Rechercher

Un développement approprié du droit de la concurrence est une chance pour la place économique suisse

La concurrence nécessite une forte protection. C’est seulement si elle fonctionne bien que les entreprises sont incitées en permanence à innover et à accroître leur efficacité, ce qui garantit à long terme leur compétitivité. Il convient toutefois de respecter les principes de l’État de droit. Si l’insécurité juridique et les risques judiciaires sont trop grands, aucune stratégie de marché performante ne verra le jour. Entreprises et consommateurs, puis toute l’économie en subiront inévitablement les conséquences. Cet aspect revêt une importance centrale dans le débat portant sur l’évolution de la loi sur les cartels.

Au cours des deux dernières années, le Conseil fédéral a tracé, dans pas moins de trois projets successifs, les lignes directrices qui guideront le développement du droit suisse de la concurrence. On y trouve heureusement des propositions concrètes sur la manière d’assurer sa conformité avec la CEDH tant institutionnellement qu’au niveau procédural. Selon le principe de la responsabilité pour faute, les efforts fournis par une entreprise en matière d’organisation sont pris en considération et contribuent à alléger la sanction. Alors que l’on attend des réformes depuis plusieurs années, il importe de traiter en priorité ces aspects légaux.Le 22 février 2012, le Conseil fédéral a adopté et soumis à lapprobation du Parlement une révision dont le but explicite est «d’accélérer et d’améliorer les procédures, ce qui permettra d’intensifier la concurrence en Suisse et de renforcer durablement la place économique». Il a également dessiné les contours de sa mise en œuvre
Voir http://www.evd.admin.ch/themen/00129/00181/index.html?lang=fr.. Trois des mesures proposées méritent un soutien particulier: le renforcement de l’indépendance institutionnelle (réforme institutionnelle), l’amélioration de la procédure d’opposition et l’inscription dans la loi d’une sanction réduite en cas d’application d’un programme efficace visant à faire respecter la loi sur les cartels (programme de conformité). La création de deux institutions séparées – une autorité de la concurrence indépendante de l’administration et un tribunal fédéral de la concurrence rattaché au TAF – représente un progrès; le lien avec la pratique sera garanti par l’engagement de juges spécialisés. De même, les innovations relatives à la procédure d’opposition devraient favoriser l’action entrepreneuriale. Enfin, la «compliance defence» prend en compte les efforts déployés par des entreprises responsables et bien organisées, qui encouragent un comportement conforme à la concurrence en mettant intensément sur pied des mécanismes de contrôle élaborés et des programmes d’information.De manière générale, ces modifications doivent assurer que la procédure ne viole pas la CEDH: la présomption d’innocence (art. 6 CEDH) implique que le prévenu ne peut pas être obligé de s’accuser personnellement. Selon la doctrine dominante, ce principe s’applique également dans les procédures pénales à l’encontre de personnes juridiques
Rapport de la commission d’experts en matière de délits boursiers et d’abus de marché (2.3.2009), http://www.efd.admin.ch, rubriques «Documentation», «Rapports», p. 26ss.. En l’occurrence, il faudra veiller à modifier l’obligation de renseigner (art. 40 LCart) pour la rendre compatible avec le caractère pénal des sanctions prévues par l’art. 49a LCart. Il reste à savoir si l’on parviendra à la simplification espérée en durcissant les cri-tères d’évaluation des concentrations d’entreprises soumises à l’obligation d’annonce.En revanche, un regard critique doit être porté sur la proposition – motivée selon nous par des considérations politiques à court terme – qui vise à combattre l’îlot de cherté suisse par un amendement de l’art. 5 LCart. Le modeste profit attendu ne sera pas compensé par le passage à une législation prohibitive assortie d’une possibilité de justification. Les obstacles à ce changement de système ne sont pas uniquement constitutionnels. Le traitement peu différencié des ententes horizontales et verticales, qui nest malheureusement pas étayé économiquement dans le message, occulte aussi le fait que ces dernières peuvent être saines pour la concurrence. On doute que l’autorité de la concurrence, agissant en vertu de la maxime inquisitoire, continue d’explorer également les éléments à décharge – ce qui est selon toute apparence le sens de la révision – si le renversement du fardeau de la preuve oblige simultanément les entreprises à supporter les conséquences de l’absence d’une justification étayée. Il en va de même pour l’octroi d’un droit de plainte aux clients finaux. Ces deux mesures risquent de ne laisser aucune place à l’innovation et d’entraver de facto la concurrence.En comparaison internationale, la réforme prévue devrait, d’une certaine façon, rectifier les exigences de conformité, notamment pour les entreprises ayant des activités transfrontalières, et simplifier ainsi le cadre juridique. La possibilité de sanctions réduites en présence d’un solide programme de conformité représente un véritable progrès, en particulier par rapport à la réglementation en vigueur au sein de l’UE. C’est là un avantage pour la place économique suisse.

Proposition de citation: Jacques Beglinger (2012). Un développement approprié du droit de la concurrence est une chance pour la place économique suisse. La Vie économique, 01 mars.