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Conférence de Cancún sur les changements climatiques: résultats et perspectives

Conférence de Cancún sur les changements climatiques: résultats et perspectives

Suite aux médiocres résultats de la conférence de Copenhague sur le climat malgré la présence de plus de 100 chefs d’État, personne ne s’attendait à ce que la conférence de Cancún ne soit un triomphe. Pourtant, l’accord qui l’a clôturée a restauré la confiance dans les négociations de l’ONU sur le climat et peut être considéré comme une importante avancée pour la communauté internationale. Malgré tout, des questions d’envergure doivent encore être résolues en matière de climat, d’économie et de développement, avant de parvenir à des solutions efficaces à l’échelle mondiale pour lutter contre les changements climatiques. Il s’agit notamment de concrétiser les décisions prises à Cancún, de chercher des compromis supplémentaires sur de nombreuses questions essentielles, et de préciser si le futur accord doit être juridiquement contraignant.

L’héritage de Copenhague


La conférence sur le climat qui s’est tenue à Cancún du 29 novembre au 10 décembre 2010 devait tout d’abord revenir en deux points sur l’héritage de Copenhague:1. Quelques pays s’étant opposés à des décisions de principe importantes prises dans le cadre de l’accord de Copenhague, la Conférence des parties en avait alors simplement pris connaissance, à défaut de pouvoir les adopter formellement. La conférence de Cancún avait donc notamment pour objectif de transformer ces déclarations en décisions au titre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et de poursuivre leur mise en œuvre.2. Il fallait surmonter la profonde crise de confiance à l’égard des négociations de l’ONU sur le climat. L’échec de la conférence de Copenhague a remis en question leur avenir, d’autant que la probabilité augmentait de voir les pays défendant les mêmes intérêts s’unir, en dehors du cadre de l’ONU, pour tenter de trouver des compromis minimaux. Ces efforts isolés auraient eu pour conséquences de reléguer la coordination internationale au second plan et de marginaliser davantage les pays en développement particulièrement vulnérables aux changements climatiques, de même que les pays relativement petits ayant un faible taux d’émission (comme la Suisse).

L’accord de Cancún est une base pour la suite des négociations


L’issue des négociations à Cancún est restée incertaine jusqu’au dernier soir. Finalement, l’excellente présidence mexicaine de la conférence a permis d’adopter, malgré l’opposition de la Bolivie, un accord constitué de mesures assez équilibrées (voir encadré 1

Les points clés de l’accord de Cancún


1. Maintien du réchauffement de la planète sous la barre des 2° C et réévaluation périodique de cet objectif jusqu’en 2015 à la lumière des nouvelles connaissances scientifiques.2. Inscription des objectifs nationaux de réduction fixés par les pays industrialisés et les pays en développement dans le cadre de la convention de l’ONU et mise en place d’un système visant à améliorer la transparence dans les efforts individuels de réduction.3. Élaboration et renforcement de mécanismes internationaux de mesure, de notification et de vérification des efforts de réduction entrepris par les pays industrialisés et en développement.4. Création d’un registre recensant les objectifs de réduction visés par les pays en développement et les ressources financières mises à disposition dans le but de simplifier l’ajustement entre les besoins et les moyens.5. Confirmation de l’objectif visant à réunir, d’ici à 2020, 100 milliards d’USD pour financer les mesures d’atténuation et d’adaptation dans les pays en développement. Ce financement doit être assuré par des fonds aussi bien publics que privés.6. Création d’un Fonds vert pour le climat par lequel transitera une partie des 100 milliards d’USD.7. Mise sur pied d’un comité de transition afin de définir les modalités du Fonds vert pour le climat et d’élaborer des recommandations à l’intention de la Conférence des parties.8. Conception d’un cadre politique pour réduire les émissions provenant de la déforestation et de la dégradation des forêts dans les pays en développement.9. Mise en place d’un comité d’adaptation ayant pour mission de contribuer à la formulation de politiques relatives à l’adaptation aux changements climatiques.10. Adoption d’un mécanisme pour la technologie, composé d’un comité de la technologie et d’un centre et réseau de technologie climatique, afin de promouvoir le transfert de technologie dans les pays en développement.11. Conclusion, le plus rapidement possible, des négociations sur la deuxième période d’engagement au titre du Protocole de Kyoto afin d’éviter un vide après 2012.

). Les décisions prises par la Conférence des parties sont le résultat de compromis négociés dans certains domaines clés qui ont redonné confiance dans le processus multilatéral de négociations sur le climat et jettent les bases de la suite à lui donner. L’objectif ultime reste l’adoption d’un régime climatique efficace qui règle non seulement la réduction des émissions mondiales, mais aussi les conditions-cadres régissant l’adaptation aux changements climatiques, le transfert de technologie et l’aide financière destinée à soutenir les pays en développement dans leur mise en œuvre des mesures climatiques.Les futures négociations auront tout dabord pour objectif de concrétiser les décisions prises à Cancún. Ainsi, en ce qui concerne l’aide financière que les pays en développement doivent percevoir pour mettre en œuvre les mesures d’atténuation et d’adaptation, de nombreuses questions doivent être clarifiées: par exemple comment réunir les 100 milliards d’USD annuels nécessaires? comment définir la clé de répartition applicable aux contributions publiques? et comment réglementer l’accès aux moyens et leur utilisation? La mobilisation des ressources financières dépendra, en outre, largement des incitations à promouvoir les investissements privés dans des activités de protection du climat dans les pays en développement.L’accord de Cancún comprend également de nombreuses décisions institutionnelles relatives à la structure du futur régime climatique, comme la création de nouveaux organes. À l’heure actuelle, il n’est pas encore possible d’évaluer la plus-value qu’apporteront ces derniers, car elle dépendra de leur structure, de leurs modalités de fonctionnement et des moyens mis à disposition, qui doivent encore être négociés. Il faudra, ensuite, décider de la forme juridique que revêtiront le futur accord et les engagements de réduction qui en découleront. On peut s’attendre à ce que cette question fasse partie des grands enjeux politiques lors des futures négociations sur les changements climatiques (voir encadré 2

La forme juridique du futur régime climatique dans une impasse


La première période d’engagement au titre du Protocole de Kyoto, qui n’impose des objectifs de réduction juridiquement contraignants qu’aux pays industrialisés (à l’exception des États-Unisa), arrive à échéance fin 2012; il convient donc de conclure un accord approprié pour l’avenir. Depuis le plan d’action de Bali adopté en 2007, il est communément admis que les pays en développement doivent, eux aussi, mettre en œuvre des mesures de réduction appropriées, en fonction de leurs capacités, et que les pays industrialisés doivent soutenir leurs efforts aux plans financiers et techniques. Une question fait, par contre, polémique: les différents engagements pris par les pays industrialisés et les pays en développement doivent-ils être réglés dans le cadre d’un nouveau régime climatique global ou séparément? Cette deuxième option supposerait que les pays industrialisés continuent à s’engager au titre du Protocole de Kyoto, tandis que les pays en développement et les États-Unis bénéficieraient d’un ou de plusieurs régimes spéciaux dans le cadre de la Convention-cadre sur les changements climatiques. Les pays en développement sont unanimes à ce sujet: les pays industrialisés doivent continuer à s’engager pour réduire leurs émissions en adoptant des objectifs contraignants au titre du Protocole de Kyoto. Les pays émergents et en développement devraient-ils, eux aussi, prendre des mesures et se fixer des objectifs juridiquement contraignants pour réduire leurs émissions? Là encore, les avis divergent. Alors que l’Inde et la Chine s’y opposent vivement, les États-Unis soulignent qu’ils ne s’engageront en vertu du droit international public qu’à condition que la Chine prenne des engagements similaires. Au vu de la situation et compte tenu du fait que le Protocole de Kyoto couvre moins de 30% des émissions mondiales, la Russie et le Japon ont déclaré qu’ils ne prendraient en aucun cas de nouveaux engagements dans ce cadre au-delà de 2012. Ils exigent un nouveau régime global applicable aux principaux émetteurs de gaz à effet de serre. Quant aux pays en développement, ils menacent de faire obstacle aux négociations si une deuxième période d’engagement au titre du Protocole de Kyoto n’est pas adoptée avant la fin de cette année. Cette impasse sera au cœur des négociations cette année et aura une influence décisive sur l’ensemble du processus de négociations. Une chose est sûre: la conclusion des négociations menées dans le cadre du Protocole de Kyoto dépend largement du caractère obligatoire des réductions d’émissions des principaux émetteurs et de la forme juridique que prendra le futur régime climatique.

a Les États-Unis n’ont pas ratifié le Protocole de Kyoto et ont clairement signifié, dès le début des négociations relatives à la période s’étendant au-delà de 2012, qu’ils n’ont aucunement l’intention d’y adhérer.).La conférence de Cancún a également renforcé l’approche par le bas de la politique climatique internationale. Les conférences de Copenhague et de Cancún ont déclenché, dans le monde entier, une forte mobilisation des stratégies nationales et des mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. De nombreux pays – dont la Suisse, mais aussi de grands pays émergents comme la Chine – prennent de leur propre chef de plus en plus de mesures pour réduire leurs émissions, indépendamment de l’aboutissement d’un accord international. Ils ont non seulement pris conscience qu’une croissance durable oblige, à long terme, à favoriser un modèle économique à faible émission de carbone, mais les mesures en question sont appliquées avant tout là où elles répondent à des intérêts énergétiques et économiques. On peut s’attendre à ce que, dans le domaine du climat, la coopération régionale, bilatérale et multilatérale se renforce encore en dehors du cadre de l’ONU, notamment dans celui de la coopération au développement ou en lien avec les systèmes d’échanges de quotas d’émission. L’approche par le bas dans le domaine du climat se reflète aussi dans l’accord de Cancún, puisqu’il met l’accent sur des instruments et des procédés qui permettent d’améliorer le suivi, au niveau international, de la réalisation des objectifs nationaux de réduction. Les objectifs et les mesures de réduction des émissions formulés volontairement par plus de 140 pays suite à la conférence de Copenhague ont été inscrits dans le cadre de la convention. Ils ne sont, certes, pas encore juridiquement contraignants, mais les engagements pris par ces pays dans le cadre des mécanismes de mesure, de notification et de vérification contribuent à améliorer la transparence, la clarté et la comparaison des objectifs nationaux de réduction des émissions et de leur mise en œuvre.De leur côté, les pays en développement s’engagent également à utiliser avec davantage d’intensité ces instruments et à soumettre leurs rapports à la consultation et à l’appréciation de la communauté internationale, ce qui représente une avancée significative. En ce sens, la conférence de Cancún ouvre la voie à une meilleure participation des pays en développement aux efforts internationaux consentis en matière de préservation du climat. Une participation indispensable au vu des profils d’émission actuels, de la forte croissance économique attendue dans les pays émergents et de l’augmentation des émissions qui en découle.

Des engagements insuffisants pour maintenir le réchauffement climatique en dessous de 2° C


En revanche, un point d’interrogation demeure: comment combler le fossé qui se creuse entre les exigences scientifiques en matière de réduction des émissions – qui devrait être d’au moins 50% à l’échelle mondiale d’ici à 2050 – et la «realpolitik» actuelle qui privilégie l’approche par le bas? Plusieurs modèles
PNUE, The Emissions Gap Report: Are the Copenhagen Accord Pledges Sufficient to Limit Global Warming to 2° C or 1.5° C?, 2010; AIE, World Energy Outlook 2010. montrent que les objectifs de réduction annoncés par les pays industrialisés et en développement, à la suite de la conférence de Copenhague, ne suffiront pas pour atteindre l’objectif visant à maintenir le réchauffement de la planète sous la barre des 2° C. Pour combler cet écart, il sera notamment nécessaire de compléter l’approche par le bas, en parvenant à des compro-mis politiques sur la répartition des charges et la redistribution au niveau international, des questions qui vont de pair avec le relèvement des objectifs de réduction et le financement. Il faudra également renforcer la coopération internationale, afin d’encourager une réduction des émissions globalement plus efficiente. La Suisse a, par ailleurs, toujours avantage à sengager pour que tous les grands pays émetteurs prennent des engagements contraignants au plan international en matière de réduction démissions.

Encadré 1: Les points clés de l’accord de Cancún

Les points clés de l’accord de Cancún


1. Maintien du réchauffement de la planète sous la barre des 2° C et réévaluation périodique de cet objectif jusqu’en 2015 à la lumière des nouvelles connaissances scientifiques.2. Inscription des objectifs nationaux de réduction fixés par les pays industrialisés et les pays en développement dans le cadre de la convention de l’ONU et mise en place d’un système visant à améliorer la transparence dans les efforts individuels de réduction.3. Élaboration et renforcement de mécanismes internationaux de mesure, de notification et de vérification des efforts de réduction entrepris par les pays industrialisés et en développement.4. Création d’un registre recensant les objectifs de réduction visés par les pays en développement et les ressources financières mises à disposition dans le but de simplifier l’ajustement entre les besoins et les moyens.5. Confirmation de l’objectif visant à réunir, d’ici à 2020, 100 milliards d’USD pour financer les mesures d’atténuation et d’adaptation dans les pays en développement. Ce financement doit être assuré par des fonds aussi bien publics que privés.6. Création d’un Fonds vert pour le climat par lequel transitera une partie des 100 milliards d’USD.7. Mise sur pied d’un comité de transition afin de définir les modalités du Fonds vert pour le climat et d’élaborer des recommandations à l’intention de la Conférence des parties.8. Conception d’un cadre politique pour réduire les émissions provenant de la déforestation et de la dégradation des forêts dans les pays en développement.9. Mise en place d’un comité d’adaptation ayant pour mission de contribuer à la formulation de politiques relatives à l’adaptation aux changements climatiques.10. Adoption d’un mécanisme pour la technologie, composé d’un comité de la technologie et d’un centre et réseau de technologie climatique, afin de promouvoir le transfert de technologie dans les pays en développement.11. Conclusion, le plus rapidement possible, des négociations sur la deuxième période d’engagement au titre du Protocole de Kyoto afin d’éviter un vide après 2012.

Encadré 2: La forme juridique du futur régime climatique dans une impasse

La forme juridique du futur régime climatique dans une impasse


La première période d’engagement au titre du Protocole de Kyoto, qui n’impose des objectifs de réduction juridiquement contraignants qu’aux pays industrialisés (à l’exception des États-Unisa), arrive à échéance fin 2012; il convient donc de conclure un accord approprié pour l’avenir. Depuis le plan d’action de Bali adopté en 2007, il est communément admis que les pays en développement doivent, eux aussi, mettre en œuvre des mesures de réduction appropriées, en fonction de leurs capacités, et que les pays industrialisés doivent soutenir leurs efforts aux plans financiers et techniques. Une question fait, par contre, polémique: les différents engagements pris par les pays industrialisés et les pays en développement doivent-ils être réglés dans le cadre d’un nouveau régime climatique global ou séparément? Cette deuxième option supposerait que les pays industrialisés continuent à s’engager au titre du Protocole de Kyoto, tandis que les pays en développement et les États-Unis bénéficieraient d’un ou de plusieurs régimes spéciaux dans le cadre de la Convention-cadre sur les changements climatiques. Les pays en développement sont unanimes à ce sujet: les pays industrialisés doivent continuer à s’engager pour réduire leurs émissions en adoptant des objectifs contraignants au titre du Protocole de Kyoto. Les pays émergents et en développement devraient-ils, eux aussi, prendre des mesures et se fixer des objectifs juridiquement contraignants pour réduire leurs émissions? Là encore, les avis divergent. Alors que l’Inde et la Chine s’y opposent vivement, les États-Unis soulignent qu’ils ne s’engageront en vertu du droit international public qu’à condition que la Chine prenne des engagements similaires. Au vu de la situation et compte tenu du fait que le Protocole de Kyoto couvre moins de 30% des émissions mondiales, la Russie et le Japon ont déclaré qu’ils ne prendraient en aucun cas de nouveaux engagements dans ce cadre au-delà de 2012. Ils exigent un nouveau régime global applicable aux principaux émetteurs de gaz à effet de serre. Quant aux pays en développement, ils menacent de faire obstacle aux négociations si une deuxième période d’engagement au titre du Protocole de Kyoto n’est pas adoptée avant la fin de cette année. Cette impasse sera au cœur des négociations cette année et aura une influence décisive sur l’ensemble du processus de négociations. Une chose est sûre: la conclusion des négociations menées dans le cadre du Protocole de Kyoto dépend largement du caractère obligatoire des réductions d’émissions des principaux émetteurs et de la forme juridique que prendra le futur régime climatique.

a Les États-Unis n’ont pas ratifié le Protocole de Kyoto et ont clairement signifié, dès le début des négociations relatives à la période s’étendant au-delà de 2012, qu’ils n’ont aucunement l’intention d’y adhérer.

Proposition de citation: Kathrin Bucher (2011). Conférence de Cancún sur les changements climatiques: résultats et perspectives. La Vie économique, 01 janvier.