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La surveillance de la Banque nationale suisse

La surveillance de la Banque nationale suisse

Le présent article est consacré à la surveillance de la Banque nationale suisse (BNS). La BNS est soumise à une réglementation spécifique, qui implique à la fois une surveillance et une haute surveillance moins strictes que si elles étaient régies selon les dispositions générales contenues dans la loi sur l’organisation du gouvernement et de l’administration et dans celle relative au Parlement. L’indépendance de la BNS devant être garantie, ces dispositions n’entrent pas en ligne de compte. Seules celles figurant dans la loi sur la Banque nationale – qui font preuve de davantage de retenue – sont déterminantes en matière de surveillance. Cette dernière incombe pour l’essentiel au Conseil de banque, tandis que le Conseil fédéral et l’Assemblée fédérale sont surtout les destinataires de rapports
Le présent article se fonde sur l’expertise juridique que l’auteur a rédigée en février 2012 sur mandat du Conseil fédéral..

Organes et objet de la surveillance de la BNS


La loi sur la Banque nationale (LBN)
Recueil systématique du droit fédéral (RS) 951.11. renferme une disposition sur l’obligation d’informer et de rendre compte (art. 7). Les tâches de surveillance et de contrôle incombent exclusivement au Conseil de banque (art. 42, al. 1). En outre, les compétences du Conseil fédéral en matière de nomination et de révocation de la Direction générale (art. 43, al. 2, et art. 45, al. 1) – sur proposition du Conseil de banque – et des six membres du Conseil de banque (art. 39, al. 1, et art. 41, al. 3) occupent une place centrale. Il ne faut pas oublier les compétences de l’assemblée générale, qui comprennent aussi des éléments de surveillance (art. 36).

Surveillance par le Conseil fédéral


Selon la LBN, la BNS s’entretient régulièrement avec le Conseil fédéral de la situation conjoncturelle, de la politique monétaire et des questions d’actualité en relation avec la politique économique de la Confédération. Avant de prendre des décisions importantes en matière de politique économique et monétaire, le Conseil fédéral et la Banque nationale s’informent mutuellement de leurs intentions (art. 7, al. 1). Dans ce contexte, le Conseil fédéral peut partager ses considérations sur l’avenir avec la BNS – en matière, par exemple, de restriction de la politique monétaire – bien qu’il soit conscient que cette dernière n’est pas tenue d’agir en conformité, ce qui irait à l’encontre de sa liberté d’instruction
Message concernant la révision de la loi sur la Banque nationale, Feuille fédérale de la Confédération suisse (FF) 2002, p. 5742 s..Le rapport annuel et les comptes annuels de la Banque nationale sont soumis à l’approbation du Conseil fédéral avant d’être présentés à l’assemblée générale (art. 7, al. 1). Dans le message sur la LBN, cette compé-tence du Conseil fédéral – contrairement à l’ancienne législation – découle du concours des autorités fédérales à l’administration de la BNS et du droit de contrôle qu’exerce la Confédération; toutefois, d’un point de vue systématique, cette compétence relève de l’obligation de rendre compte. Alors que l’examen de la situation économique et de la politique monétaire fait pendant à l’autonomie fonctionnelle de la BNS, l’approbation du rapport de gestion et des comptes annuels découle de son autonomie financière
Message (Fn. 2), p. 5744..L’approbation du règlement d’organisation est un autre instrument de surveillance du Conseil fédéral dont il ne faut pas sous-estimer l’importance (art. 42, al. 2, let. a LBN), bien que cette compétence ne lui donne pas le droit d’influencer la teneur du règlement. On peut, toutefois, se demander si celui-ci contient toutes les dispositions indispensables à la gestion régulière de la BNS, si des prescriptions supplémentaires sont nécessaires et si le Conseil fédéral pourrait les faire adopter.La surveillance exercée par le Conseil fédéral est également légitimée par ses droits de vote (ch. 2, let. a plus haut). La question sera donc surtout de savoir si des propositions de nomination pourraient être refusées et si des membres de la Direction de la BNS en exercice pourraient être révoqués au cas où ils défendraient une politique monétaire erronée. Une réflexion de ce type pourrait s’intégrer dans un refus de nomination, l’accès à une fonction ne constituant pas un droit, même conditionnel. Néanmoins, lorsque la personnalité est nommée, son attitude personnelle et ses décisions – tant qu’elles restent dans le cadre du droit – ne doivent pas entraîner sa révocation. Ce type d’arguments ne peut être invoqué pour refuser de reconduire une nomination, en raison de l’indépendance de la BNS.

Surveillance par l’assemblée générale


L’assemblée générale possède également des compétences en matière de surveillance. Ses attributions sont les suivantes (art. 36 LBN):− elle approuve le rapport annuel et les comptes annuels (let. c);− elle décide de l’affectation du bénéfice porté au bilan (let. d);− elle donne décharge au Conseil de banque (let. d).Le rapport et les comptes annuels doivent d’abord avoir été approuvés par le Conseil fédéral avant d’être présentés à l’assemblée générale (art. 7, al. 1 LBN).

Surveillance par l’Assemblée fédérale


La Banque nationale présente chaque année à l’Assemblée fédérale un rapport rendant compte des tâches accomplies selon l’article 5 LBN. Elle expose régulièrement la situation économique et sa politique monétaire aux commissions compétentes de l’Assemblée fédérale (art. 7, al. 2).Dans son message sur la LBN, le Conseil fédéral relève, eu égard à l’article 7, alinéa 2 LBN, deux aspects qui méritent une attention particulière en ce qui concerne l’obligation de rendre compte à l’Assemblée fédérale. Il s’agit, premièrement, d’éviter que les acteurs politiques n’exercent une influence sur les décisions de la Banque centrale. Deuxièmement, il ne faut pas que cette obligation permette aux membres du Parlement d’être informés avant le public et les marchés. Les informations fournies par la BNS aux Chambres doivent, dès lors, être essentiellement «rétrospectives», exposant et justifiant la politique monétaire sans divulguer d’intentions en la matière
Message (Fn. 2), p. 5743 s..

Surveillance interne de la BNS


Pour que la BNS conserve son indépendance, la LBN (art. 42, al. 1) et le règlement d’organisation (art. 10) confient principalement sa surveillance au Conseil de banque. Une grande partie de cette tâche est toutefois déléguée à travers des dispositions dont l’interprétation n’est pas forcément évidente.Le règlement d’organisation indique que la haute surveillance de la gestion des affaires est confiée – sans précision supplémentaire – à la Direction générale élargie, qui se compose des trois membres de la Direction générale et de leurs suppléants (art. 21). Il s’agit notamment de contrôler le respect des lois, des statuts, des règlements et des directives (art. 10, al. 2, let. i).Le Comité d’audit est chargé des tâches de surveillance. Il se compose d’au moins deux membres du Conseil de banque (art. 11, al. 1). Il aide ce dernier à surveiller la comptabilité et les rapports financiers, ainsi que le respect des lois et des directives prudentielles. Il évalue l’efficacité du système de contrôle interne (SCI) et surveille l’activité des organes externe et interne de révision. Les tâches du Comité d’audit sont définies dans un règlement spécial (art. 11, al. 2).La réglementation se trouve dans le Règlement relatif au Comité d’audit de la Banque nationale suisse du 14 mai 2004
À consulter sur le site de la BNS: http://www.snb.ch, rubriques «Informations sur la BNS», «Fondements juridiques», «Directives et règlements».. Celui-ci indique que ce dernier se compose de trois membres du Conseil de banque (art. 3, al. 1). Ceux-ci sont indépendants des organes interne et externe de révision et de la Direction générale. La majorité des membres du Comité d’audit possèdent les connaissances et l’expérience requises dans le domaine de la finance et de la comptabilité (art. 3, al. 2). Leurs tâches découlent surtout du règlement d’organisation (art. 2) et sont répertoriées dans les art. 4 à 8: comptabilité et rapports financiers (art. 4), système de contrôle in-terne et «compliance» (art. 5), révision externe (art. 6) et révision interne (art. 7). Le Comité d’audit peut à son gré traiter d’autres aspects et domaines en rapport avec son mandat au sens de l’article 2 (art. 8, al. 1).Pour s’acquitter de ses tâches, le Comité d’audit possède, selon le règlement, une série de compétences, à savoir un droit de regard et un droit à l’information, le droit de pro-céder à d’autres investigations et celui de mener des enquêtes spéciales. Le Comité d’audit a accès à tous les dossiers et à toutes les informations. Il peut, si nécessaire, interroger des collaborateurs de la BNS (art. 9).Le Comité d’audit peut procéder à d’autres investigations s’il le juge nécessaire au regard de la finalité du règlement du Comité. Il peut, en l’espèce, confier des mandats à la Révision interne et à l’organe externe de révision (art. 10). S’il soupçonne des irrégularités graves ou un manque de maîtrise des risques, le Comité d’audit peut, en accord avec le président du Conseil de banque, mener des enquêtes spéciales; à cette fin, il peut mobiliser des ressources supplémentaires, internes ou externes (des spécialistes notamment). En principe, le président de la Direction générale doit en être informé au préalable. Le président du Conseil de banque statue sur les exceptions (art. 11).Pour finir, le règlement d’audit introduit l’obligation de rapports à l’adresse du Conseil de banque (art. 15). Les procès-verbaux des séances du Comité d’audit lui sont adressés. Le président du Comité d’audit informe sans délai le président du Conseil de banque d’incidents importants à caractère urgent (al. 1). Il informe également le Conseil de banque, à sa séance suivante, des constatations et décisions importantes du Comité d’audit. Il soumet au Conseil de banque les recommandations nécessaires (al. 2).Enfin, le Comité des risques endosse dans une certaine mesure des tâches de surveil-lance. Elles figurent également dans le règlement d’organisation (art. 12).

Une surveillance qui se recoupe


Avec le règlement mentionné, on semble avoir tracé les contours d’une surveillance qui se recoupe. En effet, une haute surveil-lance au sens technique, comme celle confiée à l’Assemblée fédérale, est hors de question ici. On peut surtout supposer que le Conseil de banque veuille que la gestion des affaires soit contrôlée par la Direction générale élargie. Celle-ci se compose des membres de la Direction générale et de leurs suppléants (art. 21, Règlement d’organisation).L’interprétation la plus probable que l’on pourrait faire de ces compétences de surveillance pourrait être que la gestion des affaires dans le domaine de la politique monétaire devrait être exclue de la surveillance du Conseil de banque. Celui-ci ne devrait (pourrait) surveiller que la comptabilité, autrement dit les tâches techniques de la BNS. Les exigences posées au Comité d’audit parlent tout particulièrement en faveur de cette interprétation. La majorité des membres doivent posséder les connaissances et l’expérience requises dans le domaine de la finance et de la comptabilité (art. 3, al. 2). D’autres compétences seraient nécessaires pour surveiller les activités relevant de la politique monétaire.On doit se demander si ce règlement permet d’obtenir un véritable effet de surveillance. Il est difficile d’imaginer que le recours aux suppléants renforce la compétence en matière de surveillance.

Critères de surveillance de la BNS


En écartant la BNS de la réglementation générale qui codifie la haute surveillance exercée par l’Assemblée fédérale et de la surveillance générale du Conseil fédéral, on a principalement agi sur le contenu de l’activité de surveillance.La loi sur le Parlement (LParl)
RS 171.10. indique, pour la haute surveillance par l’Assemblée fédérale, que les critères de légalité, régularité, opportunité, efficacité et efficience économique sont déterminants (art. 26, al. 3)
Voir Philippe Mastronardi, St. Galler Kommentar zu Art. 169 BV, no 40 f.. La LBN ne contient aucune prescription à ce sujet. Il est indiqué, voire même exigé, que la haute surveillance s’applique selon le seul principe de la légalité lorsque l’indépendance est concernée. Les autres critères peuvent entrer en ligne de compte pour d’autres questions.La haute surveillance exercée par l’Assemblée fédérale sur la BNS diffère de la haute surveillance générale dans le sens où elle s’applique rétroactivement – autrement dit a posteriori –, alors que la seconde est aussi concomitante dans des conditions dont on ne discutera pas davantage ici
Voir en particulier Philippe Mastronardi, St. Galler Kommentar zu Art. 169 BV, no 10 ss.; Initiative parlementaire, loi sur le parlement (LParl), Rapport de la Commission des institutions politiques du Conseil national du 1er mars 2001, FF 2001, p. 3539 f.; le Conseil fédéral fait preuve de davantage de réserve dans son Message relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I, p. 396..Pour ce qui est de la surveillance générale par le Conseil fédéral, la loi sur l’organisation du gouvernement et de l’administration (LOGA) ne prévoit certes pas directement de critères, mais les principes généraux qui régissent l’activité administrative sont dé-terminants, soit la légalité, l’opportunité et l’efficience économique (art. 3). À cela s’ajoute l’efficacité et la régularité
Voir Giovanni Biaggini, St. Galler Kommentar zu Art. 187 BV, no 11. par lesquels (uniquement, mais tout de même) le niveau des critères de la haute surveillance est égalisé. À ce sujet, la LBN ne renferme aucune disposition. Les réflexions engagées sur la haute surveillance valent par analogie pour l’indépendance de la BNS.En ce qui concerne la surveillance exercée par le Conseil fédéral, la qualité pour donner des instructions, pour procéder à des con-trôles et pour intervenir personnellement dans une affaire
Voir le Message relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I, p. 429. – conformément au droit général de surveillance exercé par celui-ci sur l’administration fédérale – n’entre pas en ligne de compte.Les circonstances dans lesquelles l’adoption du rapport annuel, des comptes annuels ou du règlement d’organisation pourrait être refusée sont particulièrement intéressantes. Si l’on part du principe que, dans le domaine de l’indépendance, seul un contrôle de la conformité au droit peut être pris en considération, un rejet n’est recevable que dans le cas où l’objet devant être approuvé violerait les normes juridiques.Pour ce qui est de la compétence en matière d’approbation du règlement d’organisation, on peut se demander si le Conseil fédéral a aujourd’hui une marge de manœuvre. Pour répondre, il faut mettre en avant les compétences généralement liées à l’approbation: quiconque en possède peut, dans un cas d’application, soit l’accorder soit la rejeter, bien que le refus puisse se limiter à certaines dispositions. Il est possible de rejeter l’approbation en invoquant l’argument que le règlement ne contient pas toutes les dispositions juridiques nécessaires. Une fois un règlement approuvé, on peut se demander si l’approbation peut être révoquée et dans quelles circonstances
La révocation, comme l’approbation, aurait le même caractère qu’une décision; voir arrêt du Tribunal fédéral, ATF 135 II 38 E. 4.6 p. 46..En principe, une révocation est possible notamment si la situation juridique s’est considérablement modifiée depuis l’approbation. Au vu des derniers débats, le Conseil fédéral pourrait demander au Conseil de banque d’intégrer dans le règlement d’organisation des dispositions portant sur le comportement des membres de la Direction générale et de leurs suppléants en relation avec des opérations privées sur devises, en annonçant une révocation de l’approbation en cas de non-action
Voir également, malgré son caractère très général, Häfelin Ulrich, Haller Walter et Keller Helen, Schweizerisches Bundesstaatsrecht, Zurich 2008, no 1218 ss..

Conclusion


En raison de sa règlementation spécifique, la haute surveillance et la surveillance de la BNS sont moins strictes que si les dispositions générales de la loi sur l’organisation du gouvernement et de l’administration et de la loi sur le Parlement étaient appliquées. On peut le justifier par le fait que l’indépendance de la BNS doit être garantie. Seules les dispositions réservées que présente la loi sur la Banque nationale sont déterminantes en matière de surveillance.

Proposition de citation: Paul Richli (2012). La surveillance de la Banque nationale suisse. La Vie économique, 01 juin.