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Le rapport de l’OCDE et de l’OMS sur le système de santé suisse: faire du neuf avec du vieux?

Le rapport de l’OCDE et de l’OMS sur le système de santé suisse: faire du neuf avec du vieux?

Le rapport récemment publié par l’OCDE et l’OMS sur le système de santé suisse donne un excellent aperçu des problèmes actuels et à venir, ainsi que des réformes à mener. La comparaison avec la stratégie du Conseil fédéral montre que la politique de réforme engagée par celui-ci va dans le bon sens. L’agenda de ces prochaines années demeure, toutefois, lourdement chargé en matière de santé.



En 2004, le conseiller fédéral Pascal Couchepin avait demandé à l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) ainsi qu’à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de procéder conjointement à une évaluation du système de santé suisse. Inédite à l’époque, la coopération de ces deux grandes organisations a permis de conjuguer le savoir économique de l’OCDE aux compétences de l’OMS en matière de santé publique
OCDE (2006).. Cinq ans plus tard, le conseiller fédéral Didier Burkhalter a demandé à ce que le rapport soit mis à jour. Il s’agissait non seulement de retracer l’évolution depuis 2006 mais encore d’approfondir trois thèmes importants, à savoir la gouvernance générale du système, le personnel de santé et l’assurance-maladie, afin de profiter des expériences internationales. Ce nouveau rapport
OCDE (2011). a été présenté au public le 17 octobre 2011.Le présent article se penche sur les conclusions du rapport qui se concentre sur la façon de réduire les coûts et d’améliorer l’efficience des soins. En l’espèce, la question essentielle est de savoir s’il émane de l’OCDE et de l’OMS des enseignements nouveaux que nous devrions reprendre dans la politique de réforme du système de santé. L’encadré 1

26 recommandations de l’OCDE et de l’OMS pour une réforme du système de santé suisse


Le principal défi pour le système de santé suisse est de répondre efficacement à l’importance prise par les maladies chroniques et les pathologies multiples. Cela nécessitera des changements selon les axes indiqués ci-dessous: (toutes les recommandations directement axées sur l’influence des coûts et l’amélioration de l’efficience figurent en italique.)

Bloc A. Améliorer la gouvernance stratégique et développer une information de meilleure qualité pour le système de santé suisse

1. Concevoir un cadre juridique d’ensemble pour la santé au niveau fédéral, qui définisse clairement une vision commune pour le système de santé avec des objectifs clairs, tout en reconnaissant la pluralité des approches et la diversité des ressources, des besoins et des préférences selon les cantons. Il s’agirait aussi de mieux expliciter les rôles et les responsabilités des différents niveaux d’administration et de renforcer les plates-formes de partage des données, en fournissant des éléments d’observation et des analyses pour étayer l’élaboration des politiques et diffuser les bonnes pratiques.2. Définir des calendriers et des normes au niveau national pour de meilleurs systèmes d’information sur la santé et la communication obligatoire d’un ensemble minimum de données pour tous les cantons. Les bases de données et enquêtes régulières devraient couvrir les aspects ci-après: risques pour la santé; soins primaires, personnels de santé (y compris le personnel infirmier et autres auxiliaires médicaux) et activité des consultations externes; qualité des services de soins ambulatoires, hospitaliers et de longue durée; morbidité et mortalité évitable grâce aux soins de santé; inégalités sur le plan de la santé (en fonction, par exemple, du revenu, du niveau de formation et d’autres caractéristiques sociales).3. Mettre en place le dossier électronique des patients, un identifiant personnel unique et des cartes à puce individuelles pour améliorer la coordination et la prestation des soins de santé.4. Renforcer et institutionnaliser la coordination entre les niveaux fédéral et cantonal ainsi qu’entre les cantons, en particulier pour améliorer l’organisation et la planification de l’offre de soins de santé.

Bloc B. Réformer les mécanismes de financement et de compensation:

5. Améliorer la qualité, l’efficacité, l’efficience et la coordination des soins. L’analyse coût-efficacité des prestations couvertes par la LAMal devrait être renforcée, grâce à une utilisation plus formalisée et systématique de l’évaluation des technologies en santé. Les mécanismes de participation à la dépense devraient être conçus de manière à encourager l’utilisation de biens et de services médicaux efficaces et économiques ainsi que la prévention. Il conviendrait de promouvoir les modèles de soins intégrés et le “managed care” en suivant et en rendant publics leurs résultats sur le plan de la qualité et les réussites en termes de gestion des maladies. Les prestataires de réseaux devraient être incités à intégrer la prévention dans leur offre et à assurer un continuum de soins à leurs patients.6. Améliorer la concurrence fondée sur la valeur dans le contexte de l’assurance-maladie. Les contrats sélectifs entre assureurs et prestataires devraient être progressivement autorisés et il conviendrait d’affiner davantage le mécanisme de compensation des risques en introduisant des facteurs qui tiennent compte du risque lié à la morbidité et en passant à un calcul prospectif des paiements au titre de la compensation des risques. 7. Observer l’équité dans le financement de la santé, en particulier l’impact sur l’accès aux soins d’une participation élevée à la dépense et des contrats d’assurance à franchise élevée. L’efficacité des mécanismes de protection sociale (subventionnement des primes, par exemple) devraient continuer de faire l’objet d’un suivi et il conviendrait d’envisager de fixer des normes minimales pour l’octroi d’aides au titre des primes aux ménages éligibles.

Bloc C. Renforcer la planification stratégique et à l’échelle nationale des effectifs de santé pour garantir que le système de santé suisse, à l’avenir, puisse répondre à des attentes croissantes et à l’évolution des types de pathologies à prendre en charge:

8. Renforcer les systèmes d’information sur les personnels de santé, en particulier pour les infirmières et autres auxiliaires médicaux, et introduire un suivi, une évaluation et un «reporting» systématiques des politiques visant les personnels de santé au niveau national.9. Encourager les écoles de médecine et les écoles d’infirmières à augmenter progressivement le nombre des professionnels de santé formés dans le pays, en particulier dans les spécialités dans lesquelles on anticipe des pénuries, comme en médecine générale.10. Traiter les questions d’équité et d’efficience en rapport avec les migrations internationales de personnels de santé dans le cadre du Code de pratique mondial de l’OMS pour le recrutement international des personnes de santé.11. À court terme, réviser Tarmed pour relever les niveaux relatifs de paiement des services de pratique générale et autres spécialités connaissant des pénuries. 12. Promouvoir les bonnes pratiques, notamment les collaborations interdisciplinaires et interprofessionnelles. 13. Diffuser l’information sur les pratiques optimales en matière de gestion des ressources humaines à l’hôpital (« magnet hospitals ») pour inciter à reproduire ces expériences. 14. Élaborer des politiques destinées à accroître l’attractivité des professions de santé et favoriser la rétention (en particulier dans les zones reculées et montagneuses), ainsi que la réinsertion professionnelle. 15. Encourager les approches interprofessionnelles et la formation professionnelle continue, comme dans le contexte des modèles de soins intégrés et de gestion des maladies.16. Élaborer des plans de carrière plus complets et à plus long terme dans le secteur de la santé publique, et constituer un corps professionnel national réunissant des professionnels de la santé publique praticiens, des établissements universitaires ainsi que des administrations fédérales et cantonales qui soit en mesure de prodiguer des conseils davantage fondés sur les preuves dans le secteur de la santé publique.

Bloc D. Renforcer l’amélioration de la santé et la garantie de la qualité dans les soins de santé:

17. Évaluer systématiquement les programmes de promotion de la santé et de prévention des maladies en étant particulièrement attentif à la façon de mettre en œuvre et de contrôler l’application de mesures préventives en matière de santé publique qui ne sont pas encore universellement disponibles (dépistage du cancer du sein), ne sont pas universellement adoptées (vaccination) ou sont d’un bon rapport coûtefficacité (taxes sur le tabac et l’alcool). 18. Élargir, fondamentalement, la place de la prévention dans le système de santé suisse, par exemple en encourageant les prestataires à intégrer la prévention dans leur pratique en renforçant ou en adoptant une législation fédé- rale sur la santé publique et la prévention qui assigne clairement les responsabilités et donne les moyens financiers de mettre en œuvre les politiques adéquates dans tout le pays.19. Renforcer la responsabilité et le leadership au sein du système de santé à la fois pour intensifier les progrès concernant l’amélioration de la santé et la prévention des maladies, et pour mieux se préparer aux situations d’urgence nationale.20. Fournir un soutien financier accru pour faciliter des initiatives à l’échelle nationale en faveur de la qualité des soins. 21. Exiger des prestataires, aussi bien au niveau hospitalier qu’au niveau ambulatoire, qu’ils collectent et communiquent des informations sur un système d’indicateurs de qualité des soins de santé à l’échelle du pays.

Bloc E. Renforcer l’efficience de l’offre de soins de santé et des dépenses pharmaceutiques:

22. Envisager de passer de l’actuel système dual du financement des soins en hospitalisation par les cantons et les assureurs à un système dans lequel le financement des cantons est dirigé vers un payeur unique.23. Veiller à ce que la mise en œuvre des DRG s’accompagne d’un accroissement de l’autonomie pour les hôpitaux cantonaux, à ce que de nouvelles informations sur l’efficience et la qualité des prestataires soient utilisées pour orienter la planification hospitalière, et à ce que les paiements au titre des DRG soient complétés pour soutenir l’offre de services essentiels (par exemple, services en cas d’accident et services d’urgence). 24. Traiter le problème de l’incitation à la surproduction inhérent aux formules de paiement à l’acte en les combinant avec d’autres éléments de rémunération des prestataires.25. Encourager une évolution des soins aigus à l’hôpital vers les soins ambulatoires, et le développement d’une prise en charge transversale dans des structures ambulatoires ou résidentielles pour les personnes ayant besoin de soins de longue durée, les personnes souffrant de maladies mentales ou celles ayant besoin de soins palliatifs.26. Développer les politiques incitant à privilégier la qualité et le rapport coût-efficacité dans la prescription et l’utilisation des produits pharmaceu-tiques (recours à l’évaluation des technologies en santé et plus large incitation à l’utilisation des génériques, par exemple).

reproduit dans leur intégralité les 26 recommandations émises. Celles-ci se réfèrent à tous les domaines examinés. Les recommandations qui revêtent une importance particulière en matière de maîtrise des coûts ou de meilleure efficience figurent en italique.

Orientation générale


L’OCDE et l’OMS retiennent que le système de santé suisse compte parmi les meilleurs, ce dont témoignent, par exemple, une espérance de vie élevée et le haut degré de satisfaction des patients. Elles reconnaissent que, depuis le premier rapport en 2006, des progrès ont été réalisés dans de nombreux domaines (à l’instar du nouveau financement des hôpitaux). Toutefois, le satisfecit décerné à la Suisse n’est pas sans réserve. Les coûts (trop) élevés et la persistance de fausses incitations suscitent des critiques. Pour les deux organisations, la Suisse devra affronter des défis énormes en raison des mutations démographiques, de l’augmentation à venir du nombre de personnes atteintes de maladies chroniques et, par conséquent, de l’adaptation nécessaire des structures spécialisées dans les soins aux personnes souffrant de maladies aiguës. Elles nourrissent, du reste, quelque doute quant à la capacité du pays à les relever, quand on considère son organisation politique, qui allie un fédéralisme puissant à des instruments de démocratie directe. Elles relèvent à plusieurs reprises dans leur rapport que les bases de données disponibles ne suffisent pas à piloter le système et à instaurer la transparence nécessaire (en raison de l’absence, par exemple, d’informations de réfé-rence sur les prestataires).Cela dit, l’OCDE et l’OMS ne recommandent pas un changement radical de sys-tème, ce que corroborent les enseignements tirés ces dernières années par les deux organisations, à savoir qu’il n’existe pas de système de santé optimal. Il s’agit au contraire pour chaque pays, en fonction de la voie empruntée, de se soumettre à un apprentissage permanent et de s’améliorer. En ce sens, les deux organisations formulent toute une série de propositions vraiment concrètes pour la Suisse. En ce qui concerne les coûts et l’efficience, celles-ci sont de deux types:− suppression des mauvaises incitations; il s’agit là d’une priorité, car une modification des comportements permettra d’accroître l’efficience des prestations fournies;− adoption de mesures propres à induire directement des réductions de coûts.

Mesures visant à améliorer l’efficience


Dans une étude récente à laquelle le rapport fait d’ailleurs référence, l’OCDE (2010) a constaté que la Suisse possédait, après l’Australie, le système de santé le plus efficient de tous les pays membres de cette organisation. Aussi les mesures proposées ne découlent-elles pas tant de la comparaison internationale mais sont le signe que la Suisse peut, indépendamment de cela, mieux faire.Les organisations sont déçues des résultats obtenus à ce jour en matière de concurrence entre assureurs-maladie. Elles critiquent également le niveau disproportionné des coûts administratifs. Sans recommander la mise en place d’une caisse unique, elles n’en semblent pas moins nourrir une certaine sympathie pour cette idée; c’est en tout cas ce que l’on peut lire entre les lignes
Elles font, par exemple, référence aux expériences positives vécues par la Corée lors de son passage à la caisse unique.. Elles proposent concrètement d’instaurer la liberté contractuelle entre assureurs et prestataires tout en améliorant le mécanisme de compensation des risques (recommandation 7). L’efficience y gagnera si les assureurs ne se lient plus quavec les prestataires les plus efficaces en termes de coûts et ne sont plus incités par une meilleure compensation des risques à se distinguer du lot en pratiquant une sélection à outrance de ces risques. Ils reporteront alors leur attention sur la gestion des coûts de la santé.S’agissant des tarifs, l’OCDE et l’OMS proposent d’abandonner les formules de paiement à l’acte au profit de tarifs plus forfaitaires (recommandation 24) et, à propos de Tarmed, de relever les niveaux de rémunération des praticiens de premier recours, dits «services de pratique générale» dans le rapport (recommandation 11). En l’espèce, les auteurs du rapport n’avaient pas encore connaissance de la toute récente analyse des données concernant les revenus des médecins indépendants
Künzi et al. (2011).. Celle-ci fait certes état d’écarts de rémunération entre spécialistes et généralistes, mais les revenus de ces derniers sont supérieurs à celui servant de référence pour Tarmed, lorsqu’ils exercent à plein temps.Les deux organisations recommandent aussi des incitations plus substantielles pour les patients et les fournisseurs de prestations (recommandation 5): la franchise devrait être différenciée en fonction du rapport coûtefficacité des prestations (relèvement de la franchise en cas de détérioration de celui-ci); les modèles de soins intégrés devraient bénéficier d’encouragements pour obtenir de meilleurs résultats dans les domaines de la prévention et de la promotion de la santé.Dans le secteur des soins hospitaliers, l’OCDE et l’OMS proposent de passer à un financement moniste car le rôle multiple joué par les cantons conduit à des incitations contradictoires (recommandation 22). Elles font observer par ailleurs que la mise en œuvre des «Diagnosis related groups» (DRG) ne génère pas automatiquement une efficience accrue: il est nécessaire que les conditions-cadres soient correctement établies (faire en sorte, par exemple, que les cantons ne puissent pas combler les déficits, recommandation 23).L’OCDE et l’OMS sont convaincues que les soins dispensés doivent être beaucoup mieux intégrés et quil faut des encouragements en ce sens (recommandation 5). Elles recommandent par ailleurs, dans leur rapport, d’étudier la possibilité de mettre en œuvre des programmes de gestion des maladies («diseasemanagement-programs», DMP). Les DMP visent à améliorer la qualité des traitements dispensés aux malades chroniques, et par là, leur efficacité. Ce but pourrait être atteint notamment en établissant dans un domaine de spécialisation donné, à partir de l’état actuel des connaissances, des directives de traitement s’appuyant sur des lignes directrices.Enfin, les deux organisations voient dans la mise en place d’un dossier électronique des patients un instrument permettant d’améliorer non seulement la qualité des soins, mais encore l’efficience du système (recommandation 3).

Mesures visant à agir directement sur les coûts


Les recommandations destinées à agir directement sur les coûts sont moins nombreuses. Tout d’abord, l’OCDE et l’OMS dé-plorent, à propos des médicaments, le fait que les prix des préparations originales restent trop élevés et que la part de marché des géné-riques soit trop faible (recommandation 26). Il convient de corriger ces deux phénomènes. Elles recommandent, par exemple, d’étudier l’introduction de listes sélectives comme aux Pays-Bas, où les assureurs-maladie peuvent déclarer obligatoirement remboursables un ou plusieurs produits d’un groupe constitué des mêmes principes actifs. Ils négocient en échange, en exclusivité et pour une période déterminée, des rabais avec les entreprises pharmaceutiques.Deuxièmement, il faudrait recourir davantage à l’évaluation des technologies en santé («health technology assessment») pour compléter ou contrôler les prestations de l’assurance de base (recommandation 5).Troisièmement, le rapport fait observer à plusieurs reprises que le secteur des soins (aigus) en milieu hospitalier s’est trop développé en comparaison internationale et qu’une réduction du nombre d’hôpitaux spécialisés permettrait de réaliser des économies. Par ailleurs, cette situation est associée à l’augmentation des maladies chroniques, dont le traitement, selon l’OCDE et l’OMS, ne relève pas en priorité du secteur hospitalier, qui a pour vocation de soigner les cas aigus.L’OCDE et l’OMS sont également hostiles à la distribution directe de médicaments par les médecins, sauf dans les régions reculées. Elles ne formulent, toutefois, pas de recommandation explicite à ce sujet.

Qu’en est-il de la prévention?


De nombreux auteurs appellent à renforcer la prévention et la promotion de la santé, afin d’en réduire indirectement les coûts. L’OCDE et l’OMS sont résolument favorables à de telles mesures (recommandations 5, 17 et 18). Cependant, leur conviction s’inscrit non pas dans la perspective des coûts mais dans celle de la qualité de vie des personnes, qu’il est possible d’améliorer considérablement. Les instruments de prévention (par exemple les campagnes de prévention du tabagisme) sont de nature à réduire efficacement les coûts des maladies liées à un comportement malsain (par exemple le cancer du poumon consécutif à la consommation de tabac), et sont d’ailleurs d’un bon rapport coût-efficacité (les coûts inhérents à ces mesures sont très inférieurs aux économies réalisées sur les maladies). Toutefois, les personnes vivent plus longtemps du fait de la préven-tion et peuvent contracter d’autres maladies durant cette tranche de vie prolongée. Quant à savoir si la prévention demeure d’un bon rapport coût-efficacité dans cette perspective à plus long terme, la réponse demeure confuse, voire contestée. Il reste que l’argument du long terme n’est pas défendable sur le plan éthique: en poussant le raisonnement jusqu’au bout, cela équivaudrait à interdire d’une façon générale toute mesure propre à préserver la vie ou à la prolonger, simplement parce que cela risquerait de générer des coûts supplémentaires.

La question de la gouvernance


L’OCDE et l’OMS attachent une grande importance à la gouvernance du système de santé suisse (recommandations 1, 2 et 4). Elles estiment qu’une meilleure manœuvrabilité et un pilotage visant à l’efficacité du système créeraient les conditions requises pour faire avancer plus rapidement et de façon mieux ciblée les réformes. Cette nécessité s’impose car c’est le seul moyen, selon elles, d’engager les vastes mesures (dont, par exemple, le monisme) requises pour améliorer l’efficience du système. Il est intéressant de noter à ce propos que l’OCDE et l’OMS ne préconisent pas de concentrer davantage les compétences dans les mains de la Confédération. Là encore, elles privilégient au contraire une approche évolutive: la Suisse étant structurée de bas en haut, elle doit continuer à se développer selon ce schéma. Il importe, cependant, de renforcer tous les mécanismes de coopération entre la Confédération et les cantons qui sont de nature à promouvoir cette évolution. Dans ce contexte, il conviendrait également d’inscrire dans la Constitution un nouvel article concernant la santé. La création de grandes régions de soins en lieu et place des cantons apparaît judicieuse aux yeux de l’OCDE et de l’OMS.

L’OCDE et l’OMS sont-elles les seules à se soucier des inégalités?


La hausse des coûts pèse de plus en plus sur les budgets. À plusieurs reprises, l’OCDE et l’OMS pointent du doigt les inégalités du système: d’une part, l’efficacité des réductions de primes accordées au gré des cantons est très inégale. D’autre part, les prestations de l’assurance de base sont, selon les deux orga-nisations, insuffisamment sollicitées par les personnes socialement défavorisées. Elles insistent en particulier sur le fait que les don-nées dans le domaine des inégalités sont insuffisantes. L’OCDE et l’OMS font part de leur étonnement en constatant que les inégalités relevées font trop peu l’objet de débats politiques en Suisse. Ces inégalités semblent être mieux acceptées dans ce pays qu’à l’étranger, ce qui serait l’expression du fédéralisme. Les deux organisations n’en recommandent pas moins à la Suisse d’être plus attentive à ce problème à l’avenir (recommandation 7).

La réponse du Conseil fédéral


En juin dernier, le Conseil fédéral a adopté sa stratégie en matière de politique de santé
Conseil fédéral (2011).. Ce document en décrit les atouts et les fai-blesses, évoque les tendances, les opportunités et les risques des années à venir et en tire une stratégie proposant des mesures à court, moyen et long termes. Le graphique 1 reproduit sous une forme synoptique quelques-unes parmi les principales d’entre elles. Nous ne reviendrons pas ici, faute de place, sur chacune individuellement. Il vaut mieux comparer la stratégie du Conseil fédéral aux recommandations de l’OCDE et de l’OMS.Il apparaît tout d’abord que l’une et l’autre cadrent parfaitement, même si l’on ne peut pas exclure des différences quant à l’étendue et à la profondeur de l’approche réformatrice ainsi qu’au rythme proposé. Deuxièmement, les recommandations des deux organisations vont, sur certains points, plus loin que la stratégie du Conseil fédéral (proposition d’une loi sur la santé R1, franchise différenciée pour les patients R5, instauration de la liberté contractuelle R6, insistance à propos des inégalités constatée R7 et promotion des génériques R26).

Conclusion et perspectives


Ce deuxième rapport de l’OCDE et de l’OMS est utile. Il dresse un tableau complet de la situation actuelle en Suisse et émet des suggestions pertinentes pour la poursuite de la politique de réforme. L’enseignement essentiel à en tirer réside sans doute dans le fait que la stratégie du Conseil fédéral coïncide presque entièrement avec les recommandations des deux organisations internationales, ce qui incite à affirmer – pour peu que le Parlement concrétise les propositions du Conseil fédéral – que nous sommes sur la bonne voie. Par ailleurs, ce rapport donne sur certaines questions des précisions intéressantes que nous allons pouvoir réexaminer.Le rapport ne contient rien de fondamentalement nouveau en matière de coûts et d’efficience. Son apport majeur consiste bien davantage à inscrire la question des coûts dans un contexte plus large de politique de santé. Ces prochaines années, outre la question des coûts, surgiront d’autres problèmes, qui occuperont le quotidien de la population: disposerons-nous de personnel de santé en nombre suffisant et suffisamment qualifié? Les structures de soins pourront-elles s’adapter assez vite tout en demeurant de bonne qualité? Réussirons-nous à ajuster nos conditions de vie et nos comportements en matière de santé pour pouvoir vivre plus sainement? Quoi qu’il en soit, l’agenda de la politique de santé restera fourni.

Graphique 1: «La stratégie du Conseil fédéral en matière de politique de santé»

Encadré 1: 26 recommandations de l’OCDE et de l’OMS pour une réforme du système de santé suisse

26 recommandations de l’OCDE et de l’OMS pour une réforme du système de santé suisse


Le principal défi pour le système de santé suisse est de répondre efficacement à l’importance prise par les maladies chroniques et les pathologies multiples. Cela nécessitera des changements selon les axes indiqués ci-dessous: (toutes les recommandations directement axées sur l’influence des coûts et l’amélioration de l’efficience figurent en italique.)

Bloc A. Améliorer la gouvernance stratégique et développer une information de meilleure qualité pour le système de santé suisse

1. Concevoir un cadre juridique d’ensemble pour la santé au niveau fédéral, qui définisse clairement une vision commune pour le système de santé avec des objectifs clairs, tout en reconnaissant la pluralité des approches et la diversité des ressources, des besoins et des préférences selon les cantons. Il s’agirait aussi de mieux expliciter les rôles et les responsabilités des différents niveaux d’administration et de renforcer les plates-formes de partage des données, en fournissant des éléments d’observation et des analyses pour étayer l’élaboration des politiques et diffuser les bonnes pratiques.2. Définir des calendriers et des normes au niveau national pour de meilleurs systèmes d’information sur la santé et la communication obligatoire d’un ensemble minimum de données pour tous les cantons. Les bases de données et enquêtes régulières devraient couvrir les aspects ci-après: risques pour la santé; soins primaires, personnels de santé (y compris le personnel infirmier et autres auxiliaires médicaux) et activité des consultations externes; qualité des services de soins ambulatoires, hospitaliers et de longue durée; morbidité et mortalité évitable grâce aux soins de santé; inégalités sur le plan de la santé (en fonction, par exemple, du revenu, du niveau de formation et d’autres caractéristiques sociales).3. Mettre en place le dossier électronique des patients, un identifiant personnel unique et des cartes à puce individuelles pour améliorer la coordination et la prestation des soins de santé.4. Renforcer et institutionnaliser la coordination entre les niveaux fédéral et cantonal ainsi qu’entre les cantons, en particulier pour améliorer l’organisation et la planification de l’offre de soins de santé.

Bloc B. Réformer les mécanismes de financement et de compensation:

5. Améliorer la qualité, l’efficacité, l’efficience et la coordination des soins. L’analyse coût-efficacité des prestations couvertes par la LAMal devrait être renforcée, grâce à une utilisation plus formalisée et systématique de l’évaluation des technologies en santé. Les mécanismes de participation à la dépense devraient être conçus de manière à encourager l’utilisation de biens et de services médicaux efficaces et économiques ainsi que la prévention. Il conviendrait de promouvoir les modèles de soins intégrés et le “managed care” en suivant et en rendant publics leurs résultats sur le plan de la qualité et les réussites en termes de gestion des maladies. Les prestataires de réseaux devraient être incités à intégrer la prévention dans leur offre et à assurer un continuum de soins à leurs patients.6. Améliorer la concurrence fondée sur la valeur dans le contexte de l’assurance-maladie. Les contrats sélectifs entre assureurs et prestataires devraient être progressivement autorisés et il conviendrait d’affiner davantage le mécanisme de compensation des risques en introduisant des facteurs qui tiennent compte du risque lié à la morbidité et en passant à un calcul prospectif des paiements au titre de la compensation des risques. 7. Observer l’équité dans le financement de la santé, en particulier l’impact sur l’accès aux soins d’une participation élevée à la dépense et des contrats d’assurance à franchise élevée. L’efficacité des mécanismes de protection sociale (subventionnement des primes, par exemple) devraient continuer de faire l’objet d’un suivi et il conviendrait d’envisager de fixer des normes minimales pour l’octroi d’aides au titre des primes aux ménages éligibles.

Bloc C. Renforcer la planification stratégique et à l’échelle nationale des effectifs de santé pour garantir que le système de santé suisse, à l’avenir, puisse répondre à des attentes croissantes et à l’évolution des types de pathologies à prendre en charge:

8. Renforcer les systèmes d’information sur les personnels de santé, en particulier pour les infirmières et autres auxiliaires médicaux, et introduire un suivi, une évaluation et un «reporting» systématiques des politiques visant les personnels de santé au niveau national.9. Encourager les écoles de médecine et les écoles d’infirmières à augmenter progressivement le nombre des professionnels de santé formés dans le pays, en particulier dans les spécialités dans lesquelles on anticipe des pénuries, comme en médecine générale.10. Traiter les questions d’équité et d’efficience en rapport avec les migrations internationales de personnels de santé dans le cadre du Code de pratique mondial de l’OMS pour le recrutement international des personnes de santé.11. À court terme, réviser Tarmed pour relever les niveaux relatifs de paiement des services de pratique générale et autres spécialités connaissant des pénuries.12. Promouvoir les bonnes pratiques, notamment les collaborations interdisciplinaires et interprofessionnelles. 13. Diffuser l’information sur les pratiques optimales en matière de gestion des ressources humaines à l’hôpital (« magnet hospitals ») pour inciter à reproduire ces expériences. 14. Élaborer des politiques destinées à accroître l’attractivité des professions de santé et favoriser la rétention (en particulier dans les zones reculées et montagneuses), ainsi que la réinsertion professionnelle. 15. Encourager les approches interprofessionnelles et la formation professionnelle continue, comme dans le contexte des modèles de soins intégrés et de gestion des maladies.16. Élaborer des plans de carrière plus complets et à plus long terme dans le secteur de la santé publique, et constituer un corps professionnel national réunissant des professionnels de la santé publique praticiens, des établissements universitaires ainsi que des administrations fédérales et cantonales qui soit en mesure de prodiguer des conseils davantage fondés sur les preuves dans le secteur de la santé publique.

Bloc D. Renforcer l’amélioration de la santé et la garantie de la qualité dans les soins de santé:

17. Évaluer systématiquement les programmes de promotion de la santé et de prévention des maladies en étant particulièrement attentif à la façon de mettre en œuvre et de contrôler l’application de mesures préventives en matière de santé publique qui ne sont pas encore universellement disponibles (dépistage du cancer du sein), ne sont pas universellement adoptées (vaccination) ou sont d’un bon rapport coûtefficacité (taxes sur le tabac et l’alcool). 18. Élargir, fondamentalement, la place de la prévention dans le système de santé suisse, par exemple en encourageant les prestataires à intégrer la prévention dans leur pratique en renforçant ou en adoptant une législation fédé- rale sur la santé publique et la prévention qui assigne clairement les responsabilités et donne les moyens financiers de mettre en œuvre les politiques adéquates dans tout le pays.19. Renforcer la responsabilité et le leadership au sein du système de santé à la fois pour intensifier les progrès concernant l’amélioration de la santé et la prévention des maladies, et pour mieux se préparer aux situations d’urgence nationale.20. Fournir un soutien financier accru pour faciliter des initiatives à l’échelle nationale en faveur de la qualité des soins. 21. Exiger des prestataires, aussi bien au niveau hospitalier qu’au niveau ambulatoire, qu’ils collectent et communiquent des informations sur un système d’indicateurs de qualité des soins de santé à l’échelle du pays.

Bloc E. Renforcer l’efficience de l’offre de soins de santé et des dépenses pharmaceutiques:

22. Envisager de passer de l’actuel système dual du financement des soins en hospitalisation par les cantons et les assureurs à un système dans lequel le financement des cantons est dirigé vers un payeur unique.23. Veiller à ce que la mise en œuvre des DRG s’accompagne d’un accroissement de l’autonomie pour les hôpitaux cantonaux, à ce que de nouvelles informations sur l’efficience et la qualité des prestataires soient utilisées pour orienter la planification hospitalière, et à ce que les paiements au titre des DRG soient complétés pour soutenir l’offre de services essentiels (par exemple, services en cas d’accident et services d’urgence).24. Traiter le problème de l’incitation à la surproduction inhérent aux formules de paiement à l’acte en les combinant avec d’autres éléments de rémunération des prestataires.25. Encourager une évolution des soins aigus à l’hôpital vers les soins ambulatoires, et le développement d’une prise en charge transversale dans des structures ambulatoires ou résidentielles pour les personnes ayant besoin de soins de longue durée, les personnes souffrant de maladies mentales ou celles ayant besoin de soins palliatifs.26. Développer les politiques incitant à privilégier la qualité et le rapport coût-efficacité dans la prescription et l’utilisation des produits pharmaceu-tiques (recours à l’évaluation des technologies en santé et plus large incitation à l’utilisation des génériques, par exemple).

Encadré 2: Sources bibliographiques

Sources bibliographiques


− Conseil fédéral, La stratégie du Conseil fédéral en matière de politique de la santé, 22 juin 2011, Internet: http://www.dfi.admin.ch.− Künzi Kilian, Strub Silvia et Stocker Désirée, «Erhebung der Einkommensverhältnisse der berufstätigen Ärzteschaft», SÄZ, 2011, pp. 1361-1366.− OCDE, Health Care Systems: Efficiency and Policy Settings, Paris, 2010, éditions OCDE.− OCDE-OMS, Examen de l’OCDE des systèmes de santé. Suisse, Paris, 2006, éditions OCDE.− OCDE-OMS, Examen de l’OCDE des systèmes de santé. Suisse, Paris, 2011, éditions OCDE.

Proposition de citation: Stefan Spycher (2012). Le rapport de l’OCDE et de l’OMS sur le système de santé suisse: faire du neuf avec du vieux. La Vie économique, 01 mars.