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La Politique agricole 2014–2017 freine l’agriculture productive

Les modifications législatives que le Conseil fédéral prévoit d’apporter à la politique agricole pour la période 2014 à 2017 (PA 14–17) reposent sur les tâches définies par la Constitution. Elles visent à combler des déficits dans différents domaines par une meilleure adéquation entre les objectifs et les mesures, notamment au niveau des paiements directs. L’Union suisse des paysans (USP) partage en grande partie les objectifs fixés. Toutefois, des divergences apparaissent au niveau de leur pondération et des mesures à mettre en place.

Les objectifs de la réforme agricole


Pour l’USP, les déficits à combler sont porteurs d’importants déséquilibres. Les objectifs sociaux et économiques ne sont pas suffisamment pris en considération. Par exemple, la Confédération prévoit, en se basant sur un modèle macroéconomique, une amélioration du revenu agricole moyen par exploitation de 7% entre 2009 et 2017. L’USP doute que ce résultat puisse être atteint. En outre, cette augmentation serait à peine plus forte que l’inflation et ne permettrait pas de combler le déficit important entre le revenu des agriculteurs et celui des groupes de référence. Pour rappel, ce déficit est actuellement de l’ordre de 40% (voir graphique 1).La Confédération prévoit également une augmentation de la production brute et nette de calories. Là-aussi, cette augmentation semble peu probable. Dans tous les cas, elle ne pourrait se réaliser qu’en substituant des calories végétales aux calories animales. Cela signifierait, toutefois, que le cheptel, et donc les importations d’aliments pour animaux, diminuerait, ce qui augmenterait les importations de viande. Cette dernière serait alors fournie par des pays où les animaux sont très probablement détenus dans des conditions moins strictes et respectueuses que celles pratiquées en Suisse! Le maintien du taux d’auto-approvisionnement actuel n’est pas garanti par la PA 14–17.

La rémunération des prestations d’intérêt public


Les pouvoirs publics maintiennent leur enveloppe financière, ce qui est réjouissant. L’USP regrette, cependant, que son montant ne suive pas l’augmentation du coût de la vie. Les familles d’agriculteurs ont aussi le droit d’être rétribués pour leurs prestations – notamment celles d’intérêt public – à un niveau qui tienne compte de l’évolution générale des coûts. Il est important de rappeler que les dépenses publiques en faveur de l’agriculture représenteront moins de 3% des budgets réunis de la Confédération, des cantons et des communes, soit le plus faible pourcentage depuis 1990.

La PA 14–17 s’harmonise mal avec l’évolution internationale


La PA 14–17 a surtout été pensée par rapport à des accords de libre échange régionaux (Suisse – Union européenne) et multilatéraux (dans le cadre de l’OMC). Pour plusieurs raisons, étrangères au monde agricole, ces accords ont pris du retard ou ont été remis en question. Actuellement, même les organisations les plus optimistes sont d’avis que ceux qui pourront être conclus n’auront aucun effet sur la période 2014 à 2017.Face à cette situation et en fonction des travaux déjà engagés, la PA 14–17 a mis un poids prépondérant sur le découplage des paiements directs et sur l’écologisation de l’agriculture. Ces deux termes sont aussi utilisés dans le cadre de la politique agricole communautaire européenne (PAC), elle aussi en cours de réforme pour la période post 2013. Toutefois, à la différence de l’Europe, l’agriculture suisse a déjà subi plusieurs vagues d’écologisation et demeure un très important importateur de denrées alimentaires. En valeur brute, la Suisse est le 14e importateur mondial de produits alimentaires alors qu’elle ne représente que 1/1000 de la population du globe. Est-ce que notre pays peut ou doit se permettre un tel luxe?

L’écologisation de l’agriculture


Avec la PA 14–17, l’écologisation de l’agriculture franchit un nouveau pas. De nouvelles mesures doivent non seulement être introduites, mais on annonce également une augmentation de presque toutes les contributions à caractère écologique. Les pro-grammes de production extensifs sont fortement encouragés, notamment pour les productions animales. Selon les estimations de la Confédération, la réallocation des paiements directs en faveur de l’écologie devrait augmenter, par rapport à aujourd’hui, de plus de 250 millions (+ 40%) en 2014 à plus de 430 millions (+ 70%) en 2017.L’USP n’est pas opposée à une approche qui intègre davantage l’écologie pour autant que ces mesures ne détériorent pas le revenu des agriculteurs et ne pénalisent pas la compétitivité de l’agriculture suisse.

Le découplage des paiements directs dans le cadre de la PA 14–17


Deux modifications essentielles concernent le niveau du découplage. Tout d’abord, les contributions pour la garde des animaux dans des conditions «difficiles» de même que celles accordées pour les animaux consommant du fourrage grossier sont actuellement attribuées par tête de bétail: elles devraient désormais l’être par hectare de surfaces herbagères. De plus, une part importante des paiements directs, jusquà 35% selon le type d’exploitation, sera transformée en une contribution à la transition attribuée forfaitairement par exploitation sur une base historique (voir graphique 2). À partir de 2014, cette contribution sera réduite annuellement afin de financer les besoins supplémentaires, notamment l’écologisation.Ce découplage est massif. Ainsi, si l’on transforme les contributions actuellement accordées par tête de bétail consommant des fourrages grossiers en zone de plaine en contribution à la surface, il représente une diminution des contributions accordées à l’hectare qui peut aller jusqu’à 1500 francs. Par rapport à la situation actuelle, un agriculteur qui diminuera ses effectifs de bétail verra peu ou pas du tout ses paiements directs diminuer. Dans le cas contraire, un agriculteur qui augmentera sa structure de production ne verra pas ses paiements directs augmenter en proportion. Cette situation est peut être voulue pour réduire les nuisances écologiques, mais elle constitue un encouragement à l’extensification, ce qui remet en cause l’objectif d’approvisionnement de l’agriculture suisse.

Ce que propose l’USP


L’USP estime que les changements sont trop importants et ceci de manière inutile. La PA 14–17 doit régler les problèmes pour la période 2014 à 2017 et non pas pour les 25 prochaines années! Comme déjà mentionné, l’USP ne s’oppose pas à une amélioration des contributions écologiques pour autant que cette évolution ait surtout un caractère qualitatif et ne provoque pas de nouvelles charges administratives et des contrôles supplémentaires.La contribution à la sécurité de l’appro-visionnement et à l’entretien du paysage cultivé étant la colonne vertébrale du nouveau système des paiements directs, l’USP demande à ce qu’elle soit renforcée. En effet, l’approvisionnement en denrées alimentaires constitue la tâche principale de l’agriculture et cela ne va pas de soi dans notre pays. Ces 20 dernières années, l’agriculture suisse, malgré les pertes de surfaces agricoles et l’augmentation de la population, a réussi à maintenir le taux d’auto-approvisionnement de notre pays en denrées alimentaires. Il faut en remercier le professionnalisme avec lequel les paysans ont su mener leurs exploitations et qui a permis des gains de productivité surtout au niveau de la production animale. Les contributions à la sécurité de l’approvisionnement garantissent la sécurité et la stabilité de lexploitation. Les agriculteurs ne sont pas des vendeurs de services que l’on peut rétribuer uniquement à la commission. Ils doivent disposer d’infrastructures, de machines et de bétail avant de pouvoir assurer des fonctions de protection de l’environnement, d’entretien du paysage ou encore de maintien d’une population décentralisée. Il faut, par exemple, un tracteur et une tronçonneuse pour entretenir le paysage et des animaux pour mettre en valeur des prairies extensives.Il faut aussi rappeler que pour bénéficier des contributions à la sécurité de l’approvisionnement, les agriculteurs doivent attester de leurs résultats en matière d’écologie, comme convertir 7% de leur terres agricoles en surfaces de compensations écologiques, avoir un bilan de fumure équilibré, utiliser de manière ciblée les produits de traitement et protéger le sol de l’érosion. Ces mesures ont leur importance puisqu’en Suisse les surfaces de compensation écologique, avec plus de 130 000 hectares en 2010, occupent plus de surfaces que les céréales panifiables, pommes de terre et betteraves sucrières, toutes surfaces confondues.

Renforcer les contributions à la sécurité de l’approvisionnement


Le Conseil fédéral conditionne les contributions à la sécurité de l’approvisionnement accordées par hectare de surfaces herbagères à une charge minimale en bétail (voir graphique 3). Ce système oblige, à juste titre, à utiliser les prairies pour affourager des animaux mais encourage l’exploitation extensive des surfaces herbagères. L’USP demande un échelonnement en fonction de la charge de bétail, qui n’incite pas au productivisme; c’est parfois le cas avec le système actuel et ce n’est pas toujours optimal du point de vue écologique et économique dans certaines régions de montagnes. L’échelonnement devrait, par ailleurs, être plafonné.Les grandes cultures jouent un rôle stratégique important. La contribution pour les grandes cultures et les cultures pérennes doit également être augmentée pour que ces productions conservent leur attrait et pour maintenir un certain équilibre avec les productions animales. La surface des terres arables ne cesse de reculer en Suisse. Les soutiens spécifiques aux betteraves sucrières, aux oléagineux, aux légumineuses, aux semences et aux plants doivent être maintenus. Ils doivent être complétés par des contributions spécifiques pour les céréales fourragères de manière à réduire la dépendance de la Suisse au niveau des fourrages concentrés.Le renforcement des contributions à la sécurité de l’approvisionnement doit être financé par une diminution des contributions de transition.

Conclusion


L’USP espère que ses revendications seront prises en compte, que ce soit dans le cadre des décisions du Parlement ou au niveau des ordonnances. Il faut garder à l’esprit le fait que les agriculteurs et les agricultrices sont les principaux concernés par les nouvelles mesures de la PA 14–17. Ces mêmes agriculteurs et agricultrices sauront faire face, comme par le passé, aux changements demandés. Ils ont aussi droit à un revenu décent et à une certaine stabilité.

Graphique 1: «Évolution des revenus de l’agriculture et des revenus issus de professions comparables»

Graphique 2: «Comparaison des paiements directs d’une exploitation laitière entre le système actuel et la PA 2014–2017 selon le message du Conseil fédéral»

Graphique 3: «Proposition de l’USP pour l’attribution des contributions à la sécurité de l’approvisionnement pour la zone de plaine»

Proposition de citation: Jacques Bourgeois ; Francis Egger ; (2012). La Politique agricole 2014–2017 freine l’agriculture productive. La Vie économique, 01 avril.