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Grands projets d’infrastructures de transport: coûts et bénéfices

Une bonne infrastructure des transports passe pour être indispensable au développement économique des régions. En considérant l’ouverture du tronçon de l’autoroute A3 Birrfeld-Frick et la nouvelle ligne ferroviaire Mattstetten-Rothrist, une étude a examiné si l’amélioration de l’accessibilité avait des effets sur la croissance au niveau régional et dans quelle mesure. Cette analyse longitudinale a porté sur la période 1985–2011. Elle a mis en évidence des gains de productivité, mais ceux-ci dépendent du type de région et de la structure de l’économie locale. À elle seule, l’amélioration de l’accessibilité n’est pas un gage de réussite.

Situation initiale et définition des tâches


On prévoit que la population et l’économie suisse connaîtront une période de croissance ces prochaines années. De ce fait, la demande de trafic augmentera, tant sur le rail que sur la route. Aux heures de pointe, le réseau est toujours plus sollicité. Il en résulte des embouteillages et des trains bondés qui arrivent en retard. L’accessibilité des centres économiques s’en trouve particulièrement réduite. Pour la maintenir ou l’améliorer, il convient de construire de nouvelles infrastructures de transport, ce qui implique des coûts élevés d’investissements, d’exploitation et d’entretien.L’utilité des nouveaux projets d’infrastructures se mesure notamment au moyen d’analyses coûts-avantages. Au niveau fédéral, on applique aujourd’hui systématiquement les méthodes d’évaluation Nistra (Ofrou, 2010) et Niba (OFT, 2010), qui comprennent une telle analyse. Ces processus, basés sur l’économie du bien-être, sont lar-gement développés et s’appliquent égale-ment aux projets actuels, comme l’élimination des goulets d’étranglement sur le réseau routier ou le programme de développement stratégique de l’infrastructure ferroviaire. Ils permettent de comparer les coûts avec les effets écologiques, économiques et sociaux. Le principal avantage économique est la réduction de la durée du trajet, qui se traduit pour les usagers par un gain financier. En revanche, les impacts sur l’emploi et la valeur ajoutée – dus par exemple à l’élargissement du marché ou à l’effet d’agglomération – ne font pas explicitement partie de l’analyse coûts-avantages. Ils sont pris en compte comme des bénéfices indirects – dérivés de ceux que le gain de temps apporte aux usagers – ou tout au plus comme des indicateurs qualitatifs. L’analyse vise donc à évaluer les avantages pour le système des transports, l’individu et la société, plutôt que les effets sur l’ensemble de l’économie et ses structures.Cependant, les réflexions sur la politique de croissance accordent de plus en plus de place aux grands projets d’infrastructures dans le domaine des transports. Mandatés par le Secrétariat d’État à l’économie (Seco), les auteurs de cet article ont étudié deux grands projets déjà réalisés, afin de déterminer si l’amélioration de l’accessibilité s’est répercutée sur la croissance de l’économie, l’emploi et la valeur ajoutée brute au niveau régional, et ce dans quelle mesure. Ils ont également examiné les effets durant la phase de construction et les ont consigné dans un rapport
Bruns F. et Buser B., Produktivität und Finanzierung der Verkehrsinfrastrukturen, Kosten und Nutzen von grossen Verkehrsinfrastrukturprojekten, étude sur mandat du Secrétariat d’État à l‘économie SECO, Strukturberichterstattung n° 48/4, Berne, 2011..

Le choix des projets et des régions


Les effets spatiaux des grands projets d’infrastructures dans le domaine des transports présentent des différences fondamentales. Dans le trafic routier, les améliorations ont généralement un impact sur l’ensemble du territoire concerné, tandis que l’accélération des liaisons ferroviaires profite plus particulièrement aux centres urbains. C’est pourquoi l’étude a porté sur deux grands projets, l’un routier, l’autre ferroviaire: 1. Le tronçon de l’autoroute A3 entre Birrfeld et Frick, long de 19 km, a été ouvert au trafic en 1996. Les coûts de construction de cette section, qui comporte plusieurs tunnels, un viaduc et d’innombrables mesures de compensation, se sont élevés à 1,1 milliard de francs.2. Les 45 km de ligne ferroviaire reliant Mattstetten à Rothrist ont été l’un des chantiers phare de Rail 2000. Leur construction a coûté 1,7 milliard de francs. Depuis le changement d’horaire de décembre 2005, les trains circulent sur ce tronçon à une vitesse pouvant atteindre 200 km/h.Dans ces deux cas, les lieux de départ et de destination des usagers ont été identifiés à l’aide du modèle national de trafic voyageurs que l’ARE a élaboré pour l’année 2005
Voir ARE (2011).. Ils sont classés selon les régions suisses MS et les zones européennes Nuts-2. Nous avons défini les 24 régions MS dont la participation au trafic sur le tronçon Birrfeld-Frick atteint au moins 0,3%. Elles sont responsables d’environ 86% des trajets effectués sur les sections examinées. Pour le rail, la valeur seuil a été fixée à 1%. Les régions MS concernées, éga-lement au nombre de 24, regroupent 80% de la demande sur la ligne MattstettenRothrist. Les zones étudiées figurent dans le graphique 1.Ce graphique met clairement en évidence l’impact étendu de l’autoroute. En ce qui concerne la ligne à grande vitesse Mattstetten-Rothrist, par contre, les effets n’ont été que partiels dans la zone étudiée. Les principales bénéficiaires sont les régions MS organisées autour des grandes villes tout au long de l’axe Est-Ouest entre Saint-Gall et Genève.

Les méthodes de l’analyse longitudinale


Dans le cadre de cette analyse longitudinale, on a calculé l’accessibilité réciproque des différentes régions MS pour les années 1986, 1991, 1997, 2005 et 2011. La notion d’accessibilité correspond à la somme des lieux d’habitation et des emplois qui peuvent être atteints à partir d’une région. Les lieux d’habitation et les emplois sont ajoutés au calcul en les pondérant en fonction de leur proximité temporelle. Pour le rail, on a tenu compte non seulement de la durée du parcours, mais également de la fréquence des liaisons, exprimée en bonus-temps
Ce calcul s’est basé sur la norme SN 641 822a relative aux coûts horaires du transport de personnes.. Le graphique 1 montre la modification de l’accessibilité entre les régions étudiées durant la période qui a suivi louverture des deux tracés.Les effets qu’ont eus les modifications de l’accessibilité au fil du temps sur l’emploi et sur la valeur ajoutée brute par salarié au niveau régional ont été analysés. Avec une période d’observation de 25 ans et 24 régions MS pour chaque projet, les données disponibles ne suffisent pas à établir une statistique analytique cohérente. C’est là une différence de taille par rapport à une analyse transversale comparative
Voir l’article d’Urs Müller et Claudio Segovia à la page 13 de ce numéro..La présente analyse longitudinale relative à l’emploi et à la valeur ajoutée brute se base sur la comparaison des processus de développement, sur des diagrammes de dispersion entre des taux de modification de variables supposées dépendantes (emplois ou productivité) et d’autres indépendantes (accessibilité), sur des données cartographiques et sur une analyse «shift». Certains aspects fondamentaux du développement régional ne se mesurent souvent que sur le plan qualitatif. C’est pourquoi il a fallu compléter l’analyse par des entretiens. La méthode du tripode, proposée par l’Office fédéral du développement territorial (ARE), est d’une grande utilité pour l’analyse qualitative
Voir ARE (2007)..

L’impact des modifications de l’accessibilité


L’évolution générale de l’emploi présente peu de corrélations avec l’amélioration de l’accessibilité. Dans ce domaine, l’étude n’a montré aucune modification qui refléterait l’augmentation de l’accessibilité, ni pendant de courtes périodes juste avant ou juste après l’ouverture du chantier, ni sur une durée d’observation de 25 ans. Au contraire, de nombreuses régions ont même perdu des emplois depuis la mise en service des tronçons étudiés. Cela s’expliquerait principalement par un changement structurel économique de grande ampleur. Dans bien des régions, le recul enregistré sur le marché du travail s’est toutefois révélé plus faible que ce que l’on pouvait attendre, compte tenu des structures économiques préexistantes.Ce constat est le résultat d’une analyse «shift» qui a comparé l’évolution de l’emploi et de la productivité dans les 24 régions MS avec celle des structures nationales. Concrètement, l’analyse «shift» part de ces deux variables dans la situation initiale et de leur taux national de croissance dans les diffé-rents secteurs économiques. Elle calcule l’évolution hypothétique des régions, puis confronte les valeurs obtenues avec l’évolution effective. Pour une majorité des zones étudiées, on a enregistré des écarts positifs par rapport à l’hypothèse, ce qui laisse supposer une amélioration des facteurs locaux. Cette méthode ne permet toutefois pas de déterminer les éléments qui y ont contribué et de quelle manière. Il est très probable que l’amélioration de l’accessibilité ait une influence positive directe et indirecte sur les facteurs locaux.Au cours d’entretiens consacrés à la situation le long de l’A3 dans le Fricktal, des experts ont mentionné diverses transformations qui ont renforcé l’attrait de la région. Nombre d’entre elles ont un lien indirect avec l’accessibilité. Ainsi, l’allégement du trafic à l’intérieur des agglomérations a eu pour effet d’améliorer la qualité de vie dans les zones d’habitation et d’augmenter la demande de logements. Dans cette région où la croissance démographique a atteint en moyenne 1,5% par an entre 1986 et 2008, la demande locale de services s’est également accrue, ce qui a créé des emplois. L’amélioration de l’accessibilité a incité certaines communes à aménager des zones industrielles et commerciales. Étant donné que l’A3 avait été conçue en premier lieu pour alléger le trafic de transit dans les localités, et non pour améliorer la desserte, ce n’est que quelque temps après sa mise en service que l’on a véritablement intégré dans le calcul de la planification les effets régionaux sur l’accessibilité. Selon les experts, cette approche s’est intensifiée après la construction du tunnel de Baregg, qui a résolu les problèmes de bouchons sur le tronçon adjacent de l’autoroute A1. Un autre aspect doit être pris en considération: l’émergence de nouvelles liaisons routières et économiques s’étend sur de très longues pé- riodes. Le tronçon Birrfeld-Frick n’a pas éliminé du jour au lendemain la «barrière psychologique» du Jura. Indépendamment de la construction du maillon manquant entre lui et la zone Baden/Zurich, le Fricktal bénéficiait depuis longtemps d’une bonne liaison avec la région de Bâle qui a donné de fortes impulsions au développement de ses activités économiques.Contrairement à l’emploi, la valeur ajoutée brute par salarié évolue de manière positive. Les régions sont sur le chemin de la croissance et elles ont renforcé leurs performances économiques. Cette hausse de la productivité coïncide avec l’amélioration de l’accessibilité. Cependant, la dynamique de la croissance est beaucoup plus soutenue dans les centres urbains et quelques autres régions.Il existe des différences structurelles entre les régions sur le plan quantitatif. La classification selon les branches de haute technologie et les services à niveau élevé de connaissances fournit des informations à cet égard
Pour la délimitation entre ces secteurs, voir l’Office fédéral de la statistique.. Ces deux agrégats de branches regroupent les principales activités d’une économie du savoir qui ne cesse de se renforcer.Dans leur étude, Thierstein et al. (2007) montrent que le niveau toujours plus élevé de connaissances va de pair avec de solides réseaux de coopération, qui s’éloignent des relations commerciales classiques. On ob-serve que, malgré l’utilisation des technologies modernes d’information et de communication, la mobilité continue d’augmenter. Le choix du moyen de transport ainsi que l’importance de l’accessibilité nationale, continentale et intercontinentale sont étroitement liés aux fonctions de l’entreprise. À l’inverse, toute amélioration de l’accessibilité n’influence pas positivement les activités de l’économie du savoir qui sont les plus susceptibles de créer de la valeur et d’alimenter la croissance. Il faut pour cela que la région remplisse une série d’autres critères – et même mieux que ses concurrentes dont l’accessibilité est comparable.La ligne Mattstetten-Rothrist relie surtout des centres urbains. L’étude n’a décelé aucune corrélation évidente entre les variables examinées. L’évolution de l’emploi, de la productivité et du facteur local subissent pour l’essentiel d’autres influences.

Conclusion


Les analyses longitudinales n’ont pas décelé de rapports fortement significatifs entre l’amélioration de l’accessibilité et la croissance économique. Compte tenu des réalités du monde actuel, il ne fallait pas s’attendre à découvrir des liens de cause à effet. Dans cette dynamique multifactorielle, certains signes montrent toutefois que l’amélioration de l’accessibilité a un effet positif sur l’évolution de la région. Durant la période d’observation, elle s’est accompagnée de gains de productivité. Ces progrès sont d’autant plus marqués que la proportion de branches de haute technologie et de services à forte intensité de connaissances est élevée dans la région, et que celle-ci est étroitement intégrée dans une répartition fonctionnelle du travail centre-agglomération. Lorsque l’accessibilité progresse, on observe dans les agglomérations certaines améliorations qui ne seraient pas possibles dans les centres urbains en raison des pénuries. Outre la création d’emplois, liée à l’implantation de nouvelles entreprises, les agglomérations voient augmenter leur population résidente avec l’intensification du trafic pendulaire et la demande croissante de services au niveau régional. Pour que cette évolution ait lieu, les lieux concernés doivent, d’une part, répondre en de nombreux points à la perception et aux activités des intéressés; cela requiert, d’autre part, l’existence d’une demande de nouvelles localisations aisément accessibles et abordables.Au cours des cent dernières années, l’économie et l’infrastructure des transports se sont développées de la même manière. Les avantages des agglomérations, la taille des marchés et les bénéfices qui en découlent sur le plan de la production de masse ou de la spécialisation ne sont que quelques illustrations du rapport entre le développement économique et l’accessibilité. Du point de vue de la politique de croissance, l’infrastructure de transport et l’accessibilité constituent des conditions indispensables à l’essor d’une région. En comparant la croissance parallèle de l’accessibilité et de l’économie, on n’a, toutefois, jamais vraiment pu déterminer à quel point elles sont impérativement nécessaires (autrement dit, quelle est la force du caractère limitatif dans une fonction de production régionale). C’est là un défi pour l’évaluation des futurs projets de construction ou d’aménagement sur le rail et la route: il s’agira de quantifier les effets d’une élimination des goulets d’étranglement sur l’accessibilité et leur influence sur l’évolution économique des régions. Cependant, une bonne accessibilité ne peut en aucun cas être considérée comme une condition suffisante pour garantir la croissance.

Graphique 1: «Modification relative de l’accessibilité»

Graphique 2: «Diagrammes de dispersion montrant l’évolution de l’accessibilité ainsi que la croissance de l’emploi et de l’économie pour le tronçon de l’A3 Birrfeld-Frick»

Encadré 1: Bibliographie

Bibliographie


− Bruns Frank, Cerwenka Peter et al, Berücksichtigung von erreichbarkeitsbedingten Veränderungen der Wertschöpfung in Kosten-Nutzen-Analysen, série de l’IVS, vol. 30, université technique de Vienne, 2008.− Office fédéral du développement territorial (ARE), Nationales Personenverkehrsmodell (modèle national de trafic voyageurs), 2011.− Office fédéral du développement territorial (ARE), Effets territoriaux des infrastructures de transport – Rapport de synthèse, Berne, 2007.− Office fédéral des routes (Ofrou), Indicateurs du développement durable pour les projets d’infrastructure routière, Berne, 2010 (manuel eNistra).− Office fédéral des transports (OFT), Indicateurs de durabilité pour les projets d’infrastructure ferroviaire, Zurich/Berne, 2009 (eNIBA).− Thierstein Alain, Goebel Viktor et Lüthi Stefan, Standortverflechtungen der Metropolregion München. Über Konnektivität in der Wissensökonomie, chaire d’aménagement du territoire, université technique de Munich, 2007.

Proposition de citation: Frank Bruns ; Benjamin Buser ; (2011). Grands projets d’infrastructures de transport: coûts et bénéfices. La Vie économique, 01 octobre.