Rechercher

Relevons le défi du développement territorial suisse

Schriftgrösse
100%

Le développement territorial suisse n’est actuellement pas durable, malgré la loi sur l’aména-gement du territoire, en vigueur depuis les années septante, qui stipule une uti­lisation mesurée du sol, un développement qualitatif du milieu bâti et la protection des ressources naturelles. Le Projet de territoire Suisse – qui a été élaboré, puis adopté conjointement par les communes, les villes, les cantons et la Confédération – vise à encourager une telle durabilité. Le présent article est consacré à l’histoire, aux stratégies et aux objectifs du projet, ainsi qu’aux premières étapes de sa mise en œvre
Informations concernant le Projet de territoire Suisse: www.are.admin.ch/themen/raumplanung.

Le développement territorial 
en quête de visions


Récemment, les médias suisses ont accordé une attention accrue au développement territorial. Les scrutins concernant l’initiative sur les résidences secondaires et la révision de la loi sur l’aménagement du territoire ont ainsi été précédés par des échanges ani-
més: quels sont les défis, les attentes et les 
visions en la matière? Quel sera le visage 
des paysages et des territoires urbanisés de demain? De quelle qualité seront-ils? Comment faire pour que les générations futures puissent, elles aussi, utiliser cette ressource qu’est le sol conformément à leurs besoins? Ces questions sont au cœur du débat.Il n’est pas facile de concilier les intérêts, les vues et les besoins divergents qui prévalent en matière d’aménagement du territoire. C’est à ce niveau qu’intervient le Projet de territoire Suisse. Bénéficiant d’un large soutien, il a pour vocation de servir de cadre d’orientation aux autorités, mais aussi aux acteurs privés ainsi qu’à tous les milieux intéressés. Œuvrant conjointement, les communes, les villes, les cantons et la Confédération ont formulé dans ce document leur conception d’un développement territorial durable, afin de préserver la diversité, la solidarité et la compétitivité du pays. Cette approche globale vise à élargir le champ de vision des différents acteurs territoriaux et à dynamiser la collaboration entre autorités. Ce type de coopération est urgent si l’on considère les défis actuels à relever.

Les surfaces cultivées subissent 
une pression croissante


Les surfaces urbanisées n’ont cessé de s’étendre durant les dernières décennies. Rien que depuis les années quatre-vingt, 
elles ont augmenté de près d’un quart. Cet étalement urbain massif et continu met 
sous pression les surfaces agricoles et les 
espaces naturels. Il faut, dès lors, se demander comment endiguer la consommation 
effrénée de terrains tout en assurant une offre de logements appropriée pour tous?La croissance démographique se concentre essentiellement dans les villes et les agglomérations. Aujourd’hui, la Suisse compte huit millions d’habitants et l’on prévoit que sa population devrait se stabiliser à un peu moins de neuf millions dès 2055. L’évolution démographique n’est pas seulement quantitative, mais aussi structurelle; la proportion de jeunes diminue, alors que l’espérance de vie augmente. À l’avenir, il s’agira de mettre en place des formes d’habitation et d’urbanisation qui tiennent compte de ce changement de société.Parallèlement, l’espace rural est en passe de perdre ses caractéristiques typiques. La délimitation, autrefois claire, entre zones rurales et urbanisées devient toujours plus floue. Il convient donc de soutenir des modes d’exploitation spécifiques, dans les espaces ruraux périphériques notamment, car ils marquent aussi de leur empreinte les paysages culturels. Parviendrons-nous à établir un équilibre entre villes et campagne? Comment faire pour conserver la biodiversité, la variété des paysages et les liaisons entre les espaces naturels?Les infrastructures de transport et d’én­er-gie sont des facteurs clés du développement. En 2011, 36 % environ de la consommation d’énergie – soit la part la plus importante – était imputable aux transports. Depuis 1950, cette consommation a quintuplé en Suisse. Elle doit se stabiliser au niveau actuel grâce aux innovations techniques. La Stratégie énergétique 2050 du Conseil fédéral vise une sortie du nucléaire à l’horizon 2034. Pour compenser la perte de production, les énergies renouvelables seront mises à contribution. Elles comportent un potentiel de développement prometteur, bien qu’elles ne soient pas sans impact sur le paysage. Les formes d’urbanisation futures parviendront-elles à réduire la consommation d’énergie, la mobilité et les émissions de CO2?La population suisse se regroupe essentiellement dans les espaces métropolitains: un quart du territoire national regroupe les trois quarts de la population et les quatre cinquièmes des emplois. Un équilibre territorial doit toutefois s’établir entre les zones urbaines, qui sont des pôles de l’économie mondialisée, et les régions périphériques, marquées par une diversité de petites et moyennes entreprises.

Pourquoi un projet de territoire?


La situation qui prévaut actuellement en Suisse peut provenir du fait que l’aménagement du territoire n’a pas réussi à atteindre les objectifs qui lui étaient assignés. Depuis les années septante, la loi sur l’aménagement du territoire encourage une utilisation mesurée du sol, un développement qualitatif du milieu bâti et la protection des ressources naturelles. Or, en dépit des mesures de pla-nification prises sur cette base et contrairement à de nombreuses déclarations d’intention politiques, le développement territorial de la Suisse n’est pas durable
«Le développement durable est un mode de développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs», Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’Organisation des Nations Unies (WCED), définition du développement durable dans le rapport intitulé Notre avenir à tous (rapport Bruntland), 1987.. La densification continue des réseaux économiques et sociaux, la croissance démographique, la 
demande accrue d’infrastructures de transport, d’énergie et de communication ainsi que – et ce n’est pas le moindre – la consommation toujours plus importante de surfaces urbanisées et de logement par personne ont contribué à neutraliser les efforts déployés 
en faveur d’un développement territorial 
durable.Les Grandes lignes de l’organisation du territoire suisse ont été établies sur la base de ce constat dès 1986. Elles ont été suivies, en 2005, par le Rapport sur le développement territorial. Ce dernier répertorie les grandes tendances en la matière:

  • extension et importance croissante des agglomérations;
  • estompage de la distinction entre villes et campagne;
  • explosion de la mobilité.


Pour que cette dynamique réponde à l’objectif d’un développement territorial durable, il est essentiel de mieux canaliser l’extension de l’urbanisation, de manière notamment à préserver les ressources et espaces naturels nécessaires aux générations futures.Partant du constat que les modalités de développement aptes à assurer un aména-
gement durable de la Suisse doivent se fon-der sur une représentation vaste et différenciée, le Rapport 2005 sur le développement 
territorial soumet au débat quatre scénarios
Rapport 2005 sur le développement territorial, pp. 67–86.: 1) Une Suisse des métropoles 2) Dispersion et éclatement 3) Une Suisse urbaine 4) Une Suisse des régions. Ceux-ci montrent que le développement territorial futur de la Suisse ne relève pas de la fatalité, mais qu’il peut être façonné. Le rapport relève finalement l’impérieuse nécessité d’élaborer un Projet de territoire Suisse, basé sur un réseau de villes présenté dans le scénario 3, qui serait apte à éviter les effets de polarisation et d’étalement urbain inhérents aux autres scénarios.

Une élaboration exemplaire par les ­autorités de tous les niveaux


Les interdépendances territoriales qui 
caractérisent les ambitions mentionnées ci-dessus requièrent tout à la fois une meilleure collaboration verticale entre les différents niveaux de l’État et, dans les espaces fonctionnels, une meilleure coordination horizontale entre les collectivités d’un même niveau: telle est la conviction partagée par les auteurs du Projet de territoire Suisse. La Confédération, les cantons, les villes et les communes ont donc signé une convention en mai 2006, afin d’orienter leurs efforts vers une vision territoriale commune et l’élaboration tripartite du Projet de territoire Suisse.Après que les organisations responsables du projet ont travaillé durant près de cinq ans, la conseillère fédérale Doris Leuthard a finalement présenté en janvier 2011 la première version du document, destinée à une large consultation. Deux ans plus tard, la version définitive du projet a pu être adoptée par les représentants de tous les niveaux étatiques. Elle a été publiée en décembre 2012.Un groupe d’accompagnement politique et un groupe de travail technique ont été constitués pour élaborer ce document. Un processus de participation a été engagé, dès 2006–2007, sous la forme de neuf forums ­régionaux. La formulation d’une vision consensuelle du territoire suisse a ensuite nécessité de nombreuses discussions, parfois ardues, ainsi que plusieurs versions des différents textes et cartes. La procédure de consultation a révélé que si l’organisation tripartite du projet respectait les exigences du fédéralisme, la diversité territoriale du pays n’apparaissait pas suffisamment: le document mis en consultation est apparu à certains comme trop marqué par une vision urbaine du territoire. Cette perception a été prise en compte dans la version définitive, qui présente de manière plus équilibrée la situation des régions périphériques. L’approche tripartite, inédite jusqu’ici en Suisse, pourrait servir d’exemple à d’autres domaines de la politique qui impliquent 
plusieurs niveaux de l’État.

Aménager ensemble le territoire suisse


La Suisse est appelée à changer de cap dans le domaine du développement territorial. Ce dernier devra désormais être plus équilibré et plus durable. Un tel changement implique nécessairement des interventions concrètes de la part des autorités et la mise à contribution de toutes les forces disponibles. Il s’agit aussi de définir un objectif clair si l’on veut rallier les milieux concernés à cette cause et trouver un dénominateur commun aux intérêts en jeu. C’est là le rôle du Projet de territoire Suisse.L’élaboration conjointe, par la Confédération, les cantons, les villes et les communes, d’un concept de développement territorial constitue une première en Suisse. Tous les niveaux de l’État se sont ainsi mis d’accord sur un cadre d’orientation général; ils ont réaffirmé leur volonté de le respecter lors d’activités à incidence spatiale. Les modalités de collaboration prévues dans le Projet de territoire Suisse, basées sur l’engagement volontaire et le partage des responsabilités de ces trois niveaux, sont devenues réalité à maintes reprises, par exemple dans le domaine de la politique régionale et dans celui de la planification sectorielle.Préserver la diversité, la solidarité et la compétitivité: telle est l’idée maîtresse du Projet de territoire Suisse. Sa concrétisation se manifeste dans cinq objectifs garants d’un développement territorial durable:

  • préserver la qualité du cadre de vie et la diversité régionale;
  • ménager les ressources naturelles;
  • gérer la mobilité;
  • renforcer la compétitivité;
  • encourager les collaborations.

Trois stratégies


De l’idée maîtresse et des cinq objectifs mentionnés découlent trois stratégies qui génèrent à leur tour des principes d’action.La première doit mettre en place des territoires d’action et renforcer le réseau polycentrique des villes et des communes. La Suisse est organisée selon un modèle décentralisé. Son territoire se caractérise par des centres très diversifiés, ce qui facilite l’accès aux emplois ainsi qu’aux lieux d’approvisionnement, de formation, de services et de loisirs. Les différentes régions doivent promouvoir activement leurs atouts spécifiques et leurs particularités. Il s’agit en effet de lutter contre l’approche «tout partout» et contre l’uniformisation qui en découle. Ces deux facteurs fragilisent la diversité paysagère et la qualité du milieu bâti. L’économie, la société et la culture sont étroitement interdépendantes, même au-delà des frontières nationales, et forment ce qu’on a appelé des espaces fonctionnels. À l’avenir, les collaborations et la mise au point de stratégies communes 
devront plus souvent se référer à des territoires d’action suprarégionaux et viser une incidence territoriale à large échelle.La deuxième stratégie veut mettre en valeur le milieu bâti et les paysages. Les surfaces cultivables continuent de subir une forte pression, en raison de la prolifération effrénée des bâtiments et des infrastructures. En montagne, les broussailles et les forêts envahissent d’anciennes surfaces agricoles. Or, les terres cultivables servent non seulement à l’approvisionnement du pays, mais jouent également un rôle dans le maintien de la biodiversité, la protection de la nappe phréatique et le tourisme; elles offrent, en outre, des espaces de délassement proches des citadins. Il s’agit donc de préserver les surfaces agricoles et les espaces naturels attenants et de les mettre en réseau. La qualité paysagère dépend dans une grande mesure des conditions naturelles qui y pr­évalent ainsi que des modes d’exploitation et d’aménagement anthropiques; en témoignent les pâturages boisés, les vignobles ou les ponts spectaculaires. Les paysagistes suisses ont récemment résumé leur avis ainsi: Utiliser le paysage revient à aménager le paysage. Il faut en prendre conscience lors-qu’il s’agit de reconnaître ses qualités intrinsèques, les sauvegarder ou en créer de 
nouvelles
Fédération suisse des architectes paysagistes (FSAP), Groupe de travail sur le développement de l’espace non construit et du paysage, «Manifeste du paysage», Hochparterre, 4 mai 2011..» Vouloir préserver des surfaces 
de toute construction implique de limiter l’urbanisation et de diriger vers des zones 
déjà urbanisées les nouvelles constructions érigées à des fins d’habitation, de travail et d’infrastructure.La troisième stratégie souhaite coordonner transports, énergie et développement territorial. Elle vise à canaliser la mobilité débridée et à renforcer la compétitivité de la Suisse au moyen d’une desserte optimale et financièrement supportable. La coordination des infrastructures permet de préserver les ressources naturelles. Les centres métropolitains et urbains doivent être réunis par divers modes de transport, mais aussi reliés aux réseaux internationaux. Quant aux centres ruraux, ils doivent eux aussi pouvoir bénéficier d’une desserte adéquate afin d’accéder aux territoires environnants. La part de la mobilité douce, qui représente aujourd’hui moins de 10 % des déplacements, doit augmenter, 
surtout dans les agglomérations. Une urbanisation plus compacte permettra tout à la fois de réduire les besoins en mobilité et la consommation d’énergie, de favoriser une typologie architecturale optimisée, de faciliter l’établissement de réseaux énergétiques efficaces et de garantir une bonne accessibilité par les transports publics et la mobilité douce.

Les suites du projet


Le Projet de territoire Suisse a été défini comme cadre d’orientation et d’aide à la 
décision par les trois niveaux de l’État. Le document contient les principes d’action 
qui seront désormais intégrés aux instruments, procédures et activités ayant une incidence territoriale. La mise en œuvre intervient à l’échelon approprié, grâce à des collaborations qui vont au-delà des frontières institutionnelles et qui peuvent s’étendre aux acteurs privés. Les répercussions territoriales de l’application feront l’objet d’évaluations régulières. Progressivement, les conditions seront réunies pour faciliter la collaboration à l’échelle de territoires d’action; la qualité du milieu bâti et des paysages sera régulièrement débattue.Lors de la séance de clôture du projet, en janvier 2013, le groupe d’accompagnement politique a adopté la procédure pour les travaux de suivi. Le but est de soutenir les activités existantes (par exemple projets-modèles, programmes de recherche, lignes directrices pour activités régionales), d’encourager l’échange d’informations et de renforcer la coordination. On a consciemment renoncé à lancer des projets entièrement nouveaux. Les thématiques prioritaires sont le travail con-joint dans les territoires d’action, la poursuite de la politique des agglomérations, l’établissement d’une stratégie générale pour les territoires ruraux, la coordination des transports, de l’énergie et du territoire ainsi que la compensation des charges et des avantages auxquels sont soumis les différents espaces. Le contenu de la Stratégie énergétique 2050 sera lui aussi pris en considération. Il s’agira enfin de promouvoir, par des démarches conjointes aux autorités des différents niveaux et une communication ciblée, l’adhésion du monde politique et du grand public au Projet de 
territoire Suisse.La collaboration entre les niveaux de l’État se poursuit. Son pilotage est assuré par une équipe de projet tripartite, où sont représentés la Conférence des gouvernements cantonaux, la Conférence suisse des directeurs cantonaux des travaux publics, de l’aménagement du territoire et de l’environnement, l’Union des villes suisses, l’Association des communes suisses ainsi que l’Office fédéral du développement territorial. Les organes de décision politiques sont informés régulièrement et consultés lorsque des questions stratégiques surgissent. Cette nouvelle forme d’organisation permet de mettre en œuvre le Projet de territoire Suisse de manière flexible et dynamique. L’équipe tripartite a pour tâches principales d’effectuer le suivi et la documentation des travaux, d’informer, d’assurer les relations publiques et de déterminer les besoins.

Conclusion


La Suisse est appelée à relever des défis importants, ce qui lui offre aussi de multiples opportunités pour mettre en route un développement durable du territoire. Grâce au Projet de territoire Suisse, elle dispose pour la première fois de stratégies consensuelles, permettant une action commune, différenciée et créative. Une large adhésion des administrations publiques et de la population au projet est indispensable afin de tirer pleinement parti des opportunités offertes. Une bonne information du public ainsi que des échanges d’expériences réguliers seront nécessaires pour atteindre l’effet escompté et pour inciter tous les acteurs impliqués à tirer à la même corde. Ce faisant, on veillera à maintenir un équilibre entre les différents territoires d’action et régions; aussi bien les centres urbains que les zones rurales doivent être impliqués dans la démarche et prendre une part active à la mise en œuvre du Projet de territoire Suisse. Cette première expérience tripartite est une pleine réussite. La coopération entre les trois niveaux de l’État a été exemplaire et pourrait faire école dans d’autres domaines politiques.

Graphique 1: «Statistique de la superficie, 2009»

Graphique 2: «Transformations dans l’utilisation des sols, 1985–2009»

Proposition de citation: Gilgen Thetaz, Regina (2013). Relevons le défi du développement territorial suisse. La Vie économique, 01. avril.