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Ce qu’il faut faire maintenant pour protéger la zone euro

Ce qu’il faut faire maintenant pour protéger la zone euro

Malgré une série de sommets de l’UE, il n’y a toujours pas de solutions fiables et convaincantes à la crise européenne de la dette. Cette situation peut déboucher soit sur une succession de plans de sauvetage toujours plus importants, soit sur l’effondrement de la zone euro. L’article ci-dessous présente un programme en neuf points qui vise à la sauver et à la stabiliser. Les points 1 à 3 doivent être mis en œuvre à court terme afin de protéger la zone euro contre une spirale négative qui s’autonourrit. La fiabilité des mesures esquissées et leur capacité à restaurer la confiance des marchés dépendent, toutefois, fortement des interventions à long terme décrites dans les points 4 à 9.

Point 1: décote et allégement de la dette grecque


La décote de la dette grecque est inéluc-table. L’insolvabilité désordonnée n’est pas la seule alternative à la stratégie actuelle, qui privilégie le transfert progressif des risques à la Banque centrale européenne (BCE) et aux contribuables européens. Cela serait beaucoup trop onéreux. Tous les calculs montrent d’ailleurs que «continuer comme avant» n’est pas une solution moins douloureuse que d’autoriser la faillite de l’État. Pour retrouver une stabilité financière, la Grèce doit pouvoir effacer au moins la moitié de sa dette publique. Étant donné l’ampleur de cette dé-cote, les résultats du sommet de l’UE du 21 juillet dernier étaient insuffisants. Il est très vite apparu que l’on devrait s’attendre sous peu à un nouvel allégement ou à un transfert de grande envergure.Or, ce dont la Grèce a besoin, c’est d’une restructuration ordonnée de sa dette. Il serait irresponsable de la déclarer simplement insolvable, en raison des conséquences systémiques d’une telle décision. Les créanciers devraient accepter que leurs obligations d’État perdent environ la moitié de leur valeur nominale. Cela réduirait considérablement le rapport entre la dette publique et le produit intérieur brut de la Grèce. Celle-ci aurait alors la possibilité de ramener elle-même son endettement à un niveau supportable en imposant de strictes conditions institutionnelles. Dans l’immédiat, le fait de retirer à la Grèce sa «carte de crédit» pourrait ternir sa réputation, mais cette mesure s’avérera bénéfique d’ici quelques années. L’expérience montre que les marchés financiers oublient vite dans les pays émergents et les anciennes économies en transition. L’Argentine en est un exemple. Quand à savoir si les choses sont aussi simples dans les nations industrialisées, la recherche est encore perplexe. La Grèce pose précisément un problème à ce niveau-là, puisqu’elle n’est pas (encore) un pays industrialisé.Le grand avantage de cette solution, c’est que la BCE pourrait se concentrer à nouveau sur son mandat principal, à savoir le maintien de la stabilité des prix. À long terme, elle devrait cesser de financer les États, faute de quoi sa réputation de pilier de la zone euro finira par se volatiliser. Pour éviter que la situation actuelle ne se prolonge indéfiniment, la BCE devrait être autorisée à échanger ses titres grecs contre des obligations émises par le Fonds européen de stabilité financière (FESF), et cela au prix d’achat original.La restructuration, en tant que solution au problème d’insolvabilité, pourrait, néanmoins, déclencher par contagion des réactions en chaîne dans d’autres États en difficulté. Il en va de même des réformes: vides de résultats dans des pays comme l’Espagne, l’Italie, le Portugal et l’Irlande, elles risquent de déboucher sur une crise de liquidités autoalimentée. Seule une action déterminée, entreprise conjointement par les gouvernements de la zone euro, le FESF et la BCE, pourrait alors faire bouger les choses à court terme. Du point de vue de la gouvernance économique, des lignes de crédit préventives sont, dans tous les cas, préférables à l’achat d’obligations d’État sur le marché secondaire. Le FESF devrait se concentrer sur l’assistance financière aux pays en crise et limiter la durée de son aide – par exemple à deux ans. Toutefois, cette politique de «parapluie financier» pourrait s’avérer peu convaincante sur le plan conceptuel à long terme. C’est seulement par un allégement durable et concret de la dette que la situation s’améliorera dans les pays en difficulté. Même au sein d’une union monétaire, on ne peut pas toujours empêcher les États d’être insolvables. La question cruciale est de savoir comment y faire face. Le meilleur moyen d’éviter la contagion est de recapitaliser au plus vite les banques. Il ne suffit pas de garantir les dettes publiques, autrement dit de déployer un parapluie protecteur.

Point 2: le FESF ne peut avoir un effet de levier que s’il n’existe pas de solutions concrètes à long terme


Ces derniers temps, les marchés des capitaux ne semblent plus exclure un «scénario de l’Apocalypse», dans lequel les économies entrent brusquement en récession parce que le marché interbancaire s’effondre et que l’endettement public continue de croître. Injecter des liquidités à grande échelle dans la zone euro ne permettrait d’éviter que les pires scénarios imaginables. Une partie du problème vient de la structure en cascade du FESF: plus le parapluie est grand, moins il y a de garants du triple A, alors que plus il y a de garants solvables, plus il devient intéressant de se déclarer en état d’illiquidité, voire d’insolvabilité. La solution ne consiste pas à augmenter massivement son volume, mais plutôt à lui accorder une licence bancaire pour qu’il puisse se refinancer auprès de la BCE en tant que prêteur de dernier recours. Les garanties fournies seraient des obligations de pays tels que l’Italie, qui ont besoin de liquidités pour parer à une crise de confiance auto-alimentée, mais qui ne frisent pas l’insolvabilité comme la Grèce. Le FESF se transformerait ainsi définitivement en un Fonds monétaire européen. Au lieu de passer par la planche à billets, l’effet de levier peut aussi résulter du fait que le fonds ne rachète pas les obligations en souffrance, mais qu’il garantit partiellement leur remboursement. Sur le plan institutionnel, cette solution est préférable au statu quo, à savoir l’achat illimité d’obligations d’État par la BCE, étant donné qu’au Conseil de la banque, aucun membre ne représente les contribuables européens et ne pourrait donc défendre leurs intérêts. Au surplus, l’octroi d’une licence bancaire au FESF en tant que «banque publique» serait parfaitement compatible avec l’art. 123, § 2, du traité sur l’UE. Cependant, cette solution irait à l’encontre des intérêts à court terme du gouvernement allemand.

Point 3: recapitalisation des banques


Un autre objectif consiste à rompre le lien existant entre la performance des banques de la zone euro et le destin des économies nationales. En effet, le fait d’évaluer en parallèle les titres de ces banques et les obligations d’État de «leurs» pays, ainsi que l’effet domino qui en résulte, constituent le point de départ de la nouvelle crise financière qui se dessine.Les banques ayant fortement investi dans des obligations d’État grecques – notamment les instituts de crédit de ce pays – sont particulièrement concernées. Une possibilité serait que le FESF leur apporte les fonds propres nécessaires. Cette injection de capitaux s’ajouterait aux ressources que le programme FMI/UE a décidé en juillet dernier de consacrer à la recapitalisation des instituts grecs de crédit. Dans les autres pays de la zone euro, les banques commerciales pourraient en principe obtenir de l’argent frais auprès de leurs banques centrales respectives et, au besoin, auprès du FSFE.Sur le plan de la gouvernance économique, plusieurs mesures semblent appropriées dans ce contexte, comme l’augmentation de la pondération des risques pour les dettes publiques dans le système de Bâle III sur la régulation bancaire, le relèvement substantiel des ratios de fonds propres, ainsi que la recapitalisation forcée et la nationalisation partielle des banques qui ne peuvent pas lever suffisamment de fonds propres sur le marché pour se conformer aux nouvelles directives. Dans le pire des cas, une recapitalisation forcée des établissements en danger pourrait même remplacer le fonds de secours aux pays lourdement endettés de la zone euro. Cela permettrait de séparer les «bonnes» banques des «mauvaises». Le marché assumerait de nouveau une fonction de sélection.Les contribuables allemands y trouveraient davantage leur compte. En outre, une insolvabilité ordonnée pourrait constituer une bouffée d’oxygène pour la Grèce en l’arrachant au cercle vicieux du service de la dette, de la politique d’austérité et de la croissance négative (sur le retrait de la Grèce de la zone euro, voir encadré 1

Expulser la Grèce de la zone euro ne conduira pas nécessairement au but recherché


Expulser la Grèce de la zone euro ou l’obliger à en sortir «volontairement» ne serait pas une solution durable – abstraction faite de sa légalité. Les marchés testeraient alors la probabilité d’un retrait d’autres pays en crise. Dans ce cas, on ne pourrait plus exclure une crise monétaire venant s’ajouter à celle de la dette, une panique bancaire et des turbulences politiques. La cohésion de la zone euro serait sérieusement compromise.Dans les années quatre-vingts, plusieurs pays émergents se sont trouvés dans une situation encore plus critique. Malgré tout, ils ont appliqué des mesures énergiques de consolidation et ont regagné en quelques années la confiance des marchés des capitaux. D’aucuns objecteront que cela tenait à leur taux de change flottant. Or, ce sont précisément des économies au taux de change bien ancré qui peuvent servir de contre-exemples. L’Irlande, frappée par une déflation dure, a prouvé qu’un pays membre d’une union monétaire peut se rétablir en procédant à une dévaluation réelle et résorber le déficit de sa balance des paiements courants. En l’occurrence, cette dévaluation réelle interne a été obtenue à travers de sévères restrictions budgétaires. Le cas de la Lettonie, qui présentait un schéma comparable, est aussi très souvent cité en exemple. Grâce à son taux de change fixe ou à cause de lui, ce pays, où les salaires sont plus bas qu’en Grèce, a été capable de réaliser des réformes radicales. La recherche scientifique l’a démontré: un taux de change fixe crédible, qui est également contraignant pour la politique monétaire, contribue souvent davantage au succès des réformes que des taux manipulables à volonté, car les acteurs s’en remettent dans ce cas excessivement à la planche à billets pour résoudre les problèmes structurels de leurs économies, comme le montre l’exemple des États-Unis. Cet effet serait supprimé si l’on refusait à la Grèce la chance de rester dans la zone euro.

).

Point 4: rétablissement de l’indépendance politique et financière de la BCE


La BCE doit retrouver son indépendance politique, après s’être engagée de plus en plus ces derniers mois dans les plans de sauvetage des différents pays, sans en avoir véritablement le mandat. Il reste à savoir si Mario Draghi, président désigné de la BCE et successeur de Jean-Claude Trichet, aura le pouvoir de conviction et l’autorité nécessaires pour s’imposer face à Paris, Berlin et Rome. L’avenir de l’euro pourrait en dépendre.Mario Draghi devrait s’employer de toute urgence à «réparer» le bilan de la BCE. Celle-ci a nettement affaibli sa base en capital en acquérant des sociétés de refinancement et en acceptant à titre de garantie des actifs toxiques provenant de pays lourdement endettés. En tout cas, les marchés et les acteurs changent de comportement quand ils doivent s’attendre en permanence à l’intervention des pouvoirs publiques – avec des conséquences dévastatrices, comme l’a montré la crise européenne de la dette. Les instituts d’émission ne peuvent pas faire faillite, affirment souvent les anciens manuels scolaires. De même, les agences de notation attribuent un bonus aux pays dont la banque centrale peut en permanence racheter de la dette publique. De plus en plus d’économistes, y compris Kenneth Rogoff, se mettent à douter de ce duo, autrefois porté aux nues, formé par une banque centrale, qui ne sera jamais à court de liquidités puisqu’elle a la possibilité d’émettre de la monnaie, et un État qui n’ira jamais jusqu’à la banqueroute étant donné son pouvoir d’imposition. Il faut parfois dépasser le savoir livresque. Le meilleur contre-exemple vient actuellement des États-Unis, où la «durabilité» de ce duo n’est plus assurée que par l’importance du dollar en tant que monnaie de référence.Quand elle a décidé en mai 2010 d’acheter des obligations d’État grecques, la BCE s’est engagée sur un terrain dangereux. Depuis lors, Jean-Claude Trichet n’est pas parvenu à fixer une ligne claire – notamment parce que les gouvernements ont visiblement réussi à utiliser les banques centrales pour défendre les intérêts nationaux. Ces derniers temps, presque tout le monde a obtenu quelque chose: les banques de plusieurs pays d’Eu-rope méridionale peuvent fournir des titres douteux pour garantir des opérations de politique monétaire; les Allemands, qui traditionnellement craignent les dangers de l’inflation, se sont déjà vu accorder deux hausses de leurs taux d’intérêt; enfin, les gouvernements des pays en difficulté ont vendu des obligations d’État à la BCE.

Point 5: la stratégie de la BCE en matière de politique monétaire doit mettre davantage l’accent sur la croissance de la masse monétaire et du crédit


Jean-Claude Trichet a axé les activités de la BCE sur la seule stabilité des prix et se montre très satisfait du résultat: durant son mandat, la hausse des prix à la consommation s’est située à 1,97% en moyenne. Rien n’incitait dès lors la BCE à intervenir lorsque la croissance de la masse monétaire et du crédit se maintenait à un niveau élevé. Pourtant, cette situation provoquait un effet de levier, dû à l’engagement excessif de fonds de tiers, et donc une fragilisation accrue du secteur financier. Le principal problème vient du fait qu’une telle évolution concerne aussi d’autres acteurs économiques – comme l’État et le secteur privé – et qu’elle est généralement tenace.Pourquoi la BCE, sous le mandat de M. Trichet, n’a-t-elle pas réagi à l’excédent de liquidités et de crédit, à l’effet de levier et aux alertes d’indicateurs parfaitement adaptés à la détection précoce de crises? Pourquoi a-t-elle continué à réduire ses fonds propres, accentuant ainsi l’effet de levier qu’elle avait elle-même déclenché? Cela reste un mystère. D’autant plus que l’épuisement imminent de ses fonds propres a rendu nécessaire une première augmentation de capital à la fin de l’année dernière. Dans ce contexte, il ne suffit pas d’invoquer des écarts croissants pour justifier des interventions sur les marchés des obligations, puisque la BCE ne pouvait pas les diminuer sensiblement. Ce comportement a, en outre, eu pour conséquence de faire perdre aux rendements obligataires leur rôle d’indicateurs en matière d’insolvabilité étatique. À l’avenir, l’orientation à court terme sur la croissance de la masse monétaire et du crédit devrait redevenir une priorité dans la stratégie de la BCE en matière de politique monétaire.

Point 6: accorder davantage d’importance aux notes intrinsèques des États


Il n’y a pas de meilleur instrument que les marchés pour discipliner les États, si le cadre légal est incitatif et donc cohérent. Toutefois, l’absence de notes intrinsèques et surtout d’une loi sur l’insolvabilité empêche ce fonctionnement.Les agences de notation ont mal classé les États GIPS
Grèce, Italie, Portugal, Espagne., car elles avaient inclus dans leurs calculs un sauvetage par la zone euro. Il aurait été plus transparent de procéder à une évaluation par pays en éludant totalement les aides extérieures. De telles notes intrinsèques présentent les avantages suivants: elles sont précises, fournissent des critères de qualité pour l’appréciation du travail gouvernemental et permettent à l’État concerné d’évaluer plus en détail la valeur des promesses de garantie explicites ou implicites.La crise actuelle de la dette, avec son parapluie financier en guise de solution (apparente) provisoire, est manifestement liée à la déliquescence des États – et surtout à l’échec des instruments disciplinaires de l’UE –, mais elle reflète également la défaillance des marchés. Si ces derniers avaient mesuré de manière plus réaliste le risque de crédit présenté par certains États, on n’aurait pas assisté à une convergence aussi vaste des taux d’intérêt. À vrai dire, c’est justement cette convergence que visait la création de la zone euro. Cependant, il n’était pas prévu de la réaliser en contournant de facto la clause de nonrenflouement. Cela a eu des conséquences dévastatrices, comme le montre la crise aiguë de la dette.

Point 7: cadre légal pour l’insolvabilité ordonnée des États


Le cadre légal réglant la procédure d’insolvabilité étatique doit surtout fixer un critère qui établisse une distinction claire entre l’insolvabilité et le manque de liquidités. Il doit inclure les dettes privées et extérieures, en plus de celles de l’État, mais pas de programmes de renflouement. Le fait que cette délimitation soit difficile à tracer ne constitue pas un argument contre le bien-fondé d’une procédure d’insolvabilité ordonnée. En effet, il faut mener le même débat pour déterminer le plafond d’endettement approprié par rapport au PIB.Un Fonds monétaire européen, selon le modèle proposé par Daniel Gros et Thomas Mayer, pourrait élaborer une procédure d’insolvabilité étatique digne de ce nom. Sa mise sur pied contribuerait à libérer la BCE de son rôle de structure de défaisance. Conformément au principe du pollueur-payeur, cet organisme ferait participer aussi bien les débiteurs que les créanciers aux coûts d’une insolvabilité étatique. Sinon, la réputation de la BCE serait sérieusement ternie et on glisserait toujours plus vers une «Union de transfert». Il faut relever que le développement de ce cadre légal prend du temps et que les choses seraient plus simples si le Mécanisme européen de stabilité était déjà en vigueur.

Point 8: programme de désendettement à long terme


Si l’on veut remettre la zone euro sur la bonne voie, les gouvernements doivent réduire sensiblement leurs dettes et leurs déficits. Pour ce faire, ils recourront de préférence aux freins à l’endettement que leurs parlements auront décidé démocratiquement d’introduire à tous les niveaux (principe de subsidiarité) plutôt qu’aux mesures imposées par la troïka et ses représentants au mépris de l’autonomie budgétaire nationale. Les parlements devraient fixer très rapidement les principes du cadre légal politico-économique de la zone euro. Sinon, les mesures d’urgence décrites aux points 1 à 3 n’auront pas non plus d’effets durables. Leur efficacité dérive essentiellement de la crédibilité des mesures 4 à 9, qui portent sur une longue durée. Bon gré mal gré, il faudrait alors supprimer le FESF (s’il n’existe pas de freins à l’endettement au niveau national), par exemple en le raccordant directement à la planche à billets.La dernière crise économique et financière a montré une fois de plus que la politique de déficit systématique et l’endettement qui en résulte conduisent presque immanquablement à l’impossibilité de «rouler» les dettes. C’est pourquoi un programme de désendettement à long terme est une condition sine qua non pour mettre la zone euro à l’abri des crises. Il peut faire l’objet d’une mention dans le cadre légal de l’union monétaire. Le renforcement récent du Pacte de stabilité et de croissance, par un accroissement de son automatisme et la réduction des possibilités d’interventions politiques, est certainement un pas dans la bonne direction. Il faut toutefois s’assurer que, si la violation des règles se poursuit, les sanctions ne soient pas finalement remplacées par une protection du marché des capitaux à des conditions beaucoup trop souples, plus avantageuses même que celles des pays donateurs. Dans ce cas, l’effet d’incitation recherché serait perdu.

Point 9: la BCE renonce à sa politique monétaire non conventionnelle en faisant, au besoin, cavalier seul


Il faut redonner à la BCE les moyens de se battre pour le titre de zone monétaire la plus stable du monde. Son but devrait être de gagner la confiance des investisseurs internationaux en Chine, en Russie et dans les pays pétroliers, qui sont actuellement sur le point de tourner le dos aux États-Unis – jusque-là un havre de sécurité – en raison du dosage macroéconomique manifestement peu durable de ce pays. Cela signifie pour la BCE qu’elle devrait se dépêcher de renoncer à sa politique monétaire expansionniste non conventionnelle – au besoin en faisant cavalier seul – et réduire au plus vite le volume de ses bilans. Si elle parvient à renforcer la compétition en matière de stabilité et réussit à attirer les capitaux provenant de Russie, de Chine et des pays pétroliers, le temps des euro-obligations pourrait être venu. Il faudra, toutefois, attendre que l’endettement de tous les États soit supportable dans la zone euro. En effet, cela conduira à la nécessaire défragmentation du marché obligataire eu-ropéen, lequel pourrait enfin concurrencer celui des États-Unis.Les efforts de la BCE se heurtent, cependant, au problème du transfert croissant de liquidités mondiales – surtout en provenance des États-Unis –, engendré par les programmes d’assouplissement quantitatif. Ce phénomène entrave la hausse des taux d’intérêts de la BCE et la réduction de son bilan. On ne peut s’empêcher de penser que la politique totalement expansionniste des États-Unis ne vise pas qu’à stabiliser l’inflation sur le plan intérieur, mais qu’elle poursuit également des objectifs stratégiques. Il sera d’autant plus important de trouver des solutions dans le cadre du G20 pour protéger la zone euro. C’est la seule manière d’éviter des «guerres monétaires» à l’avenir.

Encadré 1: Expulser la Grèce de la zone euro ne conduira pas nécessairement au but recherché

Expulser la Grèce de la zone euro ne conduira pas nécessairement au but recherché


Expulser la Grèce de la zone euro ou l’obliger à en sortir «volontairement» ne serait pas une solution durable – abstraction faite de sa légalité. Les marchés testeraient alors la probabilité d’un retrait d’autres pays en crise. Dans ce cas, on ne pourrait plus exclure une crise monétaire venant s’ajouter à celle de la dette, une panique bancaire et des turbulences politiques. La cohésion de la zone euro serait sérieusement compromise.Dans les années quatre-vingts, plusieurs pays émergents se sont trouvés dans une situation encore plus critique. Malgré tout, ils ont appliqué des mesures énergiques de consolidation et ont regagné en quelques années la confiance des marchés des capitaux. D’aucuns objecteront que cela tenait à leur taux de change flottant. Or, ce sont précisément des économies au taux de change bien ancré qui peuvent servir de contre-exemples. L’Irlande, frappée par une déflation dure, a prouvé qu’un pays membre d’une union monétaire peut se rétablir en procédant à une dévaluation réelle et résorber le déficit de sa balance des paiements courants. En l’occurrence, cette dévaluation réelle interne a été obtenue à travers de sévères restrictions budgétaires. Le cas de la Lettonie, qui présentait un schéma comparable, est aussi très souvent cité en exemple. Grâce à son taux de change fixe ou à cause de lui, ce pays, où les salaires sont plus bas qu’en Grèce, a été capable de réaliser des réformes radicales. La recherche scientifique l’a démontré: un taux de change fixe crédible, qui est également contraignant pour la politique monétaire, contribue souvent davantage au succès des réformes que des taux manipulables à volonté, car les acteurs s’en remettent dans ce cas excessivement à la planche à billets pour résoudre les problèmes structurels de leurs économies, comme le montre l’exemple des États-Unis. Cet effet serait supprimé si l’on refusait à la Grèce la chance de rester dans la zone euro.

Encadré 2: Bibliographie

Bibliographie


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Proposition de citation: Ansgar Belke (2011). Ce qu’il faut faire maintenant pour protéger la zone euro. La Vie économique, 01 novembre.