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Le stress au travail rend-il malade et entraîne-t-il des pertes pour l’économie?

Le stress au travail rend-il malade et entraîne-t-il des pertes pour l’économie?

Les conditions de travail dont la pénibilité est prouvée provoquent-elles un sentiment négatif de stress? Le stress ressenti au travail accroît-il les risques pour la santé et constitue-t-il, de ce fait, une source de chômage? Le présent article étudie ces questions à l’aide des données de l’Enquête européenne sur les conditions de travail (EWCS) et complète, ce faisant, le rapport connu sous le titre Étude sur le stress
Cette étude peut être téléchargée gratuitement sur http://www.seco.admin.ch, rubriques «Documentation», «Publications et formulaires», «Études et rapports», «Travail». Le présent article analyse la même base de données, mais en adoptant en plus une approche médico-économique. Il se base sur un document de travail téléchargeable à l’adresse http://www.seco.admin.ch, rubriques «Documentation», «Publications et formulaires», «Documents de travail», «Travail» (en allemand)..

Conditions de travail et sentiment de stress


Dans un premier temps, on a analysé dans quelle mesure le sentiment négatif de stress peut s’expliquer par des conditions de travail vérifiables objectivement (voir graphique 1). Cet examen révèle que le sentiment de stress possède des liens relativement étroits avec les sentiments et appréciations personnels suscités par les conditions de travail: instructions peu compréhensibles, tâches mal adaptées aux horaires convenus, manque de soutien de la part du chef et des collègues, pression des délais, difficulté à nouer les deux bouts avec son revenu, sentiment de déstabilisation à chaque interruption de travail imprévue, discriminations de toute sorte, etc. Cependant, les conditions de travail stressantes qui peuvent être vérifiées objectivement par des tiers (comme la fréquence moyenne des travaux imprévus par mois) semblent jouer un moindre rôle dans l’apparition du sentiment de stress. Seuls deux de ces facteurs objectifs se sont avérés nettement stressants: 1° le nombre de jours par mois dont on se souvient avoir dû travailler normalement plus de dix heures, 2° la fréquence des interruptions de travail dues à des tâches imprévues.

Sentiment de stress, mauvaises conditions de travail et maladie


L’hypothèse est que certaines situations objectives de travail et d’existence ont tendance à accroître le sentiment de stress et donc le risque de maladie. Comme – à conditions de travail identiques – un tel sentiment varie d’un individu à l’autre suivant sa résistance, des conditions de travail défavorables ne déclenchent pas forcément un sentiment négatif de stress chez toutes les personnes concernées. Il peut donc être intéressant d’étudier dans quelle mesure un tel stress est lui-même cause de maladie.On part du constat suivant (voir tableau 1): des personnes interrogées qui qualifient leur état de santé de très bon ou de bon (86%), 31% (soit 270 sur 860) reconnaissent éprouver fréquemment ou très fréquemment un sentiment négatif de stress. Chez les personnes actives qualifiant leur état de santé de moyen, mauvais ou très mauvais, cette proportion monte à 53% (75 personnes sur 142).Ce simple constat statistique montre que le sentiment de stress influence l’état de santé. Ce dernier dépend toutefois d’une foule d’autres facteurs, qui n’auront pas nécessairement la même fréquence de distribution dans les deux groupes (celui des stressés et l’autre). Une telle distorsion dans la sélection pourrait expliquer que l’effet observé du stress sur la santé ne soit qu’une corrélation apparente. Les estimations empiriques permettent d’évaluer l’importance relative de ces facteurs. L’état de santé tel que jugé par les sujets eux-mêmes (état de santé subjectif) est corrélé négativement aux facteurs suivants: âge de plus de 50 ans, longue appartenance à l’entreprise, pénibilité physique, travail de moins en moins adapté à l’horaire disponible, travail contre la montre plus fréquent, détérioration de la prévisibilité des horaires, travail non autonome, monotonie des tâches, droit de concertation jugé insuffisant, absence de pauses prévisibles, manque d’encouragement des travailleurs (par des mesures de formation continue payées par l’entreprise), enfin manque subjectif d’aptitude à gérer le stress. Le sentiment de stress ne contribue pas significativement à expliquer l’état de santé subjectif global
Le fait que cette chaîne de causalité ne puisse être prouvée ne permet pas forcément de conclure à son inexistence. Ainsi, les personnes en âge de travailler qui sont déjà sorties involontairement de la vie active – notamment en raison de maladie – n’ont pas été prises en compte lors de l’enquête. Cette dernière n’est donc pas représentative de toutes les personnes en âge de travailler, mais seulement des personnes actives. Des estimations analogues ont été réalisées quant au nombre de périodes de maladie que les personnes se souviennent avoir connu au cours des douze derniers mois. Dans ce cas, le sentiment négatif de stress et l’inaptitude subjective à le gérer jouent un rôle indépendant significatif..Plusieurs des facteurs sur lesquels portait l’enquête dépendent de l’appréciation individuelle et ne permettent pas de tirer des conclusions directes quant aux conditions objectives de travail. Le fait qu’un supérieur semble donner trop de tâches par rapport à l’horaire convenu ne reflète par exemple pas seulement la multiplication ou la fébrilité objective du travail, mais encore l’éventualité que, du fait de ses caractéristiques person-nelles, le travailleur interrogé ait été affecté au mauvais emploi et que la surcharge ressentie ne soit donc que relative.Pour désamorcer ce problème, du moins en ce qui concerne la variabilité de la résistance individuelle au stress, on a opéré des dépouillements distincts pour les personnes se sentant stressées et pour les autres. On cherche ici à savoir si des conditions de travail défavorables influencent les personnes se sentant stressées différemment des personnes ne se sentant jamais ou rarement stressées dans la perception qu’elles ont de leur santé.1. Dans le groupe des non-stressés, les juniors (jusqu’à 30 ans) se disent, de manière significative, en plus mauvaise santé que les autres classes d’âge
Peut-être les juniors ont-ils plus de réticence à avouer leur sentiment de stress. Ou alors ils sont plus sensibles dans la perception de leur état de santé et jugent ou se rappellent comme maladie des cas que les autres classes d’âge auront eu tendance à oublier ou à ne pas qualifier de véritable maladie. Tout cela peut atténuer la corrélation avec les expériences de stress négatif.. Ce n’est que dans ce groupe que la fréquence élevée de discriminations de toute sorte (du fait de l’âge ou du sexe, de vexations, de menaces et de dénonciations publiques, de violence physique, de «mobbing», de harcèlement sexuel) se traduit par une santé subjectivement plus mauvaise. Il existe, en outre, de nettes indications laissant penser que même chez les non-stressés, les problèmes de direction (absence d’objectifs conve-nus clairs, inadaptation des tâches aux horaires convenus) peuvent compromettre la santé.2. Dans le groupe des stressés, les facteurs qui affectent la santé sont les suivants: pénibilité physique, travail dominical fréquent, horaires non modulables librement, manque de respect de la part des chefs, fréquentes interruptions imprévues de travail, manque fréquent de tâches autonomes, sentiment d’épuisement émotionnel.D’une façon générale, on peut dire que pour les non-stressés, ce sont les discriminations au travail ainsi que les problèmes de direction qui constituent des risques pour la santé, mais que ces derniers n’ont pas forcément un lien avec la nature concrète du travail. En revanche, pour les personnes stressées, les risques pour la santé résultent souvent de facteurs liés au travail lui-même (comme le manque d’autonomie), certains d’entre eux étant même inévitables suivant le travail (pénibilité physique par exemple). L’incapacité à gérer le stress ne joue pas de rôle important, comme on le voit dans le tableau 2.34,3% des personnes actives interrogées (soit 344 sur 1002) se disent fréquemment exposées à un sentiment négatif de stress. Toutefois, seules 7% de celles qui se sentent stressées pour le moins de temps à autre (62 sur 870) s’attribuent une mauvaise aptitude à gérer ce sentiment ou à y résister. Un fait frappant est que, sur un total de 344 personnes se sentant fréquemment stressées, 294 (85,5%) s’attribuent une aptitude à gérer le stress assez bonne ou très bonne. Pour celles qui ne se sentent stressées qu’occasionnellement, ce taux monte même à 97,7% (514 sur 526).Ce constat soulève la question des causes premières du stress ressenti comme négatif et comme facteur de maladie. On peut concevoir ici deux possibilités, qui ne s’excluent d’ailleurs pas forcément. 1. Le stress reflète un désaccord entre les exigences de l’emploi et les compétences disponibles, d’où une surcharge relative. Cette dernière affecte toujours un certain pourcentage des salariés, mais ne concerne chaque individu que fortuitement et temporairement, jusqu’à ce qu’on lui ait trouvé un emploi mieux adapté. Il s’agit alors d’un problème inévitable de recherche et d’information.2. Si le problème concerne, cependant, toujours la même catégorie de personnes et devient pour elle un état durable, le stress pathogène résulte alors d’un tout autre genre d’inévitabilité. Cette catégorie de personnes est incluse dans le segment du marché du travail dit des emplois pré- caires. Comme ceux-ci sont strictement involontaires, leur pourcentage dans l’ensemble des salariés éprouvant un sentiment négatif de stress constitue un indicateur des pertes pour l’économie (voir encadré 2

Signification du stress au travail pour l’économie de la santé


L’expression la plus nette de la différence entre les regards que la médecine du travail et l’économie de la santé portent sur le stress au travail apparaît lorsquon considère celui-ci comme un échec du marché. Alors que la méde-cine du travail souhaite combattre toute forme pathogène et évitable de stress pour des raisons éthiques, l’économie de la santé argumente que cela n’est souhaitable que dans un cas précis, à savoir à partir du moment où ce stress entraîne des pertes pour l’économie.Il est toutefois difficile d’estimer les pertes pour l’économie induites par le stress au travail. Pour cela, il faudrait pouvoir déterminer tous les phénomènes de stress non compensés en argent ou autrement, ce qui serait la seule méthode valable d’en mesurer les effets externes. S’il n’y avait pas d’effets externes – et donc pas d’échec du marché sur ce point –, tous les symptômes de stress seraient subis volontairement, même s’ils devaient être jugés strictement négatifs du point de vue médical et éthique, d’une part, parce que leurs séquelles éventuelles seraient connues de tous et, de l’autre, parce qu’ils seraient entièrement compensés par davantage de loisirs, de salaire, de prestige, de meilleures chances d’avancement ou d’autres privilèges et avantages. Faute d’incitation perverse, il n’y aurait pas de comportement faussant les résultats. L’ampleur du stress jugé négatif en éthique et en médecine serait donc efficace du point de vue économique. Inversement, il ne se produit de coûts externes – et donc de pertes pour l’économie – que si le stress ressenti comme négatif et ses effets sur la santé ne sont soit pas connus complètement soit pas compensés, et doivent donc être subis involontairementa.

a Le phénomène apparemment paradoxal de la persistance de l’«involontarisme» dans un marché du travail où règne la liberté de contracter peut être expliqué correctement à l’aide de la théorie économique du salaire d’efficience (J. Stiglitz, C. Shapiro). Cf. Ecoplan (éd.), Die Entwicklung atypisch prekärer Arbeitsverhältnisse in der Schweiz, publications du Seco n° 32, Berne 2010, téléchargeable gratuitement sous http://www.seco.admin.ch, rubriques «Documentation», «Publications et formulaires», «Séries de publications», «Travail» (en allemand).). Pour en déterminer empiriquement l’importance, il faudrait récolter des indices de la souffrance non compensée résultant du stress.

Menace de perte d’emploi à cause du stress


Dans quelle mesure un sentiment de stress accru augmente-t-il le risque de perdre son emploi? Comme une observation directe n’est pas possible, puisqu’on interroge des gens qui sont (encore) employés, on essaie, à l’instar d’autres études empiriques, d’estimer le risque futur de perte d’emploi à l’aide de la fréquence de l’absentéisme, interprétée comme variable prédictive certes inexacte, mais non faussée, de la perte d’emploi. Voici les résultats de notre étude empirique: 1. Les causes de l’absentéisme sont la fai-blesse de l’intégration sociale (mesurée à l’aune des activités bénévoles, du soin des enfants et des parents, des loisirs collectifs, etc.), des conditions de travail insatisfaisantes, le présentéisme (présence au lieu de travail malgré la maladie), l’absence du sentiment d’accomplir un travail utile, les contraintes physiques, un horaire quotidien irrégulier, l’absence d’heures fixes pour le début et la fin du travail, l’incompatibilité du métier et des charges de famille. Tous ces éléments sont des facteurs de stress facilement vérifiables objectivement par des tiers et qui indiquent éventuellement un emploi précaire ou flexible et des conditions d’existence difficiles. 2. L’absentéisme n’est pas corrélé à un recours plus fréquent aux médicaments. Le sentiment personnel de stress ne joue pas non plus de rôle particulier pour l’expliquer (ni donc pour expliquer le risque de perte d’emploi), pas plus que le style de direction des chefs, les rapports personnels avec le supérieur ou l’état de santé subjectif. Dans plusieurs cas, les tests statistiques font penser que ce dernier ne résulte pas d’un événement fortuit (comme la grippe, par exemple), mais d’une des causes plus «profondes» de l’absentéisme. Ainsi, les conditions d’existence généralement précaires peuvent favoriser les atteintes à la santé. En pareil cas, l’absentéisme ne sera que le symptôme observé de la précarité de l’existence.

Une prime salariale pour supporter le stress?


Quels sont les effets salariaux du sentiment négatif de stress au travail? Pour ré-pondre à la question, on a étudié dans quelle mesure les situations favorisant le stress et plus généralement les travaux pénibles étaient compensés par une «prime de stress» dans des métiers par ailleurs comparables. Pour pouvoir déceler ici un effet sensible, il faut que le marché du travail offre suffisamment d’emplois entre lesquels on peut choisir sans acquérir de formation supplémentaire et qui ne se distinguent que par leur caractère plus ou moins stressant
L’hypothèse contraire – plus le stress augmente, plus le salaire diminue – se fonde sur les effets temporaires de «chocs négatifs» dont la portée ne peut être mesurée empiriquement dans une enquête purement ponctuelle..À cet effet, on a dessiné une «fonction salariale» en y intégrant successivement de nouveaux groupes d’influences: − grandeurs structurelles (taille de l’entreprise ou de la branche, etc.);− caractéristiques individuelles (sexe, âge, diplôme de formation le plus élevé, etc.);− conditions de travail et statut dans l’entreprise (contrat de travail illimité ou non, fonction de cadre, ancienneté, etc.);− type de travail (pénibilité, interruptions imprévues, autonomie dans l’exécution des tâches);− état de santé subjectif (douleurs ou maux divers, etc.). Tous ces facteurs, qui exercent une influence significative sur le salaire, n’ont d’intérêt que dans la mesure où, à la fin, ils permettront de dégager l’influence distincte et exclusive du sentiment de stress sur le montant du salaire. Le résultat empirique est que la fréquence du sentiment de stress n’a aucun effet sur ce montant. Un autre résultat accessoire important est que la nationalité n’entraîne pas de discrimination salariale.Les facteurs spécifiques dont on peut prouver l’influence sont les suivants: − l’inaptitude personnelle (subjective) à gérer le stress est significativement plus fréquente chez les bas salaires;− la faible pénibilité du travail est corrélée significativement aux bas salaires, alors que les facteurs favorisant le stress ou plus généralement la pénibilité sont liés plus fréquemment à de hauts salaires; ainsi, celui qui est rarement forcé de terminer un travail pendant ses loisirs touche généralement un salaire nettement inférieur ou encore celui qui accomplit un travail calme, relativement exempt de dérangement, touche très nettement moins d’argent.Pour une proportion non négligeable de salariés, les tests statistiques montrent que ce n’est pas le stress qui influence le salaire, mais que c’est au contraire la classe de salaire atteignable dans chaque cas qui détermine si l’on est poussé vers un profil de métier plus calme, «moins stressant». Les pertes relatives de salaire entraînent ici une diminution du stress
La «solidité» définitive de ces résultats statistiques (ou «endogénéité des variables explicatives», en jargon technique) et de l’interprétation qui en est faite («causalité inverse») ne pourra être établie en fin de compte que si la même enquête est réalisée à des dates différentes avec les mêmes participants.. La part du segment des emplois pré-caires ne peut cependant être calculée exactement.

Conclusion


Les conditions de travail ont une influence essentielle sur l’état de santé subjectif des salariés, mais il n’a pas été possible de prouver que le sentiment de stress soit lui aussi un facteur de détérioration. Les conditions de travail dont il est vérifié objectivement qu’elles favorisent le stress ou qui sont généralement pénibles (fébrilité, imprévisibilité, contraintes physiques) ont un effet pathogène particulier quand elles sont inhérentes au travail lui-même et donc difficilement évitables à moins de changer de travail. Pour les personnes qui veulent échapper au risque du chômage de longue durée, la possibilité de changer de travail est cependant fermée à celles qui exercent un métier précaire. La proportion de cette catégorie de personnes qui doivent subir involontairement des sentiments négatifs de stress par rapport à l’ensemble des personnes ressentant un stress négatif – et donc l’ampleur des pertes pour l’économie résultant du stress – ne peut être calculée. Pourtant, ce groupe auquel il ne resterait que le chômage involontaire ne peut être négligeable, car on peut prouver empiriquement que le risque de perdre son travail croît sensiblement lorsque prédominent des conditions de travail qui favorisent le stress et que les conditions générales d’existence sont déjà celles de personnes marginalisées.

Graphique 1: «Hypothèse d’interaction»

Tableau 1: «Sentiment de stress et état de santé»

Tableau 2: «Aptitude à gérer le stress et le sentiment de stress»

Encadré 1: Définition du stress

Définition du stress


Dans l’usage courant, le terme de stress désigne à la fois le processus de contrainte au travail et le sentiment négatif qui en résulte, d’où l’intuition que les deux notions sont indissociables. Or les enquêtes prouvent régulièrement que ce n’est pas nécessairement le cas: les situations de fébrilité ne suscitent pas toutes un sentiment négatif de stress, et ce dernier n’est pas provoqué uniquement par des situations fébriles. Dans notre article, le stress est donc compris au sens restreint de sentiment de stress. Il en résulte que, pour suivre l’usage courant, on parlera de conditions de travail dites «stressantes» pour désigner des situations génératrices de contrainte. Ces situations peuvent tout au plus favoriser un sentiment de stress, mais n’en sont jamais la seule cause.

Encadré 2: Signification du stress au travail pour l’économie de la santé

Signification du stress au travail pour l’économie de la santé


L’expression la plus nette de la différence entre les regards que la médecine du travail et l’économie de la santé portent sur le stress au travail apparaît lorsquon considère celui-ci comme un échec du marché. Alors que la méde-cine du travail souhaite combattre toute forme pathogène et évitable de stress pour des raisons éthiques, l’économie de la santé argumente que cela n’est souhaitable que dans un cas précis, à savoir à partir du moment où ce stress entraîne des pertes pour l’économie.Il est toutefois difficile d’estimer les pertes pour l’économie induites par le stress au travail. Pour cela, il faudrait pouvoir déterminer tous les phénomènes de stress non compensés en argent ou autrement, ce qui serait la seule méthode valable d’en mesurer les effets externes. S’il n’y avait pas d’effets externes – et donc pas d’échec du marché sur ce point –, tous les symptômes de stress seraient subis volontairement, même s’ils devaient être jugés strictement négatifs du point de vue médical et éthique, d’une part, parce que leurs séquelles éventuelles seraient connues de tous et, de l’autre, parce qu’ils seraient entièrement compensés par davantage de loisirs, de salaire, de prestige, de meilleures chances d’avancement ou d’autres privilèges et avantages. Faute d’incitation perverse, il n’y aurait pas de comportement faussant les résultats. L’ampleur du stress jugé négatif en éthique et en médecine serait donc efficace du point de vue économique.Inversement, il ne se produit de coûts externes – et donc de pertes pour l’économie – que si le stress ressenti comme négatif et ses effets sur la santé ne sont soit pas connus complètement soit pas compensés, et doivent donc être subis involontairementa.

a Le phénomène apparemment paradoxal de la persistance de l’«involontarisme» dans un marché du travail où règne la liberté de contracter peut être expliqué correctement à l’aide de la théorie économique du salaire d’efficience (J. Stiglitz, C. Shapiro). Cf. Ecoplan (éd.), Die Entwicklung atypisch prekärer Arbeitsverhältnisse in der Schweiz, publications du Seco n° 32, Berne 2010, téléchargeable gratuitement sous http://www.seco.admin.ch, rubriques «Documentation», «Publications et formulaires», «Séries de publications», «Travail» (en allemand).

Proposition de citation: Thomas Ragni (2012). Le stress au travail rend-il malade et entraîne-t-il des pertes pour l’économie. La Vie économique, 01 mars.