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Une politique monétaire trop restrictive constitue une menace pour l’emploi et la prospérité

Une politique monétaire trop restrictive constitue une menace pour l’emploi et la prospérité

La Suisse a une monnaie propre, le franc, qui doit lui profiter. Si cette dernière est trop fortement surévaluée, c’est le contraire qui se produit. Or, c’est le cas, même au cours plancher de 1,20 franc pour un euro. La politique monétaire est trop restrictive. Une grande partie des emplois de même que le tourisme sont gravement sous pression. Dans une petite économie ouverte comme celle de la Suisse, une telle situation compromet la prospérité. En effet, à long terme, le salaire et l’emploi du peintre de Coire ou de l’enseignante du Toggenburg dépendent de la bonne santé des exportations. La BNS doit agir afin d’éloigner les fortes menaces qui pèsent sur eux et relever le cours plancher à au moins 1,40 franc pour un euro.

Les conséquences de la surévaluation du franc sont clairement visibles. Les exportations et le nombre de nuitées sont en recul. D’après une enquête effectuée par la Banque nationale suisse (BNS) en décembre 2011, 85% des entreprises industrielles souffrent de cette surévaluation. Même dans le commerce de détail, elles sont 63% à faire cette constatation. Des estimations pour l’économie suisse montrent qu’une appréciation de 10% du franc coûte dans les trois à cinq ans quelque 100 000 places de travail. La surévaluation actuelle renforce la pression sur les salaires et sur l’emploi. La libre circulation des personnes rend ce problème particulièrement sensible. Elle permet, en effet, aux firmes étrangères de travailler en Suisse et donc d’offrir des services à un tarif inférieur à ceux de leurs concurrentes sur place. Il faut aussi craindre que les employeurs suisses ne cherchent à payer moins cher des employés recrutés à l’étranger.

Le cours devrait être de 1,45–1,50 franc pour être équitable


Il existe plusieurs méthodes pour mesurer la surévaluation effective d’une monnaie. La plus fiable consiste à comparer les prix au plan international – soit calculer la parité de pouvoir d’achat – pour autant qu’ils correspondent à des biens commercialisables. Il ressort de la statistique des prix publiée par l’Office fédéral de la statistique (OFS) que le cours de l’euro devrait être de 1,40–1,65 franc pour être «équitable»
Selon les résultats publiés en matière de parité de pouvoir d’achat par l’OFS (2011). En ce qui concerne, par exemple, les appareils photo et l’informatique, le cours serait de 1,42 franc pour un euro, pour les meubles de 1,41 francs, pour les biens d’investissement dans les domaines de l’électrotechnique, de la mécanique de précision et de l’optique de 1,64 et pour la construction de véhicules de 1,52.. Cette marge peut encore être resserrée en comparant, par exemple, la Suisse et l’Allemagne sur le long terme. Notre voisin est aussi notre plus important partenaire commercial et le principal foyer dorigine des touristes qui nous visitent; une grande partie des concurrents internationaux à notre industrie d’exportation se trouvent, en outre, dans ce pays. Compte tenu des différents renchérissements, le taux de change (réel) entre la Suisse et l’Allemagne a été relativement constant jusqu’à fin 2009 et correspondait en moyenne à 1,50 franc pour un euro. L’inflation ayant, depuis lors, été plus forte chez notre voisin que chez nous, le cours «équitable» devrait se situer un peu en dessous.Le franc s’est apprécié contre presque toutes les devises. Cette ascension en solitaire dément l’assertion qui veut que le franc soit fort parce que l’économie et les finances publiques suisses sont en meilleur état que celles de la zone euro. Si cela avait été vrai, la couronne norvégienne aurait dû s’apprécier, d’autant plus que les finances du royaume de même que sa stabilité sont encore meilleures qu’en Suisse. Or, la couronne n’a pas considérablement varié vis-à-vis de l’euro. La surévaluation du franc n’est donc pas consécutive aux problèmes de la zone euro. Il faut chercher du côté d’une spéculation spécifique, autrement dit une fuite vers le franc. C’est pour cette raison que la Suisse peut combattre la force du franc et la vaincre par ses seuls moyens.

Pas de repères sans pilotage monétaire visible


La BNS a sa part de responsabilité dans la surévaluation du franc
Bernegger M., Starker Franken – was kann und sollte getan werden?, 2011.. Elle est intervenue depuis 1978 chaque fois que son cours menaçait de franchir une certaine limite. De cette façon, les représentants du marché savaient où celle-ci se situait et l’avaient intériorisé sans problème (par exemple 0,80 franc pour un DM, puis 1,50 franc à 1,45 franc pour un euro). Or, après avoir géré la crise avec succès, la BNS s’est éloignée de sa politique monétaire concernant le taux de change. Le 10 décembre 2009, elle annonçait qu’elle n’interviendrait plus que si le franc s’appréciait de manière «excessive»; en même temps, elle signalait ne pas vouloir poursuivre indéfiniment sa politique monétaire «expansionniste». Le 18 mars 2010, elle proclamait que le taux de change serait de nouveau soumis aux forces du marché. Peu de temps après cette affirmation, les limites convenues du taux de change volaient en éclats. Le mouvement a été renforcé par les dérivés, qui ne devaient pas servir la spéculation, mais garantir les risques de change. Par exemple, les banques qui possédaient des options de vente euros-francs ont brusquement écoulé des euros et acheté des francs, supprimant ainsi toute exposition nette aux devises. Le franc échappe à tout contrôle avec l’abandon des limites de change par la BNS. Le marché des devises a besoin d’un pilotage perceptible, en l’occurrence celui de la banque nationale. Un cours plancher permet de contrôler les transactions en devises.La BNS a réussi à mettre en place un cours plancher de 1,20 franc pour un euro qui résiste jusqu’à présent. Elle n’a guère dû procéder à des achats de devises pour défendre cette limite, comme le montrent les comptes de la BNS sur ce point. Ce n’est pas étonnant: 1. La BNS est maîtresse du franc et peut (théoriquement) en émettre à l’infini sur le marché. Aucun spéculateur ne peut se mesurer à elle, ce qui a un effet de dissuasion.2. L’arbitrage des marchés vient en renfort à la BNS pour affaiblir le franc. Le cours plancher rend ainsi possible d’ouvrir un crédit en francs avec très peu de risques de change et de le placer en euros, afin de profiter de la différence entre les taux d’intérêt (opérations de portage), laquelle est d’environ 1,5% (sur un an). Aussi longtemps que le cours plancher demeure crédible, le franc ne devrait pas le franchir.

Protection des salaires et des emplois


La loi sur la Banque nationale suisse confie à cette dernière la mission de veiller à la stabilité des prix en tenant compte de l’évolution de la conjoncture (article 5). Le 6 septembre 2011, la BNS réussissait à imposer le cours plancher, mais elle est demeurée passive depuis lors, bien que les prix à la consommation aient continué de fondre et que le chômage grimpait. En Suisse, les prix ne sont pas stables et la conjoncture n’évolue pas dans le bon sens; la récession menace de même que la déflation. Vu la très forte surévaluation du franc, la politique monétaire est orientée de façon trop restrictive. On le voit, par exemple, avec l’indice des conditions monétaires, qui a retrouvé le niveau du milieu des années nonante, lorsque la politique monétaire avait contribué à la longue stagnation de l’économie suisse (voir graphique 1).

Pas de risque inflationniste


La BNS prévoit pour 2012 un recul des prix à la consommation de 0,3%. Même si la masse monétaire devait augmenter en raison des interventions, il en faudrait beaucoup pour déclencher une inflation, autrement dit pour que les entreprises augmentent leurs prix. Les magasins de détail à Bâle ou les hôteliers de Davos ne peuvent demander davantage que si les clients sont prêts à payer davantage. La force du franc va à l’encontre de telles prétentions. La comparaison avec l’intervention de la fin des années septante est plus que boiteuse. La BNS avait établi, à l’époque, un cours plancher de 0,80 franc pour un DM. De 1979 à 1981, le renchérissement a touché le monde entier, pas seulement la Suisse. La guerre du Golfe avait fait grimper le prix du baril de 15 USD à près de 40 USD. À cela s’est ajouté le prix des légumes qui, en raison de mauvaises récoltes dues aux conditions climatiques des années 1978-1981, avait en partie triplé.

Conclusion


Si la situation en zone euro devenait extrême, il pourrait y avoir une forte demande en francs, considérés comme une valeur refuge. Il pourrait être alors utile d’instaurer un contrôle sur les flux de capitaux ou une autre mesure administrative pour défendre le cours plancher. Il serait donc important que la Confédération mette sur pied un groupe de travail susceptible d’élaborer de telles mesures.La surévaluation du franc renforce la pression qui pèse sur les salaires et l’emploi. En Suisse, il faut payer des salaires suisses, comme l’exigent les mesures d’accompagnement. La Confédération et les cantons doivent appliquer ce principe sans en dévier. Ils doivent absolument surveiller les recrutements récents qui sont particulièrement sensibles. Si l’on constate des sous-enchères au niveau des salaires, il faut protéger ces derniers en leur fixant un seuil minimum.

Graphique 1: «Degré de restriction de la politique monétaire, 1990–2011»

Proposition de citation: Daniel Lampart (2012). Une politique monétaire trop restrictive constitue une menace pour l’emploi et la prospérité. La Vie économique, 01 janvier.