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Comment réformer les finances publiques des pays en développement?

Comment réformer les finances publiques des pays en développement?

L’espoir d’une société meilleure ne saurait se concrétiser lorsque les finances publiques sont en mauvais état. À l’inverse, des finances solides sont à la fois une condition essentielle de réussite des programmes publics d’investissement et une garantie de financement du système éducatif. Avoir et, encore mieux, garder de bonnes finances publiques n’est pas chose facile, certains exemples actuels des bords de la Méditerranée le montrent bien. Il existe néanmoins des approches susceptibles d’aider les pays en développement à maîtriser leurs finances.

Des finances publiques saines sont importantes, surtout pour les pays en développement


Les finances publiques sont un facteur important, si ce n’est primordial, de bonne gouvernance économique (voir encadré 1

Abécédaire des finances publiques


Que faut-il entendre par finances publiques? Il s’agit, d’une manière générale, des divers instruments et procédures nécessaires à la mobilisation, à l’allocation et à l’usage des fonds publics. En font partie la politique d’encaissement et de dépenses, mais aussi la gestion de la dette, la passation des marchés publics, l’établissement des comptes et les rapports de gestion, le contrôle interne et externe, ainsi que les accords existants entre différents niveaux de gouvernement, autrement dit la décentralisation budgétaire et la péréquation financière. Les systèmes de finances publiques performants permettent en tout temps un aperçu intégral et fiable du budget. Ils soutiennent la discipline budgétaire et offrent le moyen de respecter les priorités budgétaires. Des finances transparentes permettent plus facilement à un gouvernement de rendre compte de ses actionsa.

a Voir CAD/OCDE, Harmonising Donor Practices for Effective Aid Delivery, vol. 2: Budget Support, Sector Wide Approaches and Capacity Development in Public Financial Management, DAC Guidelines and Reference Series, 2006.). À l’instar des individus, les États ne peuvent pas vivre longtemps au-dessus de leurs moyens sans que leur existence n’en souffre. Les citoyens devront, tôt ou tard, payer (et chèrement) pour l’endettement excessif, l’inflation nationale ou les déficiences du système fiscal. L’instabilité (souvent politique), la baisse des investissements, l’évasion fiscale ou la dégradation des infrastructures sont les habituelles conséquences du dilettantisme dans la gestion des finances publiques
Les effets de systèmes fiscaux distorsifs ou de dépenses publiques improductives sont connus depuis longtemps. Voir Barro J.R., «Government spending in a simple Model of Endogenous Growth», Journal of Political Economy, 98 (1), p. 103–117; avec les résultats d’un panel de 22 pays de l’OCDE, sur la période 1970-1995.. Après la récente crise financière, il est évident qu’aucun pays, même industrialisé, ne peut plus ignorer les effets à moyen terme de mauvaises décisions en matière de politique financière.L’importance des finances publiques solides ne doit pas seulement apparaître à la lumière d’une évaluation ex-post, il faut aussi travailler ex-ante. La situation des finances publiques détermine très largement la marge de manœuvre dont dispose un pays pour offrir un site attractif et s’assurer une croissance durable
Un fort endettement ou une faible capacité financière limitent automatiquement les possibilités d’optimisation du pilotage des entreprises, d’accroissement des investissements publics dans les infrastructures ou de développement des services de santé publique.. Parce que la marge de manœuvre financière des pays en développement est généralement étroite, il leur est d’autant plus nécessaire d’accorder l’allocation des ressources à leurs possibilités éco-nomiques. Ce n’est faisable qu’à partir du moment où l’administration des finances possède les connaissance nécessaires et qu’elle est capable de définir de manière indépendante divers scénarios économiques nationaux. Cela suppose donc une bonne gestion des finances publiques.Dans les pays en développement, la qualité des finances publiques a d’autant plus d’importance qu’elle détermine l’efficacité des politiques dans la lutte contre la pauvreté. Une bonne gestion financière ne peut que favoriser l’exploitation judicieuse des ressources disponibles en ce sens et donner corps aux programmes et projets qui ont les meilleures chances de succès. Elle permet non seulement de canaliser les ressources en fonction des priorités budgétaires établies, mais encore de contrôler l’affectation des fonds et la réalisation des objectifs et de procéder en temps voulu aux adaptations qui s’imposent. Une comptabilité transparente et des comptes de résultats compréhensibles pour le grand public permettent de débattre sérieusement de l’affectation judicieuse des ressources, au plus grand profit de la responsabilité sociale.

Réformer, oui, mais comment?


En théorie, la réponse est simple: il suffit d’identifier les points faibles du système, de tomber d’accord sur un programme répondant aux priorités énoncées plus haut et de mettre en œuvre les réformes. Dans la pratique évidemment, le tableau est tout autre: de nombreux pays peinent à se faire une image claire à partir des analyses menées par différentes entités comme la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) ou des donateurs bilatéraux. Les protagonistes n’arrivent pas à s’entendre sur un programme de réforme. Les uns veulent introduire une planification budgétaire à moyen terme avant de résoudre les problèmes de fond du processus budgétaire, les autres donnent la priorité absolue à l’installation d’un système informatique automatisé pour la gestion financière, même si certaines données importantes comme la liste complète des fonctionnaires font défaut. Enfin, la mise en œuvre manque singulièrement de coordination, au point que les ressources déjà limitées sont utilisées de manière peu judicieuse, voire erronée. L’économie politique joue un rôle décisif dans le processus de réforme. Les intérêts concurrents autant que les incitations pour ou les freins à l’initiative individuelle déterminent la direction et l’intensité du train de réformes.

Le rôle pionnier de la Suisse


La Suisse a reconnu très tôt l’importance que revêtent des finances publiques saines et une bonne gestion financière dans le succès d’une stratégie de croissance et de lutte contre la pauvreté. Aussi, le Secrétariat d’État à l’économie (Seco) considère-t-il depuis des années l’assistance technique financière comme un élément majeur de sa coopération au développement économique. Le poids grandissant de l’aide publique au développement incite aussi la vaste communauté des donateurs à accorder de plus en plus d’attention aujourd’hui à l’état des finances publiques des pays bénéficiaires
Selon le CAD de l’OCDE, les donateurs ont investi dix fois plus en 2007 qu’en 1995 dans des programmes de soutien aux finances publiques (85,1 millions d’USD en 1995, 930,6 millions en 2007).. De même, lactuel débat sur l’efficacité de la coopération au développement et sur l’agenda de la Déclaration de Paris a contribué à donner plus d’importance, ces dernières années, à la bonne organisation des finances publiques.

La position du Seco sur la réforme des finances publiques


Le Secrétariat d’État à l’économie a conscience des défis et tente, dans son ap-proche pour la réforme des finances publiques, de miser sur l’expérience et sur des pratiques générales éprouvées dans l’aide aux pays en développement (voir graphique 1). Voici, tout au long du processus de réforme, quelques principes et éléments distinctifs de cette approche.Une plate-forme d’information commune est, tout dabord, nécessaire. Le Seco encourage l’utilisation de la méthodologie Pefa
Public Expenditure and Financial Accountability («Dépenses publiques et responsabilité financière»). Il s’agit d’une méthodologie de dimension internationale offrant un outil de diagnostic pour mesurer la qualité des systèmes de gestion des finances publiques. Institué en 2001, le programme Pefa est soutenu par la Banque mondiale, la Commission européenne, la Grande-Bretagne, la Suisse (Seco), la Norvège, la France et le Fonds monétaire international. en tant que première source d’information pour aboutir à une compréhension similaire des problèmes de finances publiques et éviter les asymétries d’information. Pefa travaille avec un nombre limité d’indicateurs clairement définis permettant de représenter la gestion des finances publiques dans son ensemble. Elle a déjà servi dans de nombreux pays, y compris en Suisse (voir graphique 2) et est considérée comme un instrument important dans les discussions suscitées par le programme de réforme, parce que basée sur la preuve. Pefa ne fournit, cependant, aucune information sur les capacités existantes en matière de gestion des finances publiques et ne donne que peu d’indications sur les blocages institutionnels. Il ne contient pas davantage de recommandations concernant les réformes. Comme il s’agit d’une représentation générale, d’autres analyses plus détaillées peuvent être nécessaires – par exemple dans des domaines particuliers (impôts) ou à d’autres niveaux (secteur) – pour se faire une idée plus précise des besoins en matière de ré- forme. Deux exigences doivent être remplies pour pouvoir utiliser Pefa et d’autres outils d’analyse dans un dialogue traitant des ré-formes: d’abord, les pays partenaires doivent s’impliquer de manière autonome et déterminante dans les analyses, indépendamment d’une éventuelle validation externe; ensuite, le résultat des analyses doit être accessible au public.Le dialogue concernant les réformes doit être ouvert et les plans qui les concernent doivent être réalistes. Même si les méthodes de diagnostic telles que Pefa donnent une image précise des problèmes dans les finances publiques, obtenir l’accord de tous les acteurs impliqués à un vaste programme de réforme reste souvent un long processus. Il ne faut donc pas sous-estimer les défis à surmonter lors de l’élaboration des plans de réforme. Fixer des priorités et établir un agenda sont deux processus indispensables dont les contours apparaissent souvent flous dans la pratique; il n’existe, pourtant, pas de recette miracle. La Suisse s’engage dans ce dialogue sans parti pris ni intentions cachées, mais avec un savoir-faire technique, de la sensibilité politique et une compréhension contextuelle pour chaque pays. Les points identifiés par Schiavo-Campo (voir encadré 2

Idées conductrices pour la définition des plans d’action


Sur le plan de la gouvernance

(niveaux macro, méso ou micro):– L’action peut-elle mener à plus de transparence fiscale?– L’action peut-elle renforcer la reddition des comptes?– L’action peut-elle renforcer la suprématie du droit?– Y a-t-il de bonnes chances que l’action ouvre de nouvelles possibilités de participation?

Sur le plan technique:

– La réforme va-t-elle améliorer la discipline fiscale et le contrôle des dépenses?– La réforme va-t-elle permettre d’allouer les ressources en accord avec les politiques, ou d’élaborer des stratégies sectorielles adéquates?– La réforme améliore-t-elle la flexibilité de la gestion budgétaire dans les limites des dépenses existantes?– La réforme appuie-t-elle la gestion axée sur les objectifs?

Sur le plan des capacités:

– La réforme est-elle compatible avec les règles formelles et informelles, voire peut-elle contribuer à les améliorer?– Est-elle compatible avec la structure d’incitation (pas uniquement matérielle) ou est-il probable que les changements dont dépend la réforme puissent être adoptés?– L’organisation de l’institution chargée de la mise en œuvre est-elle appropriée, ou pour le moins neutre, ou alors est-il réaliste de pouvoir l’adapter?– La réforme présente-t-elle des liens étroits avec la communication et l’échange d’informations et quelles améliorations spécifiques des données faut-il prendre en considération pour satisfaire les nouveaux besoins des utilisateurs?– Quels sont les types de formation requis pour mettre en place la réforme?

) servent d’idées conductrices pour évaluer l’adéquation des réformes visées.L’application doit faire l’objet d’une responsabilité propre et le soutien technique doit être coordonné. Des compétences claires, de la responsabilité propre et de bonnes incitations de la part des pays partenaires sont incontournables pour une mise en œuvre réussie des réformes. À cela s’ajoute la nécessité d’établir des mécanismes de coordination qui fonctionnent et qui englobent tant les institutions concernées que les donateurs actifs. Malgré tout, il convient de rester prudent à l’égard des mécanismes de coordination complexes et astreignants car, au final, ils augmentent le coût des transactions, mais pas l’efficacité. Quelques exemples de programmes de réforme exhaustifs tels que le Public Financial Management Reform Program en Tanzanie prouvent que les projets de grande envergure n’ont pas nécessairement plus de succès que les petits. Le Seco préconise le recours aux systèmes et démarches programmatiques nationaux, mais se montre flexible lorsqu’il s’agit d’utiliser d’autres modèles là où des capacités locales l’exigent.Il faut une reddition de comptes et un équilibre des pouvoirs. Les réformes des finances publiques doivent être menées sous la pression de la propre population et non des partenaires externes. Pour le Seco, l’obligation de rendre des comptes imposée à l’interne prime donc celle venant de l’extérieur. L’information transparente à tous les échelons de la gestion des finances publiques est essentielle pour le progrès ou la consolidation de la réforme; elle doit aussi être liée à des mécanismes de contrôle efficaces ainsi qu’aux options judiciaires prévues pour la poursuite d’actions irrégulières. Alors seulement les décisions politiques peuvent être examinées à la loupe. En 2007, par exemple, l’organisme de contrôle suprême du Nicaragua, la Contraloría General de la República, avait pu, à l’instigation des donateurs engagés dans l’aide budgétaire et pour la première fois de son histoire, présenter au Parlement une révision externe complète du budget, déclenchant un débat animé sur l’utilisation de ce dernier. En raison de l’arrivée au pouvoir du gouvernement Ortega, l’exercice n’a jamais été reconduit.

Du diagnostic à la réforme au Pérou


En 2008, le gouvernement péruvien s’est déclaré prêt à soumettre son administration des finances publiques à une étude comparative qui suivrait la méthode Pefa. Personne ne pensait à cette époque que cela constituerait le point de départ d’une réforme en profondeur.Comment cela a-t-il été possible? Après que les résultats de l’étude aient été connus et que la communauté des donateurs ait fait pression pour qu’on élabore une stratégie d’ensemble destinée à réformer l’administration publique des finances, le gouvernement s’est accordé une pause pour réfléchir aux prochaines étapes. Il a réuni une petite commission d’experts au ministère des Finances et lui a demandé de développer une vision à moyen terme (2011–2015) sur le sujet. C’est ainsi qu’est né le Programme pour une amélioration continuelle des finances publiques (Programa de Mejoramiento Contínuo de Finanzas Públicas PMC), qui listait les réformes à mettre en œuvre ainsi que celles qui devront l’être plus tard.Le gouvernement péruvien, dans sa volonté d’aboutir, a réussi à mobiliser près de 20 millions d’USD par an pour financer les différentes réformes. Un soutien leur a été accordé sous la forme d’une plateforme coordonnée correspondant à deux facilités de financement complémentaires (une pour les petites initiatives et lautre pour les projets de plus grande importance réalisables à moyen terme), ce qui a permis au Seco de participer pour quelque 6 millions d’USD et de lancer d’autres donateurs dans l’aventure.Il est urgent de réformer les finances publiques en profondeur, cela personne ne le conteste. C’est pourquoi l’on s’attend à ce que le nouveau gouvernement péruvien les reprenne à son compte et applique l’agenda prévu. La consolidation de la discipline fiscale, les améliorations destinées à l’allocation stratégique des ressources et les progrès dont devraient bénéficier la qualité des services publiques seront décisifs pour le gouvernement d’Ollanta Humala, s’il veut tenir ses promesses électorales.

Conclusion


Des finances publiques saines n’offrent aucune garantie quant à la qualité des services publics, mais représentent une condition essentielle à leur fourniture et surveillance. L’aide du Seco à la coopération économique avec les pays en développement soutient donc en priorité les réformes visant les fi-nances publiques. Elle doit cependant être considérée comme un moyen, l’objectif suprême restant l’amélioration des services publics pour un développement durable.

Graphique 1: «Approche du Seco concernant les réformes des finances publiques»

Graphique 2: «Application de la méthodologie Pefa dans le monde»

Encadré 1: Abécédaire des finances publiques

Abécédaire des finances publiques


Que faut-il entendre par finances publiques? Il s’agit, d’une manière générale, des divers instruments et procédures nécessaires à la mobilisation, à l’allocation et à l’usage des fonds publics. En font partie la politique d’encaissement et de dépenses, mais aussi la gestion de la dette, la passation des marchés publics, l’établissement des comptes et les rapports de gestion, le contrôle interne et externe, ainsi que les accords existants entre différents niveaux de gouvernement, autrement dit la décentralisation budgétaire et la péréquation financière. Les systèmes de finances publiques performants permettent en tout temps un aperçu intégral et fiable du budget. Ils soutiennent la discipline budgétaire et offrent le moyen de respecter les priorités budgétaires. Des finances transparentes permettent plus facilement à un gouvernement de rendre compte de ses actionsa.

a Voir CAD/OCDE, Harmonising Donor Practices for Effective Aid Delivery, vol. 2: Budget Support, Sector Wide Approaches and Capacity Development in Public Financial Management, DAC Guidelines and Reference Series, 2006.
Encadré 2: Idées conductrices pour la définition des plans d’action

Idées conductrices pour la définition des plans d’action


Sur le plan de la gouvernance

(niveaux macro, méso ou micro):– L’action peut-elle mener à plus de transparence fiscale?– L’action peut-elle renforcer la reddition des comptes?– L’action peut-elle renforcer la suprématie du droit?– Y a-t-il de bonnes chances que l’action ouvre de nouvelles possibilités de participation?

Sur le plan technique:

– La réforme va-t-elle améliorer la discipline fiscale et le contrôle des dépenses?– La réforme va-t-elle permettre d’allouer les ressources en accord avec les politiques, ou d’élaborer des stratégies sectorielles adéquates?– La réforme améliore-t-elle la flexibilité de la gestion budgétaire dans les limites des dépenses existantes?– La réforme appuie-t-elle la gestion axée sur les objectifs?

Sur le plan des capacités:

– La réforme est-elle compatible avec les règles formelles et informelles, voire peut-elle contribuer à les améliorer?– Est-elle compatible avec la structure d’incitation (pas uniquement matérielle) ou est-il probable que les changements dont dépend la réforme puissent être adoptés?– L’organisation de l’institution chargée de la mise en œuvre est-elle appropriée, ou pour le moins neutre, ou alors est-il réaliste de pouvoir l’adapter?– La réforme présente-t-elle des liens étroits avec la communication et l’échange d’informations et quelles améliorations spécifiques des données faut-il prendre en considération pour satisfaire les nouveaux besoins des utilisateurs?– Quels sont les types de formation requis pour mettre en place la réforme?

Proposition de citation: Monica Rubiolo (2011). Comment réformer les finances publiques des pays en développement. La Vie économique, 01 juillet.