De la responsabilité sociale à la responsabilité macroéconomique: comment la crise a changé la dynamique des réputations
La crise des marchés financiers de 2008, la crise économique mondiale et la crise mondiale de l’endettement ont donné une place centrale au terme réputation dans le débat public. On constate que celui-ci a subi un véritable «boom» depuis que celle des banques de Wall Street, de certaines assurances, des agences de notation, des autorités de surveillance et de toute l’économie a subi des dommages sérieux, que ce soit dans les médias, le débat scientifique ou chez les consultants.La réputation possède, de fait, une fonction fondamentale pour l’économie et la société. Elle détermine tout particulièrement l’importance du contrôle social: plus la réputation d’une institution, d’une organisation ou d’une personne importante pour la société est ébranlée, plus on doit compenser ce vide par une réglementation formelle exécutable légalement et plus les organes étatiques doivent assumer de fonctions de surveillance.Il n’est dès lors pas surprenant que la fièvre de réglementation qui a marqué l’histoire économique récente soit née de crises qui ont mis à mal les réputations. Ainsi, on n’explique pas le Sarbanes-Oxley Act et toutes les règles concernant le gouvernement d’entreprise sans les scandales que constituaient les falsifications de bilan et les excès en matière de gestion au début du siècle. La crise des marchés financiers est la première responsable de la forte volonté de réglementation qui l’a accompagnée.La réputation n’assume pas seulement une fonction sociétale, elle a également un impact direct sur la gestion des entreprises. Lorsqu’elle est bonne, elle sert de rempart contre les nouveaux concurrents, elle simplifie le contact avec les clients, elle permet de recruter des collaborateurs capables, elle est un motif de satisfaction et de motivation pour les employés et elle facilite l’accès aux marchés de capitaux.Malgré son importance capitale, on constate que de nombreux acteurs publics n’ont qu’une compréhension lacunaire de la réputation, par exemple quand il s’agit de savoir où et à quel propos une réputation peut naître ou se désintégrer (voir encadré 1
Les dimensions de la réputation
La réputation se compose toujours de trois éléments, quel que soit la sphère considérée (politique, économie, science, etc):1. la réputation fonctionnelle mesure la façon dont une organisation sert les buts pour lesquels elle a été créée. La réputation est, à ce niveau, un signe de succès, de compétence spécialisée et de vraisemblance dans les actions menées tout au long de la fonction organisationnelle.2. La réputation sociale est soumise aux critères de la société. Elle indique si celui qui en est porteur a un comportement correct, légalement et moralement.3. La réputation expressive réflète la façon dont le profil d’un acteur apparaît comme convaincant, attrayant et authentique.
). En ce qui concerne sa gestion, les entreprises, les autorités et les autres acteurs de la vie publique se rapportent encore trop à leur in-tuition. Il manque, en particulier, des instruments pour saisir et valider la dynamique qui régit la réputation à long terme et qui permettraient de la gérer au profit de l’organi-sation.Cet article veut combler cette lacune, puisqu’il approche la question de la réputation en privilégiant sa dynamique à long terme. La procédure utilisée montre que la crise des marchés financiers et les secousses qui l’ont accompagnée ont fondamentalement modifié cette dynamique.
Gérer une réputation: où, quoi, comment?
1. Où: la réputation est directement liée à la communication publique. Elle naît ou s’effondre partout où des informations sur la confiance que l’on peut accorder à un acteur circulent dans les canaux de la communication publique, que ce soit dans les médias traditionnels ou sur Internet. Les instruments destinés à mesurer la dynamique de la réputation concernée doivent, dès lors, d’abord se concentrer sur la communication publique. C’est dans lespace public fabriqué par les médias qu’il faut agir avec les instruments appropriés avant que d’éventuels dyna-miques d’opinions dommageables ne pénètrent solidement les groupes qui ont confiance dans le sujet concerné.2. Quoi: la gestion de la réputation n’est pas un concours de beauté. Il s’agit davantage de maintenir la crédibilité de son organisation et de s’abstenir de tout ce qui peut saper son profil. Cette gestion peut être qualifiée d’exemplaire si elle prend en compte les critiques émises lorsque les attentes et les inclinaisons du public sont en contradiction avec la nature et l’évolution de l’organisation.3. Comment: entretenir une réputation demande des perspectives à long terme. Il n’y a rien qui endommage davantage la réputation que de suivre des tendances éphémères et mouvantes. Gérer une réputation signifie saisir et valider des dyna-miques qui se traduisent par une véritable progression à long terme, et adapter en conséquence le profil de l’organisation. Si un instrument approprié manque pour modeler une telle réputation, on court le danger d’ignorer les grandes tendances ou de mal les évaluer.Il existe, à ce niveau, un nouveau procédé de saisie à long terme appelé dynamique sédimentée de la réputation (voir encadré 2
Le MRRI et la réputation sédimentée
Le Memorizing Resonance-Reputation-Index (MRRI) sert à modéliser, dans son évolution historique, la réputation ancrée dans la mémoire collective. La procédure développée par l’entreprise commsLAB en collaboration avec le fög à l’université de Zurich permet de représenter l’évolution à long terme de la réputation sédimentée.Le MRRI tient compte du fait que ce sont surtout les événements qui ont une forte résonance à long terme (comme la crise des marchés financiers) qui commandent la dynamique de la réputation. Il se construit en comptabilisant les échos que les médias accordent au sujet avec les effets de valorisation qui en résultent.Le MRRI est un indicateur temporel. Il considère – sur une base quotidienne ou hebdomadaire – chaque fois la valeur de la période précédente en incluant un effet doubli. Il évolue sur une échelle qui va de +100 (résonances exclusivement positives) à –100 (résonances exclusivement négatives).
). Il sert à modéliser la perception que peut avoir la mémoire collective dans une perspective historique et évolutive d’une entreprise ou d’un autre acteur notoire. La méthodologie applique l’idée que la réputation ne s’identifie pas seulement à ses caractéristiques actuelles, mais aussi – dans une certaine mesure et à un moment précis – à celles du passé, lorsque l’attention du public a été sollicitée.Pour la crise des marchés financiers et celles qui lui ont succédé, il sagit précisément de collecter de tels résultats sous forme de résonances. Leurs effets à long terme sur les réputations seront présentés et discutés par la suite en se basant sur la procédure d’évaluation esquissée. Les informations concernant toutes les entreprises cotées au SMI et publiées dans les principaux médias suisses depuis 2008 ont été étudiées lors-quelles traitaient de la réputation. Premier constat: les entreprises du SMI relevant du secteur financier (voir graphique 1) ont influencé la dynamique de la réputation dans une mesure allant bien au-delà de limportance de leur capitalisation boursière effec-tive. Deuxième constat: la dimension sociale de la réputation a pris une importance massive dans les modèles d’interprétation de la «responsabilité macroéconomique».
La dynamique de la réputation s’est transformée avec le secteur financier
Le graphique 2 compare l’évolution sédimentée de la réputation des entreprises cotées au SMI et relevant de l’économie réelle (courbe bleue) avec celle du secteur financier (courbe orange). On a, de même, distingué entre les résonances des médias – exprimées en pourcentage – qui concernaient l’économie réelle (surface bleue) et celles qui s’adressait au secteur financier (surface orange). On a, en outre, intégré l’évolution des cours de la Bourse du SMI, le plus important indice en Suisse (courbe verte).La crise des marchés financiers – qui a principalement concerné Bear Stearns, Lehman Brothers et l’UBS – a fondamentalement modifié la dynamique de réputation dans l’opinion suisse. La branche des services financiers a été rendue responsable de l’ampleur de la crise. Ont fait scandale les réflexions à courte vue concernant les valeurs actionnariales, les modèles d’affaires à brève échéance, des politiques de risque irresponsables ainsi que la domination des produits dérivés auxquels il fallait «croire», comme à une maxime. La crise des marchés financiers a élargi l’écart qui séparait la réputation de l’économie réelle de celle du secteur financier ou, si l’on préfère, entre la place industrielle et la place financière. Actuellement, le fossé ne s’est pas encore refermé.La réputation des entreprises financières cotées au SMI a atteint son plus bas niveau le 26 février 2009 (-40), soit deux semaines avant le SMI (9 mars 2009 avec 4307,70 points). Durant cette période, la résonance sédimentée des médias concernait à 74% le secteur financier et à seulement 26% l’économie réelle.Cette transformation massive de la perception collective reste d’actualité, alors que la crise a été largement surmontée. Cela n’est pas sans conséquences: depuis l’éclatement de la crise, c’est le secteur financier qui détermine les attentes fondamentales du public, des analystes et des investisseurs en matière de prospérité économique. Contrairement à la capitalisation boursière effective du secteur financier, l’évolution de sa réputation forme un indicateur essentiel pour les performances du SMI. Cela montre que la dynamique de réputation de la branche financière est corrélée de façon très significative aux cours de la Bourse des entreprises cotées au SMI. Comme on le verra plus loin, cela ne se limite pas aux aspects économiques (fonctionnels), mais imprègne de plus en plus le contexte social (voir encadré 1
Les dimensions de la réputation
La réputation se compose toujours de trois éléments, quel que soit la sphère considérée (politique, économie, science, etc):1. la réputation fonctionnelle mesure la façon dont une organisation sert les buts pour lesquels elle a été créée. La réputation est, à ce niveau, un signe de succès, de compétence spécialisée et de vraisemblance dans les actions menées tout au long de la fonction organisationnelle.2. La réputation sociale est soumise aux critères de la société. Elle indique si celui qui en est porteur a un comportement correct, légalement et moralement.3. La réputation expressive réflète la façon dont le profil d’un acteur apparaît comme convaincant, attrayant et authentique.
).
De la responsabilité sociale à la responsabilité macroéconomique
Le graphique 3 compare l’évolution de la réputation sociale des entreprises cotées au SMI (courbe orange) avec la fonctionnelle (courbe bleue). On a, de même, distingué entre les informations contenues dans les médias – exprimées en pourcentage – qui se transformaient en résonance sociale (surface orange) et fonctionnelle (surface bleue). Les cours du SMI sont représentés ici aussi (courbe verte).La réputation sociale du SMI – toutes entreprises confondues – a atteint son plancher absolu le 14 juin 2010 avec une valeur de -66. À ce moment-là, l’attention sociale a grimpé au niveau record de 37% de toutes les contributions saisies (ou résonances). Cela signifie que la masse d’informations a progressé de 260% par rapport à la valeur plancher de mai 2008. Cette croissance se rap-porte en grande partie aux entreprises financières cotées au SMI (voir graphique 4): à la fin de la période d’étude (30 avril 2011), la proportion d’informations sociales les concernant était de 41%, alors qu’elle n’était que de 19% pour les entreprises relevant de l’économie réelle.Cela montre donc que la proportion de résonance sociale – soit l’ensemble des informations dans lesquelles apparaissent les entreprises sous leurs aspects social, moral ou réglementaires – est devenue de plus en plus importante depuis la mi-2008, en particulier à partir de 2010.La réputation sociale n’évolue pas seulement au plan quantitatif, elle est aussi exposée à des changements fondamentaux dans la signification de son contenu. Lidée que la crise des marchés financiers a conduit l’économie nationale aux limites de la ruine – comme en Islande et en Irlande – a accru l’attente placée non seulement dans les banques, mais d’une façon générale dans les entreprises, afin qu’elles assument leurs «responsabilités macroéconomiques». La responsabilité sociale a été reformulée dans le sens quelle consiste en premier lieu, pour les entreprises, à servir l’économie de leur pays et à la préserver de tout dommage. Cette attente transparaît dans le fait que des indicateurs comme la puissance fiscale, le paiement de dividendes ou l’évolution du prix des actions – donc des indicateurs de gestion dont chaque place économique peut profiter, de même que l’ensemble de la société, car servant la prévoyance – ont nettement gagné en importance en tant que moteur de réputation. La «responsabilité macroéconomique» réinterprète en même temps la responsabilité sociale dans le sens où celle-ci doit être absolument liée à des compétences économiques pour sembler crédible. Il ne s’agit pas d’accomplir une œuvre de charité ou d’utilité publique quelconque, mais de mettre d’abord son efficacité économique et ses compétences au service de l’économie nationale ainsi que du pays d’hébergement de l’entreprise. La réputation sociale – comprise comme une responsabilité macroéconomique – n’est pas seulement une «option», elle influence très directement les attentes économiques: cela se retrouve nettement dans l’évolution du SMI qui n’a guère profité depuis la mi-2010 de la dynamique positive des réputations fonctionnelles. Il faut en chercher la raison dans l’évolution de la réputation sociale qui reste fortement négative, en raison des attentes économiques – notamment au niveau du secteur bancaire – qui servent trop peu la perception collective et se transforment sous l’effet du discours régulatoire.
Conclusion
Cet instrument permettant de saisir la dynamique de communication à long terme – et sur lequel se base cet article – montre que la crise des marchés financiers de 2008 puis ses soubresauts ont profondément transformé la dynamique de la réputation. Celle orientée vers la fonction, qui se basait sur la performance économique, essentielle aux entreprises, a perdu de son importance au profit d’attentes très larges au plan social.Cette opinion commune à l’ensemble de la société est devenu un moteur de réputation essentiel pour toutes les branches économiques. Elle dépend, cependant, encore largement de facteurs extérieurs à lentreprise. Dans la société, ce sont surtout les acteurs politiques et les responsables de la réglementation qui déterminent la dynamique de la réputation. La «reprise économique» n’a guère permis aux entreprises de marquer des points. L’industrie horlogère suisse forme, toutefois, une exception, puisqu’après la crise sévère subie durant les années septante et quatre-vingt, elle a réussi à lier durablement ses activités aux intérêts nationaux. La réputation socioéconomique de la majorité des autres branches économiques a, par contre, peu évolué.Il est donc nécessaire que les entreprises renforcent de façon importante leurs activités vis-à-vis de l’ensemble de la société et qu’elles influencent en toute autonomie leur réputation sociale. Pour y parvenir – et donc pour récupérer une plus grande marge de manœuvre –, les entreprises peuvent adopter des pratiques commerciales qui se basent sur le principe de «responsabilité macroéconomique». Il s’agit pour elles de mettre leurs compétences au service de leurs places économiques. Cette attitude n’a pas seulement le don d’améliorer les réputations; elle augure de sérieux avantages économiques.Comme on l’a vu, l’écart se creuse entre la la réputation fonctionnelle et le cours de la Bourse des entreprises cotées au SMI depuis 2010. Chaque thématique sociale agit actuellement comme un frein sur le cours des entreprises qui ne s’y intéressent pas activement. Une responsabilité macroéconomique fortement assumée peut être un moyen efficace pour consolider durablement sa réputation. Elle peut également permettre de refermer l’écart déjà signalé et donc de dégager des potentiels économiques supplémentaires.
Graphique 1: «Entreprises du SMI: capitalisation boursière contre résonance sédimentée»
Graphique 2: «Évolution de la réputation des entreprises cotées au SMI, économies réelle et financière»
Graphique 3: «Évolution de la réputation sédimentée des entreprises cotées au SMI: fonctionnelle/sociale»
Graphique 4: «Répartition sédimentée des résonances, économies réelle et financière, 30 avril 2011»
Encadré 1: Les dimensions de la réputation
Les dimensions de la réputation
La réputation se compose toujours de trois éléments, quel que soit la sphère considérée (politique, économie, science, etc):1. la réputation fonctionnelle mesure la façon dont une organisation sert les buts pour lesquels elle a été créée. La réputation est, à ce niveau, un signe de succès, de compétence spécialisée et de vraisemblance dans les actions menées tout au long de la fonction organisationnelle.2. La réputation sociale est soumise aux critères de la société. Elle indique si celui qui en est porteur a un comportement correct, légalement et moralement.3. La réputation expressive réflète la façon dont le profil d’un acteur apparaît comme convaincant, attrayant et authentique.
Encadré 2: Le MRRI et la réputation sédimentée
Le MRRI et la réputation sédimentée
Le Memorizing Resonance-Reputation-Index (MRRI) sert à modéliser, dans son évolution historique, la réputation ancrée dans la mémoire collective. La procédure développée par l’entreprise commsLAB en collaboration avec le fög à l’université de Zurich permet de représenter l’évolution à long terme de la réputation sédimentée.Le MRRI tient compte du fait que ce sont surtout les événements qui ont une forte résonance à long terme (comme la crise des marchés financiers) qui commandent la dynamique de la réputation. Il se construit en comptabilisant les échos que les médias accordent au sujet avec les effets de valorisation qui en résultent.Le MRRI est un indicateur temporel. Il considère – sur une base quotidienne ou hebdomadaire – chaque fois la valeur de la période précédente en incluant un effet doubli. Il évolue sur une échelle qui va de +100 (résonances exclusivement positives) à –100 (résonances exclusivement négatives).
Proposition de citation: Eisenegger, Mark; Kuenstle, Daniel (2011). De la responsabilité sociale à la responsabilité macroéconomique: comment la crise a changé la dynamique des réputations. La Vie économique, 01. juillet.