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Les principales mesures adoptées en matière de fonds propres et de liquidités pour améliorer la stabilité financière

Les principales mesures adoptées en matière de fonds propres et de liquidités pour améliorer la stabilité financière

La crise financière de 2008/2009 a clairement montré que l’État pouvait être contraint de sauver certaines banques trop grandes, trop importantes pour le système financier et trop interconnectées pour pouvoir faire faillite («too big to fail», TBTF). La commission d’experts TBTF a proposé un train de mesures en vue de réduire ce risque encouru par l’État. Les propositions portent notamment sur les fonds propres et les liquidités.

L’un des principaux objectifs du train de mesures proposé par la commission d’experts est de permettre aux banques d’importance systémique de mieux résister aux crises et de réduire ainsi la probabilité qu’elles déposent leur bilan. En effet, plus une banque est grande et revêt de l’importance pour le système financier, plus limpact d’une éventuelle insolvabilité serait dévastateur pour l’économie nationale. La capacité de résistance de ces établissements augmentera donc si on renforce leur coussin de sécurité par un apport supplémentaire de fonds propres et de liquidités. Les exigences particulières en matière de fonds propres doivent, en outre, contribuer à la gestion des crises et permettre le maintien des fonctions d’importance sys-témique en cas de graves difficultés. Elles doivent aussi inciter les établissements visés à réduire leur importance systémique.Les mesures clés relatives aux fonds propres et aux liquidités sont commentées ci-après, ainsi que les interactions entre les dispositions concernant les fonds propres et celles relatives à l’organisation.

Concept des exigences particulières en matière de fonds propres


Les exigences en matière de fonds propres applicables aux banques d’importance systémique s’articulent autour de trois composantes:1. L’exigence minimale vise à garantir une dotation en fonds propres suffisante pour la marche ordinaire des affaires. C’est un minimum absolu.2. Le volant de sécurité est un coussin qui permet d’absorber des pertes importantes. Les pertes mineures sont couvertes par les fonds propres excédentaires, détenus en plus des exigences réglementaires, et dont chaque banque définit elle-même l’ampleur. L’exigence en matière de fonds propres qui découle du volant de sécurité est une valeur cible que la banque doit atteindre durant les périodes favorables. Si elle enregistre des pertes majeures, elle peut rester temporairement en dessous. Toutefois, en phase de croissance – quand la banque dégage de nouveau des bénéfices – le volant de sécurité doit être reconstitué rapidement.3. La composante progressive permet de faire face à des situations exceptionnelles, lorsque les pertes réalisées sont encore plus grandes et que le volant de sécurité a été entièrement utilisé. Cette composante permet le maintien des fonctions systémiques en cas de crise. Elle croît avec limportance de la banque pour le système financier et incite donc ces établissements à limiter d’eux-mêmes leur dimension systémique.Pour chacune de ces trois composantes, une exigence a été formulée en ce qui con-cerne les fonds propres pondérés en fonction des risques. Il sagit, en lespèce, de comparer, sous la forme dun ratio, les fonds propres avec les actifs pondérés en fonction des risques, qui mesure la taille d’une banque en tenant compte des risques encourus. Pour le calculer, des pondérations sont attribuées aux différents postes du bilan selon leur risque. Plus celui-ci est élevé, plus la pondération l’est aussi. Ainsi, celle accordée aux obligations de la Confédération ou aux prêts hypothécaires est plus faible que celle des crédits non gagés. Les exigences pondérées en fonction des risques évoluent donc selon ceux encourus, et une banque qui a peu de positions risquées doit détenir moins de fonds propres dans son bilan.La mesure des risques n’est pas parfaite et certains sont imprévisibles. Si, par exemple, celui lié à certains actifs est, par erreur, jugé très faible, la banque peut prendre d’importantes positions risquées et grossir son bilan sans qu’elle soit contrainte, en raison des exigences pondérées en fonction des risques, d’augmenter significativement ses fonds propres. Pour parer à cette éventualité, chaque composante s’accompagne aussi d’une exigence envers le niveau d’endettement(«leverage ratio»), lequel définit un rapport minimal entre les fonds propres et le total du bilan non pondéré. Il fixe un plafond au taux d’endettement de la banque. En complément aux prescriptions sur les fonds propres pondérés en fonction des actifs, le niveau d’endettement constitue d’abord un filet de sécurité, en ce sens qu’il protège contre les conséquences d’éventuelles lacunes des exigences pondérées en fonction des risques. Il garantit que même des positions apparemment sûres soient couvertes par un minimum de fonds propres.

Calibrage des exigences en matière de fonds propres


L’exigence minimale est calibrée conformément à la norme internationale et s’élève à 4,5% des actifs pondérés en fonction des risques. Le volant de sécurité doit accroître la résistance de la banque. Les experts se sont basés sur des pertes historiques et sur des modélisations des risques pour fixer le niveau de cette composante à 8,5% des actifs pondérés en fonction des risques. Le volant de sécurité doit permettre à la banque d’absorber des pertes importantes sans tomber sous le seuil de l’exigence minimale. La composante progressive croît proportionnellement à l’importance systémique de la banque. Les indicateurs utilisés pour déterminer cette dernière sont la part de marché pour les crédits et les dépôts domestiques, et la taille mesurée au total du bilan non pondéré. La composante progressive est constituée de suppléments pour ces deux indicateurs (voir graphique 1). Dans la situation actuelle, où les deux grandes banques ont chacune un bilan totalisant 1500 milliards de francs environ et une part de marché avoisinant les 20%, la composante progressive se monte à 6%, soit un supplément de 3% au titre de la taille et de 3% au titre de la part de marché. Pour un bilan total de 1000 milliards et une part de marché de 16%, la composante progressive se replierait à 3,6%.

Qualité des fonds propres


S’agissant de la qualité des fonds propres, la commission d’experts a jugé que les capitaux détenus au titre de l’exigence minimale et du volant de sécurité devaient essentiellement revêtir la forme de fonds propres de base au sens strict («common equity»), soit des capitaux de la plus haute qualité: l’accent est donc mis sur la capacité d’absorption des pertes1. Le reste des fonds propres peut consister en emprunts à conversion obligatoire appelés CoCos (voir encadré 1

Que sont les CoCos?


CoCos est l’abréviation de «Contingent Convertible Bond» ou «emprunt à conversion obligatoire». Ce sont des obligations – donc des dettes de la banque – qui sont automatiquement converties en fonds propres ou amorties lorsqu’un événement précis se produit. Selon la proposition de la commission d’experts, l’événement déclencheur des CoCos est le passage du ratio de fonds propres en dessous d’un seuil réglementaire prédéfini («trigger»).La commission d’experts propose qu’une partie des exigences particulières en matière de fonds propres soit couverte au moyen de CoCos. Dans sa conception, ces emprunts revêtent trois fonctions:1. Les CoCos rétablissent en partie la discipline sur le marché, qui devient inopérante lorsque la banque a le statut de TBTF. Les créanciers obligataires d’une banque TBTF bénéficient d’une garantie et n’exigent donc qu’une prime de risque réduite sous la forme d’une rémunération plutôt modérée. Avec les emprunts CoCos, le contexte change. Grâce à la clause de conversion des titres en fonds propres en cas de dégradation de la situation de la banque, les créanciers assument à nouveau un risque contractuel; c’est la raison pour laquelle ils vont exiger une prime de risque – donc une rémunération – plus élevée. Cette augmentation du coût des capitaux empruntés est conforme à l’objectif poursuivi, car elle permet de restaurer le principe de causalité en reportant de la collectivité sur les banques les coûts assumés jusque-là par les contribuables, à travers la garantie implicite de l’État.2. D’un point de vue fiscal, les CoCos sont plus avantageux pour les banques que des capitaux propres, car il s’agit de fonds de tiers dont les intérêts débiteurs peuvent être déduits du bénéfice imposable. Autrement dit, les banques peuvent se constituer un coussin de sécurité plus épais en maintenant leurs coûts au même niveau. La banque peut elle-même influer sur les coûts de ses CoCos, car moins elle encourt de risques, plus les taux d’intérêt à servir sur ces instruments seront bas.3. Selon la conception définie par la commission d’experts, les CoCos jouent aussi un rôle dans la gestion des crises, dans la mesure où leur conversion libère des capitaux utilisables pour financer le plan d’urgence.

Les CoCos sont-ils des fonds propres?

Le Comité de Bâle a défini les conditions auxquelles des CoCos peuvent être pris en compte dans le total des fonds propres. Ces conditions concernent entre autres la durée minimale, la subordination de l’emprunt et la suspension du versement des coupons. Les CoCos au sens de la proposition de la commission d’experts doivent aussi remplir ces conditions minimales.

). Ces derniers sont des obligations automatiquement converties en fonds propres dès que le ratio de fonds propres de la banque passe en dessous d’une certaine limite («trigger»). Pour la définir, la commission d’experts propose de se référer à un ratio de fonds propres réglementaires. Ceux qui correspondent à l’exigence minimale plus 5,5 points de pourcentage du volant de sécurité doivent être détenus en «common equity». Les 3 points de pourcentage restants du volant de sécurité peuvent l’être sous forme de CoCos avec une limite de déclenchement élevée (conversion lors du passage en dessous du seuil de 7% de «common equity»). La composante progressive est constituée exclusivement de CoCos avec une limite basse (5% de «common equity»).

Les nouvelles exigences en matière de fonds propres dans le contexte national et international


Le graphique 2 récapitule les exigences concernant l’ampleur et la qualité des fonds propres. Il est intéressant de comparer la proposition des experts avec la réglementation en vigueur en Suisse et avec les nouvelles prescriptions internationales. Les possibilités de comparaison sont toutefois limitées, car la définition des fonds propres et le mode de calcul des actifs pondérés en fonction des risques ont été modifiés. Les nouvelles définitions sont plus strictes et le mode de calcul a été modifié, ce qui se traduit par un quasi-doublement des actifs pondérés en fonction des risques pour les deux grandes banques. Les banques doivent ainsi détenir des fonds propres plus importants et de meilleure qualité que ce qui était exigé en automne 2008. Elles doivent avoir environ cinq fois plus de «common equity»; parallèlement, les exigences à leur égard se durcissent aussi. Enfin, les propositions des experts multiplient par plus de deux les exigences concernant le total des fonds propres.Les nouvelles règles du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire (Bâle III) exigent des «common equity» à hauteur de 7%, la commission d’experts préconise 10%. Avec Bâle III, lensemble des fonds propres détenus par les banques doit se monter à 10,5%, alors que la commission d’experts exige 19%. La proposition des experts est donc plus stricte que les prescriptions actuelles et va aussi beaucoup plus loin que le nouveau standard minimal international.

Interactions entre les exigences en matière de fonds propres et les mesures organisationnelles


La mesure clé relative aux fonds propres et les mesures organisationnelles sont étroitement liées à deux égards. Premièrement, les CoCos de la composante progressive contribuent au maintien des fonctions d’importance systémique en cas de crise. Les banques con-cernées doivent prouver que ces fonctions pourraient perdurer si une telle éventualité se présentait. À cette fin, elles doivent préparer un plan d’urgence, qui sera mis en œuvre lorsque les CoCos de la composante progressive devront être convertis, et qui sera financé par les fonds propres résultant de cette conversion. Deuxièmement, une banque peut obtenir un allégement au niveau des exigences découlant de la composante progressive. Celui-ci est accordé lorsque les mesures organisationnelles adoptées ont des effets qui dépassent le minimum exigé pour le maintien des fonctions d’importance systémique. Dans ce cas, la capacité de la banque à s’assainir ou à se scinder est améliorée, de sorte que le maintien de ses fonctions d’importance systémique nécessite moins de fonds propres. La banque qui se contente de respecter les exigences minimales requises pour le maintien de ses fonctions d’importance systémique en Suisse n’a droit à aucun allégement.

Liquidités


Une dotation suffisante en liquidités contribue aussi à la solidité du coussin de sécurité. La récente crise financière a montré avec quelle rapidité les fonds peuvent refluer et dans quelle mesure les possibilités de refinancement peuvent se resserrer lorsque les créanciers perdent confiance dans une banque. Pour limiter le plus possible les conséquences d’une perte de confiance, les banques d’importance systémique doivent aussi être soumises à des exigences particulières en matière de liquidités.Celles-ci reposent sur le concept suivant: les autorités définissent un scénario de crise d’ordre général à partir duquel les grandes banques doivent simuler une crise de liquidités et estimer les entrées et les sorties de fonds qui s’ensuivraient. Le scénario envisage une crise générale sur les marchés financiers et une perte de confiance importante des créanciers envers la banque, qui assiste à un retrait massif des dépôts de sa clientèle et ne peut plus se refinancer sur le marché interbancaire ni sur les marchés financiers. Les nouvelles prescriptions exigent que les banques disposent de liquidités suffisantes pour faire face pendant au moins un mois aux sorties de fonds estimées. La banque concernée et les autorités disposeraient ainsi du temps minimum nécessaire pour engager les mesures requises et stabiliser la situation. Ces nouvelles exigences sont volontairement anticycliques: la dotation en liquidités qui est développée ou conservée pendant les périodes de conjoncture favorable peut être utilisée en cas de crise.Les nouvelles exigences sont aussi plus strictes que les précédentes et reportent sur les grandes banques une bonne partie du risque de liquidité qui pèse aujourd’hui sur la collectivité. Ce nouveau régime est en vigueur pour les grandes banques depuis juin 2010 sous la forme d’une convention conclue en référence aux travaux alors en cours sur la problématique du TBTF. Il s’agit à présent de transposer les principes de cet accord dans une base légale.Au niveau international, le Comité de Bâle élabore des normes quantitatives minimales en matière de liquidités, qui ne remplacent pourtant pas les exigences relatives aux spécificités d’une banque d’importance systémique en Suisse. La Finma et la BNS mobilisent leurs efforts pour que ces travaux décisifs se poursuivent et aboutissent à moyenne échéance.

Conclusion


Les mesures clés en matière de fonds propres et de liquidités ont une action avant tout préventive. En accroissant le coussin de sécurité des banques d’importance systémique, elles réduisent la probabilité d’une faillite. La composante progressive des exigences en matière de fonds propres incitera, en outre, les banques concernées à réduire d’elles-mêmes leur importance systémique et contribuera à renforcer encore l’effet préventif. Dans le cadre de leur interaction avec les mesures organisationnelles, les exigences en matière de fonds propres ont également une action curative. L’accroissement des coussins de sécurité et les autres mesures envisagées contribuent à atténuer de manière significative lacuité de la problématique TBTF.

Graphique 1: «Structure des suppléments progressifs»

Graphique 2: «Composition et calibrage des fonds propres»

Encadré 1: Que sont les CoCos?

Que sont les CoCos?


CoCos est l’abréviation de «Contingent Convertible Bond» ou «emprunt à conversion obligatoire». Ce sont des obligations – donc des dettes de la banque – qui sont automatiquement converties en fonds propres ou amorties lorsqu’un événement précis se produit. Selon la proposition de la commission d’experts, l’événement déclencheur des CoCos est le passage du ratio de fonds propres en dessous d’un seuil réglementaire prédéfini («trigger»).La commission d’experts propose qu’une partie des exigences particulières en matière de fonds propres soit couverte au moyen de CoCos. Dans sa conception, ces emprunts revêtent trois fonctions:1. Les CoCos rétablissent en partie la discipline sur le marché, qui devient inopérante lorsque la banque a le statut de TBTF. Les créanciers obligataires d’une banque TBTF bénéficient d’une garantie et n’exigent donc qu’une prime de risque réduite sous la forme d’une rémunération plutôt modérée. Avec les emprunts CoCos, le contexte change. Grâce à la clause de conversion des titres en fonds propres en cas de dégradation de la situation de la banque, les créanciers assument à nouveau un risque contractuel; c’est la raison pour laquelle ils vont exiger une prime de risque – donc une rémunération – plus élevée. Cette augmentation du coût des capitaux empruntés est conforme à l’objectif poursuivi, car elle permet de restaurer le principe de causalité en reportant de la collectivité sur les banques les coûts assumés jusque-là par les contribuables, à travers la garantie implicite de l’État.2. D’un point de vue fiscal, les CoCos sont plus avantageux pour les banques que des capitaux propres, car il s’agit de fonds de tiers dont les intérêts débiteurs peuvent être déduits du bénéfice imposable. Autrement dit, les banques peuvent se constituer un coussin de sécurité plus épais en maintenant leurs coûts au même niveau. La banque peut elle-même influer sur les coûts de ses CoCos, car moins elle encourt de risques, plus les taux d’intérêt à servir sur ces instruments seront bas.3. Selon la conception définie par la commission d’experts, les CoCos jouent aussi un rôle dans la gestion des crises, dans la mesure où leur conversion libère des capitaux utilisables pour financer le plan d’urgence.

Les CoCos sont-ils des fonds propres?

Le Comité de Bâle a défini les conditions auxquelles des CoCos peuvent être pris en compte dans le total des fonds propres. Ces conditions concernent entre autres la durée minimale, la subordination de l’emprunt et la suspension du versement des coupons. Les CoCos au sens de la proposition de la commission d’experts doivent aussi remplir ces conditions minimales.

Proposition de citation: Dorothe Bonjour (2010). Les principales mesures adoptées en matière de fonds propres et de liquidités pour améliorer la stabilité financière. La Vie économique, 01 décembre.