Les assurances sociales protègent des aléas de la vie tels que la maladie, un accident, l’invalidité, le chômage, le départ à la retraite ou le décès et versent des prestations financières en cas de survenance de l’évènement assuré. Il est également possible d’agir en amont en promouvant la santé, ce qui réduit la probabilité d’un tel évènement. Les conditions de travail jouent un rôle essentiel à cet égard. Les systèmes de gestion de la santé en entreprise (GSE) permettent de les améliorer. Le lancement d’une «Initiative suisse pour une économie saine» représente un projet visionnaire qui pourrait contribuer de manière essentielle à renforcer durablement l’assise financière des œuvres sociales.
Est-il bien nécessaire de déployer de nouvelles mesures de prévention et de promotion de la santé en Suisse, un pays si prospère, où l’espérance de vie est l’une des plus élevées au monde? Certes, cette dernière s’est continuellement allongée et se monte au-jourd’hui à 80 ans, mais les personnes sans formation post-obligatoire vivent en moyenne 7 ans de moins que celles qui ont fait des études académiques. Chaque année de formation supplémentaire diminue de 6 à 7% le taux de mortalité. Un gradient social similaire s’observe avec l’invalidité professionnelle et les maladies chroniques
Bauer G. et Jenny G., «Gesundheit in Wirtschaft und Gesellschaft», dans K. H. Moser (éd.), Wirtschaftspsychologie, Berlin, 2007, Springer, pp. 221-243..Les causes de ce phénomène sont bien connues: elles ont fait l’objet d’abondantes recherches au niveau international. On sait que la perception qu’une personne a de son état de santé est fortement corrélée à son risque de maladies futures et de mortalité. Or, cette variable ne dépend que pour quelque 20% de facteurs biologiques et des caractéristiques du système de santé; 30% environ sont liés au niveau de formation et de revenus de la personne concernée et au style de vie qui en découle (y compris le comportement en matière de santé); quelque 50% s’expliquent, enfin, par les conditions de vie (à l’âge actif, le travail et sa compatibilité avec d’autres facettes de la vie jouent un rôle capital).
De bonnes conditions de travail sont essentielles pour l’économie et la société
La formule suivante permet de résumer les résultats des travaux de recherche: avoir un bon travail maintient en bonne santé, avoir un mauvais travail rend malade et ne pas avoir de travail rend très malade. Les employés qui disposent d’une faible marge de manœuvre décisionnelle, dont le travail est peu reconnu ou chez lesquels vies professionnelle et privée sont mal équilibrées présentent un risque significativement accru de développer des maladies de l’appareil circulatoire, de devenir dépressifs et de s’épuiser professionnellement. Ces mêmes facteurs favorisent aussi l’apparition de maladies de l’appareil locomoteur, de même que les travaux qui sollicitent excessivement le corps. Or, ils sont très répandus dans la population. Selon l’Enquête suisse sur la santé, 40% des employés sont exposés à au moins trois facteurs de risque physiques et environ un tiers à au moins trois facteurs de risque psychosociaux.Nos propres travaux montrent que le gradient social de santé va de pair avec les conditions de travail. Plus une personne active a un bon niveau de formation et un statut professionnel élevé, plus elle profite de bonnes conditions de travail. Les inégalités de santé au sein de la population active en Suisse s’expliquent pour l’essentiel par les différences dans les conditions de travail
Bauer G., Jenny G., Huber C., Mueller F. et Hämmig O., «Socioeconomic status, working conditions and selfrated health in Switzerland: explaining the gradient in men and woman», International Journal of Public Health, 54(1), 2009, p. 1–8.. Lorsquelles sont défavorables, les assurances sociales et l’économie en subissent le coût, qui s’exprime en dizaines de milliards.
Une base de données en matière de «Travail et santé» est indispensable en Suisse
Les informations à disposition sur les liens entre la santé et les conditions de travail de la population active sont relativement lacunaires en Suisse
Hämmig O. et Bauer G. F.,.«Work-Life-Balance – ein Thema für die betriebliche Gesundheitsförderung», dans G. Faller (éd.), Lehrbuch Betriebliche Gesundheitsförderung, Berne, 2010, Hans Huber, Hogrefe AG, p. 229–239.. L’exemple de la Suva montre l’intérêt d’y remédier. Sa statistique des accidents professionnels permet de calculer des données par branches et par entreprises. La Suva peut ainsi mettre en œuvre des mesures de prévention adaptées aux entreprises de manière ciblée. La Suisse gagnerait à ce que les données de ses assurances sociales sur la maladie et sur l’invalidité soient groupées par branches et par entreprises, comme c’est le cas dans d’autres pays.Nous élaborons actuellement un standard interentreprises en étroite coopération avec l’économie et la recherche. L’objectif est de répertorier les conditions de travail qui jouent le rôle le plus important pour la santé et les performances. Une vaste enquête en ligne auprès d’employés permettra de cons-tituer une base de données couvrant toute la Suisse. Les entreprises auront ainsi la possibilité de comparer leurs pratiques (étalonnage).Le socle d’informations à créer aidera les entreprises à se lancer dans la GSE. Cette dernière peut se définir comme l’évaluation et l’optimisation des structures et des processus au sein de l’entreprise d’après leur impact sur la santé au travail et sur l’exploitation
Bauer & Jenny (2007).. Elle ne se réduit donc de loin pas à des questions techniques à régler dans la législation. Collaborateurs et dirigeants participent en personne au processus d’innovation sociale permettant de trouver des solutions adaptées à leur entreprise. Un outil en ligne destiné aux entreprises existe déjà en la matière; il est orienté sur la pratique et a fait ses preuves (www.pme-vital.ch)
Bauer G. et Schmid M., KMU-Vital: Ein webbasiertes Programm zur betrieblichen Gesundheitsförderung, Zurich, 2008, vdf.. La diffusion de la GSE dans l’économie
Bauer G., et Jenny G., «Anspruch und Wirklichkeit: Zum aktuellen Stand der betrieblichen Gesundheitsförderung», dans G. Faller (éd.), Lehrbuch Betriebliche Gesundheitsförderung, Berne, 2010, Hans Huber, Hogrefe AG, p. 48-56. laisse, toutefois, à désirer malgré son économicité prouvée
Bauer G., «Worksite Health Promotion Research: Challenges, Current State and Future Direction», Italian Journal of Public Health, 4(4), 2007, p. 98–107..
Systématiser la gestion de la santé en entreprise
En collaboration avec les milieux économiques, notre unité (voir encadré 1
L’unité de recherche sur la santé et la GSE: entre étude et pratique
L’unité a été fondée en 2006 sur décision de la direction de l’EPFZ (http://www.poh.ethz.ch). Elle est le fruit d’une coopération avec l’université de Zurich (UZH). En Suisse alémanique, elle est le seul centre de compétence interdisciplinaire dans le domaine «Travail et santé», exception faite du domaine d’activité Médecine du travail de l’UZH. Ses recherches portent sur les conditions de travail physiques et psychosociales, l’application de la GSE sur le terrain et le transfert de savoir. Dans le domaine de la GSE, l’unité propose une formation continue qualifiante (Certificate of Advanced Studies) et offre un appui ciblé aux entreprises par le biais de son centre de conseil BGM-Zurich (www.bgm-zh.ch). En 2011, l’unité proposera pour la 10e fois le Master of Advanced Studies en Santé au travail à Lausanne en partenariat avec l’Institut universitaire romand de santé au travail (www.i-s-t.ch). L’unité s’occupe des spécialisations en médecine du travail, en hygiène du travail et en ergonomie. À partir de cette année, elle proposera aussi le programme de doctorat ProDoc Health@Work financé par le Fonds national suisse.
) travaille actuellement à une systématisation de la GSE, afin qu’elle se fonde davantage dans la réalité quotidienne des entreprises. Cette GSE systémique considère l’entreprise comme un système social dans lequel la santé au travail et la productivité résultent d’interactions optimales entre les collaborateurs et l’organisation. Elle est dotée d’un poste de pilotage qui facilite sa conduite stratégique dans l’entreprise. La GSE vise essentiel-lement à produire de la santé, un environnement de travail de qualité et des performances durables; le poste de pilotage GSE permet de connecter ces variables aux données clés concernant les conditions de travail qui ont un impact sur la santé au travail et les performances. Cette base dinformation permet aux dirigeants de l’entreprise de rechercher des solutions pour gérer la façon dont leur travail les sollicite ainsi que les ressources dont ils disposent. La même procédure est ensuite appliquée aux employés. Cette approche permet d’améliorer régulièrement l’organisation du travail, les processus de l’entreprise, la communication interne et celle avec les clients.Ce processus d’innovation prend en compte différentes perspectives et les interactions à l’œuvre. Il aide à mieux gérer la complexité croissante du monde économique et favorise l’éclosion de nouvelles compétences générales au sein de l’entreprise en matière d’optimisation et d’innovation. Une culture d’entreprise axée sur les employés prend ainsi son essor; celle-ci explique 30% des différences de productivité entre les entreprises.
Le projet visionnaire d’une «Initiative suisse pour une économie saine»
En résumé: le domaine «Travail et santé» recèle un grand potentiel pour renforcer l’égalité des chances en matière de santé chez les personnes actives, la qualité de l’environnement professionnel, mais aussi la capacité d’innovation de l’économie suisse et sa compétitivité. Une action anticipatrice permet aussi de réduire les risques sociaux, ce dont profitent les assurances sociales.La Constitution fédérale garantit le droit fondamental de chacun à la «liberté personnelle, notamment à l’intégrité physique et psychique». Aussi serait-il temps en Suisse de lancer une «Initiative pour une économie saine». Elle rassemblerait les principaux groupes d’intérêts concernés en exploitant leurs synergies possibles. En 2006, les partenaires du processus Politique nationale suisse de la santé avaient tenté de lancer le débat en adoptant le document «Conditions de travail et santé – Une orientation stratégique commune». Aucune grande institution n’avait saisi la balle au bond et le projet s’était ensablé. La loi sur la prévention ne remédiera pas davantage à la situation car le monde du travail en est exclus.Pour faire vivre l’initiative, un centre de compétence en matière de travail, de santé et d’organisation pourrait voir le jour. Il gèrerait le savoir-faire acquis sur le terrain et dans le domaine de la recherche et le mettrait à disposition des groupes d’intérêts. Le centre de compétence constituerait la base d’informations nécessaire dans le domaine «Travail et santé». Il aiderait les entreprises à mettre en place la GSE, à en contrôler lefficacité et à laméliorer. Les organes responsables devraient faire une place aux principaux groupes d’intérêts (assurances sociales comprises). L’architecture institutionnelle reste à définir.Les pays scandinaves ont une longue tradition d’initiatives et de centres de compétence axés sur le monde du travail. Les conditions de travail y sont les plus enviables d’Europe et l’économie y est particulièrement prospère. En leur emboîtant le pas, la Suisse serait mieux armée pour affronter les défis du futur: évolution démographique, avènement de la société des services et du savoir, intensification de la concurrence et mutations accélérées. Pour y faire face, la Suisse doit pouvoir compter sur une population active en bonne santé et compétitive.
Encadré 1: L’unité de recherche sur la santé et la GSE: entre étude et pratique
L’unité de recherche sur la santé et la GSE: entre étude et pratique
L’unité a été fondée en 2006 sur décision de la direction de l’EPFZ (http://www.poh.ethz.ch). Elle est le fruit d’une coopération avec l’université de Zurich (UZH). En Suisse alémanique, elle est le seul centre de compétence interdisciplinaire dans le domaine «Travail et santé», exception faite du domaine d’activité Médecine du travail de l’UZH. Ses recherches portent sur les conditions de travail physiques et psychosociales, l’application de la GSE sur le terrain et le transfert de savoir. Dans le domaine de la GSE, l’unité propose une formation continue qualifiante (Certificate of Advanced Studies) et offre un appui ciblé aux entreprises par le biais de son centre de conseil BGM-Zurich (www.bgm-zh.ch). En 2011, l’unité proposera pour la 10e fois le Master of Advanced Studies en Santé au travail à Lausanne en partenariat avec l’Institut universitaire romand de santé au travail (www.i-s-t.ch). L’unité s’occupe des spécialisations en médecine du travail, en hygiène du travail et en ergonomie. À partir de cette année, elle proposera aussi le programme de doctorat ProDoc Health@Work financé par le Fonds national suisse.