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Stratégie énergétique 2050: étape par étape jusqu’au but

La catastrophe de Fukushima et plusieurs travaux fondamentaux ont décidé le Conseil fédéral et le Parlement, en 2011, à sortir progressivement du nucléaire. Les centrales concernées doivent être mises hors service au terme de leur durée d’exploitation – calculée suivant les critères techniques de sécurité – et ne pas être remplacées. Cette décision nécessite une réorganisation du système énergétique. Les mesures requises à cette fin sont regroupées dans la Stratégie énergétique 2050. La consommation finale d’énergie et d’électricité doit être réduite, les énergies renouvelables doivent être encouragées et les émissions de CO2 doivent diminuer; parallèlement, l’approvisionnement énergétique du pays doit rester d’un niveau élevé, fiable, économiquement optimal et durable.



Le projet adopté à la fin septembre 2012 par le Conseil fédéral constitue un premier train de mesures. Il vise principalement à exploiter tous les potentiels que présente actuellement la Suisse et qui ne requièrent pas de coopération internationale. En illustration: éolienne près du lac de Gries sur le col du Nufenen. Keystone

Avec la Stratégie énergétique 2050, le Conseil fédéral présente les étapes qui marqueront la transformation du système en place jusqu’à cette date. Cette stratégie 
repose sur le scénario Nouvelle politique énergétique. D’après celui-ci, la consommation d’énergie et la production d’électricité suisses évo­lueront de telle façon que les émissions de CO2 baisseront jusqu’à 1-1,5 tonne par habitant d’ici 2050. Cela suppose, toutefois, l’existence d’une coordination internationale dans ce domaine comme dans celui de l’efficacité énergétique et que le 
domaine de la recherche et du développement (R&D) fasse lui-même l’objet d’une coopération approfondie. Compte tenu de la disparition progressive de l’énergie d’ori-gine nucléaire, le Conseil fédéral part du principe que les besoins en électricité à couvrir avoisineront les 27,5 TWh en 2035 et près de 23,7 TWh en 2050.

Mise en œuvre de la ­stratégie:
première étape


Le Conseil fédéral a adopté fin septembre 2012 un train de mesures visant à mettre 
en œuvre la Stratégie énergétique 2050 et ouvert la procédure de consultation concernant le projet. Ce train de mesures est le premier; d’autres suivront. Les dispositions proposées visent principalement à exploiter tous les potentiels que présente actuellement la Suisse avec les technologies existantes ou prévisibles et qui ne requièrent pas de coopération internationale d’envergure avec l’UE et des États tiers.Les mesures prévues ne permettront, 
cependant, d’atteindre que partiellement les objectifs énergétiques et climatiques à long terme. Le Conseil fédéral estime donc que d’autres mesures doivent être décidées pour que la Suisse continue de bénéficier d’un approvisionnement énergétique sûr et fiable. Il prévoit ainsi pour après 2020 une autre étape dans laquelle la stratégie sera réorientée, en fonction de l’évolution de la politique climatique. À cette fin, une redevance sur tous les agents énergétiques avec remboursement à l’économie et à la population doit être étudiée. La transition du système d’encouragement actuel vers un système d’incitation doit se faire progressivement dans un délai acceptable.

Efficacité énergétique: réduire 
la consommation au moyen d’un ­ensemble de mesures


Afin de couvrir les futurs besoins en énergie et en électricité, il convient d’abord de réduire la consommation. C’est pourquoi le Conseil fédéral opte pour que le principe d’efficacité énergétique s’applique avec toute la force voulue aux domaines du bâtiment, des appareils électriques, de l’industrie, des arts et métiers et des services ainsi que dans la mobilité:

 

  1. La réduction de la consommation d’én­er-gie dans le domaine du bâtiment, qui 
représente quelque 46% de la consom­mation suisse, joue un rôle-clé dans la stratégie. Le renforcement du programme Bâtiments est donc au cœur du dispositif: le soutien financier apporté par la Con­fédération et par les cantons doit être sensiblement développé et les contributions globales versées par la Confédération aux programmes d’encouragement cantonaux doivent être augmentées. Il est, par ailleurs, prévu de renforcer et de développer le Modèle de prescriptions énergétiques des cantons. De plus, le Conseil fédéral veut, en adaptant le droit fiscal, inciter les propriétaires immo-
biliers à effectuer des assainissements complets plutôt que partiels.
  2. Le potentiel d’économies énergétiques dans l’industrie,les arts et métiers et 
les services est aussi notable. Il sera 
exploité en concluant des conventions fixant des objectifs d’efficacité contraignants avec les entreprises, en déve-
loppant les appels d’offres publics et 
en renforçant les mesures d’efficacité 
librement consenties.
  3. Les appareils électriques fabriqués en série consomment des quantités considérables d’électricité. Actuellement, il existe des prescriptions d’efficacité contraignantes sous forme d’exigences énergétiques minimales pour treize catégories d’appareil. Le dispositif doit s’élargir et être adapté périodiquement au progrès technique. Des prescriptions d’utilisation doivent, 
en outre, contribuer à ce que les appa-reils électriques soient utilisés de manière adéquate.
  4. Dans le domaine de la mobilité, le Conseil fédéral prévoit des mesures qui doivent améliorer l’efficacité énergétique des véhicules, du trafic ferroviaire, des infrastructures de transport et des moyens de déplacement lors de leur utilisation. Les infrastructures de transport doivent aussi être utilisées pour produire de l’énergie.
  5. Enfin, les entreprises d’approvisionnement en énergie doivent aussi contribuer à économiser autant d’électricité que possible. Aujourd’hui, leur approche consiste principalement à vendre le plus d’électricité possible. Combiner vente d’électricité et offre de produits et de services innovants en matière d’efficacité énergétique est une solution qui s’impose également en raison de leur proximité avec les consommateurs. En fixant des objectifs d’efficacité contraignants aux fournisseurs d’éner-gie, le Conseil fédéral veut préparer la voie qui mène à un marché des prestations énergétiques.


Par ailleurs, l’orientation de la recherche énergétique dans le domaine des EPF, dans les hautes écoles spécialisées et les universités doit être examinée et la collaboration entre les établissements supérieurs, l’économie et les centres de compétences technologiques doit continuer d’être encouragée. Il est enfin prévu que la Confédération, les cantons, les villes et les communes montrent le bon exemple et couvrent à l’avenir très largement leurs besoins en électricité et en chaleur avec des énergies renouvelables.

Offre d’électricité: l’accent est mis sur la promotion des énergies renouvelables


Pour compenser la diminution progressive de la production d’électricité d’origine nucléaire, le Conseil fédéral mise, concernant l’offre d’électricité, en premier lieu sur un développement important des énergies renouvelables et ce, en mettant en regard protection et exploitation. Les besoins restant doivent principalement être couverts grâce 
à des installations de production fossile-thermique. En fonction de l’évolution de l’offre de courant sur le marché européen – notamment en ce qui concerne les éner-
gies renouvelables –, des importations sont envisageables pour compléter l’offre.

Le train de mesures s’avère efficace


Le premier train de mesures permet de ne réaliser qu’une partie des objectifs à long terme de la nouvelle politique énergétique du Conseil fédéral (scénario Nouvelle politique énergétique): en termes de consommation finale d’énergie, les objectifs du Conseil fédéral seraient atteints à concurrence de 39% en 2020, de 43% en 2035 et de 45% en 2050. Les modélisations présentant l’évolution de la consommation d’électricité sur la base du présent train de mesures donnent 
un résultat similaire. Le courant d’origine nucléaire sera disponible jusqu’en 2034. 
En l’absence d’importantes percées tech-
nologiques et malgré le développement considérable des énergies renouvelables, 
la production électrique fossile sera encore nécessaire en 2050 pour couvrir, à titre 
complémentaire, les besoins suisses.

Conséquences directes au niveau de l’économie


Selon les estimations de Prognos en 2012 (approche ascendante, ou «bottom-up», d’évolution du secteur énergétique), les coûts de la transformation et du développement du parc de centrales suisse entre 2010 et 2050 avoisinent les 191 milliards de francs. Environ 125 milliards de francs concernent les installations actuelles, 66 milliards serviront à en construire de nouvelles. La promotion des énergies renouvelables induit des coûts supplémentaires estimés à 1,1 milliard de francs en 2050. Sur la base du premier train de mesures visant à mettre en œuvre la stratégie énergétique 2050, les investissements totaux annuels (annualisés) augmentent jusqu’à atteindre 3 milliards de francs en 2050. Le montant cumulé non escompté qui en résulte est de 84,7 milliards de francs. En contrepartie, les économies sur les impor­tations d’énergie croissent pour atteindre 1,9 milliard de francs en 2050, soit un total cumulé non escompté de l’ordre de 46 milliards de francs. Comme la demande sera plus faible que dans le scénario de référence Poursuitede la politique énergétique actuelle, moins de centrales devront être construites, ce qui entraînera des économies supplémentaires de 13,1 milliards de francs. Les surcoûts totaux se soldent ainsi à 25,3 milliards de francs. Le Conseil fédéral établit à quelque 18 milliards de francs le développement et la rénovation nécessaire du réseau électrique existant.

Conséquences macroéconomiques


Pour évaluer les conséquences des scénarios au niveau de l’économie suisse, on a 
recouru au modèle d’équilibre général cal­culable Swissgem_E d’Ecoplan (2012). Les conséquences au niveau de l’économie suisse sont présentées par le biais des modifications en pour-cent du bien-être, du produit intérieur brut (PIB) ainsi que par l’intermédiaire des coûts d’opportunité (coûts des mesures de politique énergétique exprimés en CHF par tonne de CO2 économisée ou en % du prix du courant) du premier train de mesures en comparaison avec le scénario Poursuite de la politique énergétique actuelle.Pour parvenir à une baisse des émissions de CO2 et à une réduction de la demande 
en électricité conforme aux objectifs du premier train de mesures, une taxe sur le CO2 de 210 francs/t. au maximum (ce qui correspond à 55 centimes/litre de mazout extra-
léger) et une autre sur le courant de 23% au maximum (supplément sur le prix de l’électricité en comparaison avec le scénario Poursuite de la politique énergétique actuelle) sont nécessaires.Si les bénéfices secondaires (baisse des coûts externes grâce à une meilleure qualité de l’air, moins d’effets négatifs pour la santé, moins de nuisances sonores et d’accidents, etc.) sont intégrés dans les composantes du bien-être, celui-ci s’accroît légèrement de 0,03% (2020 et 2035) à 0,06% (2050). Le PIB baisse par rapport au scénario de référence de 0,2% (année 2020) à 0,6% (année 2050). Cela signifie, par exemple, que celui calculé pour le scénario Premier train de mesures est inférieur, en 2050, de 0,6% à celui du scénario de référence. Si cette différence de PIB est convertie en taux de croissance, cela signifie que celui-ci diminue de 0,02% par an. Suite à des effets de substitution, le recul au niveau de l’emploi est moins marqué. Il faut compter avec des pertes d’emploi de 0,1% (2020) à 0,2% (2050) maximum.La charge liée aux taxes diffère selon les branches et n’est pas non plus identique pour tous les ménages. Des conséquences plus importantes au niveau des exportations et des importations ne sont pas exclues, mais touchent principalement des branches présentant un faible volume d’échanges. 
Les exportations de l’industrie textile, 
de l’ha­billement et des constructeurs de 
véhicules seront celles qui se dégraderont 
le plus. Le premier train de mesures n’a 
quasiment aucun impact sur la production des six branches les plus importantes en Suisse (chimie, commerce, secteur bancaire, pre­stations aux entreprises et services, 
secteur immobilier et construction). L’industrie textile, qui est relativement petite, doit faire face aux pertes les plus sérieuses. La demande s’accroîtra surtout pour les transports publics.La façon dont les recettes générées par les taxes seront redistribuées influencera l’intensité de l’impact pour les ménages concernés. Si (comme c’est actuellement le cas pour la taxe sur le CO2) les recettes sont redistribuées à l’économie par le biais d’une réduction des charges salariales annexes et à la population par le biais d’un forfait par habitant, les familles les moins aisées en profiteront, tandis que les retraités subiront d’une manière 
générale les pertes les plus élevées.

 

Proposition de citation: Pascal Previdoli (2012). Stratégie énergétique 2050: étape par étape jusqu’au but. La Vie économique, 01 novembre.

Encadré 1:

Offre d’électricité (source: Prognos, 2012)


1. En prenant pour base le train de mesures actuel, la production d’électricité à partir des nouvelles énergies renouvelables s’élèvera progressivement à 24,2 terrawattheures (TWh) d’ici à 2050, dont près de 11,12 TWh issus du photovoltaïque, 4,26 TWh de l’éolien et 4,29 TWh 
de la géothermie.

2. La production d’électricité de la grande hydraulique et de la petite hydraulique doit être développée pour atteindre une production annuelle moyenne d’au moins 43 TWh à l’horizon 2035 et de 44,15 TWh d’ici à 2050.

3. Pour que le potentiel utilisable des énergies renouvelables puisse être exploité, le Conseil fédéral propose d’augmenter le soutien financier aux énergies renouvelables. Il prévoit en priorité d’optimiser et de développer le modèle actuel de rétribution de l’injection. Avec la suppression du plafond de coûts actuel (plafond global et plafonds partiels des diverses technologies), le Conseil fédéral veut être sûr de disposer des fonds nécessaires pour promouvoir les énergies renouvelables. Des contingents doivent encore être fixés pour le domaine du photovoltaïque, afin de garantir le développement durable de la branche et des coûts de soutien. D’autres mesures, comme l’optimalisation des taux de rétribution, l’introduction d’une réglementation de l’utilisation pour les propres besoins ou la délimitation de sites se prêtant à une utilisation des énergies renouvelables, doivent contribuer à leur percée définitive.

4. La stratégie énergétique tient compte du fait que les interactions entre l’énergie en ruban et celle de pointe doivent être réaménagées. Un nombre limité de centrales à gaz à cycle combiné pourrait fournir du courant toute l’année tout en contribuant à la stabilité du réseau. Les installations de couplage chaleur-force sont d’abord destinées à fournir simultanément du courant et de la chaleur pendant le semestre d’hiver et à compenser ainsi la diminution de la production électrique d’origine solaire et hydraulique. Pour des raisons de coûts, le Conseil fédéral veut soutenir les installations liées aux processus industriels, celles des grands bâtiments et celles de certains réseaux thermiques.

5. L’accent mis sur la promotion des énergies renouvelables et le passage, qui lui est lié, d’une production électrique centralisée à une autre plus décentralisée et irrégulière implique la constitution de capacités de réserve dans les parcs de centrales, afin de compenser les arrêts d’exploitation de grandes installations 
de production. Cette tâche incombe principalement aux centrales de pompage-turbinage existantes et prévues. Le Conseil fédéral renforce également la promotion de la recherche énergétique spécialement dans le domaine 
du stockage de l’énergie et prévoit d’accroî-tre les ressources des projets pilotes et de 
démonstration.

Encadré 2:

Documentation


− OFEN, Stratégie énergétique 2050 – 
premier paquet de mesures, 2012.

− Prognos AG, Perspectives énergétiques 2050, 2012.

− Ecoplan, Energiestrategie 2050 – volks­wirtschaftliche Auswirkungen: Analyse mit einem berechenbaren Gleich­gewichtsmodell für die Schweiz, 2012.

Voir également: http://www.bfe.admin.ch.