Brèves remarques sur un long exercice
La révision en 2003 de la loi sur les cartels, qui instaurait des sanctions directes (art. 49a LCart), a provoqué un changement de paradigme. Entré en vigueur le 1er avril 2004, ce texte n’a déployé ses effets qu’à partir du 1er avril 2005, après la période transitoire accordée pour annoncer ou supprimer des comportements critiques. Selon l’art. 59a LCart, un rapport d’évaluation devait être soumis au Parlement dans les cinq ans. Ce délai était beaucoup trop court pour enregistrer suffisamment de cas pertinents. C’est pourquoi ledit rapport, auquel se réfère largement le projet actuel, ne se fonde pas sur des expériences, mais récapitule les positions préexistantes.
1. La nouvelle révision introduit des dispositions matérielles et un important remaniement organisationnel. En tant que membre de l’autorité chargée de mettre en œuvre le droit, je ne me prononcerai pas en détail sur les dispositions de fond. Elles sont certainement praticables. Les analyses ci-dessous portent sur l’organisation et la procédure. Quand il est question d’un «cas», ce terme désigne un comportement complexe qui est passible de sanctions du point de vue factuel et juridique. Étant donné l’importance des répercussions financières, le traitement d’un tel litige prend beaucoup de temps. Cela se traduit par un dossier comportant des centaines, voire des milliers de pages.2. Dans la conception actuelle, un cas est traité de manière pratiquement autonome par le secrétariat. Celui-ci enquête, réunit des preuves et rédige une proposition de décision, sur laquelle la partie concernée peut prendre position. Ensuite, la Commission de la concurrence (Comco) statue, au besoin après avoir requis d’autres auditions ou actes d’instruction. La majorité de ses membres sont des professeurs d’université, donc des experts indépendants. Les décisions de la Comco peuvent être contestées devant le Tribunal administratif fédéral (TAF), puis devant le Tribunal fédéral. Jusqu’ici, aucune instance de recours n’a remis en question la conception juridique de la Comco, qui affirme depuis des années que la réglementation actuelle n’est pas contraire au droit supérieur. 3. La révision proposée prévoit la suppression de la Comco. Le secrétariat deviendrait l’autorité de la concurrence. Il serait investi de compétences étendues dans de vastes domaines, en particulier l’examen des cartels. Certes, les entreprises auraient toujours la possibilité de recourir devant le TAF contre l’interdiction d’une entente. Cependant, il est probable qu’elles emprunteraient rarement cette voie, en raison des contingences temporelles. 4. Le raccourcissement de la procédure est présenté comme le grand avantage du nouveau projet. Une fois son enquête terminée, l’autorité de la concurrence ne devrait plus rédiger de décision. Elle adresserait directement une demande au TAF, lequel serait appelé à statuer en première instance. Cela supprimerait un échelon intermédiaire, argumente-t-on. 5. Il est à craindre toutefois que le traitement des cas dure (encore) beaucoup plus longtemps. Il faut tenir compte des possibilités d’appel. Lorsque des sanctions sont prononcées, les entreprises épuisent généralement toutes les voies de recours. 6. L’expérience de nombreux procès (civils) montre que les entreprises – dès le moment où elles sont impliquées dans de telles procédures – veulent améliorer au plus vite leur sécurité juridique, même si cela ne les empêche pas de défendre leurs intérêts par tous les moyens (multiplication des démarches juridiques, requêtes diverses sur des questions de procédure, remise d’expertises privées, utilisation des voies de recours). Les autorités peuvent les aider à atteindre cet objectif (parfaitement légitime). Elles doivent pour cela prendre une décision aussi rapide que possible, tout en respectant pleinement le droit d’être entendu. 7. Le concept proposé retarde considérablement le moment de la décision. Selon l’art. 30 du projet, l’autorité de la concurrence présente une seule demande, à savoir au TAF. Sur le plan qualitatif, il s’agit là d’un net retour en arrière. Même si le TAF statue formellement en première instance, il est en réalité la deuxième autorité à s’occuper de l’affaire. Or, c’est seulement à son niveau qu’une décision est prise. Entre l’ouverture de l’enquête et le verdict, il risque de s’écouler au moins cinq ans dans les cas qui sont décrits. Souvent, le délai sera encore plus long. Il est indéniable en effet que c’est (seulement) devant le TAF que les parties fourniront une foule d’indications nouvelles et présenteront d’innombrables réquisitions de preuves. Les renvois évoqués dans l’art. 30, al. 4 du projet devraient se généraliser.8. En conclusion, les propositions relatives à l’institution et à la procédure ne répondent pas à une nécessité et ralentiraient le traitement des cas. Il existe des moyens plus simples pour renforcer l’institution de la Comco.
Proposition de citation: Zuercher, Johann (2012). Brèves remarques sur un long exercice. La Vie économique, 01. mars.