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Toujours pas de lueur d’espoir dans le ciel européen

L’Europe corrige lentement et ­péniblement les malformations congénitales de l’euro. Celles-ci tiennent au fait que l’union ­monétaire créée il y a vingt ans n’était pas accompagnée d’une union budgétaire. Dès lors, les dettes d’un pays membre deviennent aujourd’hui le problème de tous les autres. La crise de la dette publique européenne a ­pleinement mis en lumière les ­lacunes liées à la construction de l’euro. À l’époque, on avait espéré que la monnaie unique gommerait les disparités économiques au sein de l’UE. C’est pourquoi on a cru pouvoir renoncer à une ­politique budgétaire commune. Ce fut une erreur fatale.

L’euro n’a pas réduit les différences entre un Sud faible et un Nord très performant. Il les a au contraire accentuées (voir
). Au lieu de l’éliminer, il a accru la supériorité déjà énorme de l’Allemagne sur le plan de la compétitivité. Comme les taux de change de la zone euro sont rigides et qu’il est impossible de dévaluer la monnaie dans le sud de l’Europe, les marchés des biens et du travail devaient servir de variables d’ajustement; c’est tout au moins ce que laisse 
espérer la théorie des zones monétaires optimales dans le cas où des régions trop différentes du point de vue de la productivité du travail adoptent une monnaie commune. Voilà pourquoi l’Allemagne a réussi à exporter abondamment et que les excédents de sa balance commerciale n’ont cessé de grossir. C’est, toutefois, surtout en termes d’emploi que le fossé s’est creusé. Tandis que l’Allemagne s’approchait du plein emploi, le nombre de chômeurs explosait en Europe méridionale.

Pas de monnaie commune sans politique budgétaire commune


Il n’est pas encore sûr que les travaux visant à réparer l’union monétaire seront couronnés de succès. Une monnaie commune n’est pas viable sans une politique budgétaire commune. Dans toutes les unions monétaires – même très fédéralistes et décentra-
lisées –, les États membres ont dû un jour 
ou l’autre transférer à l’échelon fédéral une part essentielle de leur politique budgétaire. En Suisse, par exemple, on a introduit un impôt pour la défense nationale en 1915 et un autre sur le chiffre d’affaires en 1941. Tous deux ont survécu jusqu’à aujourd’hui: le premier est devenu l’impôt fédéral direct, prélevé sur le revenu, et le second la taxe sur la valeur ajoutée, qui frappe les dépenses de consommation
Blankart (2011), p.15. Kirchgässner (2009) explique à quel point la progressivité du taux de l’impôt fédéral direct induit une redistribution des cantons riches vers les cantons pauvres..Il est intéressant de constater que ces tendances centralisatrices existaient même aux États-Unis, bien que les États fédérés aient cherché à les contrecarrer
Voir Sargent (2012). Il montre notamment que même les États-Unis ont dû accepter un renflouement au début de leur histoire en 1789, lorsque l’État fédéral a repris les dettes des États membres pour renforcer le pouvoir central. Par la suite, et en particulier dans les années 1840, le principe du renflouement s’est toutefois imposé.. Le principe appelé «Freedom from Government» ou «Freedom from Federal Power» exprime bien la conception américaine des rapports entre le pouvoir central et les États fédérés. Ces derniers sont en principe responsables de leurs finances publiques et fixent eux-mêmes les limites de leur endettement. En observant l’évolution à long terme, on constate cependant un déplacement progressif du pouvoir vers le niveau fédéral
Hanschel (2012), p.371.. Cette tendance a subsisté jusque dans les années nonante. Elle ne s’est arrêtée que ces dernières années
Voir Hanschel (2012), p.384.. Aussi longtemps qu’il n’y aura pas en Europe une volonté politique d’aller jusqu’au bout de l’union budgétaire – ce qui signifierait accepter que l’union monétaire devienne une communauté de responsabilité et donc de transfert –, l’avenir de l’euro restera flou, ce qui est de mauvais augure pour la conjoncture. Si toutes les mesures prises n’ont pas fonctionné, mais que l’on a de bonnes raisons de vouloir empêcher l’effondrement de la zone euro, il faut absolument qu’un mécanisme financé conjointement puisse fournir des aides financières d’urgence aux États membres surendettés durant les périodes de crise. Tel est l’objectif fixé au Mécanisme européen de stabilité (MES).

Quelle est l’efficacité du MES et du pacte budgétaire?


Le MES doit empêcher que des États sur-endettés de la zone euro soient coupés du marché des capitaux et qu’ils deviennent de ce fait insolvables ou n’obtiennent des crédits qu’à des taux exorbitants. Cette aide financière commune extérieure doit permettre de refinancer leurs anciennes dettes publiques à des conditions avantageuses. En contrepartie de l’appui du MES, les pays concernés doivent se soumettre à certaines obligations, moderniser leur administration et leurs autorités fiscales, et assainir progressivement leurs finances publiques. De telles exigences répondent à celles du pacte budgétaire. Il ne faut, toutefois, pas se faire 
d’illusions: durant les réformes structu-relles, certaines choses doivent d’abord 
empirer pour que beaucoup d’autres puissent s’améliorer par la suite. En période de changement, les budgets nationaux affichent des déficits qui ont plutôt tendance à gonfler qu’à diminuer. Ces trous qui se creusent doivent d’abord être colmatés de l’extérieur. C’est après seulement que l’on peut les réparer de l’intérieur.Le problème vient du fait que l’Allemagne, en particulier, veut à tout prix empêcher l’UE de devenir une union de transferts sans fin. C’est pourquoi tous les États membres de la zone euro doivent d’abord prendre l’engagement d’observer une stricte discipline budgétaire, de se plier à des contrôles renforcés de la Cour de justice européenne et d’endurer des sanctions alourdies et automatiques lorsqu’ils enfreignent les règles. Ce n’est qu’à ce moment-là que l’Allemagne sera prête à reprendre le chemin de l’union budgétaire.La stratégie allemande consiste à «promouvoir» (aide commune) et «exiger» (devoir d’autonomie financière nationale). Sa faiblesse réside dans le fait que les critères de Maastricht et le Pacte de stabilité et de croissance, basé sur ce mécanisme, prévoyaient déjà de sévères sanctions à l’égard des politiques budgétaires nationales, mais qu’en présence de cas concrets, ces mesures se sont avérées être des tigres de papier. On les a simplement ignorées. C’est pourquoi certains doutent à juste titre qu’une nouvelle tentative puisse déboucher sur la création d’institutions dont l’autorité et la réputation suffiraient à imposer des consignes et des sanctions aux États membres. Il faut surtout une menace crédible, peu importe sa nature, signalant que toute infraction aux accords signés sera sanctionnée. Des exemples historiques aux États-Unis, en Allemagne et en Suisse montrent à quel point il est difficile d’appliquer la «politique fédérale» à des États membres dont le comportement est fautif. Il reste donc encore beaucoup à faire avant que la paix revienne dans la zone euro.

Sombres perspectives pour l’Europe


En raison des inquiétudes que suscite l’euro, le pessimisme reste de mise. Rien ne va changer pour la Grèce en 2013: elle sera toujours au bord du gouffre. En ce qui concerne le Portugal, l’Espagne et l’Italie, les perspectives sont tout sauf reluisantes. De même, la France apparaît de plus en plus comme une bombe à retardement, dont l’explosion frapperait l’Europe dans sa chair et laisserait l’euro en miettes. Dans tous les pays surendettés, le chômage continuera d’augmenter en 2013: en Grèce et en Espagne à plus de 25%, au Portugal à 16%, en Italie et en France à environ 11%

encadré 1

Pourquoi l’augmentation des coûts ­salariaux unitaires est inutile en ­Allemagne


On prétend souvent qu’il serait aussi possible pour l’Allemagne d’élever ses coûts salariaux unitaires, par exemple si les salaires nominaux augmentent beaucoup plus vite que la productivité (cette tendance est déjà perceptible actuellement de manière marginale). Autant cet argument semble plausible au premier abord, autant il est trompeur quand on y regarde de plus près. Certes, l’écart entre la Grèce et l’Allemagne tendrait à se résorber et un processus de convergence se mettrait en place. Ces deux pays ne constituent, toutefois, pas l’ensemble du monde. C’est pour-quoi la zone euro perdrait de sa compétitivité face à d’autres régions, comme l’Asie du Sud-Est ou l’Amérique latine. On pourrait écrire, en exagérant, que tous les pays européens gagneraient en «égalité», mais qu’ils ne 
seraient plus compétitifs collectivement sur 
le plan international, ce qui coûterait des 
emplois et donc du bien-être.

). En France et dans le sud de l’Europe, le chômage devrait donc rester élevé, l’évolution des salaires négative et l’ambiance morose pendant longtemps encore, même si l’on observe depuis quelques années une lente amélioration (voir
)
Le recul (parfois très net) des primes de risque qui s’appliquait, ces dernières années, aux emprunts d’État des pays en crise milite en faveur d’un lent renversement de tendance..Les inévitables réformes structurelles, l’élimination des surcapacités et l’assainissement des budgets nationaux – impliquant une réduction des dépenses publiques et une hausse des charges fiscales pour les privés – entraîneront une courbe en J dans les éco-nomies sud-européennes en proie à la ré-
cession. Cela signifie que la situation va d’abord empirer sur bien des plans, avant de s’améliorer et de finir – espérons-le – par se rétablir complètement. En attendant, il faut rattraper les réformes structurelles qui ont été ajournées ou négligées pendant des 
décennies. On devra économiser et élaguer; des travailleurs seront licenciés et des entreprises fermeront. Pour l’Europe, cette évolution, propre aux processus de transformation, se traduira pendant des années au mieux par une croissance faible, au pire par une stagnation de l’économie.La hausse du chômage et la baisse du niveau de vie sont le terreau qui nourrit la frustration et la colère, mais aussi le fatalisme et la résignation. Ces sentiments peuvent rapidement se traduire par des tensions sociales, des contestations, des actes de violence ou des manifestations de résistance à l’autorité. Non seulement ils ne résolvent pas les anciens problèmes, mais ils en créent d’autres. Le pessimisme, les risques de dislocation, les vieilles blessures et les nouveaux nationalismes sèment la discorde entre les pays européens. Ils menacent de diviser le continent. Les populations se mobilisent au nom de la nation, de la religion ou de l’ethnicité. Le débat est centré sur les déficits et non sur les bénéfices de l’Europe – on ne parle pas de ce qu’elle est ou va devenir, mais de ce qu’elle n’est pas. Cela montre la profondeur de la crise européenne, le peu de progrès 
réalisés jusqu’ici et tout ce qu’il reste à faire.

Une solution à long terme passe par la croissance


De toute évidence, la crise de l’euro ne peut se résoudre durablement que si les économies surendettées (re)trouvent le chemin d’une croissance dynamique. Il n’existe pas de solutions simples et rapides. Il faudra encore beaucoup de temps pour venir à bout du problème de la dette dans le sud de l’Europe et la tâche sera ardue. Aucun redressement durable n’est possible dans une macroéconomie où les gens ne trouvent pas de travail.L’assainissement des finances publiques, exigé en particulier par l’Allemagne, est très important à long terme. Une politique d’austérité, faite de coupes budgétaires et de hausses d’impôts qui impliquent de grandes privations, a toutefois des effets délétères à court terme. C’est elle qui est en train d’étrangler les économies du sud de l’Europe. La récession persiste. Le chômage, déjà largement répandu, et la pauvreté gagnent de nouvelles couches de la population. Le résultat sera d’abord l’implosion de l’économie, puis celle de la société et enfin de l’État.C’est pourquoi il ne peut être question – y compris dans l’optique allemande – d’exiger l’impossible pour la énième fois et de demander aux Européens du Sud ce qu’ils ne peuvent donner. Cela ne sert à rien d’insister pour que les recettes fiscales augmentent et que les dépenses publiques diminuent à brève échéance, si l’on ne crée pas d’abord les conditions élémentaires d’une relance de l’économie et d’une croissance dynamique. On doit réussir, dans le cadre d’une union budgétaire, le passage d’une politique unilatérale d’austérité à une politique de croissance soutenue par l’extérieur. Ce n’est qu’après qu’une lueur d’espoir poindra dans le ciel européen.

 

Encadré 1: Pourquoi l’augmentation des coûts ­salariaux unitaires est inutile en ­Allemagne

Pourquoi l’augmentation des coûts ­salariaux unitaires est inutile en ­Allemagne


On prétend souvent qu’il serait aussi possible pour l’Allemagne d’élever ses coûts salariaux unitaires, par exemple si les salaires nominaux augmentent beaucoup plus vite que la productivité (cette tendance est déjà perceptible actuellement de manière marginale). Autant cet argument semble plausible au premier abord, autant il est trompeur quand on y regarde de plus près. Certes, l’écart entre la Grèce et l’Allemagne tendrait à se résorber et un processus de convergence se mettrait en place. Ces deux pays ne constituent, toutefois, pas l’ensemble du monde. C’est pour-quoi la zone euro perdrait de sa compétitivité face à d’autres régions, comme l’Asie du Sud-Est ou l’Amérique latine. On pourrait écrire, en exagérant, que tous les pays européens gagneraient en «égalité», mais qu’ils ne 
seraient plus compétitifs collectivement sur 
le plan international, ce qui coûterait des 
emplois et donc du bien-être.

Encadré 2: Bibliographie

Bibliographie

  • Blankart Charles B., «Föderalismus, direkte Demokratie und Besteuerung: Eine Theorie der Schweiz», ifo Schnelldienst, vol. 64 (2011), n° 12 (30.6.2011), pp. 13-19.
  • Diekmann Berend, Menzel Christoph et Thomae Tobias, «Konvergenzen und Divergenzen im ’Währungsraum USA’ im Vergleich zur Eurozone», Wirtschaftsdienst, vol. 92 (2012), n° 1, pp. 1-6.
  • FMI, World Economic Outlook, octobre 2012, Washington DC.
  • Hanschel Dirk, «Konfliktlösung im Bundesstaat: Die Lösung föderaler Kompetenz-, Finanz- und Territorialkonflikte in Deutschland, den USA und der Schweiz», Jus Publicum, tome 215, éd. Mohr Siebeck, Tubingue, 2012.
  • Kirchgässner Gebhard, «60 Jahre Grundgesetz der Bundesrepublik Deutschland: Einige Bemerkungen zu Demokratie und Föderalismus in Deutschland aus schweizerischer Perspektive», Scala Policy Paper, 06/2009, miméo: université de Saint-Gall.
  • Sachverständigenrat zur Begutachtung der gesamtwirtschaftlichen Entwicklung, Jahresgutachten 2012/13.
  • Sargent Thomas, «An American History Lesson for Europe», dans The Wall Street Journal online, édition européenne, 3.2.2012.

Proposition de citation: Thomas Straubhaar (2013). Toujours pas de lueur d’espoir dans le ciel européen. La Vie économique, 01 janvier.