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La politique d’activation en Suisse

Cet article présente un certain nombre de résultats contenus dans l’étude de l’OCDE sur la politique d’activation en Suisse. Des recherches du même type sont menées dans six autres pays1. Leur principal objectif est de comparer les dispositifs nationaux et d’en tirer des propositions pour les améliorer. Pour la Suisse, le rapport fait une série de propositions concernant la réforme des institutions, l’efficience des services de placement et les mesures actives du marché du travail. Ce faisant, il ne se réfère pas seulement au domaine de l’assurance-chômage, mais aussi à ceux de l’invalidité et de l’aide sociale.

La situation du marché du travail suisse est bonne …


Le marché du travail suisse se distingue par un taux d’emploi important, un chômage relativement faible et des salaires élevés. Ces trente dernières années, la quote-part des personnes actives dans la population des 15 à 64 ans est montée à 79%, ce qui est de plus de 10 points au-dessus de la moyenne de l’OCDE et de l’UE15. Pour les femmes, ce taux dépasse même la moyenne des pays de l’OCDE de 17 points.

… malgré les défis à relever


Si l’on tient compte du taux élevé des personnes travaillant à temps partiel, la Suisse retombe dans la moyenne de l’OCDE. La raison en est le manque d’offre d’accueil pour les enfants en âge préscolaire et la difficulté qui en découle de concilier travail et famille. Dans les sondages, un nombre notable de femmes actives souhaitent augmenter leurs heures de travail. Il existe donc là un fort potentiel d’amélioration du taux d’emploi. La Suisse est, en outre confrontée à une série de défis:1. Quinze ans après la mise sur pied des offices régionaux de placement (ORP), leur efficacité reste extrêmement variable, que ce soit au sein d’un même canton ou d’un canton à l’autre, même après correction des facteurs exogènes et compte tenu du fait que l’application décentralisée de la loi sur l’assurance-chômage entraîne nécessairement une certaine dispersion. Le fait, pourtant, que les écarts n’aient pratiquement pas diminué au cours des années montre qu’il y a matière à intervenir. 2. La variabilité du chômage est très élevée: le taux de chômage des étrangers est environ le triple de la moyenne, celui des personnes peu qualifiées le double. 3. En comparaison internationale, la durée moyenne de chômage2 (quelque 18 mois ces dernières années) est relativement élevée. D’autres pays européens qui connaissent des taux faibles en ce domaine (Norvège, Danemark et Autriche) comptent nettement moins de chômeurs de longue durée. 4. Le nombre de personnes en âge de travailler qui touchent des prestations de l’assurance-invalidité (AI) a considérablement augmenté depuis les années nonante et comprend une proportion élevée de moins de 50 ans. La quote-part de ces personnes dans la population dépasse aujourd’hui de beaucoup le taux d’inactivité, tandis que le taux d’emploi des personnes handicapées est plutôt faible. Il existe ici une possibilité évidente de mieux exploiter la capacité de travail restante et d’améliorer l’intégration dans le marché du travail.

Vieillissement de la population


En Suisse, l’espérance de vie (80 ans pour les hommes et 84 ans pour les femmes) dépasse celle de la plupart des pays de l’OCDE; en revanche, le taux de fécondité décline depuis les années septante. Comme dans les pays voisins, le vieillissement démographique progresse rapidement. À long terme, il faut escompter un recul non seulement de la population résidente, mais aussi de la population active. L’excédent de naissances qu’on observe actuellement est principalement dû à la population résidente étrangère. À moyen terme, le recul de la population active peut être combattu en encourageant le taux d’activité et éventuellement en relevant l’âge de la retraite.

Immigration


Depuis 1960, l’immigration est un facteur important de la croissance démographique en Suisse, malgré de fortes fluctuations d’origine conjoncturelle. En 2008, la population étrangère a atteint 1,7 million de personnes, dont les deux tiers sont originaires de l’UE. Sur ce point, la Suisse se distingue fortement d’autres pays européens, où la plupart des immigrants sont extérieurs au continent. La majeure partie d’entre eux obéissent à des motivations économiques. Les immigrants résidents représentent 23% de la population active, mais seulement 21% de la population résidente permanente.Depuis le début des années nonante, les qualifications des immigrants n’ont cessé de croître. Comme la plupart d’entre eux sont en outre autorisés à s’établir, la population étrangère résidente réagit moins qu’autrefois à la conjoncture intérieure. Les mouvements migratoires, qui servaient à atténuer les récessions, jouent donc un rôle moindre. Devant la disparité persistante entre populations immigrée et historique, il est, toutefois, très important de renforcer les efforts portant sur les qualifications dans la politique d’intégration.

Services officiels de placement


Comme dans la plupart des pays de l’OCDE, les services suisses de placement offrent une vaste palette de prestations en matière de conseil et de médiation. Le système suisse se fonde sur des contrôles sévères de l’éligibilité et de la recherche active de travail, en échange de quoi les chômeurs bénéficient d’un revenu de remplacement relativement généreux et de mesures actives du marché du travail (Mamt) pour se qualifier. Les demandeurs d’emploi doivent être aptes au placement, accepter tout travail convenable et rechercher assidûment un emploi pendant toute la durée de leur inactivité (il est fréquemment exigé de prouver jusqu’à dix postulations par mois). La Suisse fait, en outre, partie des pays de l’OCDE qui comptent le plus grand nombre d’exclusions des prestations; ainsi, en 2008, un quart environ des chômeurs bénéficiant d’indemnités journalières ont été sanctionnés soit par leur ORP, soit par leur caisse de chômage.En Suisse, les placeurs privés jouent un rôle important. Comme les agences de location de personnel, ils ont toujours pu travailler relativement librement et placent encore aujourd’hui davantage de demandeurs d’emploi que les ORP, en moyenne annuelle. En outre, les Mamt sont généralement organisées par des prestataires privés (parfois d’utilité publique).

Allocations de chômage


En comparaison internationale, les allocations suisses de chômage sont relativement généreuses (voir graphique 1). D’une part, la période d’indemnisation maximale (pour une personne âgée de 40 ans ayant travaillé de nombreuses années) est supérieure à la moyenne de l’OCDE, de l’autre les taux de compensation nets (selon les calculs de cette organisation) font partie des plus généreux et vont jusqu’à 90% selon le type de famille (voir graphique 2). En revanche, les allocations-chômage ne sont pas utilisées sous forme de retraite anticipée, comme cela se fait dans dautres pays.

Mesures actives du marché du travail


Si l’on considère le rapport entre le coût des Mamt et le taux de chômage, la Suisse se situe en tête du peloton de l’OCDE, juste derrière les pays scandinaves, l’Autriche et les Pays-Bas. En 2008, plus d’un quart de tous les demandeurs d’emploi ont participé à au moins une Mamt, ce qui est également relativement élevé par rapport à d’autres membres de l’OCDE. Le montant des dépenses pour les Mamt est étroitement corrélé avec la conjoncture. Les programmes principaux concernent la formation et l’occupation, le gain intermédiaire jouant un rôle particulier puisqu’il incite à reprendre le travail.

Principales recommandations

Réformes des institutions


«La Confédération propose, les cantons disposent.» Les services cantonaux jouent un rôle capital dans l’exécution des tâches publiques de placement et des Mamt. Ils sont chargés de mettre sur pied et de surveiller les ORP ainsi que les centres logistiques qui élaborent et fournissent les Mamt. Cette grande liberté de conception a débouché sur des mises en œuvre très dif-férentes. En plus des Mamt conçues par le Secrétariat d’État à l’économie (Seco) et financées par l’assurance-chômage, la plupart des cantons ont leurs propres programmes.L’autonomie cantonale et la relative faiblesse de la coordination impliquent le risque de chevauchements et de coûts administratifs excessifs. Il conviendrait de mieux exploiter les synergies régionales. Pour améliorer l’efficacité des Mamt, nous recommandons de renforcer le rôle de coordinateur du Seco, ce qui nécessiterait un monitorage accru des Mamt cantonales – par type de mesure et critères de participation – ainsi que la collecte de données sur les programmes financés par les cantons eux-mêmes. Il faudrait également envisager des échanges réguliers, entre cantons, d’expériences sur l’efficacité des Mamt, ainsi que des évaluations qualitatives et quantitatives concomitantes. Ces analyses devraient permettre de mieux comprendre pourquoi les mesures engagées dans les cantons diffèrent si fortement et quel effet cela a sur le succès relatif de la réinsertion dans le marché cantonal du travail.

Améliorer l’efficience des services de placement


De l’avis de l’OCDE, l’enregistrement des chômeurs devrait se faire partout dans les ORP et non à l’administration communale. D’autre part, lors du premier entretien auprès d’un conseiller, il n’existe pas de système standardisé de profilage des demandeurs d’emploi, qui permettrait pourtant d’améliorer leurs chances de succès ou de mieux évaluer le risque de chômage de longue durée. Un tel système pourrait faciliter l’identification des demandeurs d’emploi vraisemblablement difficile à placer et l’adoption des mesures adéquates. Le Seco devrait envisager l’introduction d’un système de profilage en se fondant sur les expériences d’autres pays de l’OCDE.Les compétences et les moyens engagés pour les chômeurs en fin de droits varient beaucoup d’un canton à l’autre. Certains d’entre eux connaissent divers systèmes d’assistance-chômage, alors qu’ailleurs, les chômeurs en fin de droits sont renvoyés directement à l’aide sociale. D’une façon générale, seule une minorité de chômeurs restent enregistrés, même si les ORP offrent aussi des services à ceux qui se trouvent en fin de droits. Or, il est particulièrement important que les chômeurs de longue durée bénéficient d’un encadrement et d’une activation poussée. Au lieu des différents systèmes cantonaux, on pourrait envisager d’appli-quer des normes fédérales à une assistance-chômage coordonnée au niveau national.Il faudrait aussi exploiter davantage les possibilités de partage des tâches avec les placeurs privés. Bien que la loi les y autorise, les ORP (à l’exception des cantons du Jura et surtout de Genève) n’ont envoyé ces dernières années qu’une fraction minime des demandeurs d’emploi à des placeurs privés. Jusqu’ici, l’Australie, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne sont les pays qui sont allés le plus loin sur cette voie: les agences de placement privées ou d’utilité publique y sont en concurrence pour décrocher des mandats de réinsertion professionnelle financés par les pouvoirs publics. En Allemagne, les chômeurs peuvent recourir après six mois aux services de placeurs privés, moyennant des bons de placement, mais le succès est resté jusqu’ici en deçà des attentes. Étant donné le rôle historique important des placeurs privés en Suisse, le pays serait prédestiné à rechercher leur soutien. On pourrait recourir, par exemple, à des incitations financières ciblées, comme une indemnisation échelonnée en fonction des résultats et de la difficulté à placer les chômeurs. Nous émettons cette recommandation sans nous cacher que sa mise en œuvre pourrait être difficile.

Améliorer l’efficience des programmes d’occupation


Les programmes d’occupation s’effectuent fréquemment dans les administrations publiques, les services d’entraide officiels et le secteur de l’environnement, car ils ne doivent pas faire de concurrence aux programmes privés. Les expériences internationales suggèrent que ces programmes ont un impact positif sur les demandeurs d’emploi difficiles à placer, malgré un effet éventuel de stigmatisation et d’enfermement. Lors d’évaluations, ces mesures ont cependant obtenu des notes relativement médiocres en Suisse, par exemple en comparaison avec les résultats obtenus par le gain intermédiaire. Il faudrait donc chercher à en améliorer l’efficacité. On pourrait, par exemple, suivre de plus près les demandeurs d’emploi pendant et après les mesures, imaginer des systèmes qui inciteraient les entreprises à engager les personnes ayant participé chez elles à des mesures d’occupation, ou élargir les allocations d’initiation au travail. Pour les immigrants, on pourrait encore envisager des programmes de qualification supérieure et une meilleure prise en compte ou reconnaissance de leurs diplômes étrangers.

Améliorer la collaboration entre institutions


La bonne entente entre les différentes institutions de la sécurité sociale est un facteur fondamental pour améliorer les chances de réinsertion professionnelle, en particulier des chômeurs difficiles à placer, des personnes inscrites à l’aide sociale et des handicapés. Les demandeurs d’emploi cumulant plusieurs de ces problèmes font souvent la navette d’une institution à l’autre. Ces dernières années, le Seco, l’Office fédéral des assurances sociales (Ofas) et les services cantonaux ont élaboré divers modèles de collaboration interinstitutionnelle. Il faut arriver à démanteler les barrières qui isolent les divers services sociaux et à créer un système intégré de réhabilitation et de réinsertion professionnelle. L’OCDE considère que, dans une Suisse fédéraliste aux institutions relativement fragmentées, cette démarche est nécessaire et qu’elle conduira au but recherché. C’est pourquoi le rapport propose de continuer à renforcer de façon ciblée la coopération entre institutions et collectivités territoriales en matière de réinsertion des personnes et d’améliorer en particulier les interfaces entre ORP, AI et aide sociale.

Conclusion


Le modèle suisse d’activation des personnes sans emploi présente d’incontestables mérites, en particulier parce qu’il combine des revenus de remplacement généreux, des exigences sévères en matière de recherche d’emploi et une forte participation aux Mamt. Son efficience peut, cependant, s’améliorer et, surtout, le champ d’action de la politique d’activation s’étendre. Il s’agit en particulier d’impliquer davantage les chômeurs de longue durée et d’autres personnes, comme les handicapés, dans les mesures d’activation. Les clés de ce gain d’efficience résident dans un renforcement de la coordination en matière de politique du marché du travail, une collaboration plus étroite entre les acteurs publics, enfin des formes nouvelles de répartition des tâches entre placeurs privés et publics. Il faudrait accorder un rôle accru aux normes fédérales, notamment dans l’assistance-chômage. La conception de certaines Mamt et le choix des mesures propres à favoriser une intégration durable dans le premier marché du travail peuvent être encore améliorés. Quelles que soient les améliorations que la Suisse apportera à sa politique d’activation, elle est confrontée plus généralement au même problème que d’autres pays de l’OCDE: s’assurer à long terme un potentiel suffisant de personnes actives (qualifiées) et mieux exploiter ses ressources humaines.

Graphique 1: «Durée maximale du droit aux prestations de l’assurance-chômage dans plusieurs pays de l’OCDE, 2005»

Graphique 2: «Taux net du salaire de remplacementa en cas de chômage pour deux types de familles dans plusieurs pays de l’OCDE, 2008»

Graphique 3: «Quote-part des mesures actives du marché du travail dans le produit intérieur brut et inactivité selon les normes internationales pour plusieurs pays de l’OCDE, 2008»

Proposition de citation: Nicola Duell ; Peter Tergeist ; (2010). La politique d’activation en Suisse. La Vie économique, 01 décembre.