Ernst Basler + Partner (2009).. L’importance de ce marché tient à sa contribution à la préservation durable du capital environnemental. Or, ce dernier constitue un important facteur de production. Le domaine agroalimentaire, par exemple, est tributaire des ressources en eau potable. L’économie et l’environnement sont interdépendants. Une efficacité accrue des ressources bénéficiera à l’une comme à l’autre.La Suisse, l’un des pays les plus innovants en Europe, a toutes les cartes en main pour accroître de façon substantielle l’efficacité des ressources grâce aux technologies propres tout en renforçant la place économique. Les économistes prévoient que certaines «cleantech» connaîtront une croissance annuelle de 3 à 8% d’ici à 2020 en moyenne européenne (voir graphique 1). Pour améliorer sa capacité d’innovation dans ce domaine, la Suisse devra cependant entreprendre des efforts en matière de recherche, de développement, de transfert de savoir et de technologies, d’aide aux exportations, de formation et de conditions d’innovation. Le transfert de connaissances entre les établissements d’enseignement supérieur et les entreprises doit ainsi être sensiblement amélioré. Les réglementations publiques ont un impact important sur l’innovation dans les domaines de l’environnement et de l’énergie: elles doivent viser à procurer des avantages concurrentiels aux technologies et produits innovants. À cet effet, deux approches sont possibles: l’introduction de prescriptions dynamiques ou le recours à des instruments économiques.Ainsi comprise, la politique des ressources facilitera la mise en œuvre de nouvelles solutions en matière d’efficacité des ressources. Elle permettra à l’économie suisse de s’assurer des avantages concurrentiels stratégiques. Une telle démarche crée, tant pour l’économie que pour la société, des circonstances favorables au maintien de la prospérité et de la qualité de vie. C’est pourquoi la politique des ressources est aussi économique.

Une transparence écologique indispensable


Les technologies propres sont un puissant moteur de développement pour une économie verte. Toutefois, pour ramener la consommation des ressources à un niveau écologiquement supportable, il est essentiel d’opérer une transition vers des modèles de consommation fondés sur une meilleure efficacité des ressources. C’est à l’État qu’il incombe de créer les conditions permettant l’émergence d’une véritable économie verte. Pour progresser vers une consommation durable – dans les domaines des biens de consommation courants, des loisirs, de l’utilisation des sols ou encore de la mobilité –, il est indispensable que les consommateurs disposent d’informations pour les guider dans leurs choix. L’étiquetteEnergie et les labels alimentaires permettent d’ores et déjà aux consommateurs de mieux évaluer l’impact sur l’environnement de leurs achats ou consommation de biens et services. D’importants efforts restent, toutefois, à accomplir. Premièrement, les labels actuels ne concernent que les meilleurs produits d’un groupe donné, tandis que de nombreux autres groupes ne proposent encore aucune information environnementale. Deuxièmement, les renseignements disponibles ne retracent pas toujours le cycle de vie complet du produit (culture, fabrication, transport, consommation, élimination). Troisièmement, elles n’intègrent que rarement toutes les répercussions sur l’environnement (émissions de gaz à effet de serre, consommation d’énergie et d’eau, utilisation des sols, at-teintes à la biodiversité, etc.). Aussi l’amélioration de la transparence écologique du marché est-elle essentielle pour évaluer de manière complète l’impact environnemental d’un produit et guider les consommateurs dans leurs choix.La problématique est similaire à l’échelle macroéconomique: étant donné que la progression du PIB ne tient pas compte, du moins à moyen terme, de la surexploitation des ressources naturelles, une politique axée sur la seule croissance s’appuie sur une vision incomplète de la réalité
Ott et Staub 2009.. Pour s’assurer qu’un pays progresse vers une économie verte, il est nécessaire de disposer d’informations supplémentaires, qui complètent le PIB et renseignent sur la consommation totale de ressources environnementales d’une économie et sur lévolution des services écosystémiques en tant que contribution de l’environnement à la prospérité et à la qualité de vie.En dehors de la mise à disposition d’informations, il existe un autre instrument clé de la politique de l’environnement et des ressources: la réglementation. Celle-ci peut consister en incitations fiscales, mesures d’encouragement, règlements techniques et mesures favorisant l’innovation (si possible au moyen d’incitations économiques à internaliser les coûts externes, si nécessaire au moyen de prescriptions). Ces instruments réglementaires poussent à améliorer l’efficacité des ressources naturelles et leur utilisation rationnelle. La redevance sur le trafic des poids lourds liée aux prestations (RPLP) offre un bon exemple d’instrument économique visant à l’internalisation des coûts externes du transport.

Une évolution internationale vers une économie verte


Les efforts isolés d’un État en matière de sensibilisation et de réglementation peuvent produire certains effets. Plusieurs raisons plaident, cependant, en faveur d’un consensus mondial sur les objectifs et les réglementations concernant le domaine environnemental. La stabilité du climat, par exemple, bénéficie à l’ensemble de la planète tandis que le coût des mesures de lutte contre les changements climatiques peut varier considérablement d’un pays à l’autre. Le «dumping» écologique, quant à lui, ne pourra être évité que par l’introduction de règles internationales. Une autre raison, et non des moindres, qui pousse à privilégier le consensus mondial est le fait que la dégradation de lenvironnement provoquée par la consommation de produits importés déploie principalement ses effets à l’étranger. C’est particulièrement vrai pour les pays industrialisés qui abritent un secteur des services important. Il va sans dire qu’un tel consensus mondial devra également prévoir des mesures pour aider les plus faibles à s’acheminer vers un développement durable.La communauté internationale a déjà lancé d’importantes initiatives destinées à orienter l’action politique vers une utilisation plus rationnelle des ressources. La promotion d’une économie allant dans ce sens, à la fois plus verte et plus compétitive, figure parmi les priorités de la stratégie économique de lUnion européenne jusqu’en 2020. Elle propose, pour y parvenir, dadopter une règlementation ciblée et des mesures incitatives. D’autres exemples sont fournis par la stratégie pour une croissance verte de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et par l’Initiative pour une économie verte du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). Enfin, la Conférence des Nations Unies sur le développement durable, qui se tiendra à Rio de Janeiro en 2012, se consacrera notamment à la gouvernance mondiale des ressources environnementales et aux stratégies pour une économie verte. La Suisse n’est donc pas seule à envisager le passage à une économie verte et elle a tout intérêt à franchir des étapes supplémentaires en ce sens.

La «Vision 2050» du Conseil mondial des entreprises


Toujours plus de grands groupes internationaux prennent conscience de l’intérêt que présente l’efficacité des ressources à long terme pour l’économie. Ce que confirme la Vision 2050 du Conseil mondial des entreprises pour le développement durable («World Business Council for Sustainable Development»)
Sandberg, Khan, Leong (2010)., un consortium regroupant environ 200 des plus grandes multinationales, parmi lesquelles les sociétés suisses Novartis, Syngenta et Holcim. Cette Vision 2050 est née du dialogue avec plusieurs centaines de chefs d’entreprise et d’experts de vingt pays. L’une de ses principales conclusions est qu’il est nécessaire de multiplier la productivité des ressources par un facteur de 4 à 10. Le recyclage des déchets doit, par ailleurs, atteindre le taux de 100% d’ici à 2050. Autre objectif: l’internalisation complète des coûts externes des atteintes à lenvironnement d’ici 2050. Le but est de parvenir à une économie innovante, hautement productive, impliquant un mode de production efficace et écologique.

Graphique 1: «Volume du marché mondial en 2005 et 2020 et prévisions de croissance des technologies propres»

Encadré 1: Bibliographie

Bibliographie


− Braat L. et ten Brink P. (éd.), The Cost of Policy Inaction. The case of not meeting the 2010 biodiversity target, étude pour la Commission européenne, DG de l’Environnement, Wageningen, Bruxelles, 2008. http://www.teebweb.org.− Costanza R., Batker D., Day J., Feagin R., Martinez M. et Roman J., «The Perfect Spill: Solutions for Averting the Next Deepwater Horizon», Solutions, 16 juin 2010. http://www.thesolutionsjournal.com/node/629.− Dettling E., «Schweizer High-Tech gegen Ölteppich im Golf von Mexiko», Swissinfo, 15 juin 2010. http://www.swissinfo.ch.− Ernst Basler und Partner, Cleantech Schweiz – Studie zur Situation von Cleantech-Unternehmen in der Schweiz, Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie (éd.). Berne, 2009.− OFEV, La politique fédérale de l’environnement – Principes de mise en œuvre et de développement, Berne, 2008.− Ott W. et Staub C., Indicateurs de l’environnement liés au bien-être. Etude de faisabilité d’une base statistique pour la politique des ressources, Econcept, Office fédéral de l’environnement (éd.), Berne, 2009. www.environnement-suisse.ch/economie.− Perrez F. et Ziegerer D., «A Non-institutional Proposal to Strenghten International Environmental Governance», Environmental Policy and Law, 28/5, 2008, p. 253–261.− Roland Berger Strategy Consultants, Umwelttechnologien – Wachstumschance für Österreichs Wirtschaft, Vienne, 2007.− Stern N., The Economics of Climate Change: The Stern Review, Cambridge et New York, 2007, Cambridge University Press.− ten Brink P., Berghöfer A., Schröter-Schlaack C., Sukhdev P., Vakrou A., White S. et Wittmer H., TEEB for Policy Makers, UNEP, 2009. http://www.teebweb.org.− Sandberg P., Khan N. et Leong L., Vision 2050. The new agenda for business, World Business Council for Sustainable Development, Genève, 2010.− Kristof K., Bleischwitz R., Liedtke C., Türk V., Bringezu S., Ritthof M. et Schweinefurth A., Ressourceneffizienz – eine Herausforderung für Politik und Wirtschaft, Wuppertal Institut für Klima, Umwelt, Energie, Wuppertal, 2006.

Proposition de citation: Bruno Oberle (2010). Protection de l’environnement et politique des ressources. La Vie économique, 01 novembre.