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À quel rythme le déficit budgétaire de l’État doit-il être assaini? Une perspective internationale

À quel rythme le déficit budgétaire de l’État doit-il être assaini? Une perspective internationale

La crise financière mondiale de 2008 et la grande récession qui l’a accompagnée ont été lourdes de conséquences pour les budgets des États avancés. Leurs déficits se sont brusquement accrus, tandis que le taux d’endettement gouvernemental grimpait en flèche. La solvabilité des États a été l’objet de nombreux débats et il est maintenant largement admis que les politiques budgétaires actuelles risquent d’être intenables dans de nombreux cas. Cest pour cela que leur assainissement – parfois aussi appelé austérité dans les débats publics – mérite autant dattention.

En réponse, plusieurs pays ont déjà entrepris d’importantes corrections, en coupant dans les dépenses publiques et en augmentant les impôts ou autres sources de revenus; d’autres suivront bientôt. On parle d’austérité budgétaire pour résumer les conditions dans lesquelles se déroule la politique macroéconomique.La priorité dont jouissent les corrections budgétaires est compréhensible. La confiance que les populations placent dans la pérennité des budgets publics doit perdurer afin de maintenir la stabilité des équilibres macroéconomiques. On verrait apparaître, dans le cas contraire, un cercle vicieux associant des coûts d’emprunts et une dette publique en augmentation à un ralentissement de la croissance. Ces corrections ont, toutefois, un coût: ils freinent la croissance (principalement à court terme), ce qui peut faire empirer la situation budgétaire au lieu de l’améliorer. Suivant les conditions cycliques, une telle situation peut également accentuer certains problèmes comme le chômage. Globalement parlant, si les gouvernements pratiquent leurs corrections au même moment et tirent donc tous dans la même direction, ils peuvent aggraver le problème.Au plan macroéconomique, la question est: comment équilibrer raisonnablement les coûts et les bénéfices des ajustements budgétaires? La réponse détermine le rythme des corrections à apporter et les facteurs principaux, auxquels il convient d’ajouter l’impact de la conjoncture. Cet article tente de répondre à ces questions en les considérant dans une perspective à la fois nationale et globale.

À l’origine de la crise


Les déficits budgétaires ont explosé dans les pays les plus avancés dès le début de la crise (voir graphique 1). À de nombreux égards, cette dégradation ne faisait que refléter la profonde récession qui avait succédé à la crise financière mondiale de 2007/08. Les dépenses anticycliques comme les transferts sociaux ont augmenté avec le chômage. Parallèlement, les recettes déclinaient avec la contraction de l’activité économique. Les incitations budgétaires mises en place pour contrecarrer la dépression ainsi que la déflation, cumulées au soutien accordé au secteur financier, n’ont fait qu’aggraver le déficit dans certains cas.Au plan macroéconomique, la valeur nominale du déficit et de l’endettement publics ne donne pas une image exacte de la situation budgétaire. Les ratios déficit/PIB et dettes/PIB conviennent mieux, mais il faut bien voir que leur évolution dépend à la fois du numérateur et du dénominateur (voir graphique 1). Le sévère déclin de l’activité économique durant la grande récession puis sa lente reprise ont été autant de raisons expliquant la rapide détérioration des budgets publics depuis la crise. En fait, plus les ratios étaient élevés à l’origine et plus la croissance molle a pesé sur eux. Cette corrélation entre croissance d’un côté, déficit et endettement de l’autre explique en grande partie pourquoi il faut prêter une grande attention à l’impact des corrections budgétaires sur l’activité économique, lorsqu’il faut en déterminer le rythme.

L’impact des corrections budgétaires


Les corrections ou ajustements budgétaires représentent un ensemble de mesures destinées à réduire les déficits gouvernementaux et souvent la dette publique. La struc-ture des budgets fait qu’inévitablement des dépenses seront sacrifiées, tandis que les recettes devront s’accroître, particulièrement par l’impôt.Les ajustements budgétaires peuvent avoir un impact à la fois négatif et positif sur l’activité économique. En ce qui concerne le premier aspect, les coupes dans les dépenses réduisent la demande globale directement dans le cas de la consommation et de l’investissement publics et indirectement, en jouant sur les paiements de transfert (par exemple les indemnités de chômage), ce qui affecte les revenus disponibles. Les augmentations d’impôt réduisent ceux des ménages et les bénéfices des sociétés, ce qui en retour diminue la demande globale.Les ajustements budgétaires ont également un aspect positif. Ils doivent améliorer la confiance dans la santé des finances publiques. Ils diminuent également les besoins financiers de l’État, ce qui joue sur la masse de ses emprunts. Ce double impact diminue les taux d’intérêt des obligations gouvernementales, auxquels les autres titres de ce genre sont adossés. Cela permet de relancer la partie de la demande globale sensible aux taux, tels que les investissements et la demande pour les biens durables.En mettant en vis-à-vis les aspects positifs et négatifs, il s’agit maintenant de connaître l’effet net suscité. On suppose que, lors d’une correction budgétaire expansionniste, l’amélioration de la confiance ajoutée à la baisse des besoins financiers l’emporte sur les effets néfastes exposés plus haut, que ce soit à court ou à long termes
Voir, entre autres, Alesina et Ardagna (2010).. Les keynésiens traditionnels pensent qu’à court terme, les effets négatifs sont plus importants, tandis que, sur les longues périodes, les éléments positifs gagnent du terrain et peuvent même dominer
Dans certaines conditions précises concernant le comportement des ménages et des entreprises, les corrections budgétaires peuvent n’avoir aucun effet sur l’activité économique. L’équivalence ricardienne, où les ménages et les entreprises internalisent entièrement les contraintes budgétaires gouvernementales, suppose que tout changement dans la demande étatique est pleinement compensé par les mouvements de la demande privée. Si, par exemple, le gouvernement allège ses dépenses, les entités privées anticipent de futures réductions d’impôts, ce qui accroît leurs revenus (sur toute une vie) et déclenche une augmentation compensatoire de la demande privée. On convient, cependant, très largement que les hypothèses qui sous-tendent l’équivalence ricardienne ne se rencontrent pas dans la pratique..En pratique, cela dépendra beaucoup des circonstances. Si, par exemple, la solvabilité du gouvernement pose problème, le regain de confiance pourrait être plus marqué que si elle est largement admise. De la même manière, le niveau des taux d’intérêt sera important au début de l’ajustement.Que nous apprennent les preuves empi-riques sur l’orientation et l’amplitude des effets nets produits par les corrections budgétaires? Les Perspectives de l’économie mondiale publiées par le FMI ont récemment revu la question en ce qui concerne les économies avancées depuis le début des années quatre-vingt
Voir Perspectives de l’économie mondiale, octobre 2010, chapitre 3, ainsi que Guajardo, Leigh et Pescatori (2011).. Cette analyse est novatrice en ce sens qu’elle se base uniquement sur les ajustements délibérés, autrement dit sur ceux qui, historiquement, répondaient à un but déclaré devant être atteint par un changement de politique.Cette approche «basée sur l’action» évite le problème inhérent à l’approche standard qui étudie les équilibres budgétaires ajustés aux cycles, autrement dit des équilibres qui suppriment les effets des cycles commerciaux sur les finances de l’État. Ceux-ci devraient, en théorie, donner des indications chiffrées sur les déficits gouvernementaux qui reflètent les décisions politiques discrétionnaires. Au plan pratique, les valeurs définies sont imparfaites et peuvent, si elles sont utilisées, biaiser les résultats d’études sur les effets expansionnistes d’un assainissement budgétaire.L’analyse de 173 ans de correction budgétaire dans quinze économies avancées conclut majoritairement à la contraction de l’activité économique. Généralement, une réduction du déficit de l’État de 1% de PIB équivaut à réduire ce dernier de 0,5% dans les deux ans et à augmenter le chômage de 0,3 point de pourcentage (voir graphique 2). Durant la même période, les taux d’intérêt chutent de 20 points de base comme prévu, mais cela ne semble pas suffire à compenser les effets négatifs.Il est intéressant de noter que les contractions économiques ont même touché les pays où les risques de défaillance semblaient les plus graves. On pouvait espérer que, dans de tels cas, l’effet confiance joue un rôle de première importance. Les effets néfastes ont aussi été plus faibles qu’habituellement, ce qui met en relief l’importance de la perception que l’on peut avoir de la solvabilité du secteur public et des risques de défaillance.

Les conditions économiques mondiales tendent à accroître les coûts de l’assainissement


Les Perspectives de l’économie mondiale mettent en relief deux mécanismes qui ont aidé à amortir les effets négatifs de l’assainissement budgétaire dans le passé:1. L’assouplissement de la politique monétaire semble freiner la contraction de l’économie. De faibles taux directeurs renforcent la compensation des faibles taux d’intérêt à long terme.2. Une dévaluation réelle de la devise nationale a également eu cet effet amortisseur en relançant les exportations. Généralement, un ajustement budgétaire correspondant à 1% du PIB équivaut à une dépréciation monétaire de 1,1% et une augmentation des exportations de 0,5 point de pourcentage.Les circonstances actuelles ne laissent guère de chances à ces mécanismes d’éclore:1. Les taux d’intérêt nominaux sont déjà très faibles et frôlent même le zéro dans de nombreux pays. Il n’est pas possible de procéder à un assouplissement supplémentaire de la politique monétaire avec les outils habituels En conséquence, le coût à court terme d’un ajustement budgétaire est plus élevé lorsque les taux d’intérêt nominaux sont très proches de zéro que lorsqu’il existe encore de la marge
Ceci est le pendant à la conclusion qui veut que le multiplicateur budgétaire tend à croître lorsque les taux d’intérêt nominaux frôlent le zéro (voir, par exemple, Freedman et autres, 2010)..2. Nombreuses sont les économies avancées, petites et grandes, à devoir faire face au même moment à des problèmes budgé-taires. Une dévaluation monétaire réelle n’aurait probablement pas d’effets significatifs si toutes adoptent des correctifs budgétaires. Dans une union monétaire, une dévaluation réelle n’a guère de chance de se concrétiser à court terme, puisque les prix des biens finaux ne se détachent pas à terme et que le taux de change n’est pas une variable politique.La conclusion à tirer est que l’environnement global actuel s’ajoute aux coûts à court terme produits par les corrections budgétaires. Les deux derniers points mentionnés figurent parmi les principales raisons qui justifient les récentes mises en garde du FMI contre une austérité excessive
Voir, par exemple, la mise à jour des Perspectives de l’économie mondiale, janvier 2012.. D’importants moyens permettant d’amortir le choc produit par les corrections budgétaires et ayant fait leurs preuves dans le passé ne fonctionnent plus ou moins qu’espéré. Cela signifie également que plusieurs États agissant dans la même direction risqueraient de renforcer les effets néfastes produits à court terme par ces corrections sur la croissance, l’activité économique et le chômage.

Quel rythme faut-il suivre?


Que cela implique-t-il au niveau du rythme des corrections budgétaires? Les décideurs politiques ne doivent pas oublier les effets néfastes que celles-ci provoquent à court terme sur l’activité économique. Leur importance dépend également des conditions cycliques. Actuellement, la croissance est relativement anémique dans la plupart des économies avancées; forcer sur les corrections ne serait donc pas très utile. Le chômage reste élevé, tandis que les écarts de production sont toujours négatifs, alors que voilà maintenant quatre ans que la crise a commencé. Les ménages et les intermédiaires financiers de nombreuses économies avancées ne sont pas encore en état d’absorber sans dommage un ralentissement de la croissance économique.Pour minimiser ces risques, il convient de réduire les corrections et d’étaler dans le temps les réductions de déficit et d’endettement. Comme il s’agit de concepts inter-temporels, l’État peut retrouver sa solvabilité et permettre à sa dette de devenir viable à travers des mesures qui affecteront l’avenir plutôt que les déficits présents. Une possibilité serait de modifier les futures dépenses en allocations, en liant, par exemple, aussi l’âge légal de la retraite à l’espérance de vie. De tels ajustements seraient nettement moins dommageables à court terme pour l’activité économique et la croissance.Tous les pays n’ont pas les mêmes possibilités de retarder ou de répartir les corrections nécessaires. Les risques perçus pour la solvabilité de l’État ont leur importance. Plus ils sont élevés et plus un ajustement graduel coûtera, en raison de la faiblesse ou de l’absence de l’effet confiance et de linfluence des taux d’intérêt. Les corrections devront, dans ces cas-là, être plutôt fortes que moindres. De la même manière, l’état du déficit budgétaire et de la dette publiques au début de la crise financière mondiale influe également sur le rythme des corrections. Plus cet état est critique et plus la solvabilité de l’État risque d’être touchée dans l’immédiat.

Conclusion


La principale conclusion est que le bon rythme dépend de plusieurs facteurs. En raison, toutefois, des mauvaises perspectives en matière de croissance économique dans les économies avancées et des risques possibles, il convient de cerner les problèmes auxquels pourraient conduire les excès de correction budgétaire. Leurs besoins et leur urgence varient suivant les pays. Ainsi, peu d’entre eux ont fait l’expérience d’un accroissement rapide du rendement des obligations gouvernementales (voir graphique 3). Les ajustements devraient donc être adaptés aux conditions nationales. Les gouvernements sur lesquels la pression des marchés serait faible ou nulle pourraient procéder à des corrections graduelles et non brutales. Ces mêmes réflexions s’appliquent aux pays qui se trouvait, lors de l’explosion de la crise, dans des situations plutôt favorables.

Graphique 1: «Situation budgétaire des pays industriels»

Graphique 2: «Effet d’un assainissement budgétaire égal à un point de PIB»

Graphique 3: «Rendement des obligations gouvernementales à dix ans, janvier 2007– février 2012»

Encadré 1: Références

Références


− Alesina Alberto et Ardagna Silvia, «Large Changes in Fiscal Policy: Taxes versus Spending», Tax Policy and the Economy, vol. 24, 2010, éd. Jeffrey R. Brown, Cambridge, Mass., National Bureau of Economic research.− Guajardo Jaime, Leigh Daniel et Pescatori Andrea, Expansionary Austerity: New International Evidence, IMF Working Paper 11/158, 2011, Washington, Fonds monétaire international.− Freedman Charles, Kumhof Michael, Laxton Douglas et Lee Jaewoo, The Case for Global Fiscal Stimulus, IMF Staff Position Paper 09/03, 2009, Washington: Fonds monétaire international.

Proposition de citation: Thomas Helbling (2012). À quel rythme le déficit budgétaire de l’État doit-il être assaini? Une perspective internationale. La Vie économique, 01 mars.