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La Banque nationale suisse et la lutte contre le franc fort

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Le 6 septembre 2011, la Banque nationale suisse (BNS) a fixé un cours plancher de 1,20 franc pour un euro. Par cette mesure, elle entendait contrer la grave menace que l’extrême surévaluation du franc faisait peser sur l’économie suisse et les risques de déflation qui y étaient associés. Elle a obtenu les effets escomptés et clairement limité les dommages qu’aurait pu subir notre économie. Le franc reste, toutefois, à un niveau élevé et l’environnement international constitue un facteur de risque majeur pour l’activité. Si les perspectives économiques et les risques de déflation l’exigent, la BNS est prête à prendre à tout moment des mesures supplémentaires.

L’introduction du cours plancher représente à ce jour le sommet des mesures exceptionnelles que la BNS a dû prendre depuis le début de la crise financière et économique mondiale. Certes, elle n’a été ni la première ni la seule banque centrale à lutter contre la crise en recourant à des mesures extraordinaires. Toutefois, contrairement aux autres banques centrales, elle a non seulement dû s’efforcer de stabiliser le système financier, mais aussi et avant tout contrer la rapide et très forte appréciation du franc. Le début de la crise financière et économique remonte précisément au 9 août 2007, date à laquelle les difficultés rencontrées sur le marché des hypothèques «subprime» aux États-Unis se sont étendues à l’ensemble du marché interbancaire. La Banque centrale européenne (BCE) a donc dû prendre une mesure non conventionnelle consistant à mettre, ce jour là, des liquidités en quantité illimitée à la disposition des banques commerciales de la zone euro. Depuis lors, le système financier et monétaire international n’a plus jamais connu de répit, même si les banques centrales et les gouvernements sont jusqu’ici parvenus à éviter un effondrement de l’économie à l’échelle mondiale, comme ce fut le cas dans les années Trente.

Le franc suisse avant et pendant la crise


La période qui a précédé le déclenchement de la crise financière s’est caractérisée par une longue phase de stabilité macroéconomique et de prospérité remarquables. En conséquence, la volatilité était tombée à des niveaux historiquement bas sur les marchés financiers, notamment sur ceux des devises. Dans un tel environnement, où le risque de placement est en principe bas, le franc suisse ne jouait guère son rôle traditionnel de valeur refuge. Eu égard aux taux d’intérêt en francs peu élevés, il servait davantage de monnaie de financement, ce qui le soumettait à une certaine pression à la baisse. Ainsi, entre mi-2003 et mi-2007, le franc s’est considérablement déprécié, notamment vis-à-vis de l’euro. À l’échelle internationale, certains observateurs se sont même demandé s’il n’avait pas perdu de son prestige en tant que monnaie forte
Voir FMI, Switzerland: 2007 Article IV Consultation – Staff Report, encadré 3: «Has the Swiss Franc Lost Its Luster?», IMF Country Report n° 07/186, 2007..La crise financière et économique mondiale s’est chargée de répondre directement à cette question: le franc suisse n’a rien perdu de son prestige, bien au contraire. À mesure que s’aggravait la crise à l’étranger, il était de plus en plus recherché comme valeur refuge. Dans un premier temps, compte tenu de l’effondrement conjoncturel sur le plan mondial, l’ampleur et la rapidité de la revalorisation du franc, ainsi que le resserrement monétaire qui en découlait, s’avéraient indésirables du point de vue de la politique monétaire. Dans un second temps, le niveau du franc a commencé à devenir de plus en plus problématique pour l’économie suisse. Entre août 2007 et août 2011, sa valeur extérieure, en termes réels, pondérée par le commerce extérieur, a progressé de plus de 40%
L’ampleur de cette augmentation est à peu près comparable à la revalorisation du franc suisse, en termes réels, après la mise en place du flottement de la monnaie helvétique, en janvier 1973, jusqu’à l’instauration, en octobre 1978, d’un plancher temporaire vis-à-vis du mark allemand.. En août 2011, elle enregistrait un nouveau record, se situant à environ 30% au-dessus de sa moyenne à long terme (sur 20 ans). Le franc est parvenu à son niveau maximum absolu dans la journée du 9 août 2011, soit exactement quatre ans après l’éclatement de la crise financière et économique mondiale; à cette date, l’euro atteignait presque la parité avec le franc (1,0075 franc), le dollar valant quant à lui à peine 70 centimes.Il n’était guère prévisible, au début de 2011, que la situation allait de nouveau saggraver en été. Une reprise semblait même en vue au cours du printemps. La plupart des instituts de prévision avaient revu à la hausse leurs prévisions de croissance de l’économie mondiale. Toutefois, durant l’été, il est devenu de plus en plus manifeste que l’embellie avait été surestimée pour les économies avancées. En outre, les indicateurs avancés annonçaient un net ralentissement. La dégradation des perspectives économiques mondiales s’est accompagnée d’une inquiétude croissante concernant la crise de la dette souveraine dans la zone euro et d’un long conflit portant sur un relèvement de la limite de l’endettement public aux États-Unis. En juillet 2011, ces facteurs ont entraîné une hausse sensible de la volatilité sur les marchés financiers. Le Chicago Board Options Exchange Volatility Index (VIX), généralement qualifié de «baromètre de l’inquiétude» pour les marchés financiers, a triplé entre début juillet et fin août. La demande d’actifs financiers sûrs a alors augmenté, et la revalorisation du franc a commencé à s’accélérer. La BNS a estimé que le durcissement notable des conditions monétaires qui en résultait et la surévaluation de plus en plus marquée du franc représentaient une grave menace pour l’économie suisse et recelaient d’importants risques à la baisse sur le plan de la stabilité des prix.

La réaction de la BNS


La BNS a réagi en augmentant substantiellement les liquidités en francs. Ces mesures visaient à abaisser le plus possible les taux d’intérêt sur le marché monétaire afin d’affaiblir un franc fortement surévalué. C’est à cette fin que, le 3 août 2011, la BNS a rétréci la marge de fluctuation du Libor pour les dépôts à trois mois en francs, la ramenant de 0–0,75% à 0–0,25%. Elle a également fait savoir qu’elle visait un Libor à trois mois aussi proche que possible de zéro et qu’elle avait l’intention d’accroître les avoirs déte-nus par les banques en comptes de virement à la BNS, les faisant passer de 30 à 80 milliards de francs. À cet effet, la BNS a cessé d’émettre ses propres titres de créance, en a racheté qui étaient encore en circulation et a renoncé à renouveler certaines opérations de résorption de liquidités («reverse repos») arrivées à échéance. Une semaine plus tard, elle annonçait un nouveau relèvement des comptes de virement bancaires inscrits à son bilan, pour les porter à 120 milliards de francs; elle décidait, en outre, de conclure des swaps de change afin d’accélérer l’accroissement de liquidités en francs. Enfin, le 17 août 2011, la BNS a communiqué qu’elle porterait à 200 milliards de francs les avoirs en comptes de virements détenus par les banques à la BNS. Parallèlement, elle a réitéré ses déclarations selon lesquelles elle prendrait, si la situation l’exigeait, des mesures supplémentaires contre la fermeté du franc.Les mesures susmentionnées ont démontré leur efficacité. En effet, le Libor pour les dépôts à trois mois en francs a passé d’environ 0,18% à 0,00%, et les taux des dépôts à plus court terme liés au Libor sont même devenus temporairement négatifs. Par ailleurs, le prix de l’or en francs a recom-mencé à croître en août, alors qu’il était resté constant de mi-2010 – moment où la Banque nationale suspendait ses interventions sur les marchés des changes, instaurées en 2009 – à mi-2011
Exprimé en USD, le prix de l’or est monté de près de 30% entre mi-2010 et mi-2011.. En outre, le franc a nettement perdu de sa valeur jusqu’à fin août par rapport aux niveaux records qu’il avait enregistrés vis-à-vis de l’euro et de l’USD. Différents facteurs sont, toutefois, venus contrarier ces mesures:− le 5 août 2011, on apprenait que l’agence de notation Standard & Poor’s abaissait la note de la dette à long terme des États-Unis, la faisant passer de AAA à AA+;− le 8 août, on annonçait que la BCE devait acheter pour la première fois des titres de dette italienne et espagnole;− le 9 août, la Réserve fédérale des États-Unis a fait part de sa décision de maintenir son taux directeur à un niveau exceptionnellement bas, au moins jusqu’à mi-2013;− le 12 août, plusieurs pays de la zone euro interdisaient les ventes à découvert sélectives.Début septembre, le franc a de nouveau subi des pressions à la hausse du fait d’autres nouvelles défavorables émanant d’Europe et des États-Unis. La BNS a donc pris des mesures plus rigoureuses et a annoncé, le 6 septembre 2011, qu’à partir de cette date, elle ne tolérerait plus de cours inférieur à 1,20 franc pour un euro sur le marché des changes, qu’elle ferait prévaloir ce cours plancher avec toute la détermination requise et qu’elle était prête à acheter des devises en quantité illimitée. Au moment de ce communiqué, l’euro valait un peu plus de 1,12 franc. Quelques minutes plus tard, il montait à presque 1,22 franc, et s’est établi, depuis, nettement au-dessus de 1,20 franc, en dépit de turbulences persistantes sur les marchés financiers. Parallèlement, le franc n’a pas tardé à faiblir considérablement par rapport à d’autres monnaies.

Le cours du franc reste élevé


Il est évident que 1,20 franc pour un euro ne constitue pas un cours d’équilibre. Un tel change n’est pas non plus idéal ou favorable à l’économie suisse. La BNS a souligné à plusieurs reprises que la monnaie helvétique restait à un niveau élevé et qu’elle devrait s’affaiblir avec le temps. Un affaiblissement, en termes réels, peut aussi bien se produire par le biais du cours de change nominal quà travers des écarts d’inflation avec les partenaires commerciaux (cours de change réel), encore qu’une correction sous cette dernière forme ne se produise généralement qu’à long terme. La valeur extérieure du franc, en termes réels, pondérée par le commerce extérieur a perdu plus de 10% par rapport à son niveau record enregistré d’août à fin dé- cembre 2011, la dépréciation face à l’USD ayant été plus forte que celle vis-à-vis de l’euro.

Conclusion


L’introduction du cours plancher a atténué la surévaluation extrême du franc et clairement limité les dommages qu’aurait pu subir notre économie. Néanmoins, la situation reste difficile pour de larges pans de l’économie. Le franc se maintient à un niveau élevé, et le tassement de la demande mondiale continuera d’affecter l’évolution des exportations. Pour 2012, la BNS table sur une croissance économique de l’ordre de 0,5% et sur une inflation qui sera, temporairement, légèrement négative (–0,3%). Les facteurs de risque demeurent, toutefois, extrêmement importants. Si les perspectives économiques et les risques de déflation l’exigent, la BNS est prête à prendre à tout moment des mesures supplémentaires.

Graphique 1: «Valeur extérieure du franc, en termes réels, pondérée par le commerce extérieur, 2002–2011»

Graphique 2: «Monnaie centrale, 2007–2011»

Thomas Moser (2012). La Banque nationale suisse et la lutte contre le franc fort. La Vie économique, 01. janvier.